Chapitre 27

Sarah avait fixé son regard sur le visage d'Evan. Le garçon se mordait les lèvres, à la recherche d'une solution.

-On ne sait pas comment László a répandu l'essence mais s'il n'a pas fait de virage, passer de l'autre côté nous empêchera d'être enfermé. intervint Kyllian, un doigt pointé vers la ligne de carburant répandue au sol.

Tous le suivirent, le cœur battant. Sarah pensa à son père. Comment pouvait-il supporter la pression de son travail ? Elle voulait juste pleurer.

-On doit se rapprocher au maximum de la sortie sans se faire voir.

Soudain, des cris et des coups de feu vinrent troubler le calme de la forêt. Les Stackjans retinrent leurs souffles, concentrés sur les bruits de moteur qui leur parvenaient. Manifestement, une des balles avait atteint la colonne d'essence car la lueur des flammes apparut à travers les arbres. Les Stackjans se mirent à courir et respirèrent très vite les premières fumées. Sarah était terrifiée en sentant sur son visage la chaleur du feu à quelques mètres d'elle. La fumée âcre lui agressait la gorge. Elle s'efforçait d'en inhaler le moins possible. Cependant, ses narines ne percevaient rien d'autre que l'odeur de bois brulé. Mais Kyllian ne s'était pas trompé et ils émergèrent bientôt à l'air libre. Ils découvrirent deux équipes de Stackjans en train de canarder le fourgon de László et Claudia. Les criminels disparaissaient au bout de la rue. Les Stackjans se révélèrent incapable de les poursuivre. Leurs voitures se trouvaient immobilisées, pneus crevés, au milieu de la route. Ils se précipitèrent vers l'équipe de Benoît en les voyant émerger de la forêt, le visage couvert de suie.

Sarah avala goulument la bouteille d'eau qu'on lui tendait. Elle garda le silence en observant les autres équipes. Celles-ci s'activaient à changer les roues atteintes par les balles de László. Maintenant que l'adrénaline redescendait, Sarah peinait à réaliser ce qui s'était passé dans les dernières heures : l'espionnage sous la table, le combat insensé contre Claudia et László, les heures passées au fond de la cave, l'interrogatoire et les coups de László puis leur fuite et l'incendie de la forêt. Sarah savait que sans ses coéquipiers, elle n'aurait jamais tenu. La jeune fille promena son regard sur ses amis, assis par terre à côté d'elle. Charlie et Kyllian parlaient à voix basse. Les yeux de Sarah croisèrent ceux d'Evan. Il lui sourit. Cela rassura la jeune fille. Cependant, elle se révéla incapable de lui rendre la pareille. Certes, ils étaient sains et saufs mais la fatigue, la peur et le doute submergeaient Sarah. L'adolescente prit conscience du nœud dans sa gorge. Elle s'interdit de pleurer. L'arrivée des pompiers offrit une distraction salutaire à ses pensées noires. Elle les observa dérouler leurs lances pour éteindre l'incendie qui ravageait le parc. Deux hommes en uniforme se dirigèrent vers leur petit groupe assis au sol. Ils leur distribuèrent des couvertures de survie et commencèrent à les inspecter. Ils constatèrent rapidement qu'aucun d'eux ne présentait de brûlure. Sarah leur dévoila son avant-bras et son ventre qu'ils entreprirent de pommader. Les deux pompiers leur posèrent ensuite des questions sur l'incendie. C'est Benoît qui expliqua qu'il était d'origine criminelle, tout comme les marques qui ornaient le corps de Sarah et le sien.

-Vous avez inhalé de la fumée. dit le pompier qui semblait le plus jeune. On va mesurer votre taux de CO2 pour voir s'il est nécessaire de vous emmener à l'hôpital.

