Chapitre 11

Aux yeux de Sarah, les aiguilles de l'horloge avançaient beaucoup trop vite. Il ne lui restait que cinq minutes pour trouver un plan de fuite afin d'éviter la colère de ses gardiens. Elle en avait déjà subi les conséquences toutes la soirée dans son esprit mais elle redoutait bien plus une confrontation directe. Depuis qu'elle était arrivée en retard en français, elle sentait les regards de Thomas peser sur elle.

-Ne pense même pas à fuir ! entendit la jeune fille. Elle n'osait pas se retourner vers le garçon auteur de ce message.

Les secondes continuaient de s'égrener trop rapidement et Sarah réfléchissait toujours au moyen de se soustraire à la leçon de morale qui l'attendait. En voyant qu'il restait moins d'une minute avant que la sonnerie ne retentisse, l'adolescente commença à ranger discrètement ses affaires dans l'espoir de sortir avant tout le monde. Cependant, un regard vers Thomas lui apprit que le garçon avait calqué son comportement sur le sien.

-Cinq, quatre...

Du coin de l'œil, Sarah voyait son gardien, les yeux rivés sur sa montre réglée à l'heure exacte du lycée.

-Trois...

Thomas poursuivait son décompte dans la tête de Sarah.

-Deux, un !

Ce fut un concert de fermetures éclair, de cahiers glissés au fond des sacs et de vestes frottant sur les pulls qui accompagna la cloche. Sarah se leva précipitamment et se dirigea à grands pas en direction de la porte. Malheureusement pour elle, Thomas se trouvait plus proche de la sortie, il l'attrapa par le bras et l'entraîna en-dehors de la classe.

Les deux "amis" disparurent à l'intérieur des toilettes juste avant qu'une foule d'élèves n'envahissent le couloir.

-Putain, mais qu'est-ce que vous faîtes là ? sursauta Sarah en apercevant Mme Henry dans un coin. Vous aviez pas cours ?

-Si, j'ai lâché mes élèves en avance pour pouvoir vous rejoindre en toute discrétion. Je peux me déplacer très, très vite tu sais.

Sarah passa une main dans ses cheveux, signe de son désarroi face à toutes ces choses qu'elle ne savait pas encore.

-Nous ne sommes pas là pour parler de ça. signala Thomas, ce qui arracha un soupir à la jeune fille.

-C'est bon, j'ai compris, je n'aurais pas dû lire les pensées de mon père, je suis désolé. débita t'elle avec l'espoir que ça suffirait pour éviter des énièmes reproches.

Et évidemment, ça ne suffit pas :

-Non, Sarah, tu n'as pas compris. Nous t'avons mis en garde avant que tu passes à l'action, mais tu ne nous a pas écouté,... encore une fois. Ce n'est pas parce qu'on est pas là physiquement que tu peux nous ignorer. Les messages dans ta tête ou les mots qu'on te dit là, maintenant, c'est exactement la même chose.

-Je sais mais vous pouvez comprendre que c'est compliqué pour moi tout ça. J'ai pas l'habitude d'écouter des voix dans ma tête ! s'emporta Sarah. Et puis,... je pensais que vous aviez tort.

-Sache qu'on a jamais tort. affirma Thomas.

-Ca va la modestie ? railla la jeune fille en replaçant une mèche derrière ses oreilles.

-Sarah, nous ne sommes pas humains ! C'est dans notre nature, nous ne pouvons pas avoir tort. On te dictera toujours les bonnes décisions.

La jeune fille soupira : elle ne pouvait se résoudre à considérer les deux personnes devant elle comme des êtres non humains.

-D'accord, mais c'était une simple discussion sur le travail, je lui posais des questions, je pensais que c'était pareil qu'en cours d'anglais. tenta d'expliquer la jeune Stackjan.

-Sauf que tu ne sais pas orienter les pensées des gens donc ça n'avait rien à voir avec ce qu'on fait en cours. S'insinuer comme ça au cœur de l'esprit des gens c'est très irrespectueux. Tu disais toi-même que c'était comme du viol.

Sarah commençait à réaliser ce qu'elle avait fait. Le rôle de ses gardiens lui apparaissait plus clairement : éviter ce genre d'erreurs.

-J'ai compris, je ne le referais plus. lâcha t'elle, sincère. Mais.... vous saviez ?

-Nous attendions le bon moment pour te le dire. confirma Thomas.

-Je n'arrive pas à croire qu'il nous a caché ça pendant tant de temps et que je ne me suis rendu compte de rien.

-C'est le principe d'un secret. La plupart des gens exerçant ce genre de profession meurent sans que quiconque, y compris leur famille, n'ai jamais su leur véritable métier.

Sarah lissait une mèche de ses cheveux. Des tas de questions se bousculaient dans son esprit.

-Mais pourquoi ? Il ne nous fait pas confiance ? C'est horrible de cacher un tel truc à sa femme et ses enfants.

-Ce n'est pas une question de confiance, c'est pour vous protéger, lui comme vous.

