Chapitre 29 : braver l'interdit
Dormir est impossible. Surtout quand Saddie n'est pas à côté de moi.
Assis sur l'un des tabourets de la cuisine, effondré sur mes bras croisés, je regarde la cafetière se remplir pour la seconde fois ce soir. Le taux de caféine est déjà en train de faire réagir mon corps. Sauf que même si ma jambe n'arrête pas de tressauter, je sens la lourdeur dans mes paupières.
Demain, je dois conclure ce fichu contrat. Mais tout ce à quoi je pense, c'est ma femme et à quel point je hais ne pas dormir à ses côtés.
J'en grimace.
Je passe mes mains sur mon visage, manquant de peu d'arracher la peau au passage et grogne en tapotant le plan du comptoir charbonné. Ma quatrième tasse de café est vide et je n'ai toujours pas assez de vitalité pour survivre à peu importe ce qui s'est passé aujourd'hui.
Je maudis Carla. Même si étrangement, ce n'est pas elle qui m'a fatigué le plus. C'est simplement elle qui continue de faire vivre mon calvaire en essayant de m'appeler.
La lueur de mon téléphone, plus celle de la cafetière, est la seule qui déchire la pénombre dans laquelle je suis resté. Comme d'habitude, ma petite sœur essaye de me joindre, protestant en même temps par message, à quel point notre mère la fatigue.
En attendant, c'est toi qui me fatigue, Carla.
Je me redresse à demi pour attraper le bol de café et me ressers encore, après avoir éteint complètement mon téléphone.
Assez de drames pour aujourd'hui.
Je me lève péniblement et pars m'écrouler, visage en premier, dans le canapé. J'ai l'impression d'être un fantôme. J'erre à travers toute la maison, sans but.
Peut-être que j'attends que le soleil se lève.
Ainsi, je pourrai voir Saddie, au réveil.
J'enfonce ma tête dans un coussin et grommelle sous la frustration.
Je déteste ce que je vis.
Je déteste ce que je deviens, quand il s'agit de Saddie.
Pire encore, je déteste Saddie pour être devenu la seule chose qui m'obsède à ce point.
Il fallait que ça tombe sur moi. Il fallait que ce soit moi qui accepte de rencontrer cette sublime femme, après le travail.
J'étais fatigué, ce jour-là. Je n'avais aucune envie particulière de me dénouer de mon quotidien d'avocat, celui qui me permettait d'aller là où je voulais, d'avoir une conscience libre pendant mes procès...
Et pourtant...
Quand j'ai vu Saddie, plus rien n'a été pareil. Mais lorsqu'elle m'a dit, à la fin de la soirée, qu'elle ne souhaitait pas me revoir, je n'ai jamais ressenti une telle douleur.
Je savais que je ne pouvais pas la laisser filer.
Il fallait qu'elle m'aime, pour le restant de ma vie... Parce que je l'aimais déjà comme si nous avions vécu le double, ensemble.
Maintenant, on dort dans des chambres séparées.
Je balance le coussin par terre et me redresse brusquement.
Pour qui se prend-elle pour me dire où je dois dormir ?
Je regarde dans la direction du couloir. C'est silencieux. Morbide, presque.
Et si...
Avec lenteur, je me lève et contourne les meubles pour m'enfoncer dans la pénombre.
C'est une mauvaise idée, Holden.
Je chasse la voix de la raison de ma tête en prenant une grande inspiration et me rapproche de notre chambre. La porte est entre-ouverte et il y a de la lumière. Celui de son ordinateur, sûrement. Elle est encore réveillée.
Retourne te coucher.
Sauf que je reste immobile.
Je m'écarte juste assez pour me plaquer contre le mur et prends une grande inspiration en fermant les yeux.
J'imagine Saddie dormir.
Même si au début, elle s'allonge normalement sur le dos, elle finit toujours par se glisser sur son flanc, un genou replié sur elle... Une position qui a le don d'accentuer la courbe de son dos...
Et de bien plus encore.
Je l'imagine dans ce grand t-shirt, désarticulé par les années, qu'elle utilise parfois en guise de pyjama. Celui dont le col déformé finit toujours par tomber sur une épaule ou une autre...
Ou son décolleté.
Je l'imagine pressée contre moi. Quand durant un mauvais rêve, elle me prend la main pour qu'elle puisse s'emprisonner dans mon étreinte.
