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Bakugo était en retard.

Courant plus que marchant dans les couloirs de son agence, il intimait d'un seul regard à tous les êtres vivants croisant son chemin de s'écarter du passage, et s'il en jugeait par l'interne qui sauta dans le placard à balais pour libérer la voie, son aura devait être particulièrement meurtrière.

Il fallait dire que l'entièreté de la situation frôlait le non-sens. Déjà, il n'était jamais en retard pour quoi que ce soit. Ensuite, son designer de costume venait de l'appeler quinze minutes plus tôt pour lui demander un entretien à propos de la clause du contrat qui stipulait que le héros bénéficiant de ses services pourrait être appelé à devenir égérie temporaire le temps de promouvoir l'entreprise. Qui prévenait ainsi un héros professionnel, qui plus est le numéro cinq du Japon ? Il avait autre chose à foutre de son après-midi que de poser devant un photographe !

Cependant s'il y avait bien autre chose que Katsuki ne faisait jamais, c'était se défiler. Il pouvait comprendre qu'on le lui demande maintenant, alors que sa popularité ne faisait que grandir et que son image amènerait beaucoup de clientèle, mais sérieusement il savait choisir ses moments l'autre pignouf ! C'était son tour de patrouiller dans trois heures, la séance allait avoir intérêt à être rapide.

En hâte il quitta son agence et s'engouffra dans le métro, encore en costume, ce qui lui valut plusieurs regards en coin pas discrets et trois demandes d'autographe qu'il donna par devoir plus que par plaisir.

Quand arrivé sur place on le guida dans le bureau de son styliste, le jeune homme se sentait à deux doigts de faire demi-tour par pur esprit de contradiction. Mais une fois qu'il eut passé la porte, plus de retour en arrière possible, et il salua avec réticence le secrétaire qui l'accueillait, le suivant en grognant, fatigué d'avance.

Koizumi était un homme approchant la quarantaine, de taille moyenne, dont le visage avenant ne laissait pas deviner l'esprit froid et calculateur qui l'habitait. D'ordinaire c'était une des qualités qu'appréciait Bakugo, et originellement ce pourquoi il l'avait choisi comme designer : avec lui, on pouvait sérieusement parler business sans se perdre en futilités. En revanche sur l'instant, il se maudit d'avoir jeté son dévolu sur une personne aussi intelligente, puisqu'il serait le premier à utiliser un héros issu de la dernière grande promotion de U.A pour sa marque, et que les autres concepteurs de costumes n'avaient même pas commencé à y penser.

Katsuki fut invité à s'asseoir, et le quarantenaire s'excusa du délai scandaleusement court dans lequel on l'avait prévenu, le remerciant de s'être libéré pour l'occasion. Alors que le blond feuilletait son contrat en notant mentalement ce à quoi ce dernier l'obligeait et ce qu'il pouvait refuser, la porte du bureau s'ouvrit violemment, frappant le mur dans un vacarme assourdissant. Sur le seuil apparut nulle autre qu'Uravity, également en costume, et à bout de souffle. Avant que Koizumi n'ait pu parler, Bakugo, pris par surprise –et peinant à calmer ses palpitations suite à la frayeur causée, s'exclamait déjà :

— Bordel Uraraka, frapper aux portes tu connais ? hurla t-il plus qu'il ne demanda, et c'est seulement là que la jeune femme le vit, son expression changeant brusquement passant de paniquée à totalement confuse.

— Dynamight ? Mais qu'est ce que tu fiches ici ? lâcha t-elle, scandalisée, un peu agacée de la crise cardiaque qu'entendre sa voix quand elle n'avait pas remarqué sa présence venait sûrement de provoquer.

Ils continuèrent à se demander des comptes de manière plutôt passive-aggressive, cherchant à justifier leur présence dans les pattes l'un de l'autre sans penser un seul instant au fait qu'ils ignoraient la raison pour laquelle ils se trouvaient tous deux dans cette pièce, ce dernier essayant d'en placer une sans y parvenir.

Ce fut seulement après qu'ils arrivèrent à court d'arguments et que la brune, personne ne savait trop comment, se soit retrouvée avec un exemplaire de son propre contrat dans les mains, assise face à Koizumi, que ce dernier eut enfin l'occasion de prendre la parole.

