Chapitre 5

-Heureusement que c'était pas moi, sinon t'imagines ? s'amusait Sarah au milieu d'un récit de son Noël.

-Oui, j'imagine très bien : "C'est dans quel sens la vis déjà ? Tu peux me passer le marteau que je l'enfonce ?" rit Mathéo avec une voix travestie, très mauvaise imitation de celle de Sarah.

-Ah, ah, très drôle, je sais quand même dans quel sens c'est une vis. s'offusqua son amie en lui tapant sur le bras.

-Et tu sais aussi qu'on l'enfonces pas avec un marteau, je présume ?

-Euh, bah ouais. répondit la jeune fille, hésitante.

Mathéo éclata de rire. Sarah prit un air vexé mais elle riait aussi. Les deux amis rejoignirent Louane et Thomas, qui ne faisaient pas partis du même demi-groupe qu'eux. Pendant qu'ils parlaient équations, les deux autres parlaient anglais.

-Mais au fait, vous ne m'avez pas dit ce que vous avez reçu pour Noël ! s'exclama Mathéo.

-Tu n'avais qu'à manger avec nous ! Et à pas arriver en retard ce matin ! reprocha Louane.

Le garçon sourit :

-Désolé, si j'ai trop d'amis. Bon, alors, Sarah, à part cette histoire de meuble, t'as quoi d'autre à dire sur tes vacances ?

La jeune fille raconta brièvement le déroulement des fêtes. Quand Sarah termina son récit, Louane et Thomas eurent tout juste le temps de faire la liste de leurs cadeaux avant que la cloche ne retentisse. Le groupe se scinda de nouveau en deux. Certains partirent vers le cours de maths, d'autres vers celui d'anglais.

-Je t'ai dit qu'on avait fait un stage pendant les vacances avec Louane ? demanda Sarah.

-Oui, je vous ai entendu en parler tout à l'heure pendant l'intercours.

-Tu espionnes nos conversations ! s'offusqua la jeune fille. L'odeur de renfermé si familière prit place dans ses narines quand elle poussa la porte du sous-sol.

-Vous étiez juste à côté de moi, j'ai entendu des brides c'est tout. se défendit Mathéo en s'engageant à sa suite.

Sarah pesta. La rapidité du garçon l'empêcha de lui refermer la porte au nez. A peine frôla t'il le battant. Mathéo tira la langue devant l'échec de Sarah. Ce jeu entre eux existait depuis de nombreuses années.

-A ce que j'ai compris, c'était génial, et t'as progressé en super-G. continua le jeune homme.

-Ouais. Ca n'a jamais été ma spécialité. Et je me suis rendu compte que j'ai loupé tous les stages où c'était au programme. Pas étonnant que je progressais pas.

-Ou tu ne t'en donnais pas vraiment les moyens...

Sarah le regarda de travers. Elle ne comprenait pas ce qu'il entendait par là. Elle pencha pour une plaisanterie.

-Bref, j'ai trouvé ce stage vachement mieux que les autres, je saurais pas dire pourquoi. En plus, j'ai fini première du géant qu'on a chronométré à la fin.

-Manque de pot, c'était pas une compète. ironisa Mathéo.

-Rabat-joie. marmonna Sarah en entrant dans la classe que Mme Henry venait d'ouvrir.

Sarah s'inquiéta pour son jean lorsqu'elle s'installa sur le bois abîmé de sa chaise. Cependant, la jeune fille se concentra vite sur le cours. En cette rentrée des vacances de Noël, les rappels de grammaire et de conjugaison l'intéressaient particulièrement. Pourtant, au bout de quelques minutes, elle ne put s'empêcher de se pencher vers Mathéo :

-Ca te dit qu'on aille skier ensemble ce week-end ? Ca fait longtemps que je ne t'ai pas ridiculisé.

-Très drôle. Je te rappelles que j'ai arrêté la vitesse depuis 2 ans. En plus, je sais très bien que si tu veux skier avec moi, c'est pour admirer ma dextérité de fou et mes sauts de malades.

-Sérieux ?! s'étonna Sarah. Elle détacha son regard du cours pour se tourner complètement vers son ami. Laisse-moi rire. Même moi, je fais des meilleurs cent-quatre vingt que toi.

-Archi-faux ! contredit le garçon en brandissant un crayon. C'était peut-être vrai en CM2... mais maintenant qu'est-ce qu'on en a à faire de tes pauvres 180°, par rapport à mes back ?

-On se connaissait pas en CM2. répliqua Sarah alors que le stylo de Mathéo tapotait son nez. On verra pour tes back flips ce week-end. J'ai hâte de te voir te planter dans la neige. Je suis sûre que je vais être obligée de te tirer par les pieds pour te sortir de là.

-Qui t'as dit que je voulais perdre mon après-midi avec toi et tes 180 de gamine ?

-Ca tombe bien on ira skier le matin. L'aprèm, je m'entraîne moi, monsieur !

-Sarah, Mathéo. appela Mme Henry pour intimer les élèves au silence.

Les deux amis s'excusèrent et se turent pendant quelques instants. La jeune fille nota consciencieusement son cours en mettant des couleurs un peu partout. Elle posa aussi plusieurs questions à la prof.

