Chapitre 16
Sarah regarda par le hublot. Lyon rapetissait petit à petit. Elle ne distinguait plus les routes, les maisons, les voitures,... La ville n'était qu'un amas de couleur, et tout autour s'étendait du vert à perte de vue. Bientôt, l'avion se stabilisa et le voyant lumineux en forme de ceinture de sécurité s'éteignit. Sarah conserva la bande serrée autour de son ventre mais put enfin se décoller de son siège. La jeune fille détourna son regard du hublot crasseux et posa les yeux sur son voisin.
-Parle-moi de Berlin. envoya t'elle par télépathie.
Cela faisait seulement deux jours qu'elle parvenait à envoyer des messages sans coupure. Pleine de fierté, elle ne lâchait pas l'entraînement.
-C'est la plus grande base Stackjan au monde. Elle peut tous nous accueillir. On l'appelle l'Ourse. On fera une visite et tu verras. Elle a été construite il y a une vingtaine d'années, c'est relativement récent par rapport à la plupart des bases. De l'extérieur, on croirait à une usine de biscuits. Le patron de la marque est un Stackjan.
Sarah hocha la tête. Si un passager de l'avion les regardait à ce moment, il les trouverait étranges. La jeune fille donnait l'impression d'avoir une conversation seule dans sa tête, ce qui, en soit, se rapprochait de la vérité. Pourtant, elle n'était pas folle.
-Comment ça s'organise ? Est-ce qu'il y a des gens tout le temps là-bas ? Et c'est qui, qui commande ?
-C'est vrai qu'on a pas encore eu le temps de t'expliquer tout ça. intervint Mme Henry, assise à côté d'eux.
Sarah retransmit. En effet, la gardienne ne pouvait communiquer en pensée avec Evan car elle n'était pas Stackjan. Si Evan voulait accéder directement à ses paroles Sarah devait lui ouvrir son esprit. Or, la jeune fille ne maîtrisait pas encore la subtilité de cacher seulement une partie de ses pensées. C'était tout ou rien. Et bien sûr, elle ne pouvait pas laisser Evan accéder à toute son intimité. Elle devait donc jouer le messager.
-Les Stackjans ont tous des métiers à côté étant donné que nous ne sommes pas payés. expliqua Evan. Une partie des salaires est reversé au budget des Stackjans. Cet argent s'ajoute à celui que certaines personnes nous donnent parfois, pour les avoir aidés, et aux héritages que nous recevons. Il sert à financer les frais de fonctionnement, les équipements, les voyages,... Pour revenir à ta question, personne ne travaille à temps complet à la base mais certains font presque un temps partiel. C'est surtout pour gérer le budget, le suivi des agents sur le terrain et l'organisation des nouvelles missions. En réalité, il s'agit surtout de retraités.
Sarah hocha la tête en tentant de s'imaginer à quoi ressemblerait sa vie d'adulte Stackjan.
-Ensuite, il y a les Surveillants. enchaîna Mme Henry. Ils sont chargés de "surveiller" le monde afin de repérer les éventuelles missions à accomplir. Ils sont seulement 24. Les Féoracs les aident beaucoup. La plupart des Surveillants travaillent dans le journalisme ou le renseignement, ça les aide pour leur mission.
Sarah se tortilla sur son siège. Elle ne se montrait toujours pas à l'aise avec les Féoracs.
-Et tout en haut, il y a les coordinateurs. Ils sont six : un par continent, plus celui de Berlin. C'est eux qui décident, attribuent les missions, nomment les Surveillants,... Tout ça en collaboration avec les Féoracs évidemment. Ils connaissent tous les Stackjans dont ils ont la charge. Christophe est l'un d'eux. C'est notre référent. C'est un ami de mes parents, ils étaient à l'école ensemble. Il travaille dans le renseignement, je ne sais pas ce qu'il fait exactement. L'un des coordinateurs est un prêtre, un autre est un philosophe assez connu en Amérique latine. Celui de Berlin, c'est le patron de la marque de gâteau, son statut est un peu à part. Il s'occupe plus du général, de la partie logistique et du relai des informations que des personnes. La coordinatrice asiatique est une scientifique qui travaille dans le domaine des énergies renouvelables et l'australien est professeur de langue au collège.
