Chapitre 14
Sarah progressait de plus en plus aux côtés d'Evan. Au lieu d'essayer de devenir lui, elle avait compris qu'elle devait rester elle-même. Ainsi, elle le surprenait lors des combats puisqu'il ne la connaissait pas encore bien. Depuis quelques jours, la jeune fille testait une nouvelle technique : distraire son adversaire en parlant et en blaguant. Le garçon ne se laissait pas prendre aussi facilement mais Sarah réussissait parfois à le déstabiliser, ce qui faisait sa fierté.
Alors qu'elle déjeunait en compagnie de ses parents après une matinée de ski, Sarah préparait déjà mentalement son combat contre Evan. Pourtant, avant de le retrouver, elle devait s'acquitter d'une tâche auprès de ses géniteurs.
-Euh, au fait,... commença Sarah d'un ton léger. Vous connaissez Thomas ? Il m'a inscrit à une compétition en Norvège... Et du coup, on partirait en avion jeudi prochain. Vous n'auriez rien à payer, c'est son club qui finance. Ca vous dérange pas ?
Sarah observa ses parents se regarder puis fixer leurs yeux sur elle.
"C'est mal parti..." pensa t'elle.
-Si je résume, dit sa mère, tu veux partir en voyage dans cinq jours, toute seule avec un garçon qu'on ne connaît pas, dans un pays très éloigné et tu crois qu'on peut te dire oui comme ça ?
"J'aurais peut-être dû inventer un truc plus crédible."
-C'est une compétition très importante, et je n'ai su qu'hier que...
-Tu peux m'expliquer pourquoi ce garçon t'a inscrit à une compétition sans qu'on soit au courant. Avec un autre club en plus. Comment un club peut financer un tel voyage, d'abord ? s'interrogea son père.
-Euh, je crois qu'ils ont des partenaires assez riches. Le fils d'un grand patron doit faire parti du club et son entreprise aide pour les déplacements... inventa Sarah en se maudissant intérieurement : elle s'enfonçait.
-Je ne vois pas ce que tu as à faire là-dedans, tu ne fais pas parti de ce club. argumenta Pierre.
-Oui, mais Thomas m'a vu skier, il m'a trouvé douée, il y avait presque plus de place pour la compétition. Il m'a inscrite en tant qu'invitée car ils ont le droit de convier quelques personnes hors du club et ensuite, il m'en a parlé. Au début, je n'étais pas trop pour mais c'est une super chance.
Sarah replaça une mèche de cheveux derrière son oreille en tentant un sourire enjôleur.
-C'est vraiment louche toute cette histoire. remarqua Solène. C'est ton ami ? Moi, il ne m'inspire pas confiance.
-Ne t'inquiètes pas, il n'y a pas plus sûr que lui.
"Merci !" entendit Sarah dans sa tête.
-Tu comprends qu'on ne peut pas te laisser partir en Norvège, comme ça, sur un coup de tête.
-S'il vous plaît, c'est vraiment très, très, très important ! insista la jeune fille.
-Non, Sarah, c'est non. Tu nous prends complètement au dépourvu, là ! déclara son père.
-Je ne vois pas ce qui vous dérange, vous n'avez rien à payer ! grogna l'adolescente.
-Ce n'est pas seulement une question d'argent, un tel voyage.
-Vous cherchez même pas à réfléchir, vous dites non tout de suite ! s'exclama Sarah. Elle se leva et quitta la table.
Enervée, elle rejoignit sa chambre et se changea avec rage. D'un autre côté, elle n'était pas réellement en colère contre ses parents. Ils ne pouvaient pas accepter un tel voyage, annoncé comme ça, sans préparation. Cela n'empêchait pas la jeune fille d'être extrêmement contrariée par leur refus. Il fallait absolument qu'elle trouve un moyen pour qu'ils acceptent, elle ne pouvait pas fuguer pendant plusieurs semaines. La colère de la demoiselle était aussi dirigée contre elle-même : son mensonge était gros, bien plus difficile à avaler que de simples vacances entre copines. Malheureusement, il était exclu de prétexter des vacances avec ses amies. Pierre et Solène n'auraient qu'à passer un coup de fil pour se rendre compte que rien n'était prévu. De plus, Louane pensait à une compétition donc il semblait préférable de maintenir cette version. Enfin, il fallait justifier le voyage en avion jusqu'à Berlin. Désigner la ville comme une escale entre la France et la Norvège paraissait encore la meilleure des idées.
