Chapitre 41 : un très mauvais plan

Après avoir pris un autre ferry qui nous ramène sur la bonne côte de Seattle, on arrive enfin devant le cabinet d'avocat de Thatcher & Kane. Toutes les lumières sont encore allumées. Que ce soit les bureaux, les réverbères du parking, ou encore toutes ces décorations de Noël qui approche à grands pas.

Personne n'aurait pu croire qu'il est près de minuit.

J'arrive à peine à tenir sur mes jambes, quand je sors du taxi. Ma tête tourne comme un tourniquet et ça ne s'arrange pas quand je m'accroche au bras de Yumee qui, du haut de sa taille de mannequin, manque de tomber au sol.

Merde, qu'est-ce qu'on a fait ?

Nora paye pour le taxi et s'esclaffe en se tenant le ventre.

— Vous croyez que le chauffeur va me rappeler ? Il était vraiment mignon.

— Ça dépend. Tu lui as écrit quel numéro sur le billet, quand tu le lui as tendu ?

Ses yeux s'écarquillent pendant un instant et elle se retourne vivement pour essayer de le rattraper... Sauf qu'il est déjà parti.

— Et merde !

— Ça t'apprendras à toujours fournir le numéro d'un fastfood à ceux qui essayent de te draguer !

— Ce n'est pas ma faute que je ne tombe que sur des sales cons ! riposte-t-elle en rabattant la lanière de son sac à main sur son épaule.

— Ne t'en fais pas, Nora... Il avait une barbichette, de toute façon. Il n'était pas fait pour toi. Pour aucune femme, d'ailleurs.

Si la réponse de Yumee se veut rassurante, c'est l'effet contraire qui voile le yeux de ma meilleure amie, toujours plongée dans une nuance de regrets.

J'aimerais rire, mais chaque vibration dans ma gorge menace infailliblement de libérer le contenu de mon estomac sur le capot d'une voiture à laquelle j'ai fini par me raccrocher.

Après tout, c'est toujours plus stable que Yumee.

Celle-ci zigzague entre une fournée de quatre Audis, toutes similaires, en fronçant ses sourcils.

— C'est moi où je commence à voir double ?

— Ok, ok, les filles, il faut qu'on se concentre, tenté-je en agitant les bras pour les rassembler autour de moi. Il est tard, alors il faut qu'on soit discrètes.

— Oui, chut.

— chut.

— Chuuuuuuttttttt...

— Emilia !

— Pardon.

Je plaque ma paume sur mes lèvres pour ne pas éclater de rire face à sa mine déconfite. Après tout, pourquoi faire attention ? Si on a un problème avec les services de l'ordre, on aura assez d'avocats à notre portée pour venir à notre rescousse, non ?

— Tu as déjà réfléchi à ce que tu vas dire à Holden, Saddie ?

Le bras de ma petite sœur s'enroule autour de ma taille et je lui réponds en me tournant vers le bâtiment qui se dresse face à nous :

— Oui.

C'est faux.

— Quoi ?

— Je n'en sais rien, avoué-je en soupirant.

Mes lèvres se pincent alors que j'essaye d'avancer. Chaque pas qui me guide vers les portes du cabinet de mon mari, fait accélérer mon cœur dans ma poitrine. Un peu plus et il jaillirait dans une tentative de fuite, vouée à l'échec.

La conversation sur le ferry avec mes amies m'a fait ouvrir les yeux sur ce que j'ai envie et sur ce que je ne devrai pas lâcher.

Le droit à la couleur en fait partie.

Alors habillée de mon gilet rouge comme une arme avec laquelle je partirai en guerre, mon bataillon de fidèles guerrières dans mon dos, je pousse la porte du bâtiment.

Mais entre les sièges vides, un hall dans lequel résonne le bruit de mes pas et la froideur presque glaciale des lampes au-dessus de nos têtes, l'angoisse finit par me rattraper. Je porte mes mains à mon estomac qui se tord et un millier de pensées détruisent quasiment instantanément le brouillard alcoolisé qui m'enveloppait jusque-là.