-Si je résume, les Surveillants repèrent les missions, les Coordinateurs décident et nous on exécute. fit Sarah.
-C'est un peu ça. admit Evan. Mais toujours en lien avec les Féoracs pour ne pas faire d'erreurs. Et au final, on a le dernier mot. Si on veut rajouter ou enlever quelque chose de la mission, on est écouté. Si finalement, on désire se retirer, on peut le faire sans problème.
-Et il y a beaucoup de missions ? questionna Sarah, le regard concentré sur son ami, afin de transmettre au mieux son message.
-Il y a toujours un peu des Stackjans en mission, je crois. répondit le garçon. Certaines sont longues et d'autres plus courtes. Il y a une dizaine de missions un peu plus grosses par an, je pense. Sinon, il y a peut-être une cinquantaine de petites missions qui engagent seulement un Stackjan. Les très grosses missions comme celle-ci sont très rares. Tous les dix ans, je dirais.
-Donc c'est la première fois que tu y participes ?
-Oui, de toute façon, je n'ai fait qu'une seule mission.
-Oh, je pensais pas. s'étonna Sarah à voix haute. Sa télépathie commençait à fatiguer.
-On se connait pas tellement, en fait. fit Evan en tapotant sur l'accoudoir qui les séparait.
-Qu'est-ce que tu veux savoir ? questionna la jeune fille, surprise de cette remarque.
Le garçon haussa les épaules.
-Je sais pas, je disais ça comme ça. Je connais pas ta famille ou tes amis, par exemple.
-Je t'ai dit que j'avais un grand frère ? sourit Sarah.
-Oui, il me semble. Il s'appelle comment ?
La jeune fille s'agita sur son siège. Elle pouvait enfin parler de quelque chose qu'elle connaissait !
-Simon. répondit-elle. Il a 19 ans. Il fait des études d'audiovisuel à Lyon. Sa copine Andréa est en droit.
-D'audiovisuel ? Il veut travailler dans le cinéma ?
-Oui, je crois qu'il veut se diriger vers le montage sonore.
Evan hocha la tête.
-Vous vous entendez bien ?
-Oui, c'est plutôt cool, acquiesça la jeune fille, les yeux perdus dans la contemplation du siège de devant. Il a toujours été sympa avec moi. Parfois, il se prenait vraiment pour mon père, par contre, c'était chiant. Depuis qu'il est parti, on se voit quasiment jamais alors on a pas le temps de se disputer. Mais, j'aime bien le charrier, c'est marrant, surtout avec Andréa.
-En tout cas, s'il y a quelqu'un à qui je dirais que je suis Stackjan, c'est lui. Je lui fais confiance. ajouta mentalement Sarah.
-C'est cool, ça. J'aimerais bien avoir une bonne relation avec un frère ou une sœur.
-T'en as pas ? questionna l'adolescente. Elle déplia la tablette pour y poser ses mains. Evan prenait toute la place sur l'accoudoir central.
-Non, je suis fils unique. sourit le garçon.
-C'est vrai que j'ai de la chance d'avoir mon frère. Je crois que c'est lui qui connait le plus de trucs sur moi.
Sarah pensa à son doudou, caché au fond d'un tiroir, à ce sms en quatrième, qui lui avait valu des moqueries de tout le collège (d'une bonne trentaine de personnes en réalité) et à cette soirée où elle avait vomi. Des secrets connus de Simon, que leurs parents et les amis de Sarah non concernés ignoraient. Elle se rappela aussi sa stupeur quand ses gardiens lui avaient révélé qu'ils savaient tout cela.
-T'as pas lu dans mes pensées, j'espère. s'inquiéta Sarah. Pourtant, elle savait pertinemment qu'Evan ne ferait jamais une telle chose.
-Non, rit le garçon. Moi, c'est mes parents qui savent tout de moi. D'ailleurs, ils savent aussi que je suis Stackjan.
Sarah tiqua.
-Comment ça se fait d'ailleurs ? Et comment, ils ont réagi ? Genre, "papa, maman, je peux lire dans vos pensées et je vais effectuer des missions pour sauver le monde, allez salut !".
Faire de l'ironie par télépathie s'avéra beaucoup plus compliqué que Sarah ne l'aurait pensé. Pourtant, Evan semblait avoir compris, arrachant un sourire de fierté à sa compagne.