-9h30, à Morillon. glissa t'elle après s'être empêchée de parler pendant plus de cinq minutes.

-Eh, pourquoi Morillon ? protesta son ami.

-Parce que c'est beaucoup mieux que ton trou paumé. répliqua la jeune fille.

Leur débat fut interrompu par la cloche qui sonna la libération des élèves.

-Sarah, tu peux rester quelques minutes s'il te plaît ? lança Mme Henry alors que les plus près de la porte sortaient déjà de la classe.

"Merde, j'ai trop parlé avec Mathéo ou quoi ?" pensa la jeune fille. C'était toujours flippant de se faire retenir par un prof. Même un qu'on aimait bien.

"Ne t'inquiètes pas" tenta t'elle de se rassurer.

Mathéo lui jeta un regard interrogateur et lui fit signe qu'il l'attendait dehors.

Sarah rangea lentement ses affaires le temps que tous ses camarades sortent de la salle. Elle s'imaginait divers scénarios qui la stressaient un peu. Heureusement, l'attente fut courte. Les élèves se montraient toujours relativement pressés de sortir d'un cours.

L'incompréhension de Sarah augmenta quand Mme Henry fit entrer Thomas dans la classe. Il patientait visiblement dans le couloir. Sarah lui lança un regard interrogateur. Peut-être savait-il pourquoi Mme Henry les "convoquaient" tous les deux. Elle fronça les sourcils quand la prof d'anglais ferma la porte à clé derrière Thomas. La situation lui semblait vraiment étrange. Elle jeta un nouveau regard à son ami mais celui-ci gardait un air sérieux.

-Sarah, on a quelque chose à te dire. commença t'il.

La jeune fille se montrait de plus en plus perplexe. Ses yeux firent plusieurs fois la navette entre la prof et son ami.

-On ? s'étonna t'elle.

Quel lien pouvait-il exister entre Thomas et Mme Henry ? Aussitôt, elle se demanda si la prof pouvait être sa mère mais elle ne voyait pas pourquoi ils la retiendraient dans la classe pour lui dire ça.

-En fait, nous ne sommes pas vraiment, une prof d'anglais et un ado de seize ans. expliqua Thomas, l'air toujours très sérieux.

Sarah déglutit. Sans qu'elle puisse le contrôler, une boule de stress commença à prendre forme dans sa gorge. Aucune hypothèse ne lui arrivait à l'esprit sur la situation. Pourtant, elle savait que quelque chose de très étrange se déroulait sous ses yeux.

-Nous sommes tes gardiens. continua Mme Henry. On est là pour te protéger, veiller sur toi et surtout te guider vers les bons choix. Depuis ta naissance, nous sommes avec toi et nous tentons au mieux de t'aider. Aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin que tu nous écoutes.

Sarah se crispa.

-Euh, c'est une caméra cachée ? Un casting pour Joséphine ange gardien ? plaisanta la jeune fille en riant nerveusement.

-Non, Sarah. tenta doucement la prof. Nous sommes les voix dans ta tête, qui te conseillent.

L'adolescente dut cligner plusieurs fois des yeux avant de comprendre ce que Mme Henry lui disait.

-Il n'y a pas de voix dans ma tête.

-Tout le monde a un gardien. expliqua Thomas. Mais toi, tu en as deux. Ce qui fait de toi quelqu'un de... spécial.

-Ca me touche que tu me trouves spéciale mais non, je suis totalement normale.

Sarah était désormais sûre qu'il s'agissait d'une blague. Même si l'humour de Thomas lui semblait douteux, il ne pouvait en être autrement.

-Non, tu n'es pas normale. contredit le garçon sans quitter son air sérieux. Tu as deux gardiens, tu es une Stackjan. Je sais que tu n'es pas prête à l'entendre et j'en suis désolé mais c'est la vérité.

Sarah ne dit rien. Son ami y mettait vraiment du cœur mais elle ne voulait pas rentrer dans son jeu.

-Je peux aller en récré, maintenant ?

-Non, tu ne peux pas aller en récré tant que tu n'auras pas compris que tout est vrai ! s'agaça Mme Henry. Je sais que ça paraît fou. Dis-toi juste : pourquoi une prof et un élève s'isoleraient dans un classe pour te raconter une histoire pareille, juste dans le but de te faire une blague ? C'est impossible. Il suffit de réfléchir logiquement pour comprendre que tu es bel et bien une Stackjan.

Sarah secoua la tête. Plus aucune raillerie ne lui venait à l'esprit. Inconsciemment, elle s'empêcha de réfléchir "logiquement". Ca ne pouvait pas être vrai, un point c'est tout. Elle compressa son sac entre ses bras pour échapper aux questions qui l'assaillaient.

-Nous sommes tes gardiens. reprit Thomas. Et on peut te le prouver mais ça risque de te faire un choc.

Sarah gardait le visage figé. Elle ne savait plus quoi penser. Pour le choc, c'était peut-être un peu trop tard...

-Sarah, si je n'étais pas ton gardien, continua Mme Henry, comment pourrais-je savoir que tu as un jour sauté dans les bras d'un inconnu, à la sortie de l'école, croyant que c'était ton père ?

