Chapitre 45 : les liens du mariage
Je me réveille si brutalement que pendant une bonne minute, la seule information qui percute mon cerveau, c'est le son d'un poing qui tambourine la porte d'entrée.
Merde, qu'est-ce qui s'est passé ?
Je me redresse douloureusement sur les coudes et relève le regard vers la porte de la chambre restée close depuis ma nuit avec Saddie.
Des souvenirs me reviennent comme une balle de fusil en plein cœur.
Ceux de ses cris de plus en plus étouffés dans sa voix cassée par des sanglots qui ont dû durer pendant des heures.
De la douleur sans nom qui imprimait ses si magnifiques yeux bruns...
De ce que je ne pouvais pas lui dire après l'avoir fait mal pour la troisième fois en une seule soirée.
— Putain...
Je me redresse du sol sur lequel j'ai fini par m'endormir. Loin du chaos coloré et empestant la peinture du salon, des autres pièces trop vides et trop dénués de présence, j'ai fini par trouver mon refuge au pied de la porte de la chambre conjugale.
J'ai écouté ma femme se bercer dans ses propres pleurs, pendant que j'étais avachi, de l'autre côté d'un mur en plâtre épais d'à peine une quinzaine de centimètres...
Totalement impuissant.
J'ai hésité à rentrer de force, plus d'une fois. J'ai dû me contenir encore plus quand j'ai fini par ne plus rien entendre... Avant de comprendre qu'elle a dû finir par ne plus avoir aucune once de force en elle pour continuer à pleurer, gémir, étouffer ses cris dans un oreiller ou essayer de se protéger, comme elle le fait toujours quand elle a mal.
Je l'avais déjà vu faire ça, lorsqu'elle avait eu un cauchemar, la première fois où elle avait dormi chez-moi. Je peux à présent supposer que ce n'était qu'un autre de ses souvenirs de lycée qu'elle devait revivre à chaque fois qu'elle clôturait ses journées avec ses paupières. Elle s'était vautrée dans un creux du matelas qu'elle approfondissait avec ses genoux repliés, tandis qu'elle protégeait son cou et sa tête avec ses bras.
Elle n'en a pas refait quand je l'avais prise dans mes bras et bercé toute la nuit.
Puis la lettre est arrivée dans nos vies.
Cette maudite putain de lettre.
Et tout est revenu.
Les coups de poings sur la porte d'entrée deviennent de plus en plus intenses et me ramènent à mes esprits. La tête lourde, je grogne en portant une main à mon visage, avant de m'arrêter, lorsque je sens quelque chose craqueler sous la pulpe de mes doigts.
Un frisson froid parcourt mon échine lorsque je me rappelle dans quel état je suis.
Je n'ai pas besoin d'un miroir pour savoir. Mon être entier ressent chaque parcelle de peau sur laquelle est enduite de la peinture rouge. De mon menton à mon front. Un peu sur ma nuque et dans mes cheveux.
Sur mon torse.
Je baisse les yeux en me retenant de ne pas gémir trop fort et porte ma main à ma chemise que je porte toujours par, je ne sais quel miracle. Retenu sur mon corps par un unique bouton, mon torse est, lui aussi, maculé de la rage de Saddie.
J'ai toujours aimé les empreintes qu'elle laissait derrière elle avec la douceur de ses mains si belles...
Mais pas celles-ci.
— Parsons, je sais que tu es là ! Ouvre !
Je redresse le regard vers la pièce de vie et la scrute un instant, malgré le soleil d'une matinée déjà bien avancée qui l'inonde avec des rayons meurtriers de cornées.
Cedric.
Je fronce les sourcils lorsque je parviens à placer un nom sur la voix rauque qui hurle à ma porte. Cet abruti de voisin tombe mal.
— Merde, merde, merde...
Dans un effort qui me coûte plus d'un grognement, je parviens à me redresser. Je passe un rapide coup de main dans mes cheveux, rentre ma chemise dans mon pantalon après l'avoir fermé et ouvre la porte juste assez pour laisser entre-voir une partie de mon visage.
— Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Cedric ? parviens-je à articuler, malgré la tonalité brisée de ma voix dont j'essaye de me débarrasser en me raclant la gorge.
— Oh, j'ai le malheur de te déranger ? Après le bordel que tu m'as foutu cette nuit ?
Je soupire longuement, tout en me grattant le front avec mon pouce et essaye de refermer la porte.
— On fera moins de bruit la prochaine fois.
Le pied de mon voisin parvient cependant à se glisser dans l'ouverture et m'empêche de couper court à la conversation.
