Chapitre 13 : un cœur ne se brise pas deux fois
À bout de souffle, je n'arrive plus à voir clair. Quand j'aperçois le même type qui est sorti de sa Maserati comme un roi, un peu plus tôt dans la soirée...
Plus aucun bon sens ne m'effleure.
Et certainement pas après tout ce que je viens d'apprendre.
Avec empressement, je me retourne donc et délaisse les anciens de Crimson High pour venir rejoindre Saddie, mais celle-ci écrase sa main sur mon torse au moment même ou j'ouvre la bouche pour dire quelque chose.
— Désolée, Cole, mais pas maintenant. Alors si tu veux bien nous laisser passer...
Mes dents grincent, mais ma femme m'attrape par le poignet et m'entraîne jusque dans les tréfonds de la foule... Sans même que son ex, dont apparemment tout le monde connaît l'existence, hormis moi, jusqu'à présent, puisse dire quoi que ce soit.
— C'était quoi, ce bordel ?
— Je n'ai pas envie de rentrer là-dedans pour le moment.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il t'as fait ?
J'essaye de revenir en arrière, toujours tendu, mais Saddie persiste en m'attirant contre elle.
— On s'en fout, de ce qu'il m'a fait, Holden ! On s'en fout de tout ce qu'il s'est passé ici, d'ailleurs, ça n'a plus rien à voir avec toi et moi !
— C'est là où tu te trompes, claqué-je.
— Je ne veux plus en entendre parler. Est-ce que tu veux bien qu'on survive à cette soirée sans que tu fasses une scène devant tout le monde ?
— Non.
Exaspérée, elle bascule sa tête en arrière et gémit, des larmes sillonnant des yeux qui n'auraient jamais dû connaître la douleur à mes côtés.
— Je t'en prie, Holden... Arrête de rendre ça compliqué...
— Alors dis-moi tout. Parce que tout comme toi, je commence à en avoir marre de devoir te répéter la même chose.
Saddie croise ses bras sur sa poitrine et je me détends en me rapprochant d'elle, plaquant sur son front un petit baiser qu'elle tente de rejeter.
— Il n'y a rien à dire.
L'envie de crier empoigne mes poumons.
L'envie de frapper s'empare de mes poings que je serre à m'en casser les phalanges.
Mais c'est l'impuissance de la voir aussi détruite par son propre désarroi qui me maintient figé sur place, la regardant essayer de sourire à ceux qui la saluent en passant.
C'est donc avec amertume que je renifle :
— Tu dis que c'est moi qui rend tout compliqué... Mais tu ne vois même pas tout ce que tu t'infliges à toi-même.
— Arrête d'être cruel, retourne-t-elle sans même m'écouter.
C'est le pompon !
— Moi ? Cruel ? Tu te fous de moi ? m'écrié-je en serrant les dents. C'est à cause de toi, qu'on en est là ! De toi et de tes secrets !
Soudain, la musique s'arrête et les lumières reviennent éblouir le gymnase, faisant taire toutes les conversations...
Y compris la nôtre.
— Votre attention, s'il vous plaît !
On se retourne tous vers une rangée d'hommes en costumes, pourvus de badge et le silence semble s'accentuer.
Comme si c'était possible...
Je décoche un regard sévère à Saddie et marmonne :
— On reprendra cette conversation plus tard.
— C'est ça.
Une femme se démarque de la rangée d'hommes et monte sur une estrade devant nous tous, faisant voir sa dentition entière dans un faux sourire.
Y'a-t-il quelqu'un d'honnête, ici, ce soir ?
— Merci. Cela ne sera pas long ! Nous tenons avant tout à vous remercier, au nom de toute la direction de l'entreprise Ceolia, d'être ici ce soir. Certains d'entre vous venez de loin, mais c'est avec un grand plaisir que nous vous recevons à Crimson High aujourd'hui.
Ils applaudissent, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Lucas et Evy viennent même rejoindre Saddie qui regarde fixement Cole, au loin.