Sarah remonta la fermeture de sa veste de ski et descendit au garage. Une quinzaine de minutes plus tard, elle se trouvait sur les pistes. Dans le bus, elle avait réfléchi : elle devait trouver un autre moyen de convaincre ses parents. Malheureusement," résoudre des problèmes" n'entrait pas dans ses habitudes.
La jeune fille décida de s'éloigner le plus possible de Morillon. Elle emprunta une succession de remontées mécaniques qui la menèrent loin de chez elle. Ensuite, elle prit plaisir à dévaler à fond tout le chemin parcouru pour monter si haut. Le soleil éclairait la montagne en ce dix-huitième jour du mois de février et Sarah le laissa réchauffer son visage avec joie. Son corps se mouvait avec facilité et grâce, fendant l'air dans une position optimale. Sarah laissa tout son être réagir à la vitesse qui l'entraînait et qui balayait ses réflexions. La jeune fille éprouvait la sensation de respirer pleinement. Son cerveau se contentait de faire fonctionner ses muscles et ses organes tandis que ses pensées suivaient simplement le rythme de ses virages.
L'évasion ne pouvait cependant durer éternellement. Il était plus de 14h quand la skieuse rejoignit le bas de la station. Elle n'avait pas entraînement cet après-midi là mais elle devait rejoindre Evan à 15h. Pourtant, ses parents restaient loin d'être convaincus par son voyage. Sarah décida de refaire une descente pour réfléchir à une solution. Elle commença à examiner les possibilités qui s'offraient à elle dans le télésiège mais elle en trouva peu. Comment convaincre ses parents de laisser leur fille partir en Norvège cinq jours plus tard, afin de disputer une compétition de ski à l'inscription plutôt louche ? Cela semblait mal engagé. Sarah tenta de considérer la question d'un autre point de vue : celui de la vérité. En réalité, elle partait à Berlin pour une grande réunion regroupant tous les Stackjans afin de participer à une mission très importante. Cette mission pouvait s'avérer dangereuse mais elle permettrait de sauver la vie ou le bonheur de nombreuses personnes. De plus, Sarah serait encadrée d'adultes et accompagnée de son ami Evan et de ses deux gardiens, êtres censés la conseiller et la guider vers les bons choix. Cette dernière perspective semblait plutôt engageante. La jeune fille envisagea de présenter Thomas et Mme Henry à ses parents pour les mettre en confiance. Soudain, une idée germa au creux de son esprit. Elle se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Pourtant, à la réflexion, ce n'était peut-être pas si malin que ça. En tout cas, cette fois, elle ne voulait pas faire de conneries et elle sollicita l'avis de ses gardiens. Cela devenait de moins en moins bizarre de parler à des personnes dans sa tête. Enfin, pas tout à fait des personnes, en réalité.
***
-Papa, s'il-te-plaît, on pourrait reparler de mon voyage ? se lança Sarah postée devant son père au fond du couloir.
Une odeur de nourriture s'échappait de la cuisine. Solène s'y trouvait, elle ne pouvait donc pas les entendre et ne risquait pas de les déranger.
-Ma princesse, tu comprends bien qu'on ne peut pas te laisser partir comme ça ?
-Oui, mais je ne vous ai pas tout dit. avoua la jeune fille.
-Qu'est-ce qu'il y a ? Je dois m'inquiéter ?
-Non, et puis, tu ne peux pas me reprocher de ne pas avoir dit toute la vérité. Toi aussi tu nous mens, et je pense que ton secret est plus dangereux que le mien.
Sarah savait qu'elle prenait des risques en dévoilant qu'elle en connaissait plus qu'il ne le croyait sur son véritable métier. Pourtant, c'était la seule solution pour partir à Berlin et elle avait été validée par ses gardiens.
