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« dans mes peintures la nature est morte »



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A l'instant où Harry se dit que Morphée ne pourrait pas être plus belle, elle lui montre le contraire. Dans cette pièce, sous cette exact lumière, elle est resplendissante. C'est le terme parfait pour décrire les nuances de violet qui se reflètent sur son visage, pour qualifier l'expression qui imprègne ses prunelles ; resplendissante. Lui est toujours figé sur le pas de la porte, observant la couleur du ciel se décliner sur la peau de Morphée.


— Toutes ces œuvres d'art...


Le son de sa voix donne encore plus l'illusion d'être dans un rêve. Elle a soufflé ces mots sans décrocher son regard des murs tapissés de tableaux. Sa place semble être ici, au milieu de tous ces chefs d'œuvres. Elle a cet air émerveillé sur le visage, ce sourire qui donne aux hommes l'envie d'être heureux. Ses yeux voyagent de toile en toile, elle s'approche et recule, sourit et contemple.


— C'est toi qui a volé ces tableaux au Tate Modern, n'est-ce pas ?


Elle a tourné la tête pour poser son regard pétillant d'admiration sur Harry. Il ne se souvient de personne l'ayant un jour regardé comme ça. Il en oublierait presque les mots qui ont glissé de sa bouche et qui, pour la première fois, sonnent comme un risque aux oreilles du bouclé. Organisé et minutieux, il a toujours fait en sorte que personne ne découvre le secret qu'il gardait là, enfermé entre ces quatre murs. C'est pourtant sa propre imprudence qui a conduit à cette situation. Il n'a rien fait pour l'empêcher et, même maintenant, il se contente simplement de regarder la femme qui a découvert son secret. Il pourrait passer la journée comme ça. Même dans une pièce pleine de chefs d'oeuvre, c'est elle qu'il contemple.


— Tu as volé tous ces tableaux, elle redit dans un souffle, subjuguée par ce qui s'étale devant ses yeux.


Harry n'a pas encore prononcé un seul mot, n'a pas esquissé le moindre mouvement. La musique de Prince touche à sa fin et bientôt il ne restera que le bruit de leurs respirations pour combler le silence de l'appartement. Ou bien le bruit des milliers de questions qui assaillent l'esprit de Morphée. Sa curiosité s'accompagne d'intelligence, elle a rapidement compris que ces tableaux n'ont pas été acquis de façon légale. Que ferait un inestimable tableau d'Edvard Munch dans l'appartement d'un gardien de musée ?


Les prunelles d'Harry quittent le corps fragile de Morphée alors qu'il effectue quelques pas vers elle. Il promène son regard sur sa précieuse collection, admire ces trésors qu'il prive des yeux du monde par pur et simple égoïsme. Ils lui appartiennent, tous, et leurs auras ne peuvent réchauffer d'âmes autre que la sienne.


— Tout ça doit valoir des millions.

— Je ne fais pas ça pour l'argent, Harry réagit aussitôt.


Leurs regards se trouvent alors que la voix de Prince s'éteint doucement en arrière plan. Ils se fixent sans bouger pendant quelques secondes, cherchant dans le regard de l'autre ce qu'ils n'y a pas sur leurs lèvres. Les peintures parlent parfois plus que les hommes.


— Pourquoi, dans ce cas ? elle demande. Tu es une sorte de collectionneur ou quelque chose comme ça ?


Un fin sourire vient ourler les lèvres du bouclé. Sa curiosité l'amuse, la manière dont ses yeux grands ouverts le fixent. Harry aimerait que son regard soit aussi expressif que le sien, car ce n'est pas avec les mots qu'il est doué. Il rêverait d'être l'un ces écrivains dont les livres traînent au pied de son lit et pouvoir mettre des mots sur un tas de choses abstraites. Mais il ne voit pas quel terme exact pourrait expliquer cette obsession insensée qui l'anime, ni comment il pourrait justifier la présence de toutes ces toiles ici. Son regard glisse sur le tableau qu'il a récupéré cette nuit et qui repose simplement contre le mur, attendant d'être accroché.


— Un collectionneur, oui, il répond finalement en relevant le regard vers Morphée. On peut dire ça.

— Tu aurais pu collectionner les magnets sur le frigo, comme tout le monde.


Il continue de l'observer alors qu'elle se retourne pour fixer une toile. 


Nuit étoilée, par Jean François Millet.


— Je ne pense pas que ce soit vraiment la même chose, répond-il dans un souffle.


Morphée se fige en entendant le parquet craquer derrière elle, sous les pas pourtant légers et prudents du bouclé. Elle l'entend avancer jusqu'à sentir la chaleur qui émane de son corps lorsqu'il se place près du sien. La chaleur d'un corps qui semble pourtant glacé. Dehors on entend le bruit des taxis, des conversations sur les terrasses de café, des artistes de rues qui s'expriment, pourtant tout s'estompe dans la pièce pour que chacun puisse écouter avec attention la respiration de l'autre. Juste derrière elle, Harry fixe le tableau face à eux.