Celui qu'elle a jadis cru être indestructible.
Et en échange, je me noie dans le rêve le plus profane qu'il soit, où ma main remonte le long de ses courbes.
De sa taille.
De ses seins.
De sa gorge.
Ma tête heurte le mur, tant l'idée fuse comme un poison, dans mon âme.
Son pouls.
J'ai toujours été raide dingue de son pouls.
Comme si je savais depuis le début que Saddie avait une part cachée en elle. Cette vitalité qu'elle ne montre que lorsqu'on se dispute. Cette autre personne renfermée à l'intérieur de son corps et qui se cache sous son épiderme si doux.
C'est par rage que j'ai envie de la faire sortir.
C'est par envie que j'ai envie de la posséder.
Et peut-être par gourmandise, aussi.
Un délice. Un fruit défendu que je désire et que la complexité de ce moment me rend plus affamé que jamais.
Saddie ou la tentation suprême.
Bordel, j'ai besoin de ce pouls.
Je glisse ma main le long de mon ventre, jusqu'à la bordure de mon caleçon où je me sens déjà à l'étroit. Mon propre cœur s'emballe à sa jumelle qui ne résonne pas à ses côtés... Un aspect qui semble faire gorger mon membre d'encore plus de sang.
Sans ouvrir les yeux, je l'empoigne et manque de grogner un peu trop sourdement.
La dernière fois que j'ai vu ma femme nue, c'était quand elle était venue me manipuler au travail, ce soir-là.
Son dos qui se courbait quand je la pénétrais avec mes doigts.
Ses ongles qui se tordaient sur le bureau alors qu'elle se retenait de gémir trop fort.
Mon nom qu'elle chuchotait entre deux soupirs d'extase.
Mon nom.
Mon putain de nom.
Crie mon nom, tesoro. Crie-le bien fort. Fais savoir au monde entier à qui tu appartiens.
Mon pouce passe sur mon gland, avant que je n'entame un premier va-et-vient. Un geste qui fait parcourir un frisson le long de mon échine. Je veux que ce soit ma femme. Que sa langue lèche ma queue et que ses lèvres de la couleur du sang avalent ma hampe jusqu'à la garde.
Je ne veux qu'elle.
Depuis le premier moment où je l'ai vu rentrer dans ce bar, avec son chignon à moitié fait et l'air agacé.
Depuis la première fois qu'elle avait juré en italien.
Depuis la première fois où elle m'a embrassé, m'attrapant par la cravate pour approfondir notre baiser.
J'ai envie de toi, Saddie.
J'ouvre de nouveau les yeux en retenant une inspiration et fronce les sourcils.
Et puis merde.
Je retire ma main de mon caleçon et me tourne vers la porte de la chambre que je pousse légèrement...
Que pour découvrir avec déception que les draps sont vides de ma femme.
Mon poing se resserre sur la poignée et mon sexe se retire de sa garde à vous, lorsque mon regard analyse la pièce.
Aucun signe d'elle.
La lumière provient de sa lampe de chevet restée allumée et je retiens à peine un rire.
Est-ce qu'elle aussi, a voulu me retrouver cette nuit ?
Est-ce qu'elle m'attend devant la porte de la chambre d'amis... Une main glissée dans sa culotte ?
Je me retourne dans l'instant.
Si cette idée était une religion, alors j'en serais un fanatique. Je monterai une secte pour l'honorer. Je ferai mille et un sacrifices, commettrait blasphèmes et parjures.
Car si quelqu'un devait s'agenouiller devant qui que ce soit, ce serait moi qui ploierai le genou.
Toutefois, quand je reviens dans le couloir, elle n'est nulle part en vue. Ni dans la chambre. Ni dans la salle de bains de celle-ci. Ni dans la cuisine ou le salon.
— Saddie ? osé-je.
Pas de réponse.
— Bordel...
Dans un pas rapide, je fais une énième fois le tour de la maison, mais toujours rien. Au point où je monte au grenier...
Où, en effet, réside un autre faisceau de lumière.
Et cette fois, lorsque j'ouvre la porte, je la vois.
Assise à son bureau, elle relève le bout de son menton vers moi, enlevant ses lunettes de son regard agacé.
— Qu'est-ce que tu fais debout, Holden ?
Je déglutis, sans répondre. Ma respiration trop excédée s'occupe très bien de la traduction.