Il expliqua qu'il leur demandait tous deux d'honorer leur partie du marché en acceptant quelques photos dans sa nouvelle collection de gadgets, ainsi qu'un court documentaire ventant les mérites de sa marque et à quel point leurs costumes respectifs les avaient aidé à accéder si jeunes aux places qu'ils occupaient à présent dans le classement héroïque. Il ajouta après les avoir regardé un instant avec méfiance qu'il espérait qu'ils s'entendaient bien parce qu'ils devraient travailler en étroite collaboration avec ses équipes pour quelques semaines.

La menace à peine voilée suggérait peu subtilement qu'ils travaillent sur cette mauvaise habitude qu'ils semblaient avoir de toujours réagir avec exubérance en présence l'un de l'autre.

En bref, ils quittèrent l'entrevue avec une séance d'essayages ajoutée à leurs calendriers déjà bien chargés pour la semaine qui venait, les oreilles sifflant des multiples précisions apportées par leur designer commun, et n'osant se regarder car ni l'un ni l'autre ne savait trop quoi dire.

Ils avaient travaillé ensemble, bien sûr, sur des missions variées allant de l'organisation d'un gala à la mise hors d'état de nuire d'un vilain, mais ceci semblait dépasser leurs compétences professionnelles et empiéter légèrement sur leurs vies privées, les laissant sans aucune idée de comment réagir. Il fallait dire que le matin même ils n'avaient pas eu à l'idée qu'ils allaient se retrouver à devoir poser ensemble pour les pages d'un magasine, et que digérer tout cela en quelques minutes s'avérait compliqué.

Une chose était restée claire dans leurs esprits cependant : s'ils pouvaient se considérer bons partenaires sur le terrain grâce à leur passé à U.A et collègues occasionnels de beuverie à cause de leurs amis communs, ils avaient intérêt à se trouver mutuellement d'autres qualités puisqu'ils seraient forcés de se côtoyer pour quelques temps. Autant rendre l'expérience moins pénible qu'elle ne l'était déjà.

Naturellement, Bakugo, toujours rapide à calculer les avantages et inconvénients, parvint à cette conclusion le premier. Regardant l'heure distraitement et réalisant qu'il devait se trouver dans son secteur de patrouille d'ici une quinzaine de minutes, le blond lâcha alors qu'ils sortaient du bâtiment :

— Demain midi, America-mura, on mange ensemble, proposa t-il sans vraiment laisser de place au refus, et les sourcils d'Ochako se levèrent si haut qu'ils disparurent sous sa frange.

Mais elle compris qu'il lui tendait la main maladroitement pour enterrer cette étrange rivalité entre eux. Nourrie par leurs esprits de compétition naturellement fort, construite sur des années de taquineries et de soirées ennuyeuses trop arrosées -vraiment, il fallait qu'ils se calment sur l'alcool lors des fêtes : leur relation, ainsi continuée, allait les mener droit au désastre s'ils devaient travailler de concert sur une longue période de temps.

— D'accord, accepta donc la jeune femme avec pour fol objectif en tête d'essayer de faire ami-ami avec Katsuki Bakugo, plus qu'éberluée de voir une intention similaire à la sienne reflétée dans l'attitude du blond. Mais on mange oden ! ne put-elle résister à ajouter, un sourire espiègle se dessinant sur ses lèvres tandis que les sourcils de son partenaire temporaire se fronçaient.

— ... Peu importe, soit à l'heure Cheeks, finit-il par trancher avec une pointe d'amusement, avant de se diriger vers le métro pour ne pas être deux fois en retard dans la même journée.

-•-•-•-

Le quartier bourdonnait de vie et Katsuki regretta presque instantanément sa décision de la veille alors qu'il se frayait un passage entre les civils. Valise contenant son costume à la main, il avait pris soin de revêtir des habits ordinaires dans des teintes ternes qui n'attiraient pas l'attention, mais ses chaussures à semelle rouge étaient peut-être trop reconnaissables puisqu'il remarqua plusieurs téléphones pointés vers lui. Il ôta donc ses lunettes de soleil, visiblement inutiles, et soupira intérieurement. Oh, les malentendus qui allaient circuler si Uravity se faisait reconnaître elle aussi ! Il sentait déjà les ennuis d'ici.

