4 ➵ 𝘆𝗼𝘂 𝗰𝗮𝗹𝗹𝗶𝗻𝗴 𝗺𝘆 𝗻𝗮𝗺𝗲 • 𝗴𝗼𝘁𝟳
↻ 𝐼 𝑤𝘩𝑜 𝑚𝑎𝑑𝑒 𝑦𝑜𝑢 𝑐𝑟𝑦
𝐼 𝘩𝑎𝑡𝑒𝑑 𝑚𝑦𝑠𝑒𝑙𝑓
𝑂𝑛𝑙𝑦 𝑙𝑒𝑎𝑣𝑖𝑛𝑔 𝑠𝑐𝑎𝑟𝑠
𝐼 𝑟𝑒𝑠𝑒𝑛𝑡𝑒𝑑 𝑚𝑦 𝑚𝑖𝑠𝑡𝑎𝑘𝑒𝑠
𝑁𝑜𝑤 𝑤𝑖𝑡𝘩𝑜𝑢𝑡 𝑦𝑜𝑢
𝑀𝑦 𝑛𝑎𝑚𝑒 𝑙𝑜𝑠𝑡 𝑖𝑡𝑠 𝑚𝑒𝑎𝑛𝑖𝑛𝑔
𝑃𝑙𝑒𝑎𝑠𝑒 𝑐𝑎𝑙𝑙 𝑖𝑡 𝑎𝑔𝑎𝑖𝑛
𝙙𝙚́𝙘𝙚𝙢𝙗𝙧𝙚 𝟮𝟬𝟮𝟯
𝙩𝙤𝙠𝙮𝙤
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Depuis sa chambre d'hôtel, Minho avait une vue parfaite sur la ville de Tokyo, ou du moins quelques-uns de ses quartiers. Il dominait la plupart des immeubles, lui permettant de bénéficier d'un splendide panorama, qui aurait d'ailleurs fait de très belles photos.
Ce n'était pas vraiment pour lui plaire : il avait le vertige, et rien que de jeter un œil à la grande baie vitré qui ornait tout le pan de mur, il se sentait mal. Mais il n'avait pas vraiment réfléchi à ça en téléphonant pour sa réservation, tout préoccupé qu'il était par les répercussions que sa visite surprise allait occasionner. Pour faire simple, disons qu'après avoir reçu la lettre, savoir où il allait être logé était le cadet de ses soucis. Il avait donc choisi un hôtel pas trop cher, un peu au hasard, parmi ceux près de son ancien lycée. Il avait accepté la première chambre qu'on lui proposait, sans s'assurer qu'elle soit parmi les plus bas étages comme il le faisait d'ordinaire. Résultat, il était arrivé à plus de trois heures de matin ici, les yeux cernés de fatigue, tout ça pour découvrir avec horreur une vue vertigineuse de la ville endormie. Le pire, c'est qu'il n'y avait aucun rideau, aucun volet pour cacher ça. Et ce n'était pas leur seul problème créé par leur absence : comment faisaient les gens de la ville pour ne pas se réveiller au premier rayon du soleil ? Malgré toute sa bonne volonté, une fois que la lumière s'était déposée sur ses paupières de bon matin, il n'avait pas été capable de se rendormir.
C'était pourquoi il était levé aussi tôt (enfin, huit heures, mais c'était tôt à ses yeux), une tasse de café à la main et un air maussade sur la figure, assis sur son lit et regardant sa fenêtre d'un air méfiant comme si elle pouvait disparaître d'un coup et le projeter dans le vide. Il avait conscience que sa peur était déraisonnée, mais c'était plus fort que lui : dès qu'il se trouvait en hauteur, il sentait son cœur s'accélérer et des frissons parcourir sa colonne vertébrale. Il avait cette peur depuis tout petit : il se rappelait des gémissements qu'il poussait dès qu'ils allaient rendre visite à son cousin, qui habitait au dernier étage d'un immeuble. À l'époque, il ne savait même pas trop ce qui l'effrayait à ce point, et sa mère pensait que c'était le chat empaillé dans leur hall d'entrée qui lui faisait peur. La moindre sortie scolaire tenait de l'épreuve de force, quand ils avaient à faire des randonnées en montagne ou d'autres réjouissances du même style, qui le laissaient anxieux des jours après. Au début, ce n'était pas très prononcé, et à vrai dire ça ne le perturbait pas plus que ça, puisqu'il habitait à la campagne et n'était pas confronté à des hauteurs tous les jours. Ça aurait même pu être un problème anodin, comme la phobie des araignées ou celle des espaces clos, mais à partir du moment où son père s'en était rendu compte, la vie de Minho était devenue un enfer. Ce dernier était souvent occupé par son travail, mais quand il était venu avec sa famille pour la première fois chez son beau-frère, et qu'il avait aperçu son fils s'écarter craintivement de la vitre, il avait commencé à en faire une affaire personnelle.
