Chapitre 2 : la fureur
Quand je reviens à la maison, la nuit est déjà tombée. Et même si la pluie reste de l'autre côté de la porte, je ne retire pas la veste de Holden de mes épaules. Son odeur, son arôme, son musc m'entoure et même si la colère me submerge au point où je grince des dents, je ne suis pas prête à m'en séparer.
Je balance donc mes chaussures, mes clefs et laisse tout le bordel en vrac avant de m'écrouler sur le canapé. Si Holden voyait ça, il grincerait des dents. S'il y a bien une chose qu'il méprise, c'est la couleur et les choses qui traînent. Et en l'occurrence, mes converses rouges sur le sol marbré du couloir sont la définition même de son cauchemar le plus absolu. Mais je l'emmerde, lui et ses troubles de petit garçon parfait. S'il tient tant à trouver quelqu'un qui en a quelque chose à foutre, il n'aurait jamais dû me regarder, la première fois.
La rage me gagne à nouveau lorsque je revois cette fameuse Jill rigoler aux éclats, accrochée à son bras comme s'il la tiendrait pour l'éternité. Holden a un humour de thon, si tant soit peu, il en a tout court. Alors soit elle a un problème pathologique avec son visage qui a surement connu un chirurgien plaqué au Brésil, soit elle avait d'autres idées derrière la tête.
Alors qu'un millier de questions se bousculent dans ma tête, j'étale mes jambes sur la rangée de petits coussins qui ornent le canapé. Mon regard se perd dans cette vague immaculée dans laquelle cette maison, notre maison, est construite.
Le monochrome déplait seulement lorsque nos pensées sont trop sales. Qu'elles viennent tacher, qu'on sent l'importance de leur poids. Qu'on se sent exister. Et là, en ce moment précis, je n'ai pas envie de me sentir exister. Je serre les poings, me mords les lèvres, mais c'est plus par impuissance que par véritable rage.
J'ai passé des années à détester toutes ces taches d'ombres qui me composent. Toute cette laideur qui se cachait en moi et que je n'ai jamais voulu dévoiler. J'ai passé ces mêmes années à couvrir les cicatrices qui les refermaient à peine. Ces portes à mon âme que personne ne saurait ouvrir... Du moins, avant que je ne rencontre Holden. Que j'apprenne qu'en réalité, il y avait une personne au monde qui aimait cette même laideur. Qui la choyait au point où il m'avait saisi les joues, à notre premier rencard, m'avait regardé dans les yeux et m'avait assuré qu'il n'avait jamais rencontré une personne comme moi.
Et pendant tout ce temps, je l'ai cru. Sans rien dire sur qui j'ai pu être avant. Il n'y avait eu que le présent entre nous. Mais à présent, je crains qu'il n'y ai même plus de futur.
Peut-être qu'Holden ne voit vraiment plus que cette laideur en moi. Et pendant ce temps, j'allume désespérément des faisceaux dans une nuit trop obscure pour qu'il puisse les apercevoir.
Un soupir fraye à peine son passage à travers mes lèvres et je me renfrogne encore plus dans la veste de mon mari.
Mais bordel, même son odeur commence à s'effacer autour de moi. Ne laissant plus que le froid de la pluie qui l'a trempé jusqu'à mon retour, ici.
Je me redresse pour le retirer quand soudain, les phares de la voiture de Holden s'allument dans l'allée. Je m'attache brièvement les cheveux dans une queue-de-cheval haute, retire ma chemise et laisse le tout avec mes converses rouges avant de me diriger vers la chambre. Les couloirs obscurs ne m'empêchent pas de trouver mon chemin et je me retrouve rapidement dans le dressing qui devance la pièce conjugale, créant un sorte de hall d'entrée à nos draps blancs. J'allume la lumière et souris, comme à mon habitude.
Le côté droit, réservé à tout l'attirail poli que Holden doit porter pour son travail, est rangé dans un ordre presque maladif. Les chemises d'abord, les vestes de costume ensuite, puis les étagères avec les t-shirts, les pantalons et les boutons de manchette. Une collection argentée et fluette qui ne cesse de s'agrandir de jour en jour.
Quant à mon côté, désordonné et coloré, il semble ironiquement faire rougir le sien. Mes pulls, mes chaussures, mes chemises et mes robes sont roulés en boule sur les étagères. D'ailleurs, mon sourire s'accentue dans une grimace satisfaite lorsque je découvre la raison du soupir de mon mari, ce matin. Les lacets de mes sandales à talon sont dans le chemin.
Bien fait.
J'entends la porte d'entrée s'ouvrir avant de tout de suite claquer dans un énorme fracas furieux qui m'arrache un sursaut. Je me dépêche d'attraper un pull, de l'enfiler sur mes épaules quand soudain, mon nom retentit dans les couloirs de la maison.
— Saddie !
— Oui, mon amour ? pésté-je en adoptant une position nonchalante.
Une bonne minute passe avant que le visage furieux de Holden ne se pointe en face de moi. Ses cheveux noirs, parsemés de gouttelettes de pluie, déferlent sur son front plissé et son air accompagne en harmonie ses poings serrés contre ses cuisses.
— Tu peux m'expliquer ce que c'était ce foutoir, tout à l'heure ?
— Je croyais qu'on allait parler ?
— C'est ce qu'on fait !
- Non. Là, tu hurles. répliqué-je en aplatissant ma main sur son torse pour le balayer de mon chemin et le contourner.