Il fallait dire que leur dernière brillante idée -acheter des pizzas, totalement ivres, et les manger en tête à tête, quelques mois auparavant, avait déjà mis en émoi tous les blogs people quand une photo prise par le pizzaïolo s'était mise à circuler sur le net. Vraiment, on ne les avait pas prévenus à U.A du danger des rumeurs. Un cours sur comment les faire taire aurait été bien utile, ou tout du moins aurait évité à Bakugo de devoir engager quelqu'un pour gérer son image médiatique, devenue bien trop romantique à son goût.

Il était l'un des derniers héros dont le rôle était exclusivement de s'occuper des criminels après tout, sa présence seule se devait d'imposer le respect. On ne pouvait pas risquer qu'on le pense diminué. Sans parler du fait que tous les articles qu'il voyait sur Uravity ces derniers temps spéculaient sur sa vie privée au lieu de parler de ses derniers accomplissements, et que ça avait le don de le mettre en rogne, puisque d'une certaine manière il en endossait la faute.

Uraraka arriva pile à l'heure, la ceinture de son costume encore sur les hanches, ayant visiblement eu la même idée pour les vêtements sobres, qui se révéla aussi inefficace sur elle que sur lui. Ils rentrèrent dans le restaurant après avoir échangé des salutations peu enthousiastes, tous deux calculant probablement à quel point on les questionnerait sur leur relation dans les prochaines interviews.

Heureusement, la jeune femme, qui avait réservé leurs places, sentait qu'un scénario du genre allait leur arriver et avait demandé à ce qu'on les fasse asseoir à l'écart. Dans un coin de l'échoppe, face à face sur les banquettes de cuir, ils firent donc de leur mieux pour cacher leurs profils avec les menus en regrettant ne pas posséder l'alter de leur ancienne camarade de classe Tooru.

— Bon, la prochaine fois qu'on décide un truc du genre, c'est nouilles instantanées chez moi, grinça Ochako en virant sa frange de ses yeux, agacée par le regard que posait leur serveur sur eux.

Bakugo ricana, envoyant un coup d'œil franchement hostile au concerné, sa patience mise à rude épreuve, et répliqua en levant un sourcil :

— Dis-moi que tu bouffes autre chose que des plats préparés, par pitié, grimaça t-il en se souvenant vaguement de leurs années à U.A où déjà il avait dû lui apprendre à faire un ragoût digne de ce nom.

Le sourire innocent qu'elle lui servit montrait que la jeune femme savait exactement à quel point elle le détruisait en avouant qu'elle ne nourrissait même pas correctement son corps, pourtant outil et arme principale des héros. Bakugo rugit en leur servant de l'eau, un frisson de dégoût le traversant à la pensée de nouilles réchauffées :

— La prochaine fois, c'est moi qui cuisine merci bien, j'ai pas envie de m'empoisonner !

Et au rire malicieux qu'Uraraka laissa résonner en séparant ses baguettes, le jeune homme compris qu'il venait de se faire manipuler comme un bleu.

Il étouffa l'embarras de cette réalisation dans son repas, étonnamment délicieux, et fut tenté à plusieurs reprises de faire perdre à la jeune femme l'expression satisfaite qui s'étalait sur son visage. Il pris cependant une grande inspiration, se força à ignorer le flash d'un portable dans son champ de vision grâce aux techniques de gestion de la colère apprises en thérapie quelques années auparavant, et reposa son bol l'esprit à peu près clair.

— Donc, tu le sens comment de devenir une affiche publicitaire à deux pattes ? se décida t-il finalement à demander alors qu'elle vidait son verre.

Un rire incrédule, probablement dû à la formulation très particulière de la question, échappa à Ochako et elle faillit s'étouffer. Une fois qu'elle eut fini de tousser, elle s'essuya les yeux avec la serviette que lui passa Bakugo en ignorant son sourire en coin espiègle, et répondit sérieusement :

— Honnêtement ? J'espère juste que ça ne va pas renforcer les rumeurs sur nous, ces derniers temps je crois qu'à chaque fois que j'apparais dans un article il est à propos de toi, soupira t-elle, et il y avait dans ses yeux une frustration évidente.

Les sourcils du jeune homme se froncèrent alors qu'il pianotait nerveusement sur la table, clairement mis mal à l'aise par cette révélation. Un mélange de culpabilité et de colère embrouillait ses pensées, à sa grande surprise. Il ne savait pas vraiment comment réagir, et s'entendit parler comme si ses cordes vocales avaient agi avant qu'il ne puisse vraiment réfléchir :

— Hey, je suis désolé pour ça, c'est en partie de ma faute : j'aurais dû réfléchir aux conséquences pour toi avant d'intervenir la dernière fois, s'excusa t-il en se recoiffant, soupirant lourdement en réalisant à quel point cela lui avait pesé pendant que les mots se formaient.