Il apparut rapidement qu'aucun des Stackjans n'avait eu le temps de respirer assez de fumée pour endommager ses poumons. C'était un soulagement car personne ne voulait perdre des heures à l'hôpital. Le temps de contrôler le taux de CO2 des sept personnes, les roues des véhicules étaient changées. Les Stackjans remercièrent les pompiers puis se répartirent dans les différentes voitures. Sarah se retrouva assise entre Evan et Jules. A l'avant, un homme qu'elle ne connaissait pas ne cessait de pester contre la fuite de László et Claudia. Sarah soupira. Au moins, Oscar, lui, serait arrêté.

Le trajet dura une quinzaine de minutes durant lesquelles le conducteur créa tous les scénarii possibles à la course poursuite engagée contre László et Claudia. Aucun de ces récits ne se terminait par un pneu crevé et une embardée au bout de cent mètres de poursuite. Il fallait avouer que László était bon tireur, ce qui énervait encore plus le bonhomme, qui se mit à maudire les trafiquants d'armes. Tout le monde fut soulagé quand le véhicule s'arrêta devant le commissariat investi par les Stackjans.

-Les coordinateurs ont demandé à ce que les jeunes Stackjans assistent aux interrogatoires dans la mesure du possible. expliqua la passagère du bavard. Sarah lui donnait moins de trente ans mais, en cette pénurie de Stackjan, elle n'était sûrement pas considérée comme "jeune".

-C'est l'apprentissage par observation. précisa l'homme.

Cependant, lorsqu'ils poussèrent la porte du commissariat, il n'y avait plus grand-chose à observer. Les trois ados auraient, à la limite, put apprendre à crier de joie. En effet, de grands sourires ornaient les visages qui avaient été concentrés toute la journée et chacun congratulait son voisin. Sarah resta perplexe face à ce spectacle même si elle se sentit satisfaite sans raison.

-Qu'est-ce qui se passe ? demanda leur conducteur à un homme posté près de la porte.

-Nous venons de désactiver les bombes chimiques ! se réjouit-il. Les centres sont sauvés.

Un sourire éclaira le visage des sept nouveaux arrivants. La mission avait fonctionné et les morts évités. Sarah se sentait soulagée même si elle n'avait pas pensé de la journée à ces pauvres personnes menacées par des explosifs. La jeune fille ressentait un étrange sentiment de fierté. Pourtant, elle n'avait pas la sensation d'avoir servi à quelque chose. Elle était simplement fière d'être une Stackjan, de faire partie de ces gens si heureux d'avoir sauvé des vies. Pourtant, même si elle souriait, elle ne parvenait pas à être aussi contente que les individus qui l'entouraient. C'était peut-être la fatigue. Evan, lui, félicitait toutes les personnes qui passaient à sa portée.

Bientôt, les applaudissements cessèrent et les Stackjans, nettement moins stressés, commencèrent à préparer la suite. Il fallait réveiller et hypnotiser les six policiers, allongés dans un coin de la pièce. D'abord, tout le monde devait partir. Tandis que chacun s'employait à ramasser les documents et le matériel électronique qui traînaient en tous sens, Sarah et ses coéquipiers se promenèrent à travers le commissariat. Il n'était pas conçu pour une mission d'une telle ampleur et les criminels s'entassaient à l'intérieur des trois cellules. Vivement qu'ils rejoignent une prison digne de ce nom. Au bout d'un couloir, les cinq coéquipiers découvrirent la salle d'interrogatoire. Derrière le miroir sans tain, ils aperçurent un homme menotté à une chaise. Sa tête baissée les empêchait de voir son visage. Ses épaules se trouvaient secouées d'un mouvement régulier et Sarah finit par comprendre qu'il pleurait.

-C'est Herman Tobler. dit une voix dans leur dos.

Sarah sursauta et se retourna pour voir Christophe s'approcher d'un pas tranquille.

-C'est grâce à lui que nous avons pu désactiver les explosifs. Il a fini par craquer et nous fournir le code du logiciel de commande.

-Et il regrette ? devina Sarah en référence à ses pleurs.

