Chapitre 130 : Boule de neige
Kerry tomba amoureuse d'Al quand ils étaient au lycée. Même si leurs sentiments étaient réciproques, l'éducation extrêmement stricte de la jeune fille les empêcha de sortir ensemble. Alors que les disputes entre les parents de l'adolescente se faisaient de plus en plus violentes, un incident mit fin à leur union.
***
Les vacances d'été de Kerry furent la pire période de sa vie.
Un jour, après une énième dispute avec son mari, la mère de l'adolescente quitta la maison en trombes et traversa la route sans faire attention. Lorsqu'elle réalisa son erreur, il était trop tard.
Un camion à pleine vitesse la renversa.
Lorsqu'ils apprirent son décès, Kerry et son père étaient anéantis. Toutefois, la jeune fille n'imaginait pas que les conséquences seraient si dévastatrices sur le veuf.
Contrairement à ce qu'elle pensait, ce dernier aimait toujours sa défunte femme.
Lorsqu'il reprit le travail, après une courte période de deuil, les résultats étaient catastrophiques. Il enchainait erreurs sur erreurs. Son entreprise commençait lentement à couler, tandis qu'il tentait de noyer son chagrin dans l'alcool.
Le veuf passait beaucoup de temps à jouer à des jeux d'argent afin de compenser les pertes de sa société. Seulement, il ne gagnait jamais et des sommes colossales s'envolaient. À chaque échec, il retentait sa chance encore et encore, au point de devenir totalement dépendant.
En quelques mois, Kerry se retrouva face à un père alcoolique, avec des dettes jusqu'au cou.
« Regarde toi... pensa-t-elle en l'observant en train de ronfler sur le canapé, une bouteille sur son ventre rebondi. Toi qui étais si puissant et arrogant, tu n'es plus que l'ombre de toi-même... »
Elle quitta la maison pour prendre un peu l'air. Alors qu'elle avait déjà une plaie béante dans le cœur, elle assista à une scène qui le réduisit pour de bon en miettes.
Malgré la pénombre de la nuit, elle le reconnut.
Al marchait dans la rue en compagnie d'une très belle jeune fille. Ils riaient ensemble. Il avait l'air si heureux... Et surtout, ils semblaient très proches. Trop proches.
« Alors, c'est comme ça... pendant que je suis en train de vivre un cauchemar, toi, tu mènes une vie sympa et tu te mets même à draguer d'autres filles... ? Tu m'as donc déjà oubliée... ?! »
Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Complètement empoisonnée par la jalousie, Kerry perdit toute lucidité. Elle ne souhaitait qu'une seule chose : anéantir ce couple de la même manière que sa vie avait été détruite.
Transformée en démon, elle se jeta sur eux en hurlant.
Kerry planta ses ongles dans le sublime visage de la jeune fille et le mutila. Elle arracha le haut de sa proie. Ses griffes déchirèrent les mamelles de l'adolescente qui cria en se tortillant de douleur.
Tout s'était passé si vite qu'Al ne réalisa le drame qu'une fois que la prédatrice eût terminé son massacre.
Complètement pris au dépourvu, il hurla :
« Bordel ! Mais qu'est-ce qui te pr... »
Il n'eut pas le temps de finir que Kerry lui sauta au visage. Il se fit transpercer les yeux. Malgré ses gémissements de douleur, elle le roua de coups au point où Al devint méconnaissable.
Lorsqu'elle reprit ses esprits, l'adolescente se retrouva face à un bain de sang, deux personnes inconscientes et défigurées à jamais.
« Que... que... qu'est-ce que j'ai fait... ? » balbutia-t-elle.
Complètement bouleversée, elle regarda le tableau sinistre qu'elle avait elle-même peint. Elle composa le numéro des urgences en tremblotant. Après l'appel, elle prit la fuite.
Même si elle regrettait de toute son âme, jamais Al ne pourrait la pardonner. Elle préférait se cacher toute sa vie plutôt que de devoir supporter la haine du garçon qu'elle aimait.
