Chapitre 10

-So, Tim, what can you tell me about the Amish ?

Sarah tourna la tête vers le garçon. Elle se concentra et laissa un flux d'énergie lui traverser le corps.

*****FLASHBACK*****

-En réalité nos pensées ne sont pas souvent linéaires, ce n'est pas comme les phrases quand on parle.

Sarah hocha la tête pour signifier qu'elle comprenait.

-Tu vas plutôt percevoir des images, des mots, des sensations,... et c'est une partie de ton cerveau, non exploitée par les humains, qui va interpréter tout ça et en faire quelque chose de compréhensible.

La jeune fille passa une main dans ses cheveux en réprimant une grimace. Elle détestait quand Thomas ou Mme Henry parlait des "humains" comme si elle n'en était pas une.

-Ce n'est pas du tout pareil que quand nous on t'envoie des messages, continua son gardien, c'est beaucoup plus... sensoriel, mais on comprend très bien.

-C'est pas un peu comme du viol non, de lire les pensées des autres ? questionna Sarah.

Après tout, les pensées restaient la chose la plus intime d'une personne, plus intimes même que les relations sexuelles. Elle se revoyait en pleurs, recroquevillée sur son lit, paniquée à l'idée que Thomas puisse s'insinuer dans son esprit. Même si il se montrait bienveillant et qu'il n'était pas une vraie personne, elle se faisait encore difficilement à l'idée.

-Tu n'as accès qu'aux pensées immédiates, en surface. répondit le garçon. Tu ne peux pas lire les souvenirs ou toute la partie immergée de "l'iceberg", par exemple l'inconscient,... Cependant, c'est vrai que tu rentres dans l'intimité des gens et c'est pour cela que ce pouvoir n'est confié qu'à des personnes ayant deux gardiens et que tu reçois une formation. Ca permet d'être sûrs qu'on à affaire à des gens qui vont faire le bien. Evidemment, de ton côté, tu ne dois pas abuser de cette capacité. Elle ne doit te servir que sur les missions et pas sur tes amis. Mais ne t'inquiètes pas, tu apprendras, nous sommes là pour ça. Et puis, les Féoracs veillent...

*****FIN DU FLASHBACK*****

Les Féoracs, ces êtres chargés de "préserver" le monde et de coordonner les actions des Stackjans et des gardiens. Sarah savait qu'ils œuvraient en vue du bien à l'échelle mondiale et qu'ils ne s'incarnaient jamais sous forme d'humains, ou de quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. Elle n'appréciait pas trop entendre parler d'eux, ils lui apparaissaient comme des êtres lointains, dont l'existence n'avait rien de tangible. Depuis que Mme Henry lui avait décrit leur rôle, elle gardait l'impression qu'ils la surveillaient, la jugeaient, comme un patron en attente de résultats.

La jeune fille se reconcentra sur Tim, qui réfléchissait à sa réponse. Peu à peu, elle commença à percevoir les pensées du garçon. Elle devina qu'il s'apprêtait à décrire le mode de vie des Amish, ou plutôt à citer toutes les choses du XXIe siècle qu'ils ne faisaient pas. Sarah percevait ses mots juste avant qu'ils ne les disent. Elle comprit que Tim répéterait deux fois le mot "phone", prononcerait en français le mot "élever" et buterait sur quelques verbes en anglais. En se concentrant un peu plus, elle réussit à comprendre qu'il gardait une phrase toute faite dans sa tête pour la sortir à la fin de son explication. Elle rit en captant le sens de cette phrase. Mathéo lui jeta un regard de travers, lui ne voyait rien de drôle au sein de la description des Amish faite par Tim. Trop intrigué par la réaction de Sarah, Mathéo se déconnecta du discours de son camarade et ne comprit pas bien sa dernière phrase :

-When they want to do the fiesta, they took their "charrette" and they go to the library.

Mme Henry sourit, à l'instar de ses élèves.

-Manon, what can you tell me about the Amish's clothes ? questionna la prof, après un remerciement à Tim.