-De nous avoir livrer le code ? Non. Mais cet interrogatoire fut pour lui riche en émotions. Je crois plutôt qu'il regrette d'avoir fait parti de cette organisation terroriste.

-Comment avez-vous fait ?

-Nous avons utilisé des mots simplement. Et nos pouvoirs bien sûr. Herman a eu la malchance d'être envahit par un influenceur supplémentaire au cours d'un moment difficile pour lui. C'est cette overdose de mauvais conseils et cette douleur qui l'ont conduit à faire des choix si répréhensibles. Mais à force d'assaut et avec l'aide des Féoracs nous avons réussi à lui faire reprendre conscience et à virer cet être indésirable.

-Et qu'est-ce qui va lui arriver maintenant ? questionna Jules, les yeux fixés sur l'homme derrière la vitre.

-Herman va être suivi par un psychologue Stackjan. Et il va aller en prison, mais le moins longtemps possible.

-Vous allez le laisser sortir alors qu'il a failli tuer des tas de gens. s'indigna Sarah, les poings serrés.

-Les actions qu'il a faites sous une influence néfaste ne définisse pas qui il est. Tout le monde fait des erreurs. Et il serait injuste de gâcher sa vie alors qu'il regrette profondément. S'il passe sa vie à essayer de se racheter, il sera bien plus utile que s'il la passe à croupir en prison. Notre but n'est pas de punir mais d'aider. Et crois-moi, c'est la solution qui profite à tous.

Sarah regarda Evan. Elle commençait à deviner d'où provenait son optimisme excessif. Pourtant, Christophe semblait plus lucide que son protégé car il déclara :

-Pour Nicolas Barry, en revanche, j'ai peur qu'il n'y ait aucune chance. Ses deux influenceurs sont trop ancrés en lui. On pourrait presque croire qu'il est un Turdo tant il se complait dans le malheur des hommes. Ses ambitions humaines de pouvoir ne sont qu'une façade fictive. Il est totalement devenu l'instrument de ces êtres abjects. Heureusement, il va passer le reste de sa vie en cellule si tout se passe bien.

-Et pour les autres ? questionna Evan.

Le regard de Sarah se porta sur les nombreuses personnes qui patientaient derrière les barreaux. Leurs visages la révoltaient.

-La plupart sont simplement des hommes et des femmes attirés par le pouvoir. Ils ne se rendent même pas compte que des vies humaines sont supprimées par leurs actions. Ils considèrent ça des dommages collatéraux tant que leurs proches n'en font pas parti. Ces criminels vont croupir en taule quelques années puis recommencer leurs vies égoïstes.

Christophe grimaça dans une expression que Sarah situa entre l'agacement et le désespoir.

-Bon, il faut que j'aille parler à Herman. Je vous conseille de retourner vers le hall si vous ne voulez pas vous retrouver seuls ici pendant que tous les autres retournent à Berlin. On fera un débriefing demain et chaque équipe rendra compte aux coordinateurs de son expérience. Si vous avez besoin de parler de ce qui vous est arrivé de façon plus personnelle, les psychologues seront à l'infirmerie toute la semaine. Et je peux aussi vous recevoir.

Les cinq ados hochèrent la tête puis revinrent sur leur pas. Benoît sembla soulager de les voir.

-Ah, vous voilà ! Je me demandais où vous étiez. Les premiers véhicules sont déjà partis. Sébastien nous attend dehors. Dans une heure nous serons à la base.

-Tant mieux parce que je rêve de mon lit. s'exclama Sarah.

***

Pour la première fois depuis le début de la journée, Sarah se sentait bien. Elle avait enfilé un jogging et ses cheveux, encore mouillés, dégoulinaient le long de son tee-shirt. Une large auréole s'étendait déjà sur les coussins du canapé qu'occupait la jeune fille mais après tout, ce n'était que de l'eau. Sarah avait savouré sa douche brûlante car elle avait besoin de se vider la tête et la conversation qu'elle tenait depuis dix minutes avec Charlie l'aidait aussi dans ce sens. Les deux filles échangeaient tranquillement sur leurs séries et films préférés. Elles possédaient beaucoup de goûts communs. En revanche, leurs différences de caractères s'illustraient par un désaccord profond sur leurs personnages préférés.