C'est une mauvaise idée.

Une putain de mauvaise idée.

Je pivote sur mes talons et fait signe à mes amies et ma sœur de reculer.

— On annule, on annule !

— Quoi ? Mais pourquoi ? scande Emilia alors que le bout de son nez est perdu dans les hauts plafonds.

— Le patron de Holden est vraiment un sale type, il faut qu'on rentre ! S'il nous voit dans un tel état, débarquer ici...

— On s'en fout, ton mari doit payer !

Le cri de Yumee fait apparaître une autre série de bruits que je reconnais comme étant des bruits de pas et mon cœur se fige net dans ma poitrine.

Ça y est. On est foutues.

— Saddie ?

Maverick.

Un peu soulagée, je me frotte la gorge et chuchote dans la direction de mes amies :

— Agissez normalement et surtout ne dites rien ! Laissez-moi parler.

Sourcils froncés et sourire confus, le gardien de sécurité du cabinet et accessoirement l'un des meilleurs amis de Holden se rapproche vers nous. Je n'aurais jamais cru être aussi soulagée de voir un homme aussi large d'épaules.

les veines saillantes sur ses mains qu'il passe dans ses boucles brunes, me font ravaler ma salive, car je sais qu'il n'aira aucune difficulté de nous jeter dehors, s'il devine que nous sommes plus torchées que des étudiantes.

Soit cool, Saddie.

Soit cool.

— Bonsoir, Maverick. Tu vas bien ?

— Oui... Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ? Et... Il penche sa tête sur le côté, son regard sérieux rivé sur Emilia, Nora et Yumee qui battent des cils. Qui sont-elles ?

— Tu connais ma sœur, Mia...

— Salut Mavy...

— Et voici Nora et Yumee. Mes...

Trouve quelque chose à dire !

— On est avocates aussi, interrompt la Balinaise en détachant ses cheveux peroxydés. Maître Patai, enchantée. Je suis ici, car j'ai rendez-vous avec Maître Parsons. Puis-je monter ?

Et merde.

Je décoche à mon amie un regard venimeux, mais celle-ci m'ignore et fait mine de fouiller son sac à main à la recherche d'une carte de visite.

— Donc... Femme, belle-sœur et... Amies ambulantes. C'est ça que je dois annoncer à Holden ?

Il a vu clair dans notre jeu.

Cependant, je n'ai pas le temps de trouver quelque chose pour notre défense commune que soudain, Nora, paniquée, pose ses mains sur mes épaules et me secoue.

— Le gars mignon nous a grillé, Saddie ! On doit faire diversion ! Vite, montre lui tes seins !

— "Le gars mignon" n'est pas sourd, Nora... Tu as dit ça à voix haute. peste Emilia.

Je les intime à tous le silence et me tourne vers Maverick en pointant mon bras dans la direction de son bureau, par-delà les portiques de sécurité.

— On passe tous une horrible soirée. Je suis certaine que tu serais bien content de rentrer. Non ?

— Et si tu nous laissais passer ?

— Ah ! J'ai trouvé ma carte de visite !

Yumee me bouscule pour mettre l'objet en question dans la paume de Maverick, mais les sourcils de celui-ci se froncent.

— "Yumee Patai, éditrice en chef chez Ashes Publishing..."

— Non. J'ai barré ça. C'était mon ancien emploi. J'ai passé le barreau, depuis !

— Ah oui. Au feutre noir... Oui. Maintenant, je le vois mieux. "Avocate".

— Exactement. Mais encore une fois, c'est Maître Patai pour toi, mon petit.

— Pas de doutes. Une vraie avocate.

D'un pas loin d'être stable, elle tente de dépasser le portillon de sécurité, mais Maverick se met poliment en travers de son chemin.

On est foutues.

— Saddie, qu'est-ce que vous faites ici, précisément ? Tu sais ce qu'Allen ferait s'il apprenait qu'une telle... Scène, se faisait dans le hall de son cabinet.