Incrédule, Sarah commença à rire. Un rire nerveux et un peu apeuré, qui se prolongea car c'était la seule chose qu'elle se révélait capable de faire. Elle n'arrivait pas à réfléchir. Etait-ce un rêve, une blague ou autre chose ? Elle n'en savait rien.

-Ce n'est ni un rêve, ni une blague, ni autre chose, c'est la réalité. dit doucement Thomas devant l'évidence de leur échec.

Sarah eut à peine le temps de se demander comment il pouvait citer ses pensées mot à mot qu'il continuait :

-Nous sommes bien tes gardiens, ta conscience en quelque sorte. N'as-tu pas entendu souvent cette petite voix que tu as beaucoup ignorée ? C'était nous. Rappelle-toi de toutes ces choses étranges qui sont arrivées depuis que nous sommes là. L'impression qu'on lit dans tes pensées, les messages, les problèmes que j'enchaînais pour te mettre à l'épreuve.

Sarah secoua la tête. Ses doigts se crispèrent autour de son sac. Machinalement, elle recula de quelques pas.

-Je sais aussi que ce sont les Jeux Olympiques de 2012 et les cours d'athlétisme en sixième qui t'ont donné envie d'en faire en club et d'arrêter la gym. insista la prof d'anglais.

-Ca ne veut rien dire. bafouilla la jeune fille.

Son regard passa de l'un à l'autre. Que devait-elle faire ? Comment savaient-ils toutes ces informations ? Pourquoi inventer une telle histoire ? Pourquoi aujourd'hui ?

-Sarah, qui sait que tu dors avec un doudou parfois ? Une oursonne blanche, qui s'appelle Neige.

L'image de son nounours apparut dans l'esprit de la jeune fille alors qu'elle fusillait Thomas du regard.

-C'est Louane qui t'as dit ça ?

Sarah ne se sentait plus sûre de rien. Pourquoi Louane raconterait-elle ça ? Et d'ailleurs était-elle seulement au courant pour Neige ?

-Sarah, tu n'as toujours pas compris. soupira le garçon.

La jeune fille attrapa une mèche de cheveux qu'elle maltraita. La douleur qu'elle ressentit en tirant dessus la soulagea un peu.

-T'en a marre de jamais arriver première aux compétitions de ski.

La jeune fille fronça les sourcils, les mains entières à présent plongées dans sa chevelure. Elle se refusait désormais à lever les yeux vers Thomas.

-En 3ème, t'as fait une soirée, t'as bu de la bière et t'as vomi. Tu l'as jamais dit à tes parents et t'avais trop honte de pas tenir l'alcool devant tes potes.

L'adolescente commençait à haleter bruyamment. Ces mains faisaient tellement d'allers-retours dans ces cheveux que ceux-ci devaient être plus qu'emmêlés.

-En quatrième, t'avais envoyé un sms à...

-Stop. coupa Sarah. Elle ne se sentait plus ni incrédule, ni perdue, ni apeurée, elle était juste profondément en colère. Comment tu sais tout ça ? Tu t'es renseigné sur moi ? T'as piraté mes réseaux sociaux ? T'es quoi, en fait, un espion, un...

Les mots restèrent bloqués dans sa gorge quand elle se rendit compte que ces deux personnes avec qui elle se trouvait enfermée pouvaient être dangereuses. Ils étaient peut-être même fous avec leur histoire complètement tordue. Son corps ne s'avérait plus qu'une boule de nerfs. Sarah ne put empêcher une horrible sensation de naître dans son ventre et d'empoisonner peu à peu ses entrailles, comme un serpent.

-On n'est ni fous, ni dangereux. pensa t'elle. Mais elle ne pouvait pas penser une telle chose !

-Tu ne pense pas, on t'envoie des messages, c'est notre boulot.

La jeune fille regarda Thomas et Mme Henry. Ils ne bougeaient pas, ils ne parlaient pas. Ils se contentaient de sourire de façon rassurante, pourtant cela se révélait tout sauf rassurant. C'était... flippant. De plus, elle continuait de recevoir des... messages.

-Tout est vrai, Sarah, si on sait tout ça, c'est parce qu'on t'a suivi toute ta vie. On t'a soufflé les bons choix et tu nous as écouté ou pas. On a vécu toutes tes émotions, on connaît tes souvenirs, tes secrets, tout, même les choses que tu as oubliées.

Sarah ne pensait plus, elle paniquait. Les battements accélérés de son cœur s'intensifièrent. Avant que le serpent venimeux qui possédait son corps ne la paralyse toute entière, elle avisa la fenêtre à quelque dizaine de centimètres. Malheureusement, les deux fous avaient du apercevoir son regard, (c'était l'hypothèse la plus probable car non, ils ne pouvaient pas lire dans ses pensées ! ), et ils se précipitèrent vers elle. Cependant, il était trop tard, Sarah ouvrait déjà la fenêtre. Elle l'enjamba et sauta.

-Ne fais pas ça ! pensa t'elle avant de plier les genoux sous l'impact du goudron.

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