Putain.
La rage noue à nouveau mon estomac vide depuis au moins hier midi et je bascule ma tête en arrière.
— Qu'est-ce que tu veux, Cedric ? Que je m'excuse ? C'est déjà fait.
— J'ai une réunion super importante ce matin, et à cause de votre foutoir, je n'ai pas pu fermer l'œil de la nuit ! On se serait cru à l'abattoir !
Heureusement que le battant recouvre trop ma vision. Parce que si je me surprendrai à croiser son regard alors que cette journée commence avec la fin de la veille...
Je me contiens malgré tout et serre les dents.
— Tu vas être en retard, alors. Je ne me sentirais pas à l'aise si je savais qu'en plus d'avoir gâché ta nuit, j'aurais gâché ta journée.
— Ne joue pas aux malins avec moi, Parsons ! La prochaine fois, j'appellerai les flics !
— Allez, c'est ça, au-revoir.
— Att...
Sa protestation meurt cependant lorsque je parviens enfin à fermer la porte. Je m'appuie dessus en plissant les yeux avec toute la puissance que mon corps raide peut encore offrir et expire brutalement.
Mais mon voisin est le cadet de mes soucis.
Quand je rouvre les yeux... Sur le salon baigné dans la lumière du jour...
Mon cœur loupe un battement.
Ferme.
Ferme.
Ferme !
Mes paupières obéissent tout de suite et alors que je tâtonne pour trouver le bouton qui ferme les stores et me replonge dans l'obscurité... Je retrouve l'air.
C'était une scène de crime. Le rouge règne. Mais il y en a tant d'autres... Toutes ces couleurs qui n'ont rien à foutre chez-moi.
Rien. Du. Tout.
— Respire, respire, respire...
J'y parviens, mais à peine. Au point où je suis obligé de porter ma main à ma poitrine pour faire arrêter le tambour qui entame une marche funèbre.
Hier, j'ai fait briser trop de promesses... Et pas qu'à Saddie.
Mais c'est par elle que je dois commencer.
Même si la longueur de mes jambes me permet de traverser rapidement le vomis de Leprechaun qui s'est déversé dans les enceintes monochromes de ma maison, je titube durant les quelques pas qui me restent à faire jusqu'à la chambre.
Les lèvres pincées jusqu'à ce qu'elles ne forment plus qu'une mince ligne, j'arque le poing pour cogner la porte et murmure doucement :
— Saddie ?
À Phoenix, lorsqu'elle m'a laissé avec son vœu de divorce, j'ai cru que la fin de ma vie venait d'être signée et actée dans un contrat sur lequel je n'avais aucun pouvoir. C'était comme si j'étais déjà condamné, sans même avoir une chance pour récupérer l'éternité à ses côtés.
Je n'aurais jamais cru que ce que je ressens à présent, serait bien pire.
— Saddie, ouvre-moi.
J'essaye de contenir la colère dans ma voix, mais les dernières syllabes qui sortent de mes dents serrées tremblent trop pour donner à ma voix la confirmation que je suis calme.
C'est faux.
Un mensonge drapé dans une assurance perdue.
Rien d'autre.
Je plaque mon front contre la porte derrière laquelle ne réagit toujours personne et souffle :
— Je t'en supplie, ouvre-moi. J'ai besoin de savoir si tu vas bien.
Toujours rien.
Un grognement de frustration m'échappe tandis que je croise mes bras derrière ma nuque.
— Saddie, tu as besoin de boire et de... De manger.
Un petit bruit retentit et je reconnais celui de l'eau qui coule du robinet, ainsi que d'un froissement de papier médicamenteux.
— Ouvre, par pitié !
Je plaque ma paume sur ma bouche et en fait autant de mon front contre la porte.
Un bruit similaire me répond.
Sept centimètres de bois séparent nos têtes.
Nos corps.
Mais c'est une distance impossible à définir par les plus grands physiciens de ce monde qui sépare nos âmes.
— J'étais énervé, hier, Saddie, je... Tu ne voulais pas m'écouter et... Comment t'en blâmer ? Mais j'ai besoin que tu saches que je n'aurais jamais pu te tromper. Tu représentes tout pour moi.
La définition même de l'univers.
— Tout.
Mes yeux se plissent plus fort quand j'entends le bruit étranglé d'un sanglot qu'on retiens.
Je peux entendre ses larmes couler.
À peine cent années nous permettent de visiter la vie sur Terre. Certains trouvent ce passage pénible et abandonnent. D'autres y sont arrachés contre leur gré.
