Chapitre 47 : maman Saddie
— Épouse, embrasse, tue : Christian Bale, Jared Leto, Tom Hardy.
Ma tête percute la vitre du bus qui reste bloqué dans les rues bondées de Seattle, face à la question de ma petite sœur. Le menton enfoui dans une grosse écharpe laineuse, un sourire taquin parvient néanmoins à s'immiscer sur ses lèvres.
— C'est trop facile. J'épouse bien évidemment Christian Bale, j'embrasse Tom Hardy et tue Jared Leto. Enfin. Si j'y parviens.
— Pourquoi tant de haine envers Jared ? s'offusque-t-elle en s'accrochant à un barreau pour ne pas glisser, lorsque le bus avance.
— Il est incroyablement beau.
— Et donc ?
— Et donc ? Il a un demi-siècle et pas une ride ! C'est effrayant !
— Je croyais que c'est ce que tu adorais ?
— Écoute-moi bien, Mia. Un homme qui ne vieillit pas, ce n'est pas normal. Mûrir, d'accord. Mûrir lentement, encore mieux. Mais pas du tout ? Non. Non, il me fait trop peur. Marque mes mots, ce gars est un vampire. Et pas le genre sexy qu'on voit à la télé que, que pour une raison qu'on ignore, continuent d'aller au lycée. Non, je te parle du genre de monstres qui vident des corps humains entiers d'un coup de dents !
Elle éclate d'un fin rire et je souris. Emilia a toujours été la preuve vivante que le soleil ne disparaîtrait jamais de la surface de la Terre.
Elle a la capacité de rallumer toutes les bougies qui se sont un jour éteintes.
— Tu as déjà imaginé ce que serait ta vie, lorsque tu auras cinquante ans ?
— Avant, oui.
— Et maintenant ?
— J'avoue que le présent me prend trop de temps pour penser à ce qui viendra après... Je ne préfère pas y penser, pour le moment.
Son sourire disparaît de son visage et la peine m'assaille lorsqu'elle abaisse le menton, coupable.
— Désolée. Je voulais te faire penser à autre chose et à la place, je t'ai juste enfoncée à nouveau dedans. Je suis la pire des sœurs, non ?
— Ne dis pas ça. Jamais. Tu m'entends ?
Je presse mon épaule contre la sienne et elle m'embrasse sur la tempe. Elle dénoue même son écharpe de sa gorge et nous emmitoufle toutes les deux dedans, comme dans un cocon. On pourrait presque être invincible, comme ça. Personne ne pourrait nous atteindre.
Même le temps.
— Tu vas retourner à la maison, après ? me demande-t-elle alors qu'on se rapproche de plus en plus du lieu où je l'accompagne pour le devoir qu'elle avait à tout prix cherché d'éviter.
— Je n'en sais rien, encore. Il y a bien Yumee et Nora qui n'ont pas arrêté de me noyer sous des messages et des appels... Je pense que je dois au moins leur dire que je vais bien... Après tout ce qui s'est passé hier.
Comme si je venais de lui rappeler un combat sur un champ de bataille des plus sanglants, Emilia grimace. Ses double fossettes se plissent et elle rabats ses lunettes de soleil sur le bout de son nez.
— J'aimerais bien boire à nouveau pour que ces souvenirs restent oubliés.
Je secoue la tête pour me débarrasser des pensées négatives qui reviennent en galopant et me lève lorsque le bus s'arrête devant un arrêt.
— Tu n'as pas intérêt. Tu as un devoir important à passer. Allez viens ! On va être en retard !
Je l'attrape par la main avant qu'elle n'ait le temps de protester et l'entraîne à travers la foule de personnes qui commencent à s'amasser de partout. Aussi beau que Seattle puisse être, surtout en période hivernale avec des guirlandes de Noël et un début de neige, elle reste une ville des plus insupportables. Avec le trafic qui ne cesse pas, malgré les larges boulevards, les gens qui sont toujours plus pressés que ce maudit lapin dans Alice aux pays des Merveilles, retrouver son chemin, peu importe à quelle heure de la journée, révèle de l'exploit olympique.
Mais on a beau grogner sous l'agacement...
On n'oublie pas ce que Seattle est aussi.