Les semaines suivantes, l'inévitable se produisit. Le père de Kerry était complètement ruiné. Avant de finir à la rue, il se suicida.
Plongée dans les abysses de la géhenne, l'orpheline hésita à faire pareil.
Non.
Elle ne pouvait se le permettre. Il lui restait une dernière personne, sa tante.
Celle-ci devint la tutrice de Kerry.
Toutefois, ça ne se passa pas comme l'adolescente l'avait espéré. En tout instant, l'adulte lui lançait des regards méprisants.
Arrivée dans sa nouvelle demeure, Kerry lui demanda des réponses dès qu'elle entra dans le couloir :
« Pourquoi tu es aussi froide ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?
- C'est quand tu as besoin de moi que tu te souviens de mon existence. Tu peux me dire la dernière fois que tu es venue me voir ? cracha la femme.
- Mais... ce n'est pas ma faute ! Mon père me l'a interdit !
- Ça, je le sais bien ! Je ne sais même pas pourquoi ma sœur est tombée amoureuse de cet homme à l'égo démesuré. À cause de lui, elle m'a oubliée et est morte bêtement. Il prenait les gens de haut parce qu'il était riche. Et il ne voulait pas que tu t'approches de moi car je suis pauvre. Sans te mentir, je suis bien contente que ce connard ait tout perdu et qu'il ait fini dans la tombe. »
Kerry était outrée. Certes, elle comprenait sa colère, mais ça ne justifiait en rien de tels propos face à une orpheline. La tante ne s'arrêta pas là :
« Et toi, je parie que ça te plaisait de vivre comme une princesse pourrie gâtée. Même si ton père t'ordonne quelque chose, tu ne peux pas désobéir ?!
- Mais il contrôlait toutes mes sorties. Je ne pouvais aller nulle part sans son autorisation !
- Arrête de te chercher des excuses ! »
La discussion était stérile. Sa tante ne voulait rien comprendre.
Le calvaire commença. La tutrice mangeait à sa faim et ne donnait que des restes à Kerry. Interdiction de toucher au réfrigérateur. La faim la tenaillait toute la journée. Et le soir, elle dormait sur le canapé. Il y avait une chambre libre, mais l'accès lui était proscrit, soi-disant, pour accueillir les futurs invités.
De toute façon, même dans le lit le plus luxueux, Kerry ne pouvait bien dormir quand son estomac criait famine, et qu'elle était sans cesse en proie à un chagrin grandissant.
En quelques jours, l'adolescente tomba malade. Malgré la chaleur qui étouffait le commun des mortels, elle avait froid. La forte fièvre était accompagnée de maux de tête, au point où elle avait l'impression que son crâne était martelé.
Elle demanda à aller à l'hôpital. Cependant, comme elle s'y attendait, sa tante n'avait pas la moindre compassion :
« Je n'ai pas les moyens pour ça. Je vais aller t'acheter des médicaments. Surtout, ne sors pas. »
Kerry savait pertinemment que c'était faux. Même si elle n'était pas aussi riche que son père à son apogée, sa tante gagnait bien sa vie.
Sans même savoir de quelle maladie souffrait sa nièce, la femme alla acheter les médicaments les moins chers et demanda à Kerry de s'en gaver. Celle-ci avala ceux dont la notice décrivait les symptômes les plus proches des siens. Cependant, c'était totalement inefficace.
La maladie s'aggrava rapidement. La nourriture n'avait aucun gout dans la bouche de l'adolescente et la faisait souvent vomir. Elle avait du mal à respirer, comme si une matière épaisse obstruait ses poumons. Elle constata avec effroi que du sang se mêlait à ses urines. Ses yeux commencèrent à jaunir.
Même en voyant sa nièce souffrir autant le martyr, la tante refusa de la conduire à l'hôpital.
Kerry prit une décision difficile : désobéir.
Le soir, pendant que sa tutrice se détendait dans son bain, elle quitta la maison. La marche fut extrêmement longue et pénible. Chaque pas était un effort surhumain. Chaque seconde, un supplice.