Mon mariage avec Saddie c'est la définition même de deux âmes qui se tiennent main dans la main pendant toute la traversée qui nous est offerte.
On visite.
On passe.
Et infailliblement...
On trépasse.
J'arque le coude et frappe avec douceur contre la porte tandis que je poursuis :
— Si tu m'ouvres la porte... Qu'on s'assoit tranquillement et qu'on discute... Je te dirai pendant des heures, s'il le faut, à quel point je ne peux pas supporter un seul instant d'être arraché à toi. Je te prouverai par tous les moyens du monde ce que tu vaux à mes yeux. J'ai besoin de toi, Saddie... Pour respirer, pour vivre... Pour...
— Pas maintenant. tonne soudainement sa voix à moitié étouffée par une main.
— Quoi ?
— Pas maintenant. S'il te plaît. J'ai besoin d'un peu de temps.
Je déglutis avec difficultés et mes sourcils se froncent.
— Saddie...
— Pas maintenant, parce que tu vas dire de belles choses. Pas maintenant, parce que je vais les croire aveuglément et te pardonner. Pas maintenant, parce que rien ne sera résolu et on continuera sur des bases qui s'écrouleront sous notre poids tôt ou tard... Pas maintenant, Holden, parce que je ne peux pas supporter le son de ta voix... J'ai besoin de temps et... De silence. S'il te plaît.
Je baisse le regard vers ma main qui devient subitement lourde sous le poids de mon alliance argentée.
Une minute.
Une putain de minute.
C'est tout ce qu'il m'avait fallu le jour où je l'avais enlevé, pour me consumer sous la rage. Pour que je ne sois plus que cendre. Et même à ce moment précis, quand j'avais perdu l'usage de mes poumons, de la capacité à faire pulser le moteur qui me maintient en vie dans ma cage thoracique...
Même là, je m'étais senti démuni par l'objet qui me scellait à la personne avec qui je n'avais pas communiqué correctement depuis des semaines.
Je l'avais enlevé, parce que je t'ai détesté pendant une minute, Saddie...
Et maintenant, tu me détestes pour le restant de ma vie.
Je me mords si violemment la lèvre que le goût âcre du sang qui envahit ma bouche me fait grimacer.
— Juste... Pas maintenant... répète Saddie alors que je la sens se décrocher de la porte pour s'éloigner.
Je parviens néanmoins à rassembler le peu de forces qui me restent pour tenir tête et répliquer avec le plus de détermination possible.
— Tu sais que j'attendrais pour le restant de nos vies, n'est-ce pas ?
Les mots qu'elle voulait entendre hier me brûlent la langue. Ces deux petits mots que les couples anodins se balancent une multitude de fois par jour.
Ces mots qui n'ont jamais frayé les barrières insensibles de mes défenses.
J'ai un jour cru que Saddie allait être la personne à qui je les dirai pour la première fois... Mais j'ai réalisé que c'était tout le contraire.
Saddie n'est pas digne des mots humains.
Elle est plus. Bien plus.
Et c'est pour ça que je me décroche de la porte et que je respecte son espace. Que je m'enferme dans la seconde salle de bains de la maison et que je reste figé sous un jet d'eau glaciale jusqu'à ce que ma peau se fripe.
Ma Saddie a besoin d'espace...
Mais je ne me laisserai plus jamais être aussi loin d'elle.
Le drame continue. Saddie a besoin d'espace et Holden comprend, avec le choc, que des erreurs ne doivent plus être commises. Est-ce que ça suffira néanmoins pour ressouder ce couple brisé ?
• Saddie sera-t-elle vraiment seule pour surmonter cette si lourde blessure ? Ou pourra-t-elle compter sur l'aide de sa féroce armada de guerrières prêtes à déchirer les pneus de la voiture de son mari "infidèle" avec une lime à ongles ? 😂
• Est-ce que Holdencpeut encore trouver le refuge dans son travail ? Les avocats sont fourbes après tout et il n'est pas le seul du cabinet avec de l'ambition...
Sur une note totalement différente, je vous annonce ici, pour ceux qui n'ont pas vu le message sur mon profil, que la publication officielle de Coast, une romance BIEN PLUS LEGERE que SNF est en cours ! Si vous êtes fan des friends to lovers, d'un peu de colocation et de la mer un peu sauvage du Maine, vous pouvez d'ors et déjà découvrir le prologue et le premier chapitre ! C'est tous les dimanches que ça se passe !
Je vous fait de gros bisous !
À demain pour la suite !
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