-Qu'est-ce que tu veux dire, Sarah ? interrogea son père, d'un ton neutre. Sa fille ne pouvait rien voir qui laissait trahir son stress.
-Je veux dire que je ne vais pas plus faire une compétition de ski que tu es allé faire un reportage. Et je sais que tu ne passe pas tes journées à la maison à rédiger des articles tout comme je ne passe pas tous mes samedis après-midi à skier.
-Sarah, je suis reporter. Toi, en revanche, j'aimerais bien savoir où tu passes tes samedis ?
La jeune fille percevait clairement que son père essayait de ramener la conversation sur elle. Il était fort mais, elle, elle était sûre de ce qu'elle savait et de ce qu'elle voulait.
-N'essaie pas de faire dériver la conversation. Je sais très bien ce que tu es réellement. Je suis ta fille, tu peux me faire confiance, je n'irais pas le répéter. Tout ce que je veux te dire, c'est que tu n'es pas le seul à avoir ce genre de secret, et que moi, j'ai vraiment besoin d'aller à Berlin. dit-elle en insistant sur le dernier adverbe.
Pierre pinça les lèvres.
-A Berlin ? Je croyais que c'était en Norvège.
-Il n'y a pas de montagnes à Berlin. expliqua Sarah. Et Louane pense aussi que je pars en compétition.
-Comment as-tu pu...
-Savoir ? compléta Sarah. Je ne peux pas te le dire, ce serait trop long à expliquer et dur à croire mais... aie confiance en moi. Si je vais à Berlin, c'est pour faire des choses bien.
-Tu es beaucoup trop jeune.
-Je suis bien encadrée et j'ai des ressources que tu ne soupçonnes pas. Je ne fais pas le même métier que toi mais ça a le même genre d'importance alors s'il te plaît, convainc maman de me laisser partir à Berlin, enfin, en Norvège.
-Si tu laisse sous-entendre au premier venu ce genre de chose, tu ne tiendras pas longtemps ma fille. Sache que garder un secret de cette ampleur, ce n'est pas une question de confiance mais de sécurité. Et cela demande beaucoup plus de soin que ça.
Sarah prit le temps de respirer avant de répondre. Une grande tension régnait entre le père et la fille. Chacun dosait ses révélations pour atteindre son but. Sarah voulait partir à Berlin. Pierre voulait protéger sa fille et son secret.
-Premièrement, tu n'es pas le premier venu, tu es mon père, j'ai confiance en toi et je sais que je peux te le dire car je connais une information similaire sur toi. Deuxièmement, je te le révèle parce que cela sert mes intérêts. Et troisièmement, moi, contrairement à toi, je ne suis pas tenue à conserver strictement le secret. Ensuite, comme tu l'as si bien dit, je t'ai fait sous-entendre la chose. En réalité, je ne t'ai rien révélé et tu en as deviné seulement une toute petite partie. De toute façon, j'ai demandé à mes... supérieurs et ils ont approuvé mon initiative.
Sarah ne se montrait pas très à l'aise avec le mot "supérieur". Cela ne lui semblait pas le qualificatif le mieux approprié à ses gardiens mais c'était le mot le plus parlant pour son père.
-Bien, je... Je vais essayer de convaincre ta mère. J'espère que tu ne me conduis pas à une grave erreur. En tout cas, fais attention à toi, évite de te mettre en danger. Et retiens-toi quand même de "faire sous-entendre" à tout le monde que tu as un secret. Et bien sûr, ne divulgue pas le mien, pas même à ta mère, ton frère et tes copines et même si tu es en colère contre moi ou je ne sais quoi. Et pas à tes supérieurs non plus.
-Ne t'inquiète pas pour ça, je te le promets. Et merci, de convaincre maman.
-Je ne te promets rien.
-Je sais que tu peux y arriver. Souviens-toi que tu détesterais qu'on te retienne de partir en "reportage".
-Tu me menaces ? s'étonna son père.
Sarah eut un mouvement de recul. Maintenant qu'elle connaissait les capacités physiques de son paternel, elle préférait éviter de le contrarier.
-Non, j'essaie juste de te faire comprendre mon état d'esprit.
