Chapitre 32 : sur le banc des accusés
— Tu as un chat, Parsons ?
Encore en train de souffler sur mon gobelet rempli d'un café plus noir encore que les nuages au-dessus de nos têtes, je me retourne vers Maverick que je viens de dépasser. J'arque un sourcil interrogateur et amusé, le gardien de sécurité du cabinet où je travaille sourit malicieusement en passant sa main sur sa gorge.
— Je ne sais pas ce que tu as ramené, mais dans tous les cas, c'est bien sauvage.
Merde.
J'ai été si préoccupé par la venue improvisée de ma mère ce matin que j'en ai complètement oublié la douleur des griffures de Saddie dans ma nuque.
Comment est-ce que je peux trouver une explication à ça ?
Je m'apprête à répondre quand Carver, l'un de mes collègues et accessoirement le seul fumier avec qui je sois resté ami de notre promotion de Harvard, court dans notre direction en se protégeant de la pluie avec un dossier.
— Laisse tomber, Mave. Holden a une chatte. Pas un chat. Même qu'ils sont mariés depuis un an. N'ai-je pas raison ?
Il appuie sa remarque en éclatant de rire, mais avant qu'il ne passe le portillon de sécurité, je le rattrape en grondant, la tête penchée sur le côté :
— Quand tu dis ce genre de conneries, tu es fier de toi ? Tu te sens accompli ?
— Tu n'imagines pas à quel point !
Il largue ses clefs dans le caisson pour objets métalliques, mais ne part pas tout de suite. À la place, il vole mon café et s'assoit dans l'un des petits sièges du hall en passant sa main sans ses cheveux châtain clair.
Carver est un con. Le type de con suffisamment beau gosse pour faire tomber n'importe quelle fille et leur faire croire qu'il peut leur offrir le monde.
Il le peut, en soi. Il en a tout le pouvoir.
Mais tout ce qu'il laisse, c'est une capote usagée sur la table de chevet et un faux numéro de téléphone qui donne directement au fast-food le plus proche.
Ce type de con-là.
Mais la raison pourquoi je viens m'asseoir à côté de lui, ainsi que de Maverick, c'est parce qu'on aura beau lui lancer la pierre, il restera un ami loyal sur qui l'on peut compter.
Le genre d'ami qui vous couvre au travail quand vous tombez raide dingue d'une belle brune rencontré dans un bar sous le joug presque dictatorial d'une amie en commun. Celui qui passe la nuit avant le mariage à retourner ciel et terre parce qu'il a cru avoir perdu les alliances.
Mais aussi celui sur qui il faut crier, parce qu'il a oublié de se réveiller à l'heure, le lendemain.
Carver est parfait comme personne. On s'en tiendra à ça.
— T'as intérêt à cacher ça, Holden. Si Allen le voit, il va te virer du projet pour manque de professionnalisme. Tu sais à quel point il est à cheval sur l'apparence.
— Merci de me le rappeler. raillé-je.
— Même des griffures ne passeraient pas ?
Carver éclate de rire face à la remarque de Maverick et je lève les yeux en l'air.
Même lui s'y met.
Lui, le gars que j'ai réussi à sortir des emmerdes en me mettant sur la ligne pour qu'il puisse avoir un emploi stable ici. Et c'est comme ça qu'il me remercie ?
Je n'ai aucun allié.
Heureusement, c'est à cet instant précis que la voiture d'Allen se gare devant l'immeuble et qu'on se redresse tous.
Il n'y a pas que son nom d'inscrit sur ce cabinet, pourtant il est suffisant pour faire tressauter tout le monde... Y compris Maverick qui se lève pour reprendre sérieusement son travail près du portillon de sécurité. Les mains croisées devant lui, il adresse un petit signe de tête à l'avocat qui délaisse son parapluie dans la corbeille.
Je vole à nouveau mon café des mains de Carver avant qu'il n'ose en prendre une gorgée et prétend avoir une conversation sérieuse avec lui, quand soudain, Allen oblique vers moi.
Des gouttes saupoudrent son costume gris. Chose qu'il chasse d'un revers de main dédaigneux, ses yeux bleus glacés plissés à demi.
Il ne faut pas se m'éprendre. Allen Thatcher a un visage digne des plus grands joueurs de poker. C'est quand il est le plus énervé qu'un calme effrayant sculpte ses mâchoires carrées.
Carver murmure un juron dans le revers de son épaule, mais je l'ignore et me contente de sourire avec politesse.
