Chapitre 27 : je t'en foutrai, moi, du Christian Bale
J'attends de voir Saddie et Yumee disparaître derrière les décorations du restaurant qui découpent les emplacements de table, avant de me rasseoir à ma place et de me tourner vers Grimes.
Si jusqu'à présent, je retenais la petite voix de la mauvaise conduite dans ma tête, non sans l'aide de la douceur de ma femme, maintenant...
C'est quartier libre.
Je me penche donc sur lui, après avoir déboutonné ma veste de costume et grince en manquant de limer des dents :
— Pose tes lèvres sur ma femme, encore une fois... Et je te les arracherai.
La colère se met à tordre mon estomac, au point où mes poings se resserrent sur la nappe blanche.
Ma femme m'a offert des fleurs en papier. Je n'autoriserai pas ce connard à ruiner ma soirée avec elle.
Aussi parfait en apparence soit-il.
Grimes arrête de sourire sous le ton de ma menace. C'est d'ailleurs avec lenteur qu'il dépose son verre sur la table, symétrique avec ses couverts.
Il cligne enfin des paupières et ses lèvres se plissent sur une goutte d'eau qu'il rattrape subtilement.
— Une menace bien lugubre pour quelqu'un qui a appris l'éthique dans une école de l'Ivy League.
Mon nez se fronce lorsque mon regard retombe sur sa posture.
Aucune pliure sur sa chemise blanche. Une cravate assortie à son costume bleu foncé qui est retenu par une barrette argentée, symétrique à ses boutons. Sans oublier ses cheveux bruns soigneusement coiffés et sa barbe taillée. Mais tout ce que je vois réellement, c'est l'élastique à son poignet. Ce simple morceau de résine est un véritable intrus dans son apparence si soignée.
Pas si parfait que ça.
— Holden. C'est ça ? Nous sommes parties sur de mauvaises bases, j'ai l'impression. finit-il néanmoins par souffler.
— Je pense surtout que c'était précisément ton intention.
Grimes abandonne sa serviette, vient se glisser sur la chaise de Yumee et se penche suffisamment pour que je sente son parfum me caresser les narines.
L'arôme de ma colère.
Un poison pour mes nerfs.
— Tu sais ce qui me fait rire ?
Je me laisse basculer sur mon siège pour rétablir une distance et hausse les épaules, mauvais.
— C'est qu'en règle générale, les maris qui démontrent autant de jalousie, même durant une rencontre qui n'a duré que dix minutes, sont ceux qui, en toute hypocrisie, bien sûr, trompent en premier.
Non mais je rêve ? C'est qui ce type ?
— Je peux avoir tort, cependant... poursuit-il en agitant la main. Un homme peut aussi être férocement possessif quand il n'a connu que de l'abandon, dans sa vie.
Ses yeux tombent doucement de mon regard à mes mains.
Particulièrement une.
Celle où réside mon tatouage.
— Et un homme comme toi ne crois pas dans la religion, pas vrai ? Alors cette croix n'est pas destinée à Dieu. Mon hypothèse de l'abandon se confirme donc. Un parent ? Une autre femme ? Une sœur ?
Je vois rouge.
Je me redresse à demi et l'attrape si violemment par le col de sa chemise qu'il en fait tomber le verre de Yumee sur ses habits.
— Je vais le redire encore une fois... Simplement, mais assez efficacement pour que ça rentre bien dans ton crâne... Ne touche pas ma femme. Ne la blesse pas avec tes idées à la con. Et n'essaye pas de m'analyser, parce que tu ne connais rien de moi... Et à ce jeu... Je gagne à tous les coups.
Je retire ma main de son col pour claquer son élastique rouge sur son poignet, le faisant grogner sous le pic de douleur et marmonne d'une voix si basse que je ne m'entends presque pas moi-même :
— Junkie.