— Il n'aime pas le théâtre ? s'éberlue Emilia.

— Je suis désolée, Maverick... Vraiment. Je tenais juste à parler à Holden.

— Dans cet état ?

— Je tiens debout et j'arrive encore à parler. Je ne vois pas de quoi tu parles.

Il tente de répliquer, mais Nora m'essuie de son passage d'une unique main et jette un coup d'œil au téléphone qu'il tient en mains. Surtout à l'écran allumé qui donne sur une conversation à laquelle il venait de raccrocher.

— Oh, tu étais en train d'appeler ta petite amie ?

— Non.

— Dans ce cas, voilà mon numéro, comme ça, tu pourras le faire.

Oh mon Dieu.

J'enfonce mon visage entre mes mains écarquillées, les joues en feu, mais Nora ne s'arrête pas là.

Pourquoi le ferait-elle, après tout ?

— Quelqu'un à un bout de papier ? J'ai donné le dernier au chauffeur de taxi.

— C'est Saddie l'auteur. se borne Yumee en m'indiquant d'un doigt presque accusateur.

— Je suis donc un bloc-note ambulant ?

L'idée n'est pas déplaisante. À ce moment précis, je préfèrerai largement être faite en papier qu'être humaine. À ce point, j'aimerais me métamorphoser en château de cartes, car mon seul et unique objectif, serait de m'écrouler proprement sur moi-même.

Chose que je ne vais pas tarder à faire sous ma forme actuelle.

Je réprime un soupir dolent et secoue la tête en posant ma main sur le bras de Maverick, toujours aussi confus.

— Je suis désolée. Tu as raison, c'est une très mauvaise idée que d'être venu ici... On va rentrer.

— Tu veux que je vous appelle un taxi ?

— Aucune d'entre nous a encore de la batterie, alors... Ce serait vraiment gentil.

Il me gratifie d'un sourire et report son téléphone à son oreille où fourmille une écoutille.

— Je m'en charge.

— Oh et Mave ? S'il te plaît, tu peux éviter de dire ce qui s'est passé à Holden ? Pire encore, à Allen ?

En guise de réponse, il m'accorde un clin d'œil et fait mine de boucler un cadenas de sa bouche.

Il n'y a pas beaucoup de personnes dans ce cabinet que j'affectionne. Après avoir passé toutes les fêtes de bureau en compagnie des collègues d'Holden, je me rappelle toujours pourquoi j'avais dit non à Nora, lorsqu'elle m'avait dit que l'homme avec qui j'avais un blind date était avocat.

Arrogants. Incroyablement égoïstes et primitifs. La liste est longue pour ce que je pense de ces personnes qui tirent un profit des cœurs brisés de leurs clients.

Mais Maverick ?

C'est l'homme avec qui je me suis moqué de ces mêmes personnes pendant toute une soirée organisée par le cabinet. Il se sentait à l'écart et très franchement, moi aussi. Peut-être autant que mon mari quand il s'agit de mon monde...

Mais grâce à Maverick, cet ex-taulard que Holden avait tiré d'ennuis dans une affaire pro-bono, bien avant son expertise dans le divorce, les heures sont passées plus vite que prévues.

Je sais que je peux compter sur lui.

Je lui rends donc son sourire, attrape mes amies et ma sœur par leurs bras et les traîne jusqu'à la porte, causant bien trop de protestations...

Surtout de Nora.

— Attends, je n'ai pas eu le temps de lui donner mon numéro !

— Tant mieux. Allez viens.

— Tu ne veux pas que je sois heureuse ? s'offusque-t-elle en réprimant un souffle.

— Je ne veux surtout pas que tu lui plantes un vent, parce que demain, tu auras déjà tout oublié.

— Impossible. Avec un tel visage...

Mes yeux roulent dans mes orbites. Pas de doutes, je n'aurais jamais dû écouter Nora. Elle et sa stupide idée de venir régler mes comptes avec Holden est non seulement un échec ambulant, mais en plus...

Je suis fatiguée.

Et j'ai froid.