Lee Hae-seong n'était pas ce qu'on pourrait appeler une personne compatissante. Il avait une vision de ce que devait être un homme, et avoir le vertige n'en faisait pas parti. Pour lui, les êtres masculins devaient paraître forts en toutes circonstances, et combattre ce qui les affaiblissait. Il lui importait peu de voir son fils réussir à l'école, s'épanouir et être respectueux : tant qu'il subsistait ce problème, cette peur incontrôlée qui le prenait dès qu'il était un peu trop haut, il le considérait comme incomplet, un produit défectueux qu'il faudrait améliorer. Il s'était donc mis en tête de le confronter à sa peur jusqu'à ce qu'il ne l'ait plus. Jour après jour, sur son peu de temps libre, il proposait innocemment à Minho de sortir faire une promenade, et il l'emmenait sur les collines alentours, le forçait à se pencher par-dessus les barrières pour bien se rendre compte de la distance qui les séparait du sol. Minho, qui n'avait aucune idée de ce qu'il se tramait dans la tête de son père, commençait à appréhender ces sorties, mais il n'osait rien dire de peur de contrarier Hae-seong, qui appréciait peu qu'on lui tienne tête. C'était si rare qu'ils passent du temps ensemble : il se répétait qu'il fallait qu'il en profite, que son père était heureux de partager ces moments avec lui et qu'il ne fallait pas qu'il gâche tout avec cette stupide peur. Mais plus le temps passait et plus ces sorties familiales prenaient dans l'esprit de Minho un côté terrifiant. Il fit plusieurs fois mine d'être malade pour en pas avoir à y aller, et il se sentait coupable après coup, persuadé que ce qu'il faisait était mal. Il ne se rendait pas compte du comportement de son père : il se blâmait, lui seul, d'être aussi froussard et aussi lâche.
Cette pratique eut de plus l'effet inverse sur lui : au lieu de s'habituer au vide, il en vint à le craindre encore plus, associant les hauteurs au regard dur de son père et au stress qui l'envahissait quand il entendait : « Minho, ça te dirait d'aller se balader ? ». Ce n'est que bien des années plus tard, avec du recul, qu'il avait réalisé à quel point son père avait agi de façon toxique pour lui, en le contraignant à vivre une situation qu'il détestait en toute connaissance de cause. Sa méthode n'était peut-être pas foncièrement mauvaise, parfois s'habituer à quelque chose permet de ne plus en avoir peur, mais le cacher et agir comme si de rien n'était, c'était abject, tout comme voir son fils souffrir et contribuer à cette souffrance sous prétexte que c'était faible d'avoir peur.
Encore aujourd'hui, malgré ses vingt-quatre ans, il repensait à ces promenades comme on repense à un prof sadique : un petit bout d'enfance qui restera à jamais teinté de noirceur, un petit bout d'innocence qu'on a violemment arraché pour ensuite le piétiner. Le genre de souvenir qui perdure et qui finit par survivre aux bons moments. Même s'il avait rarement l'occasion de se trouver dans des espaces en hauteurs, il lui était impossible d'oublier tout ce qu'il avait eu à subir à cause de ce stupide vertige. Le vide l'effrayait comme il le fascinait, c'était amusant comme ces deux sentiments allaient souvent de pair.
Il finit par détacher ses yeux de la baie vitrée pour regarder l'heure sur son téléphone portable. À peine huit heures et quart. Il sentait s'accumuler sous les yeux les heures passées debout au lieu de dormir. Il n'avait pas encore osé jeter un œil au miroir de la salle de bain, mais il n'avait aucun doute sur ce qu'il allait y trouver : un regard vide, un visage défraîchi, des lèvres desséchées, une fleur fanée version humain. Ce n'était pas ce qui le préoccupait le plus pour l'instant : il avait des soucis plus importants à régler avant, comme se mettre d'accord avec lui-même sur les sentiments qu'il éprouvait à l'égard de Han Jisung. Certes, il n'avait pas l'intention d'arriver à la salle en ressemblant à un cadavre, mais il savait qu'il n'arriverait à rien tant qu'il n'aurait pas établi une ligne de conduite stricte à respecter.