— Regarde cette peinture Morphée, il poursuit d'un ton proche du murmure. Regarde la manière dont la nuit est représentée, regarde le ciel et ses centaines de nuances. Les détails dans les couleurs, le flou dans les formes. Le bleu n'est pas vraiment du bleu, les étoiles sont un mélanges de tant de nuances que tu peux en découvrir une différente à chaque coup d'œil. Et regarde la scène époustouflante que tout cela compose, sur une simple toile blanche. Ça ne te fait rien, à toi ? Tu n'aurais pas envie de la dérober pour pouvoir l'admirer tous les jours ?


Morphée ne répond pas immédiatement. Elle tourne la tête, lentement, et regarde Harry par dessus son épaule. Il semble perdu dans cette contemplation, ses yeux suivent les lignes que forment la peinture. Et, Dieu, elle rêvait qu'il puisse la regarder de cette façon, comme si elle était la source de millier de pensées et de sensations. Elle aimerait l'atteindre comme ce tableau le fait, être une toile qu'il viendrait voler pour l'admirer. Lorsqu'il tourne finalement son regard vers elle, ses joues se mettent à brûler. Le vert de ses yeux varie au gré des caprices de la lumières ; quelque chose dans ses prunelles pétille d'une manière dont elle n'avait pas encore fait l'expérience. Morphée observe le visage d'Harry, ses traits fins et sa mâchoire tranchante qui sont surement née de la main d'un sculpteur.


— Tu prends donc autant de risque pour que ces tableaux t'appartiennent ? elle demande finalement, ne lâchant jamais son regard.

— Si c'est pour obtenir ce que je désire le plus au monde, tous les risques méritent d'être pris, tu ne crois pas ?


Ses yeux à elle pétillent également, plus fort encore après ces paroles qu'il a lâché du bout des lèvres. Harry l'admire comme il admire une peinture. Il perçoit les milles nuances de rose de ses lèvres, les milles nuances de bleu dans ses iris. Morphée est cette divine créature aux milles nuances. Il se demande quel peintre aurait été le plus apte à reproduire toutes ces couleurs sur une toile ; Van Gogh n'avait pas le jaune de ses cheveux sur sa palette, Monet ne possédait pas un bleu aussi profond que celui de ses yeux. Personne n'aurait pu la peindre. Morphée n'est pas une peinture qu'on peut dérober. Et, conscient de cela, Harry recule de quelques pas.


— Mais je prends moins de risque que tu le crois, il poursuit en tentant de fixer autre chose que son délicat visage. Les œuvres que tu vois là ne proviennent pas toutes de musées, si c'était le cas je serais surement en prison à l'heure qu'il est.

— D'où viennent-elles alors ?

— De partout, il répond d'abord simplement.


Harry fait quelques pas, se rapprochant d'un mur.


— De la cave d'un vieux manoir, il poursuit en montrant un tableau de l'index, d'une vente aux enchères que j'ai truqué, du grenier poussiéreux d'un retraité, d'une galerie d'art en faillite... ces œuvres appartiennent le plus souvent à des particuliers. Mais, parfois, le charme des collections publiques m'ensorcelle. Pas au point de vouloir voler la Joconde ou peu importe quel tableau de Vermeer, je ne suis pas assez fou pour ça. Les œuvres les plus belles sont parfois celles qui résident dans une cave abandonné, délaissé par un artiste inconnu.


Les traits de Morphée se murent dans la stupeur alors qu'il débite ces paroles. Frénétiquement, son regard voyage sur les murs.


— Mais... ce tableau ! elle s'exclame en pointant une toile en haut de leurs têtes. Il est signé Edvard Munch et je suis à peu près certaine qu'il devrait se trouver dans un musée en Norvège ! Comment tu as pu le voler ?


Il sourit.


— Je le voulais vraiment celui-là.


Ça aurait été le moment parfait pour que Morphée le traite de fou. Pour qu'elle le bouscule, paniquée, pour qu'elle s'en aille en claquant la porte, préférant le banc d'une laverie automatique à l'appartement d'un détraqué féru d'art qui ne tarderait pas à finir ses jours en prison. Ça aurait été ce moment ; celui qui rendrait compte de la folie d'Harry. Morphée se tient là, devant la fenêtre qui affiche l'arrivée du soir. Dans ses vêtements trop larges, sous le regard intense du bouclé. Et elle lui annonce bien qu'il est fou, oui, mais pas de cette manière. Un sourire radieux étire ses lèvres, ses yeux pétillent d'émerveillement.