Je n'ai qu'une seule envie, c'est de rentrer, m'enfoncer dans mon lit et attendre que la gueule de bois ne soit plus qu'un mythe.

Je m'essuie le front d'un revers de manche, sentant mes pensées dégénérer. Je regrette fortement de ne pas avoir de veste qui me permettrait de lutter contre une nuit froide et hivernale à Seattle... À la place, je retrouve la Mercedes de Holden et passe la pulpe de mes doigts sur le capot en espérant une dernière lueur d'activité qui me permettrait de me réchauffer.

En vain.

Emilia vient me rejoindre et se pend à mon cou. Et même si elle manque de peu de m'étrangler, je lui rends son étreinte, dans la mesure du possible.

— Ça va aller, Saddie. J'en suis sûre.

— Je sais. Je sais, oui. Il faut, après tout, pas vrai ?

— Bien sûr. Demain matin, tout ne sera qu'un mauvais souvenir.

Je souris.

— Tu me le promets ?

Elle rompt un instant notre câlin et arque son petit doigt.

— Promis juré.

C'est peut-être stupide, mais je la crois. Je ne compte plus le taux de personnes qui m'ont promis quelque chose.

Mon père m'a juré de ne jamais quitter ma mère.

Mon beau-père m'a juré que j'irais mieux.

Ma mère m'a juré que notre famille ne rétrécira pas plus.

Mes amies m'ont juré qu'on ne grandira jamais.

Ceolia a juré que justice sera faite.

Cole a juré de m'aimer.

Holden m'a fait la promesse solennelle qu'il ne rendra pas notre vie si monochrome.

Beaucoup de promesses. Beaucoup d'illusions...

L'espoir est un poison.

Sûrement celui qui est proliféré dans les veines de tous ceux qui osent faire des vœux face à des étoiles filantes.

Il n'y a donc plus que les promesses de petit doigt de ma douce petite sœur auxquelles j'accorde ma confiance.

— Je t'aime, Mia.

— Moi aussi.

J'ouvre les bras pour l'accueillir, mais la voix de Yumee retentit soudainement... Incroyablement calme.

Incroyablement neutre.

— Saddie ?

— Quoi ? m'enquiers-je en venant la rejoindre près des portes du cabinet devant lesquelles elle se tient, inquiète sous son ton.

— Ce n'est pas Holden, là-bas ?

J'ai un nouveau surnom pour moi, mes petits villageois ! Rayez "Maire" je suis officiellement : NE-TIENS-JAMAIS-SA-PAROLE-QUAND-IL-S'AGIT-DE-PUBLICATIONS

Non parce que l'abus de la meuf eh ! "ah gnagnana je vous poste la suite tout à l'heure..." Pour citer Bob l'Eponge : THREE DAYS LATER 😂😂

Je vous autorise à commenter avec un emoji caillou. (Ça existe ?)

BREF.

• De base, je devais directement écrire le chapitre où Saddie voit ce qui se passe... MAIS je me suis dit que d'abord un peu d'humour ne serait pas de refus. Du coup, j'ai écrit un chapitre intermédiaire avec les effets d'alcool 😂

• Maverick a du succès, apparemment ! Mais est-ce que ça va durer après que la brume d'alcool se soit évaporé ? (vraiment, il est beau gosse, imaginez-vous Henry Cavill 🥵)

• Saddie peut réellement compter sur ses amies et sa sœur... Peu importe dans quelle situation elle se fait embarquer. Mais HEUREUSEMENT qu'Allen n'a pas vu ça 😅 enfin, il n'y aurait peut-être pas eu les mêmes problèmes, je pense 😂

• Trêve de plaisanteries : en un battement de cœur, tout va changer. À votre avis, comment est-ce que va se dérouler la suite ? Les nuits se rallongent pour les Parsons... Mais est-ce qu'il y aura encore des aubes communes ? 🥺

Dites-moi tout en commentaires ! Et n'oubliez pas l'étoile ! Promis, je ne ferai pas de vœu, à chacune d'entre elle 😊

À vendredi !

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