Entendre les questions qu'elle devait subir l'avait juste tellement énervé sur le coup qu'il s'était senti presque obligé de rappeler au journaliste de ce magasine pourri que le temps était écoulé. Il n'avait réalisé que plus tard la conclusion qui avait été tirée à cause de son geste.

— Oh non ! Merci d'avoir fait ce que tu as fait, tu peux pas savoir à quel point ça m'a aidée sur le coup, s'empressa de le contredire Uraraka, posant brièvement la main sur son avant-bras pour lui faire lever les yeux, puis se rendant compte de son geste et retirant nerveusement ses doigts en espérant que personne n'avait remarqué.

— Quand même, soupira Bakugo en secouant la tête, j'aurais dû réfléchir et agir autrement, je savais bien que mes actions seraient tournées sous un autre jour, ajouta t-il ensuite avec une pointe de colère, envers lui-même ou certains médias peu scrupuleux, impossible de dire.

Cette fois-ci, elle lui donna une petite tape sur le poignet, et il resta muet devant l'audace du geste alors que la jeune femme l'engueulait presque.

— Mais ça personne ne peut le contrôler, alors accepte mes remerciements bon sang ! Et d'ailleurs, aussi habile que tu sois à naviguer la presse on finit toujours par se faire avoir à un moment ou un autre donc-

Katsuki la coupa cependant d'un rire tonitruant, sans pouvoir s'en empêcher. Ochako pointait son doigt directement vers sa cage thoracique, sourcils froncés avec une fermeté qu'il n'avait pas l'habitude de lui voir et ainsi emportée dans son discours moralisateur, elle avait juste l'air tellement sérieuse qu'il ne réussissait pas à garder son calme.

— T-tout le monde nous fixe, tête d'œuf, finit-il enfin par réussir à dire, à moitié effondré sur la table tant il ne parvenait plus à trouver son souffle.

Uravity regarda brièvement autour d'elle, remarquant quelques expressions éberluées et trois portables braqués sur eux, puis grogna avec désespoir en s'emparant d'une assiette pour cacher ses rougissements et son visage. Tandis que Katsuki repartait dans un autre fou-rire, probablement à cause de la tête qu'elle tirait, Ochako résista à l'envie de plonger sous la table, marmonnant élégamment à la place :

— Oh et puis merde !

Avant de tout simplement écraser les billets pour leur repas sur la table, donner un coup de pied à Bakugo pour qu'il se ressaisisse, et sprinter en dehors du restaurant suivie du blond qui se plaignait d'une pointe de côté.

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Deux semaines plus tard, alors que le véritable fiasco qu'ils osaient appeler repas était encore affiché en tête de tous les sites internet sur la vie des héros, Katsuki et Ochako se croisèrent à l'entrée du siège de l'entreprise de Koizumi où ils avaient rendez-vous. Le blond avait un pansement sur la joue gauche, vestige de son combat très médiatisé contre un vilain dont l'alter permettait une maîtrise effrayante du verre, et visiblement la perspective de se faire traiter comme une poupée barbie pour quelques heures ne l'enchantait pas.

— Hey, bad boy au cœur tendre, l'accosta donc moqueusement la jeune femme dans une tentative de lui arracher un sourire.

Dernièrement, ils avaient pris l'habitude de parler par SMS plusieurs fois par semaine, histoire de garder le contact, et petit à petit ils avaient commencé à se partager les articles parlant d'eux, en prenant soin de ne sélectionner que les plus ridicules. Pour l'ennuyer et n'ayant certainement rien de plus intéressant à faire, Bakugo l'avait alors saluée comme "ange descendu du ciel", reprenant les mots exacts d'un des journaux, pendant trois jours de suite. Ce concours de qui trouverait la pire description était leur bouffée d'air frais dans une journée chargée, et leur permettait de tourner en dérision quelque chose qui sinon les aurait probablement irrités voire blessés.

La pique tira à Bakugo un ricanement alors qu'il reconnaissait que pour cette manche, il devait lui concéder la victoire tant l'appellation le mettait mal à l'aise.