Il s'apprête à répliquer, massant sa main avec nervosité, mais on réalise tous les deux que des regards choqués sont braqués sur nous.
Merde.
On leur adresse un sourire poli et le silence gênant disparaît presque aussitôt. Je prends une grande inspiration pour calmer les battements quasiment létaux de mon cœur et me rassois comme si de rien était.
— Je suis ici pour Yumee. gronde-t-il après une longue minute.
— Bien.
— Mais je suis aussi éditeur, alors si je peux aider quelqu'un dans la publication... Je le ferai. C'est mon travail.
— Je n'ai pas un problème avec ça.
Il hoche la tête.
J'hoche la tête.
Et c'est en silence que nous attendons que Yumee et Saddie reviennent.
***
C'est dur de manger, quand on a la gorge nouée.
Comme c'est encore plus dur de respirer, quand on a les poumons endommagés.
Je regarde mes pâtes en tournoyant ma fourchette, sans pour autant prendre une seule bouchée.
Tout ce à quoi je peux penser, c'est au point que Grimes a réussi à toucher.
Et quand la douleur refait surface...
Je lâche doucement mon couvert et tourne la tête vers Saddie, essayant de trouver du réconfort dans la joie qui a fait irruption sur son visage, tel un éclat lumineux. Alors qu'elle est en train de parler avec Yumee et Grimes, elle rit joyeusement.
Et j'aime voir ça...
Même quelques jours auparavant, j'étais persuadé que plus jamais, je ne la verrai être heureuse.
Mais Saddie est une bonne menteuse.
Et tout ceci n'est qu'une mascarade.
J'engloutis la fin de mon verre de whisky et le repose peut-être un peu trop brutalement. Un peu plus et Grimes aurait de nouveau de l'alcool sur lui.
Plus facile d'y mettre le feu.
Je grimace sous mes propres pensées qui ne cessent de dériver vers le mauvais et je me surprends à rêver du moment qui a précédé cette soirée.
Quand ma femme m'a offert des fleurs en papier.
Quand j'aurai dû dire non, au lieu de venir.
J'aurais été à la maison. J'aurais digéré ma discussion avec Carla comme je l'ai toujours fait, quand il s'agit d'un breaking news dans la vie de la famille Parsons...
Seul. Dans une chambre composée uniquement de la couleur noire. Sans que personne dise quelque chose.
Parce qu'on ne parle pas.
On ne parle pas.
— Holden ?
La voix de Saddie fait irruption dans mes pensées et je redresse la tête. Tout le monde a le regard rivé sur moi.
Merde. J'ai manqué quelque chose.
— Quoi ?
— Qu'est-ce que tu en penses, toi ?
J'en ai aucune idée.
Mais avant que je ne puisse demander de quoi la discussion traitait, Yumee lève les yeux au ciel.
— Ça m'étonnerait que Holden ait une opinion là-dessus. Ça ne l'intéresse pas.
Même si Saddie rit à ses propos, elle lance tout de même un regard noir à son amie, quant au mépris de son ton.
Bon sang, ce qu'elle est belle.
— On demandait ce que ça ferait si un jour, on adaptait mes livres au cinéma.
— Fantastique. Ce serait fantastique.
J'ai dit ça trop brutalement.
Il y a de la blessure dans les yeux de Saddie. Quelque chose saigne en elle, malgré le sourire qu'elle refuse de décrocher de son visage.
Grimes dénoue sa cravate en la déposant à ses côtés et arque un sourcil malicieux lorsqu'il se tourne vers elle :
— Si ça arrivait, qui est-ce que tu verrais bien jouer le rôle de...
— Christian Bale.
Je plisse les yeux et marmonne :
— C'était rapide.
— En effet, j'ai même pas eu le temps de lui demander pour qui ! Et si j'avais demandé pour une femme ?
Saddie dégage les mèches cascadeuses de ses cheveux chocolatés de ses épaules et répond avec défi :
— Pas d'importance. Christian Bale peut jouer absolument tout le monde et rester le meilleur.