Sauf que pour ça, il allait falloir qu'il se montre honnête avec lui-même, ce qui n'était pas vraiment sa spécialité. Son truc, c'était plutôt de faire l'autruche face aux problèmes en espérant qu'ils se résolvent tout seul, ce qui jusque-là n'avait pas vraiment fait ses preuves. La preuve, en tentant de refouler pendant cinq ans ce qu'il ressentait à propos de ces anciens camarades de lycée, il s'était juste voilé la face, tout ça pour que ça finisse par lui rejaillir dessus avec la même intensité qu'au début. Mettre de côté les choses gênantes dans un petit tiroir de mémoire n'était jamais la bonne solution, même si c'était celle qu'il adoptait à chaque fois : mieux valait les affronter directement.
Il grimaça en constatant qu'il réfléchissait comme son père. Si celui-ci était au courant que son fils était terrifié à l'idée d'entrer dans un stupide lycée pour une stupide réunion d'élèves, tout ça parce qu'il allait y recroiser des vieilles connaissances !
Car oui, Minho était terrifié. C'est la première fois qu'il se l'avouait réellement, et ce n'était pas du tout satisfaisant. Jusque-là, il avait joué un rôle, il s'était lui-même convaincu qu'il n'était pas affecté par cette histoire, il avait tenté jusqu'au bout de nier la vérité, parce qu'il savait qu'elle lui ferait du mal. Mais face à cette fichue fenêtre beaucoup trop grande, toujours en pyjama, la tasse encore fumante dans ses mains, il se prenait en pleine face cette constatation. Il avait peur, extrêmement peur d'y aller. Tant pis pour la figure implacable de l'homme que rien n'atteint, ce n'était pas encore aujourd'hui que son père serait fier de lui. Il se sentait tellement faible d'être ainsi, stressé à l'idée de retrouver des personnes qu'il était supposé aimer. Ce serait dur. Il ne savait pas s'il serait capable de supporter ce qu'il allait voir dans les yeux de Jisung quand il allait s'apercevoir de sa présence. Il savait qu'il ne méritait que le rejet, et pourtant l'idée que ce dernier n'éprouve qu'un dégoût usé à son égard était déchirant. Il ne pouvait pas imaginer pire scénario que de trouver quelqu'un qui avait compté pour lui autrefois, vide des émotions qu'il ressentait. Mais ce n'est pas comme s'il allait l'accueillir à bras ouvert ! « Oh tiens, Minho, ça fait longtemps, comment tu vas depuis que tu nous as lâchement abandonné ? ». Jisung pouvait être l'humain le plus adorable du monde, mais il y avait des choses qu'il ne pardonnait pas, et il savait être rancunier quand il le voulait. Il avait mis plusieurs mois avant de s'entendre avec Hyunjin, parce que ce dernier n'était pas d'accord avec lui sur plusieurs points et il ne le supportait pas.
Il posa sa tasse pour se prendre la tête entre ses mains. Il avait l'impression qu'elle allait exploser. La fatigue n'arrangeait rien, et le moindre son semblait résonner à l'infini dans son cerveau. Ses fichues insomnies, il avait fini par s'y habituer, mais aujourd'hui, il ne se sentait pas d'affronter la journée avec aussi peu d'heures de sommeil. Techniquement, il aurait encore pu prendre du repos, mais il savait que c'était peine perdue, il n'y avait aucun moyen qu'il s'endorme avec autant de pensées qui lui tournaient dans la tête. Y avait-il la moindre chance qu'il soit pardonné ? Qu'il s'explique, qu'on comprenne pourquoi il avait agi de cette façon ? Il ne savait même pas s'il pouvait leur donner la vérité, elle était trop dure à sortir, et c'était un coin de sa mémoire où il ne préférait pas s'aventurer.