Evan vint s'asseoir à côté d'elles sur le canapé et saisit la télécommande.

-Mais quelle baleine celui-là ! rit Sarah, secouée par l'arrivée de son ami.

Le garçon contra facilement le coup qu'elle essaya de lui porter et s'éloigna de quelques centimètres.

-Les journalistes sont arrivés au commissariat quand ils ont transféré les criminels. L'enquête judiciaire est en cours mais manifestement les médias sont déjà bien au courant. déclara Evan en allumant la télévision.

D'autres personnes les rejoignirent. Le bâtiment disposait d'une dizaine de salles télé et si, habituellement, elles n'étaient jamais occupées, Sarah songea que cette fois, elles devaient toutes être pleines. Pour le moment, le journal télévisé parlait de l'augmentation du prix du lait en Allemagne mais rapidement, le présentateur déclara :

-Et l'information importante du jour, c'est bien sûr, l'arrestation du collectif de criminels qui incendiaient les forêts européennes depuis des semaines.

Sarah ne pouvait pas lire dans les pensées du présentateur mais elle recevait une traduction instantanée de ses paroles en allemand.

-L'enquête est en cours mais il semblerait que ces actions aient pour but de soulever la population contre les actuels gouvernements. disait désormais le reporter envoyé devant le commissariat. Les documents retrouvés indiquent que Nicolas Barry, le chef de cette organisation terroriste, désirait se présenter à l'élection présidentielle française de l'année prochaine. Il se définit comme, je cite, "le défenseur du peuple face à des états qui n'ont pas su jouer leur rôle de protection au cours des incendies qui ont touché l'Europe". Il avait manifestement pour projet d'accuser les Etats et leurs "richissimes complices", je cite toujours, de ces tragédies.

Le reportage continuait sur l'arrestation de Nicolas et de ses complices et détaillait le plan des criminels, "déjoué avec brio par la police".

-Deux malfaiteurs ayant pris part à ces actes terroristes sont actuellement en fuite. L'espagnole Claudia Diaz, connue pour avoir travaillé dans l'ombre des dirigeants d'Amérique latine et le Bosnien László Tabakovic. conclut le reporter.

La photo des deux criminels s'afficha à l'écran puis le présentateur enchaîna sur le match de foot qui animerait la soirée.

Evan passa son bras autour des épaules de Sarah.

-Tu te rends compte, dit-il, tout ça c'est en partie grâce à nous. En partie grâce à toi. On a récupéré ces documents qui permettront de faire avancer l'enquête et peut-être de retrouver d'autres criminels. Ça prouve qu'on sert à quelque chose. C'est la meilleure démonstration du fait que tu peux résoudre des problèmes et prendre les bonnes décisions. Et pour un Stackjan qui participe à ça, qu'est-ce que régler une petite dispute entre amis.

Sarah sourit car elle venait de se rendre compte que l'évocation d'une dispute ne lui donnait plus envie de fuir. Elle posa ses yeux sur la télé. Finalement, la sensation d'avoir fait quelque chose de bien, d'avoir réglé un problème, était agréable. Même si cela s'était révélé très compliqué. Cependant, par pur esprit de contradiction, elle contesta :

-J'ai été beaucoup aidé dans cette mission.

-Et tu continueras toujours à l'être. N'oublie pas ce que t'ont dit tes gardiens.

***

Et voilà ! J'ai enfin récupéré toutes les données que j'avais perdues, je peux donc vous poster la suite de Stackjan. J'espère que ce chapitre vous a plu, j'attends vos retours avec impatience. Comme vous devez vous en douter, on approche de la fin, il ne reste plus qu'un chapitre et un épilogue. La suite sera postée la semaine prochaine ou dans deux semaines, je pense.

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