Chapitre 127 : Invitation
J prétendait aller bien, mais était souvent hanté par ses cauchemars. Pour fêter son retour, Kerry et Barry proposèrent de l'inviter à manger. Chose qu'il refusa à cause de son emploi du temps extrêmement chargé.
Étant chef des unités de patrouille de la brigade anti-nigh, il est constamment sur le terrain. Heureusement, il a le droit de prendre des congés quand il le souhaite pour ne pas s'écrouler de fatigue.
***
Quelques jours plus tard, Kerry, Barry et J se réunissent autour d'une table dans un fast-food pour déjeuner. Tandis que ses deux amis sont d'une excellente humeur, ce dernier ne semble pas dans son assiette.
« Lorsque vous m'avez invité, j'imaginais un restaurant un peu plus luxueux... ironise J.
- C'est pas tous les jours qu'on se permet de manger de la malbouffe... alors, autant profiter de l'occasion ! » rétorque jovialement Kerry.
J soupire.
« Et puis, détends-toi un peu ! poursuit Barry. Tu es en congé aujourd'hui, tu ne peux pas en profiter comme tout le monde ?!
- Je pense que c'est plutôt vous qui êtes trop insouciants, rétorque leur chef. Qui sait si un nigh déchaîné ne fait pas des ravages pendant que vous vous gavez... ?
- Et voilà, tu recommences, souffle la jeune femme. Tu es tellement accro à ton travail que ça t'occupe l'esprit, même pendant tes jours de repos. Tu veux finir dans un lit d'hôpital, ou quoi ? »
J ignore sa réponse.
Leur commande ne tarde pas à arriver.
Kerry se jette sur le poison savoureux sans attendre, avale une grosse bouchée trop rapidement et manque de s'étouffer. Tandis que Barry se moque, l'esprit de J voyage hors de la pièce. Il pense à son cauchemar de la veille, dans lequel il revoyait une énième fois les victimes de son massacre.
Ses compagnons le remarquent vite et s'inquiètent.
« Qu'est-ce qui va pas, Jojo ? demande Kerry.
- Tu veux en parler ? Je pense que ça te ferait du bien », continue Barry.
Leur supérieur reste silencieux, ne sachant quoi répondre. Il prend une profonde inspiration et s'explique finalement d'un air songeur :
« Ne vous en faites pas, je vais très bien. Je réfléchissais simplement. Je me disais que les rêves sont quand-même très étranges. On ne se rappelle jamais de leur début, et ils se terminent toujours de manière abrupte. On dirait une histoire dont l'auteur ne savait ni où commencer, ni comment finir... »
Kerry et Barry le fixent, désarçonnés.
« Sacré Jojo. Chasseur de nigh au quotidien et poète à ses heures perdues, se moque Kerry.
- Compte sur nous pour faire ta pub quand tu sortiras des bouquins », renchérit Barry qui éclate de rire.
J roule des yeux en esquissant un sourire.
Kerry pique une frite dans le plat de ce dernier. Il ne réagit pas. Barry, en revanche, monte sur ses grands chevaux, avant qu'elle n'avale son butin.
« Ne bouge plus ! C'est nous qui l'avons invité, on n'est pas censés picorer dans son assiette !
- Ça ne dérange pas Jojo, vu qu'il mange peu. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai proposé de l'inviter. Avec lui, je n'ai jamais à me soucier de l'addition, avoue-t-elle, avant d'engloutir sans scrupules la frite.
- Merci de m'avoir montré ton vrai visage. Compte pas sur moi pour t'inviter un jour, grosse baleine !
- Tu viens de me traiter de quoi, là ?! » rage Kerry.
J ne prête pas attention à leur querelle stupide. Il commence à pianoter sur son téléphone. Kerry réagit immédiatement, la bouche tachée de ketchup comme si elle avait mis du rouge à lèvres :
« Laisse-moi deviner. Encore en train d'utiliser cette appli SOS ? »
La brigade a développé une application permettant aux citoyens de lancer un signal d'alerte en cas de danger. C'est le moyen le plus utilisé pour dénoncer discrètement les nigh démasqués.
« Oui, dit simplement J.
- Décidément, tu es marié à ton travail, ou quoi ? s'énerve Kerry. C'est la dixième fois que je te le répète. Repose-t....
