s e p t

« ma main passant dans tes cheveux, 

 j'y passerais bien la nuit, 

la journée, même la vie  »



⋆ ⋆


Son prénom est la seule chose qu'il a envie de prononcer ce matin. Morphée. morphée morphée morphée, Dieu grec ressuscité en cette douce créature qui dort paisiblement sous ses draps.


C'est la lumière du jour qui a réveillé Harry, une sorte d'appel divin lui ordonnant d'ouvrir les yeux pour admirer celle qui partage son lit. Ce qu'il contemple pourrait s'inscrire dans une croyance, un livre sacré. L'Éveil sur ses paupières closes, Adam et Eve naissant de son souffle régulier, les Neufs Mondes sur ses courbes et le Mont Olympe aux commissures de ses lèvres. Jamais il ne s'est senti aussi proche du ciel qu'avec elle a ses côtés. Alors il la regarde sans un mot, sans un geste, comme on regarde une toile.


Est-il ensorcelé, envoûté ? Il ne se souvient pas avoir déjà ressenti ce qu'il ressent maintenant. Il ne se souvient pas des jours précédant celui où il a aperçu Morphée pour la première fois. Qu'a-t-elle pu bien lui faire ? Serait-ce la manière dont elle l'a regardé hier, lorsque la nuit se déclinait en mille nuances sur sa peau ? Non, ça date d'avant cela, bien avant. C'est lorsqu'elle a donné vie à ce tableau. Et c'est étrange, pour lui, d'être à ce point captivé par un être fait de chair et d'os.


Harry ne s'est jamais intéressé à l'humanité auparavant, seulement aux créations qu'elle génère.

 

Une mèche de ses cheveux dorées tombe devant son visage et devient le centre d'attention du bouclé. Il lève une main délicatement, prêt à remettre en place ce qui cache la pureté et la douceur de ses traits. Au dernier moment, il se stoppe. Ses doigts sont si proches de sa peau qu'il peut sentir la chaleur qui en émane. Comme ce soir là, à la laverie automatique, sa main reste suspendue à quelques millimètres de son visage. Harry ne la touche pas, il ne peut se résoudre à le faire. Il a peur qu'à la moindre caresse, le moindre touché, elle ne se brise. Qu'elle disparaisse, perde son éclat, s'évanouisse en des milliers de grains de poussières. Il peur, en la touchant, qu'elle ne devienne comme lui ; fade et sinistre.


Il fait retomber sa main à ses côtés et, après un dernier regard, décide d'écarter les draps pour s'en extirper. Ses doigts s'emmêlent dans ses cheveux alors qu'il se déplace sans bruit jusqu'à l'armoire. Il pioche quelques vêtements pour lui, et d'autres qu'il plie maladroitement et pose sur la table de nuit, pour Morphée. Ses yeux se plissent en sortant de la chambre, aveuglé par la lumière. Le soleil levant illumine l'appartement, déposant un peu de chaleur sur cet ensemble morose et un peu de couleur par-dessus les ombres. On pourrait croire que c'est un endroit chaleureux. Harry se rend dans la salle de bain, cette pièce minuscule qui ressemble davantage à une jungle. C'est envahi de plantes et, en plus d'être à moitié mortes et de prendre toute la place, elles créent de la buée sur le miroir. Au moins, ça l'empêche de voir ses cernes.


Il se glisse sous l'eau tiède, ses cheveux bouclés se plaquent sur sa peau alors qu'il ferme les yeux. Une odeur de jasmin accompagne le silence qui règne dans la pièce. Habituellement il déteste ça, le silence. C'est ce qui baigne la plupart de sa vie, c'est ce vide dans l'air, c'est le rappel constant de sa solitude. Aujourd'hui pourtant, il aime le calme. Il sait que Morphée est à quelques pièces d'ici, paisiblement endormie. Ce silence là n'est pas causée par la solitude, aujourd'hui il n'est pas seul.


Ses cheveux gouttent sur le t-shirt mal repassé qu'il a enfilé en sortant de la douche. Il se dirige vers la cuisine d'un pas léger, trébuchant parfois sur les livres et autres conneries qui trainent par terre. Son frigo est vide, comme toujours. Harry ne s'en soucie pas habituellement mais, aujourd'hui, il y a Morphée. Pour la première fois, tout semble avoir de l'importance. Tout semble valoir le coup, puisque c'est pour elle.