Il avait peur ; et il ressentait aussi un vague sentiment d'impatience et d'attente mêlée d'espoir, comme si après cinq ans sans Jisung, il ne pouvait pas passer les trois prochaines heures sans lui. Il aurait dû être sevré depuis le temps, mais il avait besoin de le revoir comme un enfant a besoin de son doudou pour dormir. Un besoin impératif, qui lui faisait l'effet d'un trou au milieu de sa poitrine. Pendant une période de sa vie, c'était bien le rôle que Jisung avait tenu, celui d'un doudou, rassurant et réconfortant quand Minho avait le plus besoin de lui. Il n'avait jamais failli à sa tâche, restant à ses côtés quand il semblait que personne d'autre n'allait le faire. C'était stupide parfois, leurs conversations n'avaient aucun sens, leurs interactions étaient légères, peu sérieuses, mais elles apaisaient Minho avec une efficacité inégalée. Il suffisait que Jisung lui parle pour qu'il cesse de se tourmenter l'esprit. L'effet que le jeune homme avait sur lui était saisissant, une vraie drogue. Visiblement, même des années après, il était prêt à replonger dedans à tout moment. Et maintenant qu'il avait ouvert les vannes de ces souvenirs, ces derniers ne cessaient d'affluer. Et plus il se remémorait Jisung, plus le manque lui creusait le cœur, abattant ses défenses jusqu'à le laisser démuni, sans plus aucune carapace pour retenir sa peine.
La voix de Jisung lui manquait. Il savait la moduler à sa convenance, rapper, chanter, le tout avec un talent indéniable. Parfois, quand Minho sentait que le poids sur son cœur était trop gros, il lui fredonnait une ballade aux inflexions douces, et elle agissait comme un baume sur ses blessures. Quand ils faisaient les idiots avec le reste du groupe, il pouvait faire des concours de qui rappait le plus rapidement face à Changbin (et la plupart du temps, il perdait, mais Minho était toujours son premier supporter). À l'époque, il écrivait des textes et rêvait de faire de la musique son métier. Avait-il réussi au final ? Il avait le talent pour. Mais malgré tout, ce n'était pas uniquement pour ça que Minho supportait mal de ne plus l'entendre. Il y avait une raison moins avouable. Sa voix, quand ils n'étaient plus que tous les deux, prenait une intonation différente, plus rauque, plus vulnérable, comme s'il se défaisait des barrières de la journée, ne laissant que l'essence même de ce que produisaient ses cordes vocales. Et quand il prononçait le nom de Minho au creux de son oreille, à chaque fois c'était comme si un millier de frissons parcouraient son corps en même temps, son cœur électrisé par toute la tendresse et l'amour qu'il insufflait à son prénom.
L'odeur de Jisung lui manquait. C'était une odeur reconnaissable, celle de son shampoing, qui restait flotter autour de lui une journée entière après qu'il ait pris sa douche. Encore aujourd'hui, quand il interceptait une odeur semblable sur un passant, il ne pouvait s'empêcher de sentir son cœur battre un petit peu plus fort. Minho adorait se coller contre lui quand il venait de se laver les cheveux, et il pouvait répéter pendant des heures à quelle point cette odeur était addictive. C'était celle que des milliers de personnes devaient porter, compte tenu de la marque célèbre qui la produisait, mais pour Minho, elle resterait à jamais l'odeur de Jisung, celle qui l'apaisait, celle dont il aurait voulu s'enivrer sans cesse.
Son corps lui manquait. Quand ils étaient ensemble, c'est comme s'ils ne supportaient pas d'être à plus de quelques centimètres l'un de l'autre, et à force d'être blotti contre lui tous les jours, il en était venu à connaître par cœur les courbes de son corps, sa corpulence, l'emplacement de ses taches de naissance. Il le serrait dans ses bras si souvent que des mois après avoir quitté la ville, il aurait pu encore sentir le fantôme de son étreinte. Ça avait été dur, de ne plus avoir son corps à proximité, alors qu'il avait pris l'habitude de se réfugier dans ses bras au moindre souci, ou au contraire à la moindre nouvelle enthousiasmante. Caresser sa peau lui manquait, il aurait voulu le toucher encore, parcourir de la main cette texture douce et familière.
Son sourire, oh, son sourire était l'absence la plus difficile à supporter. Il pouvait avoir l'air si stupide, et si rayonnant à la fois. Cet homme était un mystère, pour réussir à conjuguer ces deux états avec tant de talent. Avec ses petites joues rondes, que Minho adorait tapoter pour se venger, ou juste pour s'amuser. Il ressemblait à un écureuil, un petit animal mignon qu'on aurait envie de protéger. Dès que Minho posait les yeux sur lui, tellement d'amour lui remplissait le cœur qu'il aurait pu jurer de tuer le premier qui lui ferait du mal. En fin de compte, c'est nul autre que lui qui l'avait fait souffrir au-delà du raisonnable.