Aujourd'hui ils devaient terminer un premier photoshoot, le second et dernier étant prévu pour la semaine suivante. Si tout se déroulait bien ils n'auraient ensuite plus que le documentaire à tourner, puis ils seraient libres ! De manière surprenante, ils avaient découvert que se supporter n'était finalement pas la partie la plus compliquée de la chose, mais qu'ils allaient en revanche très vite devenir fous s'ils devaient encore passer deux heures enfermés dans la même pièce que Koizumi leur ordonnant de prendre telle ou telle pose.

C'était à se demander comment, à U.A, ils avaient pu penser que ce designer semblait parfaitement légitime dans sa demande d'utiliser leur image en contrepartie pour ses services. Travailler avec lui était plus usant que patrouiller !

Uraraka lui envoya une grimace d'encouragement avant de se faire entraîner dans une cabine d'essayage, et Bakugo le lui rendit en secouant la tête, se préparant à supporter l'irritante sensation de quelqu'un papillonnant autour de soi en jugeant chaque pore de peau découverte. La collection de costumes que Koizumi voulait mettre en valeur soulignait les alters de ceux qu'il appelait avec affection "monstres de puissance" et qu'il jugeait plus à même de venir chercher ses services, donnant fièrement Dynamight et Uravity comme exemples. La plupart de ces designs étaient pensés pour permettre à l'utilisateur de maximiser ses capacités physiques, étant donné qu'il était inutile avec des cas comme les leur, l'une capable de soulever des immeubles et l'autre de les raser d'une explosion, de chercher à augmenter l'efficacité du pouvoir.

La pièce que Katsuki se battait pour enfiler laissait à découvert ses bras, un choix qui l'étonna et il en fit part au quarantenaire aussitôt libéré des griffes de l'équipe maquillage.

— On est pas censés donner envie aux futurs héros de faire la même erreur que nous et signer chez toi ? interrogea t-il en s'observant, critique, dans le miroir, sourcils levés à l'intention du styliste.

Koizumi leva la tête de son catalogue, laissant de côté pour quelques secondes la tâche de passer en revue les clichés pris précédemment, visiblement pris de court par la question.

— ... Si ? Pourquoi, tu doutes de ta capacité à les attirer à cause de ton grand âge ? répondit-il avec une pointe de sarcasme, qui donna sacrément envie à Dynamight de le planter, lui et ses appareils photos.

Le blond fit volte-face, ignorant le rire se voulant discret d'Ochako qui peinait à ne pas bouger pour faciliter le travail de sa maquilleuse, ayant entendu toute la conversation depuis son côté du studio.

— Non, parce que si tu comptes leur faire envie avec des cicatrices, j'suis pas sûr que ce soit un bon plan, répliqua Bakugo en montrant les diverses marques qui serpentaient le long de ses avant-bras en passant par ses biceps, certaines jusque sur ses épaules dénudées.

Koizumi lui tapota le dos avec empathie, se voulant rassurant, avant de sourire malicieusement et de répondre avec un rire dans la voix :

— Oh, ne t'en fais pas c'était calculé, quelques blessures de guerre ne font que souligner ça, et tout en parlant il fit une vague gesture de la main englobant Katsuki tout entier.

Alors que le jeune homme se disait qu'il aurait dû le sentir venir, Uraraka passa devant lui en lui adressant un mouvement des sourcils suggestif, très satisfaite d'elle-même et de ne rien avoir raté de la conversation, le faisant grogner avec exagération, comme un adolescent forcé de vider le lave-vaisselle. Il avait déjà mal au crâne, et ils n'avaient même pas commencé à prendre des photos.

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— Je suis libre... LIBRE, tu m'entends ? rugit un Bakugo légèrement intoxiqué directement dans l'oreille d'un Kirishima en voie de devenir sourd.

Red Riot soupira et empêcha le blond de frapper qui que ce soit avec le magasine qu'il agitait férocement, son visage et celui d'Ochako en gros plan sur la couverture. Les années passaient, et Katsuki était toujours aussi difficile à saisir dans la manière dont il exprimait ses émotions.

— Mec, je comprend que tu sois heureux, mais ralentis je bosse après, moi ! râla Kirishima en passant un verre d'eau à son ami qui l'avala sans protester, l'euphorie d'être libéré des serres de son designer visiblement encore trop présente pour que son tempérament explosif ne cause de complications.