— Allen.
— Vous êtes au courant de ça ?
Du Allen tout craché... Jamais de bonjour.
À la place, il sort de la poche intérieure de sa veste un journal qu'il tend avec des doigts blanchis sous la colère. Une expression que ses yeux ne divulguent pas, pourtant.
Je plisse les paupières pour mieux lire le grand cadran du titre, quand un frisson m'assaille.
Oh non.
Mon patron reprend son journal et se racle la gorge en passant une main dans ses cheveux poivre-sel, citant les mêmes propos que j'ai à peine eu le temps de décrypter, tant l'image m'a cloué :
— "Un rebondissement de tonnerre dans l'affaire Georgina Kent-Levy VS Viktor Kent ; l'ex-épouse du PDG de Kent Entreprises avoue avoir des preuves de détournement de fonds et réclame dommages et intérêts dans le divorce". Vous savez ce que ça veut dire ?
— Hormis le fait que cette vipère essaye de tirer le plus de fric de notre client ? grince Carver en soufflant bruyamment.
Allen ricane, mauvais et réplique en pointant un doigt sévère dans la direction de mon meilleur ami :
— Mon client, Carver. Bien que ce soit notre problème à tous, Viktor reste mon client. En plus de pas avoir averti le parquet d'une telle information, elle est allée voir la presse. Vous avez une idée de la polémique dans laquelle on embarque ?!
J'ouvre la bouche pour répondre quelque chose, quand le bruit de talons me coupe dans mon élan et qu'on se retourne tous vers Jill. Celle-ci, trempée par la pluie, largue sa veste dans les bras de Maverick qui la rattrape à peine, avant de trottiner dans notre direction. Enfin, elle essaye, dans la mesure du possible, que lui accorde sa jupe crayon moulante.
— Je viens de lire le journal ! Je...
Son père lève la main pour la faire taire, avant de pivoter dans la direction des ascenseurs et de crier bien fort pour que tout le monde autour de nous puisse entendre :
— On a un code rouge, les enfants ! Mettez toutes les affaires en pause ! Chaque procès est repoussé jusqu'à nouvel ordre ! Je veux tout le monde dans la salle de conférence dans trois minutes !
À sa voix, on réagit tous. Je jette un dernier coup d'œil à Maverick qui, agacé par le manque de considération de Jill, repose lentement la veste sur l'un des porte-manteau de l'entrée, nous mime un "bon courage" du bout des lèvres.
On va en avoir besoin...
***
Sans quitter l'étagère d'archives des yeux, je fais rouler les manches de ma chemise sur mes coudes. Je dénoue aussi légèrement ma cravate, ce qui fait relever le regard de Carver dans ma direction. Il souffle bruyamment, dépose ses dossiers et s'accoude à la bibliothèque que je suis occupé à fouiller.
— Tu sais quoi, Parsons ?
— Quoi ? grondé-je sans pour autant arrêter.
— J'en ai ras le cul.
J'étouffe un rire entre mes lèvres pincées et lâche dans ses mains quelques enveloppes en kraft rouge.
— Tu n'es pas le seul.
— Je ne plaisante pas, poursuit-il. Combien de fois est-ce qu'Allen nous demande de l'aider ?
— Jamais.
— Exactement. Et maintenant qu'il est dans la merde à cause d'un stupide scandale causé par l'ex-femme de son client, on doit tous mettre en pause ce qu'on fait pour faire la partie insupportable de son travail ?
Je me penche sur la table pour attraper ce qui est surement ma quinzième tasse de café depuis le début de cette abominable journée, et la tend dans sa direction avant de répondre :
— Monte ton propre cabinet et tu pourras faire ça, un jour.
Mon meilleur ami me saisit par les épaules et me secoue légèrement, l'un de ses sourires charmants arquant ses lèvres.
Dans le langage de Maître Carver Malachy, ça veut dire : j'ai une idée qui nous mettra tous les deux dans le pétrin.
— Quelle bonne idée. Imagine ça ! Malachy-Parsons. Le plus gros building de Seattle. Tout le monde se battrait pour venir nous demander nos services !
Qu'est-ce que j'avais dit ?
J'essuie ses mains de mes épaules et ricane entre mes dents serrées :
— N'inflige pas ça à des pauvres gens qui sont déjà en plein divorce. Ce serait le coup de grâce.