-Sauver le monde, c'est peut-être exagéré. nuança t'il. Ca c'est pas tout à fait passé comme ça, rassure-toi. En fait, c'est Christophe qui a quasiment tout expliqué. Au début, mes parents étaient très surpris évidemment. Ils étaient aussi déçus que Christophe ne leur ait pas raconté avant. Ils sont amis depuis tellement longtemps qu'ils pensaient n'avoir pas de secret les uns pour les autres. Mais ils ont vite mis leur déception de côté et ils se sont intéressés. Ils ont trouvé ça super que des gens donnent d'eux-mêmes pour conserver la paix mais ils ne voyaient pas comment un enfant de mon âge pouvait être impliqué là-dedans. Ils avaient peur pour moi alors ils ont posé pas mal de conditions. Ils continuent toujours d'être surprotecteurs même s'ils ont confiance en moi.
Sarah mit un peu de temps à intégrer toutes ses paroles. Elle restait scotchée par la capacité d'Evan à déblatérer un tel monologue par la pensée.
-Et pour les pouvoirs, ils ont dit quoi ? s'intéressa la jeune fille, qui entreprit de démêler sa chevelure avec ses doigts.
-Ca leur a fait très peur. Ils ont toujours su que je ne lirais pas dans leurs pensées contre leur volonté mais de savoir qu'un tel pouvoir existe les fait flipper. Ils ne veulent pas que je l'utilise, même en mission. Ils ne comprennent pas que ça puisse m'aider sans faire du mal aux autres. Pour eux, c'est très mal de lire dans les pensées, même d'un criminel.
-Ils t'interdisent de l'utiliser ?
-Ils ne peuvent pas, ça fait parti de moi. Pour eux, je ne suis qu'un humain qui appartient à une communauté, un peu comme un espion. Ils ne comprennent pas qu'être Stackjan, c'est différent d'être humain. Pour moi, lire dans les pensées c'est une capacité naturelle, comme parler ou marcher pour eux. Ca nous semble normal mais certains n'ont pas cette chance. Et puis, ce pouvoir m'a sauvé la vie. Enfin, ça il ne le savent pas. S'ils apprenaient que j'ai failli mourir, ils m'enfermeraient dans ma chambre jusqu'à la fin de mes jours.
Sarah sourit. Evan piquait sa curiosité mais Mme Henry la rappela à l'ordre :
-Ne lui pose pas la question, il déteste en parler.
-C'est lui qui a lancé le sujet. fit remarquer la jeune fille.
-Il ne veut pas en dire plus. Regarde sa tête.
Sarah reposa ses yeux sur le jeune homme. Ses sourcils s'étaient froncés, il semblait contrarié. Il martyrisait désormais le tissu de l'accoudoir. Sarah abandonna et décida de changer de sujet.
-Je peux te présenter mes amis aussi si tu veux. Tu les as peut-être croisés, t'as quand même passé plus de deux semaines à Morillon.
-Je suis pas sorti beaucoup, tu sais, ou alors, pendant que vous étiez en cours.
-Merci de me rappeler que tu t'offres des vacances pendant qu'on bosse. plaisanta Sarah.
La jeune fille déverrouilla son téléphone et fouilla dans sa galerie. Elle exhiba une photo de sa bande de potes. Une dizaine de jeunes posaient, souriants, sous un porche. Les garçons portaient des chemises et les trois quarts des filles étaient vêtues d'une robe ou d'une jupe.
-C'était en septembre, à l'anniversaire d'Ambre. indiqua Sarah, un doigt pointé sur la jeune fille au milieu de la photo, ses cheveux blonds coiffés en deux longues tresses.
-Ca c'est moi. dit Sarah. Elle tenait Ambre par les épaules et avait la bouche ouverte. Elle semblait dire quelque chose. Un garçon s'appuyait sur elle. C'est Mathéo, mon meilleur pote. précisa la jeune fille à l'attention d'Evan.
-Et lui ? questionna ce dernier en désignant un jeune homme agenouillé devant Sarah. Il ne regardait pas la photo et paraissait plutôt écouter la jeune fille.
-Simon. Tu le vois pas là, mais il est très grand.
Sarah désigna ensuite Louane, à l'autre bout de la photo puis tous ses autres amis un à un.