Il se haïssait quand il y pensait. Il avait fait souffrir la personne qu'il aimait le plus au monde, celle qu'il voulait défendre envers et contre tous, celle pour qui il aurait été prêt à tout. Il était coupable, et le savoir lui était insupportable. Il imaginait Jisung pleurer, et il avait envie de se faire du mal. Il méritait qu'on lui brise le cœur à lui aussi, il méritait qu'on lui fasse miroiter la lune puis qu'on le laisse seul sur le bord de la route. Il avait enfoui ses remords sous des couches de pensées, mais ils n'avaient jamais complètement disparu, et il savait qu'il ne pourrait jamais se pardonner ce qu'il avait fait, que même dans l'hypothèse improbable où Jisung ne lui en voudrait plus, il ne pourrait pas supporter de se tenir à ses côtés comme si de rien n'était. S'il venait à cette réunion, c'était aussi pour se punir : il allait voir Jisung heureux, et cette vue lui serait aussi bénéfique que destructrice. Il constaterait par lui-même qu'il n'avait pas besoin de lui pour être heureux, et il repartirait chez lui, plus que jamais conscient des deux cœurs qu'il avait réduit en miettes. C'était la seule issue possible pour lui : il n'avait pas droit à sa fin heureuse, pas après ses actions. Et il était prêt à l'accepter. Il allait être déchiré, mais ce ne serait que justice. La vie continuerait. Une fois qu'il aurait définitivement la confirmation que leur relation ne serait plus jamais la même, il pourrait enfin faire son deuil et passer à autre chose, puisque visiblement se contenter d'éviter d'y penser n'avait pas fonctionné durablement. Il aurait pu le faire bien avant, puisque qu'il savait que même si c'était possible, il ne se remettrait pas avec lui compte tenu de la culpabilité qui le rongeait. Mais son esprit était têtu : une part de lui-même refusait de s'avouer vaincu, une part égoïste qui s'imaginait que tout pourrait redevenir comme avant. Il fallait qu'il voie la réalité en face, qu'il voit le rejet dans les yeux de Jisung, et alors seulement là, il pourrait tourner la page pour toujours. D'ici ce soir, tout serait terminé.
Minho se leva pour se diriger dans la salle de bains. Il avait une tête à faire peur. Et malgré toute sa réflexion, il avait le cœur aussi lourd qu'en se réveillant. Il venait enfin de formuler clairement ses intentions, alors pourquoi n'était-il pas soulagé d'avoir réussi à se mettre d'accord avec lui-même ? Parce qu'il était triste que les choses tournent ainsi ? Sa souffrance à lui ne devait pas entrer dans l'équation, il n'avait pas le droit de se poser en victime après tout ce qu'il avait fait, ou pas fait. Il ne devait pas tout ramener à lui, c'était à Jisung et à Jisung seul de décider de son sort. Peut-être, s'il était conciliant, se quitteraient-ils amis. La moindre chose qu'il puisse faire, c'était d'attendre de voir le sort qui lui serait réservé.
Il commença à se préparer, avec les gestes lents d'une tortue. Il avait ramené tout un nécessaire de crèmes et de produits de beauté qui encombraient son sac, il avait intérêt à rentabiliser la place qu'ils prenaient. Il soupira, et commença à couvrir les cernes qui s'étalaient sous ses yeux. Il mentirait s'il disait qu'il ne voulait pas paraître au mieux de sa forme, au fond de lui il espérait peut-être encore éveiller chez Jisung un désir qu'il avait autrefois ressenti à son égard. Pour ça, il avait honte de le dire, mais il savait très bien comment mettre en avant ses atouts. Il avait choisi une chemise blanche, un jean slim noir et des chaussures Timberland, un assortiment dans lequel il savait qu'il attirait les regards. Il voulait plaire, oui, mais le cœur n'y était pas. Il n'y avait aucune issue possible à leur rencontre qui lui plairait, il aurait beau être l'homme le plus sexy du monde, ça ne suffirait pas à recouvrir de vernis leur relation écaillée par le temps et les non-dits.
Malgré tout, il s'apprêta du mieux qu'il put, se répétant mentalement que ce n'était pas grand-chose, qu'il lui suffirait de sourire et de hocher la tête, et que rien ne pouvait aller mal puisqu'il s'était déjà préparé à toutes les éventualités, même les pires. Il sentait son cœur s'emballer, il stressait de plus en plus au fur et à mesure que les minutes avançaient. Il aurait été bien incapable de formuler la moindre pensée cohérente tant son esprit était préoccupé par ce qui n'allait pas tarder à arriver. Pour se calmer, il ferma les yeux et pensa à la neige, à la pureté du paysage qu'il avait vu cette nuit, au silence. Il se rappelait qu'il avait voulu figer ce moment dans le temps : il voulait maintenant plus que jamais se réfugier dans cette bulle qui semblait échapper à toutes les règles de la société. Il avait besoin de cette plénitude, besoin de quelque chose d'à la fois éphémère et permanent, parce que c'était ça la vie, c'était des moments courts qui laissaient des impressions pour une éternité entière. Il avait besoin de le voir pour garder ça à l'esprit.