Le héros numéro huit feuilleta rapidement le catalogue, curieux au fond de savoir ce que ces semaines de ce que Dynamight avait à de nombreuse reprises qualifié de "torture" donnaient sur le papier. Le résultat semblait étonnamment professionnel, chacun des atouts marketing stratégiques d'avoir des héros dans le top dix du Japon exploités juste assez pour que ce soit flatteur. Kirishima laissa un sifflement admiratif lui échapper arrivé à la dernière page, enfonçant son coude dans les côtes de Bakugo qui ne l'envoya balader que quelques mètres plus loin tant son humeur était bonne.

— Et bah ! Tu nous avait caché être photogénique, taquina gentiment le rouquin, avant d'ajouter que c'était super viril comme qualité.

Il tenait ouvert le magasine sur la dernière double page, où sur le papier glacé Koizumi avait tenu à surfer sur la vague, insisté pour qu'un portrait de Dynamight et Uravity soit inclus. Prenant l'entièreté d'une page A3, la photo les montrait dans leurs costumes officiels, Ochako perchée sur l'épaule de Katsuki les mains formant un triangle dans le geste de libération de son alter devenu un aspect important de son image de pro, et le blond comme se préparant à envoyer une explosion vers l'objectif. Ils souriaient tous deux un peu férocement, avec cette énergie maniaque que leurs anciens camarades de U.A leur connaissaient, signe que le cliché avait dû être le dernier pris, les deux commençant à arriver au bout de leurs réserves de patience. Sur l'autre page, une interview sur leurs costumes et leur partenariat pour ce projet s'étalait.

— Fais voir ! réclama Mina en lui arrachant le magasine des mains, avant de s'exclamer admirativement qu'Uravity était la plus badass d'entre eux tous, s'accrochant à Ochako en riant.

La brune ne riait pas, rougissant comme une tomate sous le compliment, en tentant de le rediriger vers Bakugo, sans succès cependant. Ce dernier attrapa également le catalogue, passa deux bonnes secondes à fixer le portrait, puis le reposa pour solennellement déclarer :

— Nah, rien à faire Cheeks, accepte ta badassitude, ricana t-il, tout scrupule ou honte neutralisés par l'alcool, rendant encore plus rouge la jeune femme, qui avait aussi célébré la fin des séances avec Koizumi et ne contrôlait pas ses expressions faciales aussi bien que d'ordinaire.

Kirishima vola à son secours en imposant l'eau pour tous, et les forçant à boire au moins deux fois la quantité de ce qu'ils avaient avalé en alcool. Obéissants, ils s'attelèrent chacun à descendre leur bouteille d'un litre et demi, et le rouquin ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en voyant que Mina harcelait Bakugo pour qu'il répète ce qu'il pensait d'Uraraka. Ce que le blond, toujours aussi buté, refusait désormais de faire en adressant des doigts d'honneur à répétition à Ashido sans qu'elle ne cesse de l'importuner pour autant. En voila une qui avait l'alcool joyeux, c'était certain !

Une heure plus tard, Red Riot les traîna donc en dehors de son appartement, se lamentant sur le fait que ses amis décidaient toujours de venir quand il avait une patrouille à faire, et poussa Uravity et Dynamight dans un taxi, les deux étant beaucoup plus sobres mais certainement pas en état de rentrer seuls.

Alors qu'il regardait le véhicule les emporter pour s'assurer qu'il partait dans la bonne direction, Kirishima remarqua que quelque chose de subtil avait changé dans leur dynamique, sûrement à cause de tout ce temps où leur styliste commun les avait collés ensemble. Il fit une note mentale en glissant dans son costume de charrier Bakugo là dessus la prochaine fois qu'il était assez téméraire pour se montrer ivre et vulnérable chez lui.

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— Bon, à d'main Uraraka, salua Bakugo en s'apprêtant à se ré-engouffrer dans le taxi après l'avoir aidée à décoincer son casque de costume de la portière.

Une main l'arrêta net dans son élan, cependant, et il fut forcé de faire volte-face. Intrigué, mais aussi fatigué, le jeune homme demanda peut-être un peu agressivement ce qui se passait, sans qu'elle ne semble le remarquer. Tout ce temps en sa compagnie avait dû doter Ochako d'une sorte de filtre, ou alors elle avait fini par comprendre qu'il était rare qu'il y ait une réelle animosité derrière son ton mordant.

Une main sur la joue, elle laissa échapper, comme se posant la question plus intérieurement qu'autre chose :

— ... Est-ce que j'habite là, moi ?