Pierre soupira. Il devait donner de son mieux pour convaincre sa femme de laisser partir leur fille. Sarah ne lui avait pas facilité la tâche avec son mensonge incongru. Il lui restait encore des progrès à faire. Pierre se désolait de devoir mentir une énième fois à sa femme. Le secret devenait pénible à garder. Heureusement, il approchait de la retraite. Bientôt, Pierre ne partirait plus en mission mais il entrainerait les jeunes recrues. Si l'adrénaline allait lui manquer, il était heureux de pouvoir rester auprès de sa famille. Cependant, il lui restait encore quelques années avant d'être relevé de ses fonctions de garde du corps.
Pierre sortit du couloir pour rejoindre Solène dans la cuisine. Il dissimula son inquiétude derrière le masque d'impassibilité qu'il avait tant l'habitude de prendre en mission. Cette attitude lui servait à détourner les soupçons sur son véritable rôle et lui avait permis de sauver sa vie ou celle de ses clients plusieurs fois. Pourtant, aujourd'hui, la nature de son inquiétude était tout autre. Sa fille, sa petite princesse, venait de lui révéler qu'elle entretenait un double jeu similaire au sien. Etait-elle garde du corps, espion ou autre chose qu'il ne soupçonnait pas ? Il n'en savait rien. Ce manque de contrôle l'apeurait. Pierre avait déjà entendu parler d'enfants espions. Cependant, il en voulait aux supérieurs de la jeune fille car il estimait Sarah beaucoup trop jeune pour assumer un tel rôle. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si son statut de garde du corps avait motivé le recrutement de sa fille. Comment pouvait-elle connaître la vérité sur son véritable métier autrement que par ses supérieurs ? Peut-être s'était-elle fait piéger par un ennemi rencontré au cours d'une mission ? Que faisait-elle de ses samedis après-midi ? Outre toutes ces questions, Pierre sentait ses entrailles se tordre à l'idée que sa princesse mette sa vie ou sa liberté en danger.
L'homme réprima sa peur et ses questionnements.
-On devrait reparler du voyage de Sarah. lança t'il.
Solène détourna le regard de sa casserole de pâtes et planta ses yeux dans ceux de son mari. Elle se demandait ce qu'il voulait ajouter sur ce voyage. Selon elle, il n'y avait plus rien à dire.
-J'ai contacté ce Thomas et son club. Ils m'ont l'air réglo. Le club m'a expliqué qu'une partie du voyage était pris en charge par leur mécène. Sarah avait raison. Le patron du centre commercial de Cluses a un fils qui skie au club. Il possède plusieurs autres centres dans toute la France et il est plutôt fortuné. Le club fait sa pub car ils gagnent pas mal de compétitions. Lors d'une d'elle, ils ont reçu une bourse qui va leur servir à financer l'autre partie du voyage. Ils emmènent très peu d'élèves. Apparemment, ils ont sélectionné les meilleurs et ils ont ouverts cette sélection à d'autres skieurs pour avoir le plus de chance possible de l'emporter. Ils m'ont informé que ça les embêterait beaucoup que Sarah ne participe pas. Si près du départ, ils ne peuvent pas la remplacer, ni se faire rembourser. Elle aurait dû nous en parler avant bien sûr...
Au fur et à mesure qu'il étoffait son mensonge, Pierre prenait plus d'assurance. Solène l'écoutait patiemment. L'homme la connaissait. Elle n'accepterait pas dès qu'il aurait fini son histoire. Il faudrait débattre, soutenir son point de vue. Ce serait compliqué, surtout qu'il ne savait pas s'il prenait la bonne décision. Cependant, il ne voulait pas décevoir sa fille même s'il n'avait jamais eu aussi peur de sa vie.
***
Hey ! Voici un nouveau chapitre ! J'espère qu'il vous a plu.
Que pensez-vous de cette histoire de voyages ? En le relisant, je me suis dit que ce n'était peut-être pas très réaliste comme réactions... J'attends vos avis !
On est déjà à la moitié de Stackjan, ça passe vite !
J'espère que votre rentrée s'est bien passée ! On se retrouve la semaine prochaine pour l'anniversaire de Sarah !
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