Sarah s'appuya contre le lavabo en silence. Elle avait encore du mal à réaliser que son père n'exerçait pas le métier de reporter. D'abord, elle apprenait qu'elle était Stackjan, ensuite que son géniteur mentait sur son véritable emploi. Cela faisait beaucoup, en même pas un mois.

-Mais je ne comprends pas, reprit la jeune fille, les gardes du corps on voit leurs visages à la télé alors pourquoi ça doit rester secret.

-Ton père n'est pas ce genre de garde du corps. Il accompagne les personnes qu'il doit protéger dans des zones à risques notamment des pays instables et non pas au milieu d'une foule d'opposants politiques. Il se fait passer pour un de leur proche, ainsi si quelqu'un veut mener une attaque et arrive à contourner la protection visible, il reste le dernier rempart. Les attaquants ne s'attendent pas à ce que la personne visée ait un frère, un ami, un oncle ou peut importe qui, capable de se défendre et de déjouer leurs plans.

-Ca veut dire qu'il risque sa vie pour les autres ! réalisa Sarah.

-Et c'est très louable. Mais tu sais, les reporters aussi risquent leurs vies parfois.

-Je sais mais je n'ai jamais compris comment on pouvait risquer sa vie pour un bout de papier. Alors que là...

Son cœur se mit à palpiter en imaginant son père mettre hors d'état de nuire des terroristes qui en voudraient à la sécurité d'un de ses clients. Elle l'imaginait mal se battre ou se servir d'une arme. Cette pensée la fit frissonner.

Sarah ne savait pas si elle devait être fière ou inquiète pour son père. Probablement un peu des deux.

-Ne t'inquiètes pas. fit Mme Henry. Son gardien a déjà veillé sur des espions et même un résistant pendant la guerre. Il sait le conseiller au mieux et l'orienter vers les bonnes décisions. Il le protège.

Sarah hocha la tête.

-C'est une technique pour me dire qu'il faut que je vous écoute plus ?

-Peut-être. sourit Thomas. En tout cas, si tu es disposée à nous prêter attention, on peut commencer à t'enseigner comment repérer les bons choix.

-Parce qu'il y a une recette ? Il ne suffit pas de vous obéir ?

-Et bien, ce n'est pas toujours facile alors oui, il y a une sorte de "recette" mais pour l'instant, tu as raison, il te suffit de nous écouter. Cependant, nous ne serons pas toujours là pour te guider...

-On dirait que vous allez mourir... remarqua Sarah.

-On ne peut pas mourir. contredit Thomas. En revanche, quand tu seras prête on partira, mais on est pas encore rendu là.

Sarah ne savait comment elle devait interpréter cette nouvelle. Pourtant, elle n'eut pas le temps d'y réfléchir car la sonnerie retentit.

-On se retrouve dans une heure pendant votre perm pour parler de ça. lança Mme Henry. Et on abordera peut-être aussi le cas des influenceurs.

La jeune Stackjan haussa les sourcils, une mèche de cheveux enroulée autour de son doigt. Qui c'était encore ces gens-là ? Une autre préoccupation, plus urgente, lui vint à l'esprit :

-Comment on sort des toilettes, sans se faire remarquer ?

-Vas-y, sors normalement et ne te préoccupes pas de nous. répondit Thomas.

" Je peux me déplacer très, très vite tu sais." L'étonnement de Sarah revint à la charge alors qu'elle se rappelait de ces paroles prononcées par Mme Henry une dizaine de minutes plus tôt. Quels pouvoirs avaient donc ses gardiens ?

***

Le cours d'anglais était passé vite. La jeune fille s'était entraînée à verrouiller son esprit puis à lire dans les pensées des autres. Elle se lançait avec plus d'appréhension qu'auparavant, de peur de découvrir encore quelque chose qu'elle n'aurait pas dû savoir. Heureusement, tout se passa bien. Cependant, Sarah ne réussissait toujours pas à comprendre comment Mme Henry était parvenue devant la classe avant elle.

-Vous avez permanence juste après ? questionna la prof à une minute de la fin du cours.

Quelques camarades de Sarah acquiescèrent.

-Si deux élèves voudraient bien m'aider, ça m'arrangerait. Qui serait dispo ?

Sarah n'eut pas besoin du message qui disait "lève la main" pour comprendre qu'il s'agissait là d'une excuse. Plusieurs adolescents se proposèrent mais Mme Henry choisit, sans surprise, Thomas et Sarah.

-Les autres vous pouvez sortir.

-On se rejoint devant le self à moins dix ? proposa Mathéo.

Ses amis approuvèrent et le garçon quitta la classe à la suite de ses camarades.

-Bon, je propose qu'on parle des influenceurs. commença Thomas, quand ils se retrouvèrent enfin seuls.

Sarah s'assit sur une table, prête à engranger de nouvelles informations.

-D'accord, dites-moi tout. Qui sont ces influenceurs ?

-Eh bien, les influenceurs, ce sont tout simplement les opposés des gardiens. Ce sont des êtres qui tentent de faire prendre les mauvaises décisions aux humains. Des choix égoïstes, qui blessent les autres et entraînent des conflits. Alors que les gardiens naissent de gestes de paix, d'amour et de pardon, les influenceurs naissent des manifestations de haine et de conflit. Malheureusement, ils sont plus nombreux que les gardiens car ils se multiplient très rapidement en temps de guerre.