— Styles, elle souffle en baissant rapidement les yeux sur le badge qui décore son uniforme de gardien, tu es fou. Véritablement. Et incroyable aussi.


Fou, incroyable. Il peut-être ce qu'elle désire si seulement elle prononce encore son nom de cette façon.


— Tous ces tableaux sont splendides, Harry.


Il croit se voir en elle lorsqu'elle fixe les toiles de cette façon, l'admiration se montre jusqu'à sa peau frissonnante. Elle se tourne soudainement vers lui, la curiosité naissant entre ses traits.


— C'est lequel ton préféré ?

— Mon quoi ?

— Les tableaux. C'est lequel ton préféré ?


Comme s'il y a une bonne réponse à cette question, son regard parcourt les toiles à la recherche de celle qui fait battre son coeur un peu plus vite. Pourtant, il sait exactement quelle oeuvre il devrait citer. Il cligne des yeux, confus, et repose son regard sur Morphée.

Elle lui ressemble tellement.


— Il ne se trouve pas ici, le tableau que je préfère.

— Pourquoi ? il est impossible à voler ? Il se trouve au Louvre ?


L'idée de voler cette toile lui traverse l'esprit chaque jour alors qu'il n'ose déjà pas effleurer le simple cadre.


— Ce n'est pas un tableau qui doit finir ici, dans une pièce comme celle-ci. Je ne suis pas assez égoïste pour priver le monde entier de ce chef d'oeuvre. Ce tableau est fait pour briller.

— Et... quel est son nom, à ce tableau ?


Rapidement, il humidifie ses lèvres.


— Lady of Shalott.

— Oh.


Elle baisse rapidement le regard, gêné, sachant exactement de quoi il parle.


— Le tableau pour lequel j'ai posé, elle poursuit d'une voix plus basse. Je veux dire... la reproduction du tableau. Est-ce que cela a un quelconque lien avec ta présence lors de la séance photo ?

— Tu te souviens de moi ? Que j'y étais ? il demande, surprit.

— Et apparemment toi aussi car tu as retenu mon prénom sans que j'ai besoin de te le donner.


Comment aurait-il pu ne pas le retenir alors qu'il l'avait sur le bout de sa langue à chaque heure précédant cette séance photo ? Et c'est quelque chose d'étrange pour quelqu'un qui est aussi peu attentif au monde plat mais réel dans lequel il vit. Les gens partent et reviennent, le frôlent et l'ignorent, ça a toujours été comme ça. Mais quelque part dans ces gens il y a Morphée et, étrangement, elle réussit a capter chaque parcelle d'attention qu'il possède. Elle n'est pourtant pas une peinture, elle est belle et bien humaine. Divinement humaine.


— Et toi, il se surprend à prononcer une pensée à haute voix, c'est lequel ton tableau préféré ?

— Oh, tu sais, je ne suis pas une très grande connaisseuse en matière d'art. Je me suis arrêté à Van Gogh et Picasso.


Ses joues ont une teinte plus rosie mais la lumière qui décline dehors ne permet pas d'y faire attention.


— Tu as passé la journée dans cette pièce, il doit bien y avoir une toile que tu apprécies particulièrement.


Elle relève la tête et ne réfléchit pas autant que lui avant de montrer une oeuvre du doigt.


— Celle-là, déclare-t-elle.

— Glenn Gould, de Valeriya Lakrisenko, il commente en posant ses yeux sur le tableau. Pourquoi ?

— Je ne sais pas vraiment, elle hausse les épaules sans quitter la toile des yeux. L'homme dessus te ressemble.


Le ciel s'assombrit alors qu'ils restent prisonniers de leur monde. Ils aiment ça, cette admiration qu'ils perçoivent dans le regard de l'autre alors qu'ils parlent de ces tableaux dérobés. Ils en parlent longtemps ; de chaque oeuvre, chaque visage, de comment Harry les a sorti de l'ombre et parfois de la lumière. Ils en parlent longtemps et Morphée écoute, attentivement. Impressionnisme, gothique, renaissance, luminisme. Elle est captivée par les toiles, par la mâchoire tranchante d'Harry qui remue divinement lorsqu'il parle. Par l'émotion qu'elle lit dans ses yeux lorsqu'il les pose sur elle. De tous les chefs d'oeuvres ici, c'est peut-être lui qui l'a fascine le plus. Sa voix rauque, lente, qui détache chaque syllabe pour les sublimer. Elle admire les multiples bagues en argent qui s'alignent le long de ses doigts, qui frottent le cadre des tableaux dont il parle avec passion. Ils tournent dans la pièce comme des planètes autour du soleil, comme les heures qui ont passé depuis qu'ils sont ici. Il est tard maintenant.