Carver rattrape sa veste sur son siège, ouvre en grand la porte de la salle d'archives et m'adresse un clin d'œil :
— Je vais aller dire à Allen d'aller se faire voir.
— Tu nous ramène du café, tant que tu y es ?
— C'était ce que j'allais faire, enfoiré. bougonne-t-il en arquant les sourcils, agacé.
— Et du sucre aussi. Merci.
— Je te ferai mourir de diabète.
Je souris jusqu'à ce qu'il disparaisse avant de me retourner vers l'étagère et de plaquer mon front contre la surface métallique. Le froid anesthésie mes méninges en feu et je gronde au rythme de cette doléance.
Cette journée comporte déjà un élément de trop pour que je me force à sourire... Et tout ce que je veux, c'est retourner dans les bras de ma femme.
Un vœu que j'essaye de réaliser en pinçant les paupières avec violence.
Je me suis presque endormi, à ce moment-là. Quand les bras de Saddie se sont refermés sur moi et qu'elle me murmurait des mots doux, tout en passant ses mains dans mes cheveux... C'est une sensation que tout le monde devrait connaître.
Le langage de son corps est une énigme pour tous.
Sauf pour moi.
J'ai passé deux ans à l'étudier et à présent, je le connais par cœur...
Et je préfère brûler ce monde plutôt que quelqu'un d'autre l'apprenne...
Ou pire.
Apprendre que quelqu'un le lui ait enseigné.
Je suis resté dans les bras de Saddie, en silence, pendant exactement quarante-trois minutes et vingt-cinq secondes. Quasiment trois quarts d'heure que j'ai passé à scruter le cadran de sa montre sans même frémir d'un seul cil... Jusqu'à ce qu'elle reçoive un coup de fil de Nora, sa meilleure amie, pour qu'elle aille faire du babysitting de sa fille.
Maudit soit-elle.
Et maintenant me voilà en train d'éplucher des fichiers remontant à des années avant que je ne sois employé ici.
Bordel.
Je m'arrête lorsque je sens mon portable vibrer dans ma poche. Ma peau se parsème de frissons quand un message de Carla s'affiche sur l'écran :
"Bien fait."
Les lèvres pincées, je ferme doucement la porte et appuie directement sur appeler en portant l'appareil à mon oreille.
Garce.
Bien sûr, elle décroche aussitôt.
— J'avais oublié à quel point tu étais vieux... Tu mettais trop de temps à trouver les touches sur ton clavier, c'est pour ça que tu m'appelles ?
— Tu m'as fait un coup bas, Carla. fulminé-je, en essayant d'ignorer sa pique.
— Un coup bas ? Moi ? s'offusque-t-elle en réprimant un rire qui ricoche dans le combiné.
— Je ne t'aurais jamais fait ça. Je ne t'aurais jamais balancé en pâturage à maman.
— Oh, mais si. Bien sûr que si. Je suis venue à ton bureau, tu te rappelles ? Je t'ai demandé de l'aide. Tu m'as promis que tu le ferais. À la place, je t'ai envoyé un million de messages que tu as tout bonnement ignoré ! Parce que oui, espèce de crétin, on peut voir quand ils sont lus !
— J'avais d'autres problèmes.
— Comme quoi ? Hein ? Qu'est-ce qui est plus urgent que ta famille ?
Je plaque une main sur ma bouche pour ne pas rire.
Pour Carla, le mot "famille" n'est lancé que dans son intérêt ; s'il s'agit d'argent ou de ses disputes avec notre mère... Certainement quand ces deux-là sont combinés dans une seule et même problématique.
Appeler à l'aide quand elle se retrouve dos face au mur qu'elle a monté soigneusement de ses propres mains... C'est sa spécialité.
— Tes promesses ne valent rien, Holden. Rien du tout. Alors, tu as mérité que pour une fois, je te délègue maman.
D'une main tremblante, j'attrape une chaise par le dossier et la fait pivoter pour m'y asseoir à califourchon. Je ne parviens pas à dire quelque chose... Surtout quand la voix de ma petite sœur se brise et qu'elle se met à sangloter.
— Elle t'en as peut-être fait baver pendant quinze minutes, mais ce n'est rien par rapport aux jours entiers qu'elle me torture...
Toujours rien.
C'est en portant mes doigts à ma barbe que je remarque seulement maintenant que je n'ai même pas eu le temps de me raser convenablement, ce matin. Des poils rebels sont déjà en train de percer les lignes habituelles et je me demande si le scandale d'Allen m'a sauvé d'une mise à pied...