Elle arriva enfin à sa destination. L'hôpital. Même si elle n'avait rien pour payer, elle était si désespérée qu'elle était prête à supplier les médecins, ou n'importe quelle personne qui voudrait faire preuve de bonté.
Soudain, Kerry crut halluciner.
Al marchait dans sa direction.
C'était impossible. Il avait été défiguré. Comment se faisait-il qu'il eût retrouvé son magnifique visage ? Son apparition était si miraculeuse que Kerry eut l'impression de se trouver face à un prince charmant. Elle se persuada qu'il s'agissait d'une hallucination.
Al eut du mal à reconnaitre la souffrante. Elle avait considérablement maigri. D'horribles cernes entouraient ses yeux. Elle tremblotait comme une feuille à cause de ses convulsions répétées.
Vivement inquiet, il fonça dans sa direction. Kerry posa ses doigts osseux sur la joue de son bien-aimé.
« Al... c'est toi... ? murmura-t-elle en crachant du sang.
- Kerry ?! Ne meurs pas ! Reste avec m... »
Elle n'entendit pas le reste de la phrase et perdit connaissance.
***
Lorsqu'elle reprit ses esprits dans son lit d'hôpital le lendemain, Al était toujours assis à ses côtés.
« Merde, qu'est-ce qui s'est passé pour que tu finisses dans cet état ?! J'ai vraiment cru que j'allais te perdre, toi aussi, s'alarma le jeune homme.
- Al... c'était bien... ? Je suis... si désolée... c'est ma... punition... pour t'avoir... attaqué...
- Bon, on en reparlera plus tard. Repose-toi. Ne meurs pas, surtout. »
Et rapidement, elle sombra à nouveau dans un profond sommeil.
Le lendemain, Kerry avait repris assez de forces pour pouvoir discuter.
« Al... je te demande pardon pour ce que je t'ai fait... murmura-t-elle.
- T'inquiète, c'est du passé. J'avoue qu'au début, je t'en voulais. Mais après, j'ai entendu parler pour ton père. Je t'ai cherché partout, sans succès. Comment tu as fini dans cet état ?
- J'étais chez ma tante... elle a refusé de m'emmener à l'hôpital...
- Je comprends mieux pourquoi personne n'est venu te rendre visite... Elle a failli te tuer. Pourquoi tu n'as demandé de l'aide à personne ? Tu maitrises le Drive, tu es beaucoup plus forte qu'elle. Pourquoi ne pas lui avoir juste cassé la gueule »
La fureur d'Al était telle que Kerry eut l'impression que sa tante était en danger.
« J'ai juste eu ce que je méritais... et je ne pouvais pas faire autrement... se justifia-t-elle.
- Tes parents t'ont tellement conditionnée que tu es incapable de désobéir, même à une connasse pareille. J'espère que c'est la dernière fois que tu fais tout ce qu'on te demande comme un gentil toutou. »
Kerry sourit, heureuse que le jeune homme se fasse autant de soucis pour elle.
« Merci de m'avoir pardonnée... D'ailleurs, comment ça se fait que ton visage soit redevenu comme avant... ?
- Je me suis régénéré. »
Le visage d'Al s'assombrit.
« Floyd m'a permis d'obtenir les pouvoirs d'un nigh, dit-il sans ajouter plus de détails.
- Ah... j'ignorais que c'était possible... d'ailleurs, tu faisais quoi ici... ?
- C'était pour voir un pote... il est décédé, expliqua-t-il, morne.
- Je suis désolée... »
Un silence très gênant s'installa. Kerry se rendormit.
***
Kerry recevait souvent des visites d'un ami d'Al et de son père. Ce dernier payait les frais d'hospitalisation de la jeune fille.
Grâce à sa volonté, Kerry guérit et put sortir de l'hôpital. Al lui interdit de retourner auprès de sa tante. La jeune fille marchait avec lui dans la rue sans réellement savoir sa prochaine destination.
« Elle n'en a rien à foutre de toi. Viens plutôt chez mon ami. Tu as vu que lui et son père sont très sympas. Ils t'attendent déjà.
- Je ne sais pas si je mérite leur bonté...