Une ville sombre, parfois brumeuse, avec des tours qui grattent la stratosphère, des montagnes et des forêts en guise de vue... Et toutes les nuances que prend le ciel à toute période de l'année.
Rouge. Orange. Violet. Gris et bleu.
De quoi faire pâlir Monet.
Je prends une grande inspiration pour libérer mes poumons du poids qui les empêche de se gonfler de l'air frais qui essaye de s'y engouffrer et continue d'avancer. Farouchement accrochée au bras d'Emilia qui me guide à travers les bâtiments étudiants, je fronce les sourcils.
— Je n'en reviens pas que tu allais manquer ce devoir...
— Tu es en boucle, décidément ! J'y vais, là, alors pourquoi tu me bassines encore là-dessus ? Ce n'est pas ma faute s'ils mettent ça un samedi, aussi ! Qui a envie de ruiner son weekend avec plus de stress ?
— Avance, au lieu de dire des conneries. Tu vas être en retard !
— Tu ne vas quand même pas m'accompagner jusqu'à la salle ? raille-t-elle en me décochant un regard.
Je m'arrête soudainement, ce qui n'a pas l'air de plaire aux autres étudiants qui me bousculent et Emilia revient sur ses pas. Elle baisse le regard vers ma main qui la retient et son front se plisse sous l'irritation.
— Quoi ?
— Si tu crois que je suis assez stupide pour te laisser ici et que dès que j'ai le dos tourné, tu sèches...
— Parce que je suis du genre à faire ça ? C'est ridicule !
Mais je ne l'écoute déjà plus. Je me baisse à demi, lui écarte un genou et la hisse sur mon dos.
— T'es folle ? s'époumone-t-elle en essayant de se débattre.
— Hors de mon chemin ! J'ai une livraison d'étudiante, ici !
Je remonte une petite allée caillouteuse, sous les rires des autres qui forcent Emilia à cacher son visage entre ses mains.
— Oh mon Dieu, Saddie... Je te déteste tellement...
— Quand tu seras le plus grand architecte de cette ville, tu ne diras pas la même chose.
— Si ! Justement ! Je te rayerai de ma vie sans même sourciller ! Tu n'es officiellement plus ma sœur ! Aidez-moi ! Je suis enlevée par une parfaite inconnue ! C'est une folle ! Elle me force à passer mes examens !
Je manque de déraper lorsqu'elle m'alerte que je viens de dépasser sa salle et la dépose enfin. Avec ses cheveux en bataille et ses joues rougies par le froid et la honte, sans parler de son pull dont le col étiré révèle un t-shirt Pokémon... Elle ne rentre pas exactement dans la catégorie de personnes qui attendent patiemment devant la salle. Tous habillés classiquement, ils lui jettent un regard en coin et alors que j'essaye de récupérer mon souffle, je me penche sur ma petite sœur.
— Mia, c'est pour quoi précisément, ce devoir ?
— Croquis à main levée. Nos patrons à la boîte ont absolument voulu attendre les résultats avant qu'ils ne prennent une décision pour savoir qui va combler les futurs posts restants. Ne me demande pas pourquoi ils nous ont planifiés ça un putain de samedi...
— Donc... Tu étudies ici aussi avec les garçons dont tu m'as parlé l'autre jour ?
Elle redresse lentement sa tête vers moi, en rabattant son sac sur son dos, et ses doigts se crispent sur son thermos.
— Oui... Alors ne parle pas trop fort.
Son regard tombe sur l'un d'eux justement. Entouré de trois autres étudiants, il baille dans un creux de son poing. Assez mince aux joues creuses, l'arrogance se démarque dans ses yeux animés.
C'est celui qui s'est moqué des médicaments de ma sœur.
C'est celui qui a failli lui déclencher une crise épileptique.
C'est celui qui tient des propos diffamatoires.
Mes poings se serrent contre mes cuisses, mais avant que je ne puisse faire un seul pas en avant, la main d'Emilia se referme doucement sur mon bras.
— Ne fais pas ça.
— Je veux juste...
— Ce n'est ni l'endroit et ni le moment.
— C'est toujours le moment de venir éclater la gueule à un petit con.