— Tu as faim ? il demande finalement en entendant le maigre grognement qu'a fait l'estomac de Morphée. Je ne suis pas un grand cuisinier mais je peux te faire, hm, des pâtes ?


Elle fourre ses mains dans les poches de son jean, une vieille habitude, et sourit à ce qu'il vient de lui dire.


— Des pâtes, c'est parfait.


Il aurait voulu l'épater mais Morphée semble aimer les choses simples et banales, comme ces photographies qui ornent les murs du salon et qu'elle fixe attentivement en entrant dans la pièce. Elle mange ses pâtes sans un mot, mâchant tout en faisant balader son regard, tout cela sous les yeux d'Harry qui, lui, se contente d'un thé. Il n'a jamais très faim.


— Merci encore de m'héberger, elle attire son attention après quelques minutes de silence et repousse son assiette vide. Je ne sais pas comment te remercier.

— Évite simplement de répéter à quelqu'un ce que tu as vu là-bas, il répond en pointant la pièce au fond de son index. Je te demande juste ça.

— C'est promis, tu peux me faire confiance.


Et quelque chose dans ses yeux clairs lui assure que c'est la vérité. Alors, comme des milliers d'hommes le feraient en voyant ce visage délicat, il la croit. Il lui fait confiance.


— Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites, Harry poursuit. Je dormirais sur le canapé.

— Non, elle réplique aussitôt. Tu n'as pas à abandonner ton lit, c'est déjà moi qui m'incruste ici, dans ton appartement.

— Je ne vais pas te laisser dormir sur ce bout de béton.

— Et moi de même. On peut... mh. On peut dormir tous les deux. Sur le lit je veux dire. Si ça ne te dérange pas.


Sombrer dans les bras de Morphée dans un lit qu'il partagerait avec Morphée, c'est le genre de figure de style qui le séduit. Il est près de 22 heures lorsqu'ils décident d'aller dormir. La brosse à dent solitaire d'Harry se trouve maintenant avec celle de Morphée, devant le miroir vieillot de la salle de bain. La blonde suit timidement les pas d'Harry à travers l'appartement, ne cessant jamais d'observer chaque pièce avec curiosité. Harry l'a remarqué et se demande bien ce qui peut la captiver parmi la tristesse de son appartement. Il lui tend quelques vêtements pour dormir, qu'elle enfile lorsqu'il éteint la lumière de la chambre. Il se glisse sous les draps froids en entendant le froissement d'un jean. Les volets sont cassés, la lumière orangée des lampadaires vient éclairer les meubles de la chambre et dessiner leurs contours. Ne pouvant résister, Harry laisse son regard glisser sur Morphée.


De dos, près du lit, sa peau luit sous la lumière tamisée que diffuse l'extérieur. Des zones d'ombre et de lumière sur son dos nu alors qu'elle dégrafe son soutien-gorge. Tout glisse à merveille sur sa peau ; la lumière du soir, le regard captivé du bouclé et tout le malheur du monde. Sur sa peau il n'y a pas de malheur, pas de souffrance. Elle attire les couleurs comme une toile vierge, laisse le moment présent se dessiner entre ses grains de beauté. Rapidement, Harry imagine ses bagues ricocher délicatement sur ses côtes apparentes. Il finit par détourner le regard, troublé, alors qu'elle enfile un t-shirt pour le rejoindre sur le matelas trop dur. Un soupir quitte ses lèvres et résonne infiniment dans son esprit.


— Bonne nuit, Harry.


Il cligne des yeux, fixant le plafond.


— Bonne nuit Morphée.


Il aimerait voir le sourire qu'il imagine sur ses lèvres à cet instant.


— Au fait, elle souffle alors que ses paupières tombent de fatigue. J'ai arrosé tes plantes. Elles étaient en train de mourir.


. ✵ . * ✫ 


nda

hello, j'espère que vous passez de bonnes vacances ! J'ai l'impression que mes chapitres sont de plus en plus longs, je sais pas si c'est bien ou pas, le prochain sera sans doute en dessous des 2500 mots je pense. Ici on en apprend plus sur la relation entre Harry et l'art, et bien sur on voit un rapprochement entre Morphée et Harry. Certains trouvent peut-être que ça va trop vite entre eux deux, mais cette histoire est en fait relativement courte, avec 15 chapitres et un épilogue en deux parties. 

j'adorerais avoir votre avis sur la fiction, le chapitre, et sur le trailer que j'ai fais (en média) (:

comment vous trouvez les personnages, l'histoire, et vous aimez les tableaux que je montre dans les chapitres, vous les connaissez ? Que pensez vous de la fin du chapitre ?

merci pour vos commentaires, votes et messages parfois, ça m'aide plus que vous ne pensez (:

bisous ♡

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