La conversation se poursuivit entre les deux ados jusqu'à ce que le voyant lumineux se rallume. Sarah n'avait pas détaché sa ceinture de tout le vol.
***
-Bienvenue à l'aéroport de Berlin-Tegel. Il est 13h57. La température extérieure est de 9°C. Merci d'avoir choisi notre compagnie. Nous vous souhaitons un agréable séjour.
Sarah détacha sa ceinture à la fin du message de l'hôtesse de l'air. Une longue dizaine de minutes s'écoulèrent avant qu'ils puissent enfin sortir de l'avion. Sarah ne put résister à l'envie de prendre un snap de la descente de l'engin. Le groupe suivit le parcours fléché qui les mena à l'intérieur de l'aéroport. Quand ils entrèrent, le tapis roulant était encore immobile. Sarah observa le balai des employés à travers les grandes portes vitrées. Elle apercevait des chariots remplis de bagages. Elle regarda avec curiosité le camion rempli du carburant de l'avion et vit s'activer les agents de sécurité. Alors qu'elle était absorbée par le travail bien réglé de ce microcosme, quelqu'un lui tapa sur l'épaule. Elle sursauta violemment.
-C'est pas ta valise là-bas ? demanda Evan.
Sarah le remercia et se dirigea vers le tapis roulant qui avait commencé son travail. Des flots de bagages se déversaient, accompagnés par le bruit entêtant du moteur de la machine. La jeune fille récupéra sa valise et attendit que ses compagnons en fassent de même.
A la sortie du terminal, ils retrouvèrent Thomas, qui les attendait en souriant.
-Bon, alors vous pouvez me dire, maintenant, comment vous faîtes pour voyager si vite. réclama Sarah.
-Nos corps humains sont justes des enveloppes, on pourrait choisir n'importe quoi d'autre. Ce sont les Féoracs qui nous font apparaître. Ce qui veut dire qu'on peut disparaître quand on veut et réapparaître où on veut. C'est comme ça qu'on fait chaque soir. On n'a pas de maison. Quand on n'est pas avec toi, on n'a pas de réalité physique, sauf en cas de besoin de parler à d'autres personnes.
-Je suis le genre de prof qu'aucun élève ne risque de croiser par hasard en-dehors de l'école. plaisanta Mme Henry.
-Vous pouvez apparaître et disparaître comme vous voulez. s'enthousiasma Sarah. Genre, là, par exemple.
-Il y a plein de monde.
-Mais si on va dans des toilettes, vous pouvez me montrer. Je voudrais trop voir ça. Ca doit être énorme de vous regarder disparaître sous mes yeux.
-Non, on ne peut pas. Les Féoracs ne s'amusent pas à nous faire clignoter pour le plaisir.
-Oh allez, s'il vous plaît. Tu viens juste de réapparaitre, Thomas. argumenta Sarah en trépignant.
-Justement. Les Féoracs doivent s'occuper de plein de choses beaucoup plus importantes.
-Allez, s'il te plaît. Ca prend deux secondes. Au pire, si je bloque mon esprit ça fait pareil, non ?
-Ne fais surtout pas ça ! prévint Mme Henry.
Une lueur de défi brillait au fond des yeux de Sarah. Elle savait qu'elle ne devait pas bloquer son esprit pour faire disparaître ses gardiens mais l'envie la démangeait. La jeune fille avait l'impression de marcher sur un fil. Elle-même ne savait pas ce qu'elle allait décider : abandonner ou fermer son cerveau. Cette incertitude comportait quelque chose d'excitant. Sarah sentit un fil tenter de pénétrer en douceur dans son esprit. Elle le laissa se déverser en elle. C'était la première fois qu'elle le ressentait avec autant d'intensité.
-Tu les verras disparaître un jour, je te le promets. disait le message.
L'attention de Sarah se focalisa sur Evan et elle laissa tomber l'idée de faire disparaitre ses gardiens par elle-même, au grand soulagement de ces derniers.
***
Bonjour à tous ! J'espère que vous avez apprécié ce chapitre !
Sarah et Evan continuent d'apprendre à se connaître. On apprend beaucoup de choses sur l'organisation des Stackjans, j'espère que c'est bien compréhensible et que je ne vous ai pas perdus.
J'attends vos avis !
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