- Je viens de recevoir un signal », balance l'homme consciencieux en se levant précipitamment.
Kerry manque encore une fois de s'étouffer avec son hamburger.
« Je vais devoir vous laisser. Bon appétit, poursuit le brigadier.
- Non mais tu es fou ?! Reste ici, on va s'en occuper, ordonne Kerry. Tu es censé te reposer aujourd'hui !
- Elle a raison. Mange bien et profite de tes congés ! » ajoute Barry.
J souffle. Il marche vers la sortie, déterminé :
« Si vous voulez réellement que je me détende, laissez-moi passer. Je ne peux pas être tranquille en sachant qu'un civil est en danger. D'ailleurs, on perd du temps à discuter. La moindre seconde de retard peut être fatale. »
Kerry et Barry se regardent, plus ou moins convaincus. Leur chef quitte le restaurant à une vitesse fulgurante. Ses acolytes le poursuivent aussitôt.
« Hé ! Rattrapez-les ! Ils n'ont pas payé l'addition !
- Désolée, on va vous rembourser plus tard ! », crie la voix de Kerry au loin.
Les serveurs, dépassés, n'ont même pas le temps de réagir que les brigadiers disparaissent sans laisser de traces.
« Bon... c'est vrai qu'on n'a pas de temps à perdre. Allons-y tous ensemble, mais à condition que tu ne combattes pas ! propose Kerry.
- Ouais, contente-toi d'observer et laisse-nous gérer ! plussoie Barry.
- Très bien. Mission engagée ! » conclut leur chef.
***
Les trois compagnons arrivent sur le lieu de l'incident en un rien de temps. Ils remarquent aussitôt une petite maison, porte ouverte. Une foule encercle quelque chose dans le jardin, telles des fourmis autour d'un reste de nourriture.
Des voix affolées et méprisantes se font entendre :
« Pourvu que l'ambulance arrive vite...
- Dire qu'elle paraissait si mignonne et innocente...
- Je n'aurais jamais cru que je vivais à côté d'un monstre...
- Attendez, ce n'est qu'une gamine, elle n'est peut-être pas si dangereuse...
- La ferme ! C'était une nigh ! On aurait tous pu finir dans son estomac ! »
J et ses acolytes traversent la foule. Ils voient en son centre un individu immobilisé au sol, souffrant le martyre. Ses bras et ses jambes sont profondément entaillées. Son t-shirt déchiré et imbibé de sang laisse entrevoir une grosse blessure superficielle à la poitrine.
Bien que ce soit un spectacle récurrent pour eux, les brigadiers éprouvent toujours autant de compassion pour la victime.
« Courage, tu vas t'en sortir. Dis-moi ce qui s'est passé. » interroge calmement le chef.
Le blessé haleine. Il grince des dents et rassemble ses dernières forces pour s'exprimer le plus clairement possible :
« C'est... ma voisine... une gamine... je suis allé la voir mais tout à coup elle m'a attaqué et s'est enfuie...
- Et elle ressemble à quoi ? Tu as une idée de là où elle est partie ? intervient Barry.
- Je ne sais pas où elle est passée... mais elle doit toujours être dans le quartier... elle n'était pas très rapide... »
Après avoir écouté la description de la gamine, J acquiesce. Il fixe ses deux compagnons.
« Je propose qu'on se sépare, commence le chef. Si vous la trouvez... »
Il murmure ses ordres afin d'être sûr qu'aucun civil ne l'entende.
Les deux acolytes opinent du chef, décontenancés. La seconde d'après, ils disparaissent du champ de vision des civils.
La traque ne dure pas longtemps. J remarque dans une ruelle une fillette courant assez lentement. Certains humains ordinaires pourraient rivaliser de vitesse avec elle.
« Même si ce n'est qu'une petite fille, vu l'état dans lequel elle a laissé ce civil, elle est dangereuse. Je dois l'éliminer... » se dit-il.
Il sort son sabre de son fourreau, prêt à ôter la vie de l'enfant. Une mort rapide et sans douleur ne serait que bénéfique à tout le monde.
Soudain, les souvenirs de ses cauchemars hantent ses pensées. Sa main tremble. Il sue à grosses gouttes.