-Oh, non, pas moi. entendit Sarah quand elle se "brancha" sur les pensées de la jeune fille. Pourtant, elle dut se lancer dans un discours en anglais. Sarah décelait les mécanismes qui s'enclenchait à l'intérieur de son cerveau pour chercher les mots.

-Putain, comment on dit "casquette", déjà ? capta la jeune fille pendant que Manon offrait un silence prolongé à la prof.

Dans la tête de Sarah, ça ne ressemblait effectivement pas aux messages clairs de ses gardiens. C'était plutôt comme si les pensées de Manon devenaient les siennes : pas des phrases formulées, plutôt des courants électriques qui lui traversaient l'esprit. Pourtant, elle n'aurait su comment l'expliquer mais elle savait différencier ses propres pensées de celles émises par les autres. C'était.... sensoriel, comme l'avait si bien dit Thomas. Au début, cela se révélait vraiment déroutant de percevoir ainsi les mouvements des esprits de ces camarades et Sarah rompait toujours le contact quand elle recevait un premier "flash". Après une semaine de pratique, la jeune fille commençait néanmoins à s'habituer, elle distinguait de plus en plus de choses, pénétrait au cœur des esprits plus facilement et plus longtemps.

Pendant encore quelques minutes, elle s'entraîna à "lire" ce que les élèves interrogés par Mme Henry avaient dans la tête. Parfois, l'envie de leur souffler la réponse lui prenait mais elle ne savait pas encore faire ça.

-N'oubliez pas de réviser pour le contrôle de lundi. fit la prof en augmentant le volume de sa voix afin de couvrir le bruit de la sonnerie.

Sarah prit son temps pour ramasser ses affaires.

-Je vous rejoins ! lança t'elle à Mathéo. Le garçon hocha la tête et sortit rapidement. Il avait passé les cinq dernières minutes à se tortiller sur sa chaise, dans l'attente de la libération pour pouvoir se précipiter aux toilettes.

Mme Henry ferma la porte à clé derrière le dernier élève et s'approcha de Sarah.

-Tu te débrouilles plutôt bien ! complimenta t'elle. La table grinça quand elle s'assit dessus.

La jeune fille sourit. En effet, elle s'améliorait.

-Je pense qu'on pourrait commencer à te montrer comment verrouiller ton esprit. reprit la femme en se relevant.

-C'est-à-dire.... quémanda Sarah.

-J'y viens, patience. sourit la prof. Elle se dirigeait vers le tableau.

-Pour l'instant, tu es la seule Stackjan des environs. expliqua Thomas, rompant le suspens. En revanche, dans quelques temps, tu seras amenée à rencontrer d'autres personnes comme toi, qui peuvent, eux-aussi, lire les pensées. Normalement, ils ne le font pas contre ton gré et jamais par malveillance mais au cours de certaines missions, il est nécessaire de leur laisser un accès à ton cerveau. Pour être sûre que personne n'accède à ce que tu veux cacher, tu peux verrouiller ton esprit.

Les entrailles de Sarah se serrèrent à l'évocation des missions mais elle préféra se concentrer sur la nouveauté du jour : les autres Stackjans.

-Ce n'est pas très compliqué. reprit Mme Henry, désormais accoudée au tableau, un œil fixé sur le couloir qu'on apercevait à travers la fenêtre en haut de la porte. Tu dois construire une sorte de protection autour de ton esprit pour empêcher qu'un "fil" soit relié entre toi et une autre personne. Tu ne devrais pas trop avoir de mal puisque tu as déjà réussi une ou deux fois à le faire, sans t'en rendre compte.

Sarah chercha à se rappeler ces moments. Cependant, aucun souvenir marquant ne lui vint à l'esprit.

-Vas-y, essayes ! l'encouragea Thomas.

La jeune fille se concentra et essaya de visualiser un mur qui se construirait dans son cerveau. Machinalement, une mèche de cheveux vint s'enrouler autour de son doigt.

-C'est bien, là ? questionna t'elle après une trentaine de secondes.

-Ton mur ressemble plutôt à une feuille de papier. Quelqu'un d'un minimum compétent peut traverser aisément.

Sarah replaça sa mèche de cheveux derrière son oreille et retenta l'expérience.