- Hey, c'est pas parce que tu as déconné que tu n'as pas le droit d'être pardonnée, maugréa Al. Tu aimes souffrir, c'est ça ? Tu veux vraiment aller chez l'autre salo...
- Al... l'interrompit-elle, j'ai remarqué que tu as changé depuis un moment. Tu n'avais pas un langage aussi vulgaire, avant. Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Le jeune homme soupira, avant de montrer le visage morne qui se cachait derrière autant d'agressivité. L'air tracassé de Kerry l'incita à se confier :
« Je n'ai pas été très exhaustif, la dernière fois. En obtenant les pouvoirs du nigh, j'ai aussi contracté sa malédiction. En gros, je perds tout ce à quoi je tiens. Par exemple, ma mère est morte d'une maladie inconnue. Mon oncle a perdu son job et croulait sous les dettes. Il s'est suicidé. Sa femme a été tuée par un cambrioleur. Mon amie que tu as défigurée a été rejetée par son copain, parce qu'il ne supportait pas de la voir aussi laide, et ses seins ne ressemblaient plus à rien. Convaincue que plus personne ne voudrait d'elle, elle s'est jetée du toit d'un immeuble. Quant à moi, j'arrive de moins en moins à ressentir des émotions positives. Je suis donc tout le temps de mauvaise humeur. »
Dévastée, face aux conséquences de son égoïsme, Kerry tomba à genoux, la gorge nouée. Lentement les larmes commencèrent à couler. Elle réalisa une chose avec effroi.
« Ta vie est devenue un enfer... et tout ça... c'est de ma faute... à cause de mes caprices... j'ai... j'ai détruit ta vie... »
Al avait du mal à comprendre ce que la jeune femme racontait, tant sa voix était brisée par ses sanglots.
Il caressa les cheveux de son amie.
« Arrête de t'en vouloir. De toute façon, avant ton intervention, ça puait déjà la merde. Floyd allait me faire bouffer ce nigh à un moment ou à un autre.
- Mais c'est moi... c'est mon attaque qui a été le déclic... il ne t'aurait pas donné les pouvoirs de ce nigh... si je ne t'avais pas défiguré... et crevé tes yeux... »
Rien ne pouvait consoler Kerry. Une rivière intarissable coulait sur son visage.
« C'est à cause de moi si tu as cette malédiction... c'est à cause de moi que... tu as tout perdu... »
Il prit la jeune femme dans ses bras et la serra fort contre lui.
« Je ne t'en veux absolument pas, lui susurra-t-il. Et je t'aime toujours. »
Les deux adolescents, espérant qu'ils pourraient contrôler la malédiction, allèrent vivre chez leur ami. Kerry se jura de protéger tous les proches de son bien-aimé. Cependant, leur compagnon sortit un jour pour une affaire urgente, sans prendre le temps de prévenir les autres, et fut tué par une nigh fugitive. Son père décéda d'un arrêt cardiaque.
Ce furent les dernières victimes avant que les sentiments positifs d'Al ne s'éteignent totalement. Il n'éprouvait plus que des émotions négatives.
Le jeune homme lança son blog et Kerry décida de rejoindre la brigade anti-nigh pour subvenir à leurs besoins. À la demande d'Al, la jeune femme l'entraîna afin de parfaire ses compétences en arts martiaux.
Lorsque son site commença à marcher et que son entrainement se termina, le jeune homme partit à la poursuite de Floyd et décida de vivre seul.
Kerry l'accompagna pour découvrir son nouveau domicile.
« C'est donc ici ton nouvel appart, constata-t-elle en entrant dans la pièce exigüe. Dommage, j'aurais aimé qu'on reste colocataires.
- Moi aussi, mais bon... je pense que c'est mieux pour que tu m'oublies... soupira-t-il, maussade, en posant ses cartons.
- Ok, on reste en contact, hein ? Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.
- Ouais, t'inquiète... On reste amis.
- Oui... amis... pour toujours » termina-t-elle en lui lançant un sourire mélancolique.
Depuis, Kerry se fixa pour objectif de trouver un remède aux malédictions, coûte que coûte.
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