Ce qui fit bouillir le sang de Katsuki, avant de le laisser désarmé quand il se rendit compte qu'elle ne plaisantait pas.

— Hein ? Mais qu'est-ce que j'en sais Cheeks, c'est toi qui a donné l'adresse au taxi ! répliqua t-il, paniquant un peu parce qu'il était trop ivre pour ça, que visiblement elle aussi et bon sang le taxi s'était barré.

Pensant sûrement qu'ils descendaient tous les deux à ce stop, discrètement et sans un bruit, le chauffeur était parti les laissant seuls comme deux idiots, sur le trottoir.

Katsuki attrapa la jeune femme par les épaules et la regarda dans les yeux, y trouvant la même peur que dans les siens. Bon. Ils étaient vraiment paumés dans Osaka, leur propre ville, et elle avait oublié son adresse exacte. Le jeune homme grogna, pris d'une envie de juste s'étaler au sol et dormir. Il n'avait certainement pas l'énergie de subir ce bordel. Comme suivant son train de pensée, Uraraka s'assit sur le bitume sans le moindre souci, ne perdant pas de temps à penser au socialement correct.

Il l'imita en riant intérieurement, parce que sérieusement depuis quand c'était lui le raisonnable dans tout ça ?

— Ça pourrait être encore plus pathétique, finit par philosopher la brune après avoir fouillé dans sa ceinture à poches pour se rendre compte que son portable n'était nulle part en vue.

— Ah oui ? Et comment exactement ? rit Bakugo, franchement cette fois-ci, parce qu'en considérant qu'ils étaient tous deux en costume à cause du tournage de la pub pour Koizumi quelques heures plus tôt, il suffisait d'une photo et ils pouvaient dire adieu à leur réputation.

Son visage se froissa avec la concentration alors qu'elle cherchait une explication logique à son optimisme délirant, et d'un coup elle s'illumina quand elle eut trouvé la réponse, pointant un doigt victorieux vers lui :

— On pourrait être attaqués par un vilain ! Ou pire, réalisa t-elle en prenant une grande inspiration, yeux rétrécis de manière plutôt comique : par des paparazzis !

Rien qu'à la mention de l'espèce exécrée par tout héros qui se respecte, Katsuki se senti frissonner, et lui plaqua une main sur la bouche en retenant son souffle :

— Shhht, tu vas nous porter malheur, lui intima t-il, surveillant les alentours avec des yeux attentifs, à l'affût de la moindre caméra, n'ôtant sa paume que lorsqu'elle la lécha avec une malice toute enfantine.

— Erck, s'écria t-elle alors en s'essuyant la langue avec sa manche de costume, t'as les mains pleines de sueur !

Le blond ricana de son air dégoûté, et menaça, taquin, de recommencer si elle osait diminuer leur malheur encore une fois. Ochako s'enfuit donc naturellement en riant, listant toutes les raisons pour lesquelles ils auraient pu s'en tirer avec bien pire, et il la poursuivit alors, bien décidé à lui montrer qu'une des règles d'or était qu'on ne cherchait pas Katsuki Bakugo à moins de vouloir souffrir.

Ils coururent le long d'une allée comme des gamins, naviguant entre les passants se faisant rares à cette heure du soir, heureusement pour leurs réputations respectives. Personne ne croirait les pauvres gens, de toute manière, s'ils allaient raconter qu'ils avaient vu Uravity et Dynamight jouer à chat.

Alors que Bakugo était sur le point de la rattraper, un parterre de buissons familier attrapa son regard. Il s'arrêta devant, perplexe, et comme par réflexe, leva les yeux pour être accueilli par une vision plus que bienvenue.

Son balcon. Tout du moins le dessous visible de sa position, mais il savait que c'était son appartement puisqu'en se reculant il était impossible de manquer le banc de musculation customisé qui occupait quasiment toute la place. Un sourire victorieux s'étira sur les lèvres du jeune homme, profondément soulagé en réalisant qu'il n'aurait pas à supplier Kirishima de leur servir de chauffeur, finalement.

— Un problème ? intervint Ochako, revenue sur ses pas en réalisant qu'il ne la suivait plus, se demandant ce que le blond pouvait bien faire planté au milieu de la rue à sourire de manière inquiétante vers une baie vitrée en hauteur.