-Essaye de ressentir comme un flux d'énergie qui traverse ton corps et canalise le pour construire ta protection. Puise au fond de ce que te donne les Féoracs.

L'adolescente avait du mal à imaginer que ces "Féoracs" lui donnaient quoi que ce soit mais elle entreprit au moins de visualiser la première partie des conseils de Thomas. Après plusieurs tentatives infructueuses, elle finit par établir un bouclier qui tenait la route.

-C'est bien, tu peux relâcher maintenant. dit Mme Henry. Ca peut être utile de verrouiller ton esprit mais tu ne dois pas le faire en permanence. Premièrement, parce que c'est important d'avoir confiance. Ensuite, parce que ça mobilise une partie de ton énergie que tu ne peux donc pas utiliser à autre chose. Tu finirais fatiguée, renfermée sur toi-même et cela diminuerait tes capacités. Et puis, un esprit perpétuellement fermé finit par provoquer des pensées noires. Pour finir, tu ne dois pas le faire quand on est "incarnés" car ça nous fera disparaître au bout de quelques minutes.

Sarah acquiesça en relâchant sa protection. Elle comprenait désormais la définition du mot "incarné" : des gardiens qui prenaient forme humaine dans le but de "révéler" aux Stackjans leur vraie nature.

-Il reste quelques minutes. annonça Mme Henry avec un regard pour son téléphone. Je pense que vous pouvez aller en récré. On s'entraînera demain pendant une de vos heures de perm.

***

-Ton père, il était trop drôle, je rigolais bien avec lui.

Sarah fit glisser son assiette dans le bac prévu à cet effet tout en regardant Mathéo. Les deux amis parlaient des blagues sur Mathéo, échangées par Sarah et Christian, quand la jeune fille passait des après-midi entiers chez son meilleur ami. Cette conversation plaisait beaucoup à Sarah. Elle sourit en se remémorant certains échanges qu'elle avait eu avec le père de celui qui était, à l'époque, son petit copain. Pourtant, le garçon ne continua pas sur le sujet :

-Ouais, bah en ce moment à la maison, c'est plus trop la même ambiance.

Sarah respira l'air frais du dehors, bien différent des odeurs de la cantine, avant de tenter :

-C'est parce que je suis plus là pour faire l'animation.

Mathéo souleva les coins de sa bouche mais ils retombèrent aussitôt :

-C'est surtout mon père qui n'est jamais là. Il renvoie tout le temps chier ma mère quand elle essaye de lui parler.

Sarah se tut. Elle connaissait la blessure infligée par un père absent, même si le sien ne se contentait pas de réunions tous les soirs. Mathéo espérait que ça la pousserait à l'écouter et le conseiller, mais c'était raté. La jeune fille refusait d'entendre que ça allait mal dans une famille qu'elle avait autrefois presque considérée comme la sienne. En plus, elle ne serait d'aucune aide.

-Euh, je suis désolé Mathéo mais je vois Tamara là. fit-elle, le menton pointé vers la jeune fille postée à quelque mètres de la sortie du self. Je dois absolument lui dire un truc à propos du club, donc tant que je la croise... Je reviens tout de suite.

-Ne t'enfuis pas, écoutes le ! reçut Sarah. Elle fusilla Thomas du regard. Désormais, elle reconnaissait mieux si les messages émanaient de lui ou de Mme Henry.

La jeune fille ignora l'ordre et continua de se diriger vers Tamara. Avec un peu de concentration, elle réussit à sentir une sorte de force qui ondulait à l'intérieur de son corps. Elle canalisa cette énergie pour la conduire à son esprit et modela une protection afin d'empêcher ses gardiens de l'embêter. Sarah savait qu'elle avait réussi car elle percevait exactement les mêmes sensations que le matin même.

-Bien essayé !

Ce message la surprit, elle se sentait pourtant convaincue d'être parvenue à verrouiller son esprit ! Elle avait dû se tromper...

-Tu as fait une super protection, confirma son gardien, mais tu oublies une chose.

