Chapitre 4 : le plan
La première chose que j'avais remarquée chez Holden, à notre premier rendez-vous, c'étaient les trois tatouages qui ornaient les phalanges de sa main droite. Un dix en chiffre romain sur le majeur, un triangle renversé sur l'annuaire et un simple croix chrétienne sur l'index.
Ce n'étaient pas ses yeux noirs, ses mèches fines qui tombaient dedans ou encore la manière dont sa voix prônait la profondeur... Mais ces trois tatouages ancrant sa peau pâle.
Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j'ai toujours cru que les avocats étaient ces gars pimbés, sûrs d'eux et loin d'aimer ce genre de libertés. Après tout, entre deux parties de golf avec des sénateurs de Washington, il ne devrait pas y avoir de temps, pas vrai ?
Mais pas Holden.
Pas le mystérieux et sublime Holden.
Malheureusement, à présent, tout ce que je peux voir de ces tatouages, c'est qu'ils ornent les doigts qui se sont enroulés autour de ma gorge, hier.
Ce que j'avais vu de ses yeux, ce sont les pupilles haineuses qui m'avaient fusillé.
Le choc continue de faire trembler mes mains que j'essaye pourtant de cacher en les enfouissant dans mon sweat épais. Avec ma capuche rabattue sur ma tête, je semble être une intruse dans ce magasin de lingerie dans lequel mes amies m'ont traîné.
Enfin, surtout une : Yumee.
Je hausse le menton pour jeter un coup d'œil sur la jeune femme en question et un sourire efface mes troubles. Ses cheveux teints en argent clair ne font que mettre en évidence la teinte hâlée de sa peau tropicale. La Balinaise éclipse les regards d'absolument tous les hommes qui passent dans la galerie du centre commercial, surtout lorsqu'elle brandit un petit ensemble de dentelle plus rouge encore que son rouge à lèvres exigeant.
Ouais. Je suis vraiment une intruse.
Mon sourire s'efface lorsque je croise mon reflet dans la vitre du magasin de lingerie. Mes cernes ont eu raison de la tonne de fond de teint que j'ai essayé d'appliquer et entre les lacets et le rebord de la capuche, la surface visible de mon visage se limite à ces mêmes cernes.
Je m'apprête à baisser le regard, quand soudain, des mains se posent sur mes épaules, m'arrachant un sursaut.
— Saddie ! À quoi tu pensais ?
Je me retourne vers une jeune femme aux yeux plus verts encore que des feuilles de houx. Les bras chargés d'autant de sacs de shopping que ses humérus sont capables de porter, elle semble vivre dans ce genre d'environnement. Et pour cause... Nora est probablement la plus professionnelle des shoppeuses privées sur tout Seattle.
Mais aussi quelqu'un à qui il est impossible de mentir.
Je laisse donc libre cours à mon soupir et vient m'asseoir sur l'une des petites banquettes au milieu des cercles de cintres bourrés de lingerie.
— Je passe juste une mauvaise journée.
— Je vois ça. Tu veux en parler ?
— Pas vraiment, avoué-je en retirant ma capuche noire de mes cheveux noués à la va-vite.
Nora dépose ses sacs devant nous et tout en réajustant ses grandes botes à talons aiguille sur ses mollets, elle persiste.
— Allons, Saddie. Tu sais très bien que je ne vais pas arrêter tant que tu ne me dis pas ce qui te déranges !
— Oui, oui, Nora, je sais.
Il n'y a rien que je puisse cacher à Nora. Elle a été à mes côtés depuis le premier jour où j'ai débarqué à Seattle, perçant mon voile obscur comme si ce n'était qu'une vulgaire brume et qu'elle était un phare.
C'est donc avec un grand soupir que je retire ma capuche de ma tête et que je l'allonge sur son épaule.
— Tu n'as jamais eu l'impression de... D'être insatisfaite par rapport à ce que tu représentes ? D'être rien d'autre qu'un échec ?
— Toi ? Un échec ? s'offusque-t-elle, Saddie, l'année dernière, tu as été sélectionné dans le New York Times pour best-seller !
— Je ne parle pas de ma carrière, je parle de...
— Non, non, coupe-t-elle en obliquant vers moi un regard si sévère que je manque de me fracasser le menton sur sa clavicule, non, Saddie. Si tu avances dans ce que tu fais, si tu aimes ta carrière... C'est parce que tu n'es pas un échec.
— Ça peut s'arrêter du jour au lendemain. Mes livres ne signifient rien.
Et juste comme ça, ma capuche retrouve ma tête. Me voilà, repliée sur moi-même, dans un magasin de lingerie...
Où est la dignité, dans tout ça ?
Nora abandonne soudainement ses sacs de shopping et fait signe à Yumee de se rapprocher. Celle-ci, le regard toujours perdu dans les fils de soie rouge qu'elle porte, s'exécute et ne relève la tête que lorsque notre amie se met à grogner :
— Yumee, dis-lui qu'elle n'est pas un échec, parce que je n'en peux plus !
— Saddie, tu n'es pas un échec. Simple, efficace. Bon, vous pouvez m'aider maintenant ? Sinon pourquoi est-ce que je vous ai demandé de venir ?
Exaspérée, Nora rattrape ses sacs et sort du magasin, ses longs cheveux glissant à travers ses courbes généreuses.
Mais il en faut plus à Yumee pour s'intéresser.
D'ailleurs, je ne suis pas vraiment sûre qu'elle ai un jour trouvé une quelconque discussion philosophique intéressante.