— Seulement si je retrouve pas mes clés, mais sinon on a un toit pour la nuit Cheeks, lui annonça triomphalement Katsuki avec beaucoup de satisfaction, pointant son balcon du doigt et palpant ses poches à la recherche de sa carte d'accès à l'immeuble.

La jeune femme laissa échapper une exclamation de joie à l'idée de s'allonger et dormir autre part que sur des pavés, sautillant sur place en peinant à contenir son excitation, lui offrant même de flotter jusqu'à sa fenêtre pour leur ouvrir plus vite.

Cela ne fut cependant pas nécessaire, et bientôt ils étaient effondrés sur le canapé de Bakugo sans aucune motivation, révulsés à l'idée de bouger de là même si le jeune homme savait que sa chambre était à quelques mètres plus loin à peine.

Parvenant à un accord silencieux de ne jamais faire part de cet épisode à aucun de leurs amis, qui iraient évidemment s'imaginer des choses, ils concoctèrent un plan pour quitter l'endroit le lendemain matin sans que même une caméra de surveillance n'aie pas la moindre chance de les griller. Ils avaient eu leur lot de rumeurs, pas besoin de rajouter de l'huile sur le feu.

Une fois qu'un plaid eut été rapidement jeté sur leurs épaules, la brune menaça son hôte de représailles s'il osait lui envoyer un coup de pied dans la tête alors que Bakugo virait les siens de son torse, tandis qu'ils se laissaient emporter par le sommeil sans trop de résistance.

Le lendemain les trouva ils ne savaient trop comment à moitié en dehors du canapé, Ochako ayant agrippé les jambes du blond dans son sommeil, ceci étant la seule chose l'empêchant de finir sur le sol.

Il resta donc aussi immobile qu'une statue jusqu'à ce qu'elle commence à se réveiller, et si la pensée qu'elle semblait encore plus adorable perdue dans le sommeil lui traversa l'esprit, il fut rapide à la mettre sur le compte de la fatigue lui embrouillant encore le cerveau.

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Ils prirent bien soin de pousser tous souvenirs de cette journée plus qu'étrange dans les recoins les plus sombres de leurs mémoires, déduisant logiquement que leur aisance en compagnie l'un de l'autre et cette intimité facile qui leur venait naturellement ne devait être due à rien d'autre qu'au fait qu'ils aient été obligés par Koizumi à se côtoyer presque non-stop pendant un mois.

Rien à voir avec une quelconque attirance mutuelle, ni même une certaine appréciation de la compagnie de l'autre, non évidemment, ç'aurait été totalement absurde.

Malheureusement pour leurs techniques d'auto-persuasion efficaces en temps normal, non seulement on les amenait toujours à parler l'un de l'autre dans les interviews depuis la campagne de pub pour leur designer, mais en plus ils étaient chacun dotés d'amis proches particulièrement perspicaces.

D'amis proches en couple qui plus est, et il allait sans dire pour quiconque les connaissant que si Kirishima et Mina faisaient quelque chose de bien, c'était communiquer.

Ce fut donc sans réelle surprise –vraiment, tout le monde l'avait vu venir à trois kilomètres, mais avec beaucoup d'efforts de part et d'autre, ainsi qu'une grosse louche d'aide extérieure, qu'ils furent persuadés d'au moins essayer un rendez-vous, pour tester les eaux.

Passer à côté d'une belle histoire juste par pur esprit de contradiction envers tous les blogs et journaux people qui ne parlaient que de leur "relation suspecte" depuis plusieurs mois aurait en même temps été vraiment dommage.

Mais ils en étaient capable, tous leurs collègues le savaient, et c'est sûrement pour cela qu'ils se sentirent obligés de leur donner un petit coup de pouce.

-•-•-•-

C'était juste une soirée. Un repas. Pas une demande en mariage, juste un date, ils avaient combattus les pires criminels de leur époque, ils pouvaient bien gérer un simple dîner.

Oui, il était même très probable qu'ils en sortent convaincus de leur incompatibilité, parce que vraiment, eux, investis dans une relation ? Ne serait-ce pas donner à ces feuilles de choux trop de crédit ?

C'est avec ce genre de certitudes qu'ils franchirent les portes du vendeur de mochis en se chamaillant aimablement, et à ce niveau là plus personne n'avait le cœur de leur faire comprendre qu'ils vivaient dans un monde d'illusions.

On se disait qu'ils en viendraient à la conclusion eux-même, tôt ou tard.

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