-Quoi ? pensa Sarah. Elle savait qu'il lui suffisait de formuler des mots à l'intérieur de sa tête pour que Thomas les "entende".

-Nous ne sommes pas des Stackjans qui lisent dans tes pensées. Nous sommes tes gardiens ! Tu ne peux pas échapper à ta conscience, Sarah ! se moqua le "garçon". Nous sommes enfermés avec tes pensées. Heureusement, les Féoracs ont maintenus notre apparence, mais tu ferais bien de débloquer ton esprit avant qu'on ne disparaisse.

Sarah relâcha sa protection.

-Ca pourrait être drôle si vous vous évaporiez. remarqua t'elle, mentalement.

-Non, ce ne serait pas du tout drôle. contredit son gardien. Maintenant, écoutes-moi, tu fais demi-tour et tu vas t'intéresser aux problèmes de Mathéo. C'est ton ami et les amis sont faits pour s'écouter. Il a besoin de toi donc tu joues ton rôle.

Sarah soupira. Elle arrivait devant Tamara, elle la salua puis repartit en sens inverse. Elle posa les yeux sur Mathéo, qui parlait avec Louane et Ambre, et le soulagement s'empara d'elle. Elle ne devrait pas jouer le rôle de psychologue, pour cette fois.

***

Quand Sarah entra dans le salon, elle trouva son père assis devant la télé, les traits tirés.

-Tu as passé une bonne journée, ma princesse ? questionna t'il en tournant la tête vers sa fille.

-Oui, ça va et toi ? Tu as bouclé ton reportage ?

Sarah sentait un flux d'énergie bouillonner en elle.

-Ne fais pas ça ! crièrent ses gardiens si bien qu'elle entendit à peine son père raconter qu'il avait commencé à négocier son dossier avec plusieurs journaux.

-Et tu as cherché un nouveau sujet de reportage ? reprit la jeune fille.

-Sarah, c'est irrespectueux et ça n'a rien à voir avec une mission. Tu ne dois pas lire dans les pensées des gens ! reçut-elle.

-C'est une banale conversation sur le travail de mon père. se justifia l'adolescente en pensée.

Elle ignora les avertissements de ses gardiens qui affluaient à son cerveau et laissa sortir son pouvoir.

"Pas de mission en vue mais ça ne saurait tarder." comprit-elle.

Sarah se retint de froncer les sourcils, cela ne correspondait pas du tout à la phrase que son père venait de prononcer :

-Pour l'instant, je vends ce reportage et je fais des petites commandes puis on verra.

-Et t'es resté à la maison aujourd'hui ? poursuivit la jeune fille que cette différence parole/pensée intriguait.

-Euh,... oui.

Sarah n'était pas sûre mais elle avait l'impression que son père pensait à une "base" où il se serait "entraîné toute la journée".

-T'as pas l'air sûr de toi. Tu me caches quelque chose ? plaisanta l'adolescente pour creuser un peu.

Très surprise par les pensées de son père, elle ne cherchait plus qu'à comprendre ces histoires de base et de mission. Pourtant, elle n'aurait sans doute pas dû car elle se révéla incapable de retenir sa surprise devant la réponse mentale de son père. Bien sûr ce n'était pas linéaire, pas formulé, cependant, on pouvait le traduire de cette façon : "Je te cache beaucoup trop de choses ma princesse, à commencer par mon vrai métier. Je ne suis pas reporter, je suis garde du corps".

***
Salut ! J'ai complètement oublié de poster le chapitre ce week-end donc le voici.

Qu'en avez-vous pensé ? On a fait un grand bond n'est-ce pas ?
Avez-vous apprécié la petite séance "lecture dans les pensées" et avez-vous compris l'explication en flashback ? Et la séance d'entraînement à verrouiller son esprit ?
On a aussi découvert l'existence et le rôle des Féoracs.
Que vous inspire Sarah, qui continue a fuir dès qu'elle entend parler d'un problème ?
Et pour finir, le métier caché de Pierre ?

Je vous ai donné de la matière pour commenter, maintenant à vous de jouer ! Pensez à voter aussi si ça vous a plu ;)

A la semaine prochaine !

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