— Je dois avouer... Je suis d'accord. accorde Yumee en finissant de vider son assiette avec un bout de pain.
— Évidemment. Personne ne peut plaider le contraire.
Qu'il aille en enfer.
Je me redresse néanmoins quand Yumee décide d'aller dehors avant le dessert pour fumer, mais cette fois-ci, c'est Grimes qui l'accompagne.
Son regard s'attarde même sur son décolleté complètement ouvert, quand elle se penche pour attraper son paquet de clopes.
Il n'a pas menti.
Durant toute la soirée, son attention, peu importait sous quelle forme de discrétion, était rivé sur la balinaise.
Sur ses gestes. Sa posture.
Il le faisait avec retenu...
Mais pas assez.
Pendant qu'ils s'éloignent, Saddie s'empare de la carte des desserts et sans me regarder, me demande :
— Ça va ?
— Oui.
— Si tu t'ennuies, tu sais...
— Je ne m'ennuie pas.
— D'accord, d'accord, je te trouvais juste un peu...
— Un peu quoi ?
Son doigt se fige sur le nom d'un gâteau et répond d'une voix neutre :
— Distant.
Distant. Saddie me trouve distant.
Quelle grande blague.
Je secoue la tête et repousse mon assiette que j'ai à peine touché.
— Je ne suis pas distant, Saddie, j'ai juste passé une journée compliquée, tu le sais bien.
— Quelque chose s'est passé avec Grimes ?
Sa question m'irrite. Et c'est donc avec la même irritation que je secoue la tête.
— J'ai juste envie de rentrer. Ça n'a rien avoir avec lui.
Je mens aussi bien qu'elle.
Elle referme son menu presque aussitôt, se lève et replace sa chaise. La culpabilité m'envahit quasiment aussitôt et je grommelle un semblant d'excuse en essayant de la faire s'asseoir, mais à la place, elle me tends la main.
— Non. Si tu veux rentrer, alors on rentre.
Je la regarde... Et je me sens incroyablement minable.
J'ai déjà dit qu'elle est magnifique ?
Un petit sourire creuse ses lèvres et affirme la lueur qui règne, impératrice, dans ses yeux. C'est un mélange de détermination et d'affection.
Très peu ont l'honneur d'avoir ce genre d'égard... Ce qui ne fait qu'augmenter ma culpabilité.
Saddie fait des efforts. C'est compliqué, surtout avec ce qui s'est passé à Phoenix, mais elle le fait.
Alors arrête d'être con, Holden.
Pourtant, même si la raison essaye de rattraper mon esprit, lorsqu'elle tente de prendre ma main, le contact avec sa peau m'heurte de plein fouet...
Et je m'en dégage.
— Sortons simplement.
Si on pouvait qualifier Holden d'objet, ce serait une bombe à retardement ! Car oui, ses émotions ne marchent pas comme chez tout le monde...
C'est sur le long terme, qu'il s'entasse.
Et même s'il a réussi à fermer le clapet de Grimes, les saignements d'une blessure ancienne ont reprit de plus belle, dirait-on !
• Alors ? À votre avis ? Comme l'éditeur, lui aussi porte les stigmates d'un trouble sur son poignet, que peut bien signifier ce minuscule tatouage religieux ? 🤔
• Saddie fait des efforts pour venir aider son homme qu'elle voit clairement dans le mal... Mais elle a le sang chaud et peut-être qu'elle ne va pas longtemps supporter des sauts d'humeur aussi divergents...
• En effet, Holden pointe du doigt une "addiction" chez Grimes, le bracelet rouge servant à reduire l'anxiété chez les addictes. Mais est-ce vraiment la drogue, le problème ?
Comme d'habitude, n'hésitez pas à lâcher votre avis, me laisser une petite étoile et on se retrouve vendredi pojr la suite !
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