— C'est tout ce qu'il est, Saddie. Tu ne me feras aucune faveur si tu lui fais du mal. Hey. Regarde-moi.
La pulpe froide de ses doigts se plante dans mon menton pour forcer mon regard à croiser le sien et elle m'embrasse sur la joue avant de me murmurer à l'oreille :
— Je sais que maintenant, tu as envie de t'en prendre à tout le monde. Tu es triste, blessée et probablement folle de rage et c'est normal, après ce qui vient de se passer.
— Ça n'a rien à voir, me défendis-je en haussant les épaules. Je...
— Je fais attention à moi. Tu le sais. C'est vrai que je n'ai pas voulu venir aujourd'hui, mais c'est surtout parce que je vais devoir survivre à ce putain d'examen avec des lunettes de soleil sur le nez, en priant que personne ne sente sur moi la quantité de vin qu'on a englouti hier. Mais la meilleure façon pour moi de faire payer à ce connard, c'est de lui arracher le tapis sous les pieds et de lui prendre la dernière place au cabinet. C'est toi-même qui me l'a dit quand tu étais lucide.
— Je suis lucide là, aussi, grommelé-je, vexée.
— Non, tu ne l'es pas. Et c'est OK de ne pas l'être, de temps en temps. D'assumer qu'on n'a qu'une seule envie, c'est de faire un château de coussins et de couvertures et espérer qu'on s'évanouisse dans un monde sans cauchemars. Je comprends, d'accord ?
Je scrute son doux visage pendant une longue minute avant de soupirer et de me détendre.
— D'accord.
— Super. Ne me tape pas plus la honte que tu l'as déjà fait, reprend-elle avec un sourire plus léger.
— Parfois, j'ai l'impression que c'est toi, la grande sœur.
Une lueur arrogante traverse son expression fière, quand soudain, la porte s'ouvre sur un professeur qui invite tout le monde à rentrer. Emilia cale son thermos sous le bras pour sortir le dernier beignet à la myrtille de son sac, mais avant qu'elle ne me le donne, je bloque son geste et lui indique l'intérieur de l'amphithéâtre.
— Tu en auras bien plus besoin que moi.
— Tu es sûre ?
— Fais juste attention à ne pas en mettre sur ta copie !
Je la serre dans mes bras et ferme un instant les yeux pour humer son parfum qui me rassure tant.
— Tu m'envoies un message dès que tu rentres ?
— Et toi, dès que tu as fini ce putain d'examen.
Le professeur de Mia, qui était suffisamment près pour qu'il entende mon insulte, me lance un coup d'œil sévère. Dans un raclement de gorge gênée, je la laisse partir en bredouillant un semblant d'excuse et agite la main jusqu'à ce que la porte se referme sur le dernier étudiant.
Mais même quand je me retrouve seule, je ne perds pas le sourire qu'elle a ravivé.
Je ne préfère pas penser à la peine, pour le moment....
Il y en a trop eu.
Je prends donc une longue inspiration d'air frais et me masse avidement mes tempes qui semblent avoir décidé de massacrer mon cerveau aujourd'hui et me dirige à nouveau vers la sortie du campus...
Avec aucune idée de ce que je vais pouvoir faire du restant de la journée.
Je n'ai simplement pas envie de rentrer à la maison, pour le moment.
Juste pas maintenant...
Il faut à Saddie un peu d'ondes positives, histoire d'échapper un peu et souffler, qui sait, même réfléchir à l'avenir...
• Saddie et Mia ont une complicité un peu trop honteuse en public 😂😂😂 vous pourrez vous montrer, vous, avec une sœur comme ça ? 😂
• Saddie rencontre les gars qui ne rendent pas la vie facile à sa petite sœur... Vous auriez fait quoi, vous, à sa place ? Dans un sens, hrsm qu'elle n'a pas assez de forces, peut-être qu'elle n'aurait pas écouté la voix de la raison 😂😂
Je vous retrouve vendredi pour un nouveau chapitre où l'on va voir comment Holden arrive à supporter cette distanciation 😬 vos pronostics sur la question ? 🤔
Comme d'habitude, n'oubliez pas la petite étoile et de me dire en commentaires ce que vous en avez pensé ! 😍
Je vous embrasse fort 😘
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