Bordel...
— Dix ans se sont écoulés depuis votre promotion et c'est pourtant comme les enfants que vous étiez, que vous revenez ici !
— Des enfants, on l'est resté, raille Evy en se pressant contre le bras de ma femme.
— Comme vous l'aviez sans doute remarqué, poursuit la femme sur son estrade, il n'y a pas que vous qui avez changé. Rien que cette année, Crimson High a bénéficié d'une prime du gouverneur en personne pour une remise à neuf complète de l'établissement ! Mais qui suis-je pour vous en parler s'il est présent aujourd'hui même ? Je vous demande à tous un tonnerre d'applaudissements pour Kevin Delmer !
Si avant, il n'y avait que quelques-uns qui frappaient dans leurs mains, un silence monstre s'abat sur la foule quand un homme aux cheveux grisonnants s'avance à son tour sur l'estrade.
Cependant, il ne semble pas s'en rendre compte et salue tout le monde avec un flegme artificiel.
Qu'est-ce qu'un gouverneur vient bien foutre à une réunion d'anciens étudiants d'un lycée public sans importance ?
— Merci pour cette introduction, Hillary. Et merci à vous, pour vous être déplacé ! C'est comme si c'était hier que je vous donnais à tous en mains propres votre diplôme... Ça fait déjà dix ans, hein ?
Personne ne répond. Pas une quinte de toux ne vient trahir l'endroit qui se transforme petit à petit en mausolée.
Mal à l'aise et confus, je sors mes mains de mes poches et essaye de questionner Saddie du regard...
Mais celle-ci, comme tous les autres, reste figée.
Elle ne respire même pas.
— Certains d'entre vous sont devenus médecins. Avez intégré l'armée. Êtes devenus avocats ou même auteurs...
Certains se tournent vers ma femme, y compris Cole qui lui fait un clin d'œil, mais celle-ci se contente de rendre une étreinte à Evy.
— ... D'autres font même partis des meilleurs joueurs de Baseball de la côte est ! Mesdames et messieurs, Cole Tanner !
Cette fois-ci, on applaudit...
Et le silence ne provient que d'une seule personne...
Mon trésor.
Je me redresse légèrement pour l'observer au loin adresser à tout le monde un sourire faussement modeste. La main sur le cœur, il fait même une courbette.
Accueilli comme un roi, il est venu tel quel.
Bon sang, je savais que je l'avais reconnu de quelque part.
Ses cheveux, coiffés avec autant de soins qu'il a pu mettre dans son costume noir sans cravate, glissent légèrement dans ses yeux rieurs.
Cole Tanner. L'arrêt-court pour ce fichu club de New York.
Le prodige.
L'ensorceleur.
Le passé de ma femme.
Ma poitrine se comprime au point où je dois entre-ouvrir les lèvres pour respirer.
L'air semble introuvable, soudainement.
Néanmoins, le gouverneur finit par lever la main et de continuer son discours, le front plissé par un sérieux implacable.
— Mais nous nous souvenons aussi de ceux qui n'ont pas la chance d'être avec nous, aujourd'hui.
La femme de tout à l'heure appuie sur une télécommande qui fait dérouler doucement une toile de vidéoprojecteur sur lequel apparaissent trois visages d'ados souriants.
— Jessie, Collin, Archie... C'est pour vous que j'ai tout fait pour que cette école soit plus stable. Plus fixe. Que plus personne ne mettra les pieds ici avec la peur que ce sera son dernier jour.
Agité, je me tourne vers Saddie et vocifère :
— De quoi est-ce qu'il parle ?
Bien sûr, comme tous les autres, son attention est portée sur les trois photos... Et non sur moi pour m'accorder une réponse que j'ai peur de connaître.
Pitié, de quoi est-ce qu'il parle ?
— Même si dix ans se sont écoulés, nous avons veillé à ce que les fondations soient supervisées.
La diaporama suivante efface la mémoire des trois jeunes et indique plusieurs photos de débris et leurs rénovations...