Petit, il ne rêvait que de venir étudier dans une grande ville. Maintenant, il aurait tout donné pour retrouver la paix et l'immobilité de sa campagne natale. Il n'était pas fait pour ce monde fourmillant, pour ces plaisirs rapides et cette société qui vivait à cent à l'heure. Il appréciait que les choses soient posées, réfléchies. Il avait l'impression qu'ici, rien n'avait plus de valeur qu'une illusion. On s'aimait pour une nuit, on se souriait pour une journée, et le jour d'après on était passé à autre chose. Tout le contraire de ce qu'il recherchait. Il aimait la brièveté de l'existence des flocons de neige, certes, mais pas quand elle s'appliquait à des émotions qui requéraient bien plus qu'une simple douzaine d'heures pour s'épanouir. La ville n'imprimait pas son âme comme le faisait la neige : elle lui semblait étrangère, changeant trop vite pour qu'on s'y attache durablement. Un paysage enneigé, lui, était constant, il restait l'habiter, il pouvait y repenser comme on s'enveloppe d'une couverture bien douillette.
Lui avait besoin de plus de temps que ce que pouvait lui offrir la ville, il aimait construire des choses durables, que ce soit des relations amicales, amoureuses, ou même un environnement de travail. Il ne voyait pas le changement d'un bon œil, et il avait besoin de temps pour s'acclimater. Il mettait du temps avant d'accorder sa confiance, même à ceux dont il pressentait au premier regard les qualités. Son groupe d'amis du lycée, composé de huit membres, il les avait rencontrés dès le premier jour, mais même s'il avait su dès lors qu'il avait trouvé des personnes en lesquelles il pouvait croire, il ne s'était pas pour autant senti à l'aise tout de suite à leurs côtés. Ça, c'est parce qu'en plus d'être naturellement méfiant, il était timide et ne se laissait pas aller facilement. Mais jour après jour, il s'était autorisé à les accepter dans sa vie, et il ne l'avait jamais regretté. Il avait l'impression d'avoir passé à leurs côtés les plus beaux moments de sa vie, même si maintenant cette vie ne lui apparaissait que déformée par le temps. Il n'avait pas été qu'une coquille vide pendant ces cinq ans : il avait ri, avait trouvé d'autres amis, d'autres gens sur qui compter quand il n'allait pas bien. Mais il lui manquait quand même quelque chose au fond de lui. La séparation avait été trop brutale pour qu'il puisse s'habituer à leur absence.
Il songea un instant à tout ce qu'il avait laissé derrière lui pour venir ici. Sa mère l'avait laissé partir à contrecœur, inquiète qu'il se fasse du mal en choisissant de venir. Là-bas, où ils habitaient, elle avait toujours besoin de sa présence pour supporter les journées. En un sens, il était content d'échapper un peu au carcan dans lequel elle l'enfermait bien malgré elle. Depuis quelques années, depuis l'incident, elle avait du mal à vivre seule, et Minho le savait parfaitement, il voulait être là pour elle, mais d'un côté, il se sentait libre en ayant choisi de venir ici, il échappait à son amour qui l'étouffait.
Les heures s'écoulèrent lentement jusqu'à ce qu'il ne puisse plus retarder l'inévitable, et qu'il finisse par sortir de sa chambre à la vitesse d'un paresseux, un air morose sur le visage. Il jeta un dernier regard au lit, qu'il avait laissé défait. La prochaine fois qu'il rentrerait dans cette chambre, tout aurait changé dans sa vie. Il tournerait à nouveau la clé dans cette même serrure, mais son état d'esprit serait différent. Ramènerait-il Jisung avec lui ? Il secoua la tête. Il fallait qu'il cesse de laisser son imagination galoper, ce n'était pas bien pour lui. Il rentrerait seul, et s'endormirait, puis il reprendrait le train le lendemain matin, et rentrerait auprès de sa mère.
Il était décidé à s'en tenir à ce plan. Il avait la volonté de le suivre, il ne pouvait pas avoir mieux. Qu'est-ce qui pouvait bien tourner mal, après tout ?
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