C'est peut-être pour ça que Yumee est l'amie qu'il ne faut jamais fâcher... Et garder précieusement près de soi, à la manière d'un arc-en-ciel.
Avec elle, même sur mes lèvres se dessine un sourire.
— Pourquoi est-ce qu'on est ici, Yumee ?
— À ton avis, Saddie ? Je cherche quelque chose de sexy.
— J'ai bien compeis... Mais pourquoi ?
— Enfin quelqu'un qui me demande !
Elle repose brusquement ce qu'elle tenait jusqu'à présent et sort son téléphone de son sac pour me montrer la photo un peu floutée d'un homme en costume. Il me faut plisser des yeux pour comprendre de qui il s'agit.
— C'est...
— Exactement. Grimes Paulsen, en chair et en os.
Mon cœur loupe un battement alors que je lui arrache le téléphone des mains pour zoomer sur son visage sérieux enfoui dans un dossier qu'il tient.
— Je n'en reviens pas ! Qu'est-ce qu'il fout chez vous ?
— Il dépose sa plume pour signer un contrat en tant qu'éditeur chez nous.
Je peine à cacher ma suffocation, tant je suis bluffée. En plus d'être un riche héritier philanthrope, il a écrit plus de romances toutes plus épicées les unes que les autres, que mes étagères peuvent supporter. Et si Yumee, une éditrice renommée, se contient généralement lorsqu'il s'agit d'aventures de bureau...
Je ne pense pas que l'ensemble en dentelle rouge qu'elle brandit convient soudainement à cette valeur.
L'éditrice de chez Ashes Publishing récupère son téléphone et me présente les deux ensembles en dentelle soigneusement sélectionnés, les dents fermement enfoncés dans ses lèvres pleines.
— Alors ? À ton avis ? Rouge ? Ou noir ?
— Tu comptes faire quoi exactement ? Le séduire ?
— Saddie, tu as lu ses livres autant que moi. Est-ce que ça répond a ta question ?
— Oh, tu parles du chapitre 57 d'If you want me ?
— Exactement.
Je me redresse dans un petit rire et indique le noir.
— Celui-là.
— Je crois qu'il faut un mode d'emploi pour l'enfiler, mais... Je suis d'accord avec toi.
Satisfaite, la balinaise récupère le restant de ses affaires et s'enfonce à nouveau dans les rayons luxueux pour guetter d'autres accessoires, sans décrocher son attention verbale de moi.
— Et toi ? Tu ne veux rien ?
— Non.
Ma réponse est si froide que Yumee en redresse la tête. La mienne s'enfonce dans la niche d'épaules basses que j'ai créé ces derniers temps et je laisse promener mes doigts sur les cintres.
— J'en ai pas besoin.
— Et Holden ? Il est d'accord ?
— Le jour où les hommes seront forcés de s'enfoncer des ficelles là où je pense, ils pourront avoir un avis.
Si ma réplique se veut amusée, elle résulte plutôt en tant que pique acerbe, lorsqu'elle traverse mes mâchoires serrées. Yumee fronce ses sourcils dessinés et me fait face.
— Il s'est passé quelque chose ?
— Non. Il ne s'est rien passé.
Je ne sais pas si je mens à mon amie ou non. Car en effet, entre lui et moi, à part des altercations plus vénéneuses les unes que les autres, il ne se passe rien.
Mais j'omets la partie où ses doigts se sont enroulés autour de ma gorge.
J'omets la partie de l'invitation de ma promotion. De la frayeur. De sa force et de ses obligations.
Yumee pose sa main sur ma joue, mais je m'en dégage amèrement.
Je n'ai pas besoin de pitié.
J'ai besoin que ça s'arrête, c'est tout.
Mais mon éditrice et amie ne lâche rien.
— Tu sais... Ma mère me disait toujours que les hommes sont stupides, quand j'étais petite.
— Comme c'est nouveau, grogné-je.
— Elle me disait aussi que par leur stupidité... Il était très facile d'obtenir ce qu'on voulait.
J'arque un sourcil et elle me contourne en m'attrapant par les épaules afin que je m'expose face à la lingerie hors de prix qui me fait face.
— C'est aussi facile que dans les livres que tu écris. Holden est d'autant plus facile pour toi, parce qu'il porte ton alliance.
Pas vraiment.
— Alors... Laisse-le sentir un peu stupide. Qu'est-ce que tu en penses ? Un petit goût à la Saddie Italienne ?
Je reste silencieuse une bonne minute avant d'hausser ma main vers un petit ensemble plus dentelée encore qu'un mouchoir d'octogénaire.
— C'est ridicule.
Ridicule, ridicule, ridicule.
— Pas aussi ridicule que ce qui se passe dans la tête d'une personne atteinte d'un seul et pauvre malheureux chromosome X.
— Je ne sais pas, Yumee... Ce n'est pas vraiment qui je...
— Essaye.
Elle me force un ensemble entre les mains et me pousse vers l'une des cabines d'essayage de libre.
Et si elle avait raison ?
Saddie a des copines en or qui n'hésitent pas à redresser ses bretelles, quand elle en a besoin... Entre Nora et Yumee, pas le temps de s'apitoyer sur son sort...
Mais est-ce que son éditrice a bien la bonne idée ?
Est-ce que Saddie peut jouer ce jeu avec Holden sans se faire mal ?
Encore plus, du moins ?
Qu'en avez vous pensé ? 🤭
Je vous dit à mercredi prochain pour la suite 😏💚 et pour ceux qui lisent Until Death, c'est dimanche que vient le nouveau chapitre 🤭💚
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