-Et chaque humain en a un ? Comme les gardiens ? interrogea Sarah, les doigts entremêlés dans sa chevelure.

-Exactement.

-Alors c'est à cause d'eux que parfois je ne vous écoutes pas.

-Non, désolé, tu ne peux pas tout leur mettre sur le dos car, en tant que Stackjan, tu n'as pas d'influenceurs. révéla Mme Henry.

-Tu as une part d'humanité et donc de liberté. Toutes les actions des humains ne sont pas décidées par leurs influenceurs ou leurs gardiens à tour de rôle : les personnes sont libres de faire ce qu'elles souhaitent. Les gardiens ne distribuent pas les qualités et les influenceurs les défauts donc, ne pas en avoir ne te dispense pas de défauts.

Une moue vexée passa sur le visage de Sarah. Bien sûr qu'elle possédait des défauts, mais se l'entendre dire ne se révélait pas très agréable.

-Ok, mais donc, moi, je suis un peu une erreur d'aiguillage, on m'a mit deux gardiens au lieu d'un gardien et d'un influenceur.

-Euh, c'est un peu plus compliqué que ça. contredit Mme Henry.

-Il pourrait y avoir des erreurs dans l'autre sens, non ? questionna Sarah, en poursuivant son raisonnement. Je veux dire quelqu'un avec deux influenceurs et pas de gardiens.

-Non, c'est impossible. répondit catégoriquement Thomas. Chaque humain a un gardien. En revanche, il est possible que sur une courte durée, une personne se retrouve avec deux influenceurs et un gardien.

-Pourquoi sur une courte durée ?

Thomas prit le temps de s'asseoir lui aussi sur une table avant de répondre.

-Quand une personne meurt, son gardien est aussitôt réaffecté à une personne qui naît. Au contraire, les influenceurs "errent" jusqu'à trouver une nouvelle âme. En général, cela prend très peu de temps mais parfois, quand les influenceurs sont plus nombreux que les humains, ils sont obligés d'errer plus longtemps et arrive à investir l'âme de quelqu'un déjà "habité". Cette personne a donc deux influenceurs, ce qui la pousse à faire des choses horribles. Heureusement, cela ne dure qu'un temps car le gardien de cet humain, aidé par un Féorac, expulse le plus souvent l'intrus.

-Malheureusement, parfois, l'influenceur en question est trop fort et c'est là que les Stackjan interviennent pour arrêter l'humain et le libérer de cet influenceur en trop, souvent par hypnose.

-Donc mon boulot, c'est d'hypnotiser les méchants pour faire sortir un intrus de leur cerveau ? résuma Sarah.

Mme Henry eut un rictus amusé.

-Oui, on peut dire ça comme ça, mais dans la pratique ça s'avère plus compliqué.

-Ok, et donc, les ennemis qu'on doit affronter c'est ça ?

Les yeux dans le vague, Sarah essayait d'imaginer à quoi pouvait ressembler une vie de Stackjan.

-Oui, globalement, c'est ça, arrêter des humains sur le point de déclencher des guerres, faire des attentats, ruiner toute une population,... D'ailleurs, il n'ont pas forcément deux influenceurs, un seul assez puissant suffit. Ce qu'il faut savoir c'est que plus une personne fait de mauvaises actions, plus les messages de son influenceur paraîtront être le bon choix et donc plus il fera de mauvaises choses, etc. Un véritable cercle vicieux. De plus, les influenceurs ne se "réinitialisent" pas entre deux humains donc si la personne précédente était très mauvaise, la suivante aura plus de chance de l'être aussi.

Sarah hocha la tête, signe qu'elle comprenait. Ses yeux suivaient les mouvements de Mme Henry. Ses allers-retours au sein de la classe ponctuaient son explication.

-Il y une dernière sorte de créatures que tu dois connaitre : ce sont les Turdos. En gros, c'est l'équivalent des Féoracs mais en mal. Ils provoquent des catastrophes, notamment les catastrophes naturelles, et ils coordonnent les actions des influenceurs. Leur but premier est clairement de déclencher le plus de guerres possibles.

-Et face à tout ça, j'ai quoi moi ? questionna Sarah, la main dans les cheveux. Elle commençait à s'inquiéter du pouvoir de ces influenceurs.

-Tu peux lire dans les pensées et envoyer des messages télépathiques, comme tu le sais déjà. Nous allons aussi t'apprendre à influencer les gens pour les ramener sur le droit chemin et surtout à repérer les bons choix, comme on te le disait tout à l'heure.

***

Et voilà pour ce chapitre ! Désolé du retard (encore une fois...).

Sarah qui se fait disputer par ses gardiens, les explications sur le métier de son père, puis les influenceurs et les Turdos ? On va de révélation en révélation... J'espère que ce chapitre vous a plu et que vous avez bien tout compris !

J'ai hâte de vous poster le prochain chapitre !

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