« Je dois... je dois la... »
Il ne parvient plus à bouger. Son sabre lui échappe des mains. Il ferme ses yeux.
Une vision des cadavres de tous les enfants qu'il a tués assaille son esprit.
Il grince des dents au point de baver, attrape sa tête, a l'impression que celle-ci va exploser. La fillette disparaît de son champ de vision.
Après avoir passé plus d'une minute à combattre la démence, J se relève, résigné. Il ramasse son arme.
« On dirait que je n'ai pas le choix... »
J rattrape sa cible en un battement de cil, au milieu d'une autre ruelle sombre. Le lieu parfait pour être aussi discret que possible.
La fillette stoppe sa course. La description colle parfaitement.
Une gamine aux belles joues rondes, ne dépassant pas dix ans. De grosses lunettes ressemblant à une paire de loupes collées sur son visage. Des yeux azur et de longs cheveux noirs, tel un ciel étoilé.
L'enfant tremble rien qu'en voyant J. Son regard trahit le destin funeste auquel elle s'attend. Elle ferme ses yeux et fonce désespérément sur son ennemi.
J la balaie sans effort et la maîtrise aussi vite qu'un guépard à la chasse. La petite fille, allongée sur le ventre et les bras coincés dans son dos, se débat en pleurant.
Le brigadier ne se laisse pas attendrir. Il lui adresse enfin la parole d'un ton strict :
« Tu vas te calmer ? Tu ne fais qu'aggraver ton cas en m'attaquant comme ça.
- Pitié, ne me faites pas de mal, je...
- Alors, reste sage, maintenant. »
La petite se résigne.
« Maintenant, raconte-moi ce qui s'est passé. Pourquoi tu t'en es pris à... »
Le brigadier n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'un jet très rapide d'un liquide étrange frôle sa joue. Il regarde autour de lui. Des centaines de gouttes de cette même substance l'encerclent. Une pluie à très haute tension s'abat littéralement sur lui.
Pourtant, stoïque et insaisissable comme le vent, J évite chaque particule sans difficulté.
« Je vois... c'est donc avec ça qu'elle a blessé l'autre... mais attends... ce liquide... ce sont des larmes ?! »
Ripostant à la vitesse de l'éclair, le brigadier assomme la fillette d'un coup de coude aussi faible que possible.
La portant sur l'épaule, il retrouve Kerry, qui cherchait également dans une ruelle. Celle-ci n'est nullement étonnée.
« Euh... t'avais pas dit qu'on devait l'éliminer ?
- En effet, mais j'ai changé d'avis. »
En guise de réponse, la jeune femme lui sourit.
« J'en étais sûre... »
***
La gamine reprend ses esprits. Contrairement à ce qu'elle craignait, elle ne se trouve pas au quartier général de la brigade, mais dans une simple maison, allongée sur le canapé du salon.
En plus de J, Barry et Kerry, la propriétaire des lieux, s'ajoutent à la réunion. L'effroi de la gamine se décuple.
Ils n'ont cependant pas l'air méchants.
« Désolé si j'y suis allé trop fort, commence J d'un ton se voulant rassurant. Personne ne te fera de mal, ici. Alors, comment tu t'appelles ? Tu as une famille ? »
Un silence s'installe.
Kerry lui parle gentiment pour la mettre plus à l'aise :
« On t'a déjà dit que tu es très mignonne ? Ne t'inquiète pas, on ne va pas te manger, fais comme chez toi, ici.
- Promis, juré, craché, tu es en sécurité ici, atteste Barry en crachant vraiment sur le tapis de la jeune femme.
- Qu'est-ce que tu fais, espèce de clown ?! » s'énerve la résidante, dégoûtée, en lui frappant les côtes.
La fillette, légèrement amusée par leurs pitreries, se détend un peu.
Ils n'ont vraiment pas l'air méchants.
Elle prend timidement la parole :
« Je... je m'appelle Agnès... Mon papa et ma maman sont morts. Mon tonton s'occupait de moi, mais il a disparu il y a plus d'une semaine...
- Je suis vraiment désolé. Comment s'appelle ton oncle ? Peux-tu le décrire ? s'enquiert J, empathique.
- Il s'appelle Sheldon... »
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