Je relâche la poignée quand je la vois remettre le col de ce fameux t-shirt sur son épaule... Mais si elle voulait se couvrir, ça ne fait que plonger l'ouverture sur ses seins. Ses cheveux sont montés dans un chignon noué à la va-vite et je n'ai qu'une seule envie...
C'est de retirer cet élastique.
— Tu n'étais pas fatigué ?
Sa langue claque contre son palais, tant elle me demande ça en sifflant. La lumière de son ordinateur éclaire son visage, suffisamment pour accentuer ses airs colériques, mais pas pour que je remarque son genou qui tressaute nerveusement.
Non. Ça, je ne le vois que lorsque je me rapproche de son bureau.
— L'insomnie. répondis-je après un moment. Quelque chose qu'on partage, visiblement.
— J'avais du travail.
Elle ment.
Magnifique menteuse.
La tentation d'essuyer ce péché de ses lèvres à l'aide des miennes me force à enfoncer mes mains dans mes poches, tandis que je fais le tour de son bureau pour me figer dans son dos.
— Ne pas dire la vérité est devenue une seconde nature pour toi.
Elle grogne et se tourne à demi pour répliquer :
— Holden, si tu es venu continuer notre dispute, je...
— Non.
Non.
— Alors quoi ?
Je regarde Saddie.
Et Saddie me regarde.
Elle tente de gagner à ce jeu en restant impassible, mais elle se trémousse dans son siège. Elle s'apprête même à faire reculer son siège roulant pour reprendre de la distance, mais je la rattrape par le dossier et la fait glisser jusqu'à moi. De l'autre main, j'abats doucement l'écran de son ordinateur portable pour qu'on soit plongés dans l'obscurité la plus totale...
Enfin.
Si la lueur de défi qui brille dans les yeux de mon épouse pouvait produire de la lumière...
Je serais aveuglé.
Je porte ma main à son visage et relève son menton avec la pliure de mon index, bloquant ainsi nos regards. L'un à la recherche de l'autre, dans cette nuit qui retentit dans mes entrailles comme un orage impitoyable.
— À quel point me détestes-tu ?
Saddie ne répond pas. Elle ne se dégage pas non plus, pour autant. Elle reste assise, ses mains forçant le tissu de son grand t-shirt à couvrir ses cuisses dénudées.
— Tu veux que je repose ma question ?
— Je ne te détestes pas, Holden. lâche-t-elle enfin.
— Ah non ?
— Je serai partie depuis longtemps, sinon.
Je souris.
Ma main glisse le long de sa joue et se perd dans ses cheveux que je libère de cet élastique qui me rend malade, depuis que je suis rentré.
Si quelqu'un devrait empoigner ses cheveux, ce serait moi... Et rien, ni personne d'autre.
— Tu veux partir, maintenant ?
Elle fait non de la tête, mais seulement après une petite seconde d'hésitation.
— Tu es sûre ? murmuré-je plus bas en m'abaissant à son niveau pour venir chercher ses lèvres, sans pour autant les goûter.
— Est-ce que tu me laisserais ?
Elle appuie sa question en enfonçant ses dents dans ma lèvre inférieure. Ça m'arrache un grondement que j'ai envie de noyer dans la passion incandescente qui me brûle tel un brasier, mais cette fois, c'est elle qui esquive la tête quand j'essaye de l'embrasser.
La rage m'habite.
Mais le désir, plus encore.
Je me redresse donc et répond de ma voix pleine :
— Qui de nous deux perdra à ce jeu ?
Quand ça suffit, ça suffit, comme on dit, non ? Cette nuit promet d'être trèeeeeeeeeees trèeeeeees longue 😎
On prépare les ventilateurs, les filles, je dis ça, je dis rien (raaah cette expression m'horipile 😂)
• on sait dès le début de ce roman que Holden a une obsession (un peu) malsaine pour Saddie quand il s'agit de son sommeil... Au point où il n'arrive pas à dormir quand elle est à côté de lui... Petit voyeur, non ? 😅
• La codépendance se manifeste aussi du côté de Saddie qui n'arrive plus réellement à tenir tête... Comment est ce que le reste de cette nuit va-t-elle se dérouler ?
Comme d'habitude, n'hésitez pas à voter si ce chapitre vous a plu et à me dire ce que vous en avez pensé en commentaires ! En attendant, je vous dit à vendredi ! 🖤
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