Parce que Carver a raison : notre patron est à cheval sur les apparences.
Sauf qu'actuellement, j'ai celle de quelqu'un qui vient de passer la nuit dans une poubelle qu'il partageait douloureusement avec un chat de ville.
Je suis à la hauteur de personne, aujourd'hui.
— Tu ne sais pas quoi dire, hein ? renifle soudainement Carla. Tu vois donc que j'ai raison.
— Dis-moi tout. parviens-je à articuler.
— Hein ?
— Ce que tu as envie de me dire. Fais-le.
— C'est quoi ton problème, Holden ? Je ne...
— Insulte-moi. Vas-y, tu en meurs d'envie. Si tu as envie d'un bouc émissaire pour tes problèmes, je t'en prie. Renvoie-moi encore maman, si tu veux, même. Vide ton sac. Fais-moi porter toutes tes croix. Tout. Absolument tout. Parce que c'est à ça que je sers, non ? C'est à ça que j'ai toujours servi, après tout. Quand les parents ont commencé à se disputer. Quand tu as eu besoin d'attention, parce que j'essayais de prendre soin de Macey, parce qu'elle était trop petite... C'était ma faute, après tout, quand elle a commencé à poser des questions et que je n'ai pas eu assez de temps pour t'écouter.
J'entends Carla souffler, exaspérée, avant de répliquer en grommelant :
— Écoute-moi, je...
— Non, toi, écoute-moi ! Qui était là pour moi ? Hein ? Quand tout a basculé du jour au lendemain ? Qui était là quand notre propre père a commencé à s'absenter pendant des jours de la maison ? Quand notre mère ne revenait plus non plus et que je devais m'assurer que vous mangiez trois fois par jour ? Que vous alliez bien ? Qui était là quand je devais rester réveillé la nuit pour m'assurer que ni toi, ni Macey, ne pleurait seule dans le noir ? Quand je devais vous tenir à l'écart des disputes ? Qu'on m'accablait des blâmes ?
— Holden...
— Qui était là quand moi quand je n'allais pas bien ? Quand je tombais, sous l'épuisement ? Quand les disputes étaient de trop ? Quand c'était à mon tour d'avoir mal ? Dis-moi ! Qui, mais qui était là pour moi ?!
— H...
— Qui était là pour moi, quand ma grande sœur est morte, hein ?!
Ma main me fait mal. Sous mon pouce, je sens les fragments de l'écran d'un téléphone que j'ai brisé. Sous mon pas, je sens le sol qui veut se dérober, même si je suis debout et que c'est la chaise qui est tombée.
Quand je relève le regard, j'aperçois Carver, à travers un voile de larmes enragées. Deux cafés en mains, il me toise en silence.
Tout va bien.
Tout va bien.
Tout va bien.
Je dépose mon téléphone cassé sur la table et me gratte nerveusement la tempe, tandis que je reprends mes affaires.
— Je vais dire à Allen que je reviens ce soir, s'il le faut. J'aiderai les juristes s'ils ont trouvé quelque chose sur l'affaire qu'on peut exploiter. Sinon, je reviendrai demain.
— Holden, att...
Carver dépose rapidement les cafés, tente de me rattraper, mais je l'esquive à temps et me dirige d'un pas rapide vers l'ascenseur.
Et quand les portes métalliques se referment sur moi...
J'en fais autant de mes paupières, tout en basculant ma tête en arrière.
Ce n'est rien.
Tout va bien.
Ce n'est rien.
Je vais bien...
Pas vrai ?
J'ai réécrit ce chapitre 4 fois ce weekend, j'en ai même balancé mon téléphone sous la colère 🥲 et bah devinez quoi ? C'est ce qui m'a conduit à cette version finale ; ENFIN !
vous savez, maintenant. Certaines d'entre vous l'aviez deviné, Genesis était bien une AUTRE sœur de Holden... Son prénom biblique est le tatouage qu'il porte à la main.
Genesis ou le début des tourments chez les Parsons ! À votre avis ? Qu'est ce qui a bien pu se passer ?
• On apprend à connaitre un peu plus le milieu et les personnes avec qui Holden travaille... Que pensez vous de ces petits nouveaux ?
• Qu'espérez vous pour la suite ? 🤭
Je vous dit à mardi pour la suiiiiite ! En attendant n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et lâchez un vote ! 🥰
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top