La sienne vient emprisonner mon poignet pour me rattraper, mais je me dégage habilement en le toisant.
— Ne me touche pas.
Il ignore la véhémence de mon ton en balançant son vêtement trempé au sol et pointe sur moi un doigt accusateur.
— Tu t'es complètement ridiculisée. Tu le sais, ça ?
— Pardon ? Je peux savoir en quoi ?
— J'essaye d'être professionnel. De faire mon métier. Je faisais mon boulot, bordel ! Et toi tu débarques comme une gamine prépubère pour marquer ton territoire !
— C'est moi la gamine ? Monsieur-enlève-son-alliance-devant-la-fille-de-son-patron ?
Mon poison s'éjecte de mes dents serrées, le forçant à croiser ses bras derrière sa nuque. Les muscles de ses bras se serrent sous les rebords de son t-shirt, mais je garde mes positions, déterminée à savoir le fin mot de cette histoire.
— Je n'ai pas enlevé mon alliance.
— Oh. C'est pour ça que cette grande gigue ne savait pas que tu étais marié. Merde, tu es en train de me dire qu'elle est si débile que si je lui allongeais les photos de notre mariage, elle ne l'aurait toujours pas compris ?
Holden ment anormalement mal. Ses pupilles, presque aussi noires que les iris qui les contournent, se mettent toujours à palpiter, sans parler de sa carrure qui se fige à l'égal d'une statue en marbre. Je réprime donc un rire amer et hausse le regard au plafond.
— C'est bien ce que je pensais.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
— Certainement pas "c'est pour le boulot". Je ne suis peut-être pas allée à Harvard comme toi, mais je suis à peu près sûre que ce n'est pas écrit dans le Code Pénal ou encore dans la constitution !
— Saddie...
— En plus d'être un sale menteur, tu es une enflure, fulminé-je en l'ignorant.
— Qu'est-ce que ça peut bien te foutre, d'abord ?
Ma bouche se referme sous le choc. Il a presque l'air sincère. Je cherche désespérément quelque chose à dire, mais il m'est impossible de trouver autre chose que le silence. Holden s'appuie sur les charnières de la porte et tout en passant sa main dans sa nuque, il poursuit, plus ferme et assuré.
— Je ne t'ai pas trompée.
— Pas encore, apparemment.
— Je ne te tromperai jamais. Je ne pourrai pas faire ça.
Si l'affirmation se veut rassurante ou même chaleureuse, c'est l'effet d'un poignard qu'elle a. Le ton glacial de sa voix sert à me faire clouer le bec. En vain.
Après tout, il sait que la fille à converses rouge qu'il a épousée n'accepte aucune réponse rude.
— Vas te faire foutre, Holden.
Il me rattrape une seconde fois, mais cette fois-ci, ses doigts menacent de faire rompre mon poignet. Mon glapissement dolent se répercute dans le couloir lorsqu'il me plaque contre le mur et me subjugue de toute son envergure. Avec sa joue pressée contre la mienne, piquante légèrement sous la fine barbe qui la recouvre, vient son souffle chaleureux dans le coin de mon cou. J'essaye tant bien que mal de me dégager, mais il me maintient suffisamment pour m'immobiliser. Peut-être même suffisamment pour que ses doigts tatouent une marque violacée sur ma peau... Mon cœur manque un battement dans ma poitrine lorsque la voix de mon mari baisse d'une octave et adopte une tonalité qui fait trembler tout mon être dans son emprise.
— Jamais je ne pourrai te tromper et tu sais pourquoi ?
— Lâche-moi...
— Parce que tu es mienne, bordel. Peu importe à quel point tu n'es devenue qu'une sale ombre. Peu importe à quel point tu essayes de te cacher.
— Je ne me cache pas ! Merde, Holden, lâche-moi, tu me fais mal !
Mon souffle saccadé, et le fait qu'il puisse sentir les pulsations de mon palpitant contre ses lèvres, le force à obtempérer, sans pour autant me redonner l'accès au couloir ou à la chambre.
— Je ne te tromperai pas. Mais je t'interdis d'agir encore une fois comme ça.
— Ou sinon quoi ?! m'écrié-je en passant ma main sur ma gorge.
— Tu n'as pas envie de t'aventurer là-dedans, Saddie. Crois-moi.
Et sans rien ajouter de plus, il s'éloigne. Je rattrape un sanglot en grinçant des dents et claque la porte de la chambre derrière moi. Je m'abats sur le sol, dos contre la paroi et enfonce mon visage dans les manches de mon pull. Les larmes déferlent sur mes joues, aussi silencieuses que possible, tandis que je me recroqueville.
Je ne lui donnerai pas la satisfaction de ma détresse.
Connard.
La publication de Stains Never Fade débute officiellement aujourd'hui 🤭 à partir de maintenant, vous pourrez retrouver ce couple chaotique le mercredi ET le vendredi !
Si vous êtes habitués à me lire, vous savez que j'intervale mes livres un pdv sur l'autre, mais cette fois-ci ce sera bcp plus aléatoire ! Sûrement plus du pdv de Saddie que de Holden, mais vous allez retrouver son esprit quelque peu... Tourmenté, si je puis dire, très souvent 🤭😏
Déjà, là, on retrouve Saddie et Holden, dans le pire moment d'un couple qui ne semble plus tenir...
Et ça ne va plus être joli 🥲
Qu'en avez vous pensé ? 🤭
Je vous dit à mercredi pour la suite 🤭
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top