Ce qui a le don de faire monter de la foule quelques cris d'angoisse que le gouverneur tente de couvrir avec sa voix de politicien.
— Comme vous pouvez le voir, chaque structure a été revue. Il n'y a plus aucun risque de...
— Vous auriez dû laisser cet endroit dans la ruine ! coupe brusquement un ancien élève.
— Ouais ! approuve quelqu'un d'autre, la voix tremblante. Faire venir d'autres élèves ici est scandaleux !
— Ça ne vous a pas suffi tout ce qu'on a dû subir ? La mort de Jessie, Archie et Collin ?! Nos blessures ?!
— C'est votre faute !
— Meurtriers !
— Profiteurs !
— Allez brûler en Enfer !
Lorsque l'agitation fait rage et que plus personne ne se laisse parler, je me range derrière Saddie afin de la protéger.
Mais les questions se bousculent dans ma tête...
Et je reste dans l'incompréhension la plus totale.
Bon sang, mais qu'est-ce qui s'était passé ?!
La dénommée Hillary parvient tout de même à faire revenir l'ordre en se postant sur l'avant de l'estrade et écarte grandement les bras pour acquérir l'attention de tout le monde.
— Le gouverneur n'est pas le seul à s'excuser, ce soir ! Mais Ceolia aussi ! Notre entreprise n'a fait de cesse que de réparer cette infâme erreur qui vous a tant coûté ! Si vous êtes tous là aujourd'hui, c'est parce que vous vouliez un fin mot de l'histoire, n'est-ce pas ? Nous vous l'apportons ! Une école plus sûre et plus en normes pour les générations à venir ! Plus jamais d'écroulements ! Plus jamais de blessés !
De quoi ?
Mon sang semble se figer à l'intérieur de mes veines et mes doigts glissent des épaules rigides de Saddie.
— L'école s'est écroulée ?
Mon murmure meurt cependant lorsqu'Evy se hisse sur la pointe de ses pieds en s'appuyant sur l'épaule de Lucas afin d'hurler du haut de ses poumons
— Et qu'est-ce qu'on en fait de vos excuses ? De vos promesses à la con ?! Vous nous avez détruits !
— Notre entreprise s'est...
— On l'emmerde, votre entreprise !
L'anarchie règne.
La rangée d'hommes costumés aux badges ancrés d'une petite usine que je distingue à peine de là où je me tiens, se lancent des regards inquiets. Deux gardes du corps s'occupent déjà de faire évacuer le gouverneur et j'essaye d'en faire de même avec Saddie...
Parce qu'après tout, à peu près tout le monde ignore déjà qu'on essaye de remettre la musique, les lumières festives... Tout ça pour se diriger vers la sortie.
Mais essayer est bien le mot.
Mon âme a quitté mon corps.
Saddie.
Saddie.
Ma Saddie.
Mon amour.
Pourquoi ?
À mes antipodes, la jeune femme parvient à se retourner vers moi et je vois sur son visage le plus insupportable des airs...
Neutre. Lessivé. Détruite.
— Félicitations, Holden. J'espère que tu es heureux... Maintenant que tu sais.
Entraînée par les autres...
Ma femme disparaît.
Elle n'arrête pas de le faire ce soir, mais cette fois-ci, j'ai l'impression que c'est pour de bon.
J'ai brisé le plus merveilleux des trésors.
Hello tout le monde ! J'espère que vous allez bien 😎
J'espère du moins que vous l'êtes un peu plus avec ce nouveau chapitre du PDV de Holden qui apprend un peu trop vivement la nature des traumatismes de tout ce petit monde de Crimson High...
Mais ce n'est que le début.
Et il y aura BIEN PIRE à découvrir qu'un écroulement...
En attendant ça fait déjà beaucoup trop...
Est ce que notre couple va déjà survivre à cette première révélation ?
Qu'en avez vous pensé ? 🥰
Je vous dit à vendredi pour la suite 😎
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