Alors il sort les deux oeufs qu'il reste ainsi qu'une vieille casserole qui doit avoir connu Churchill et la guerre. Son coeur ne semble plus figé dans sa poitrine alors il s'en sert, il cuisine de tout son coeur, il s'applique comme un chef. Ce n'est pas n'importe quels oeufs au plat qu'il essaye de faire ; c'est le petit déjeuner qu'il va partager avec Morphée.


— Bonjour, une voix fatiguée résonne derrière lui, accompagnée des craquements du parquet.


Il se retourne pour l'apercevoir. Le t-shirt est immense sur elle, les manches courtes recouvrent presque entièrement ses avants bras. Harry prend le temps d'observer le petit sourire qui étire ses lèvres, son air encore endormi. Le soleil l'éblouie un peu, c'est vrai qu'il semble plus intense aujourd'hui.


— Hey, il lâche finalement, un mince sourire aux lèvres. Tu as bien dormi ?


Morphée se déplace jusqu'à l'un des tabourets vieillots qui entourent la table haute de la cuisine. Ses yeux se verrouillent à ceux d'Harry, son sourire s'agrandit.


— Divinement bien.


Sans rêve ni cauchemar, sans fixer le plafond pendant des heures, sans essayer de prédire un futur indécis ; Morphée n'a pas dormi ainsi depuis des mois. Elle avait fermé les yeux naturellement, bercée par la respiration de l'homme qui s'endormait à côté d'elle. Le même possédant ces prunelles claires qui l'étudient à présent.


— J'ai fait des oeufs au plat, il déclare en jetant un bref regard à la casserole sur le feu, j'espère que ça te convient.

— C'est parfait Harry, merci infiniment.


Elle ne sait réellement comment le remercier, elle espère qu'un sourire puisse exprimer toute la gratitude qu'elle ressent. Heureusement pour elle, c'est tout dont Harry a besoin.


— J'avais peur que tu sois déjà parti travailler, elle raconte tandis qu'il se tourne pour attraper la casserole qui commence à faire un bruit inquiétant.


Morphée observe ses muscles rouler sous son tee-shirt tandis qu'il fait tomber les oeufs au plat dans deux assiettes.


— Je travaille de nuit aujourd'hui, j'ai toute la journée de libre.


Il s'installe en face de Morphée après avoir déposé une assiette devant elle. Son sourire vire en une grimace lorsqu'il regarde son plat. Ses oeufs tirent la gueule. Il est bien le seul à s'en inquiéter, Morphée ne perd pas de temps dans la contemplation de son petit-déjeuner et s'empresse d'y goûter. Harry attend de voir une grimace, la moindre trace de dégoût sur son visage, mais il n'y a rien de plus que les rayons du soleil qui se dessinent sur ses traits.


— Il fait un temps magnifique, elle s'exclame après une bouchée, tournant la tête vers les fenêtres qui dévoilent un ciel bleu, orangé par endroit grâce au soleil. Je devrais passer chez moi, elle poursuit, pour récupérer quelques affaires. Enfin, si les huissiers n'ont pas déjà tout dégagé.


Harry n'a toujours pas touché à son assiette, il essaye de lire les émotions dans son regard. Il cherche la faille du tableau. Comme devant ses toiles volées, il analyse. La Joconde n'a plus rien de mystérieux à côté de Morphée. Son passé semble oublié, c'est comme si elle était née au moment où ils s'étaient rencontrés. Pourtant, quelque chose a bien dû faire naître l'air vulnérable qu'elle porte.


— Et si on allait se promener ? Harry demande soudainement.


Elle le fixe, surprise.


— Il fait beau, on a rien d'urgent à faire. On pourrait flâner à Londres comme des touristes, il ajoute un enthousiasme nouveau.


Il n'a jamais pensé à le faire, pas une fois depuis qu'il a emménagé. Mais aujourd'hui il veut être avec elle, désespérément, et faire toutes ces choses agréables dont les poètes font l'éloge.


— Tu t'es déjà baladé le long de la Tamise ?


⭐︎⭐︎


Les lèvres de Morphée défient le rouge des roses. Elle n'a rien enfilé de spécial avant de sortir, simplement ce rouge à lèvre vif qui trainait au fond de son unique bagage. Lorsqu'elle n'est pas éblouis par le soleil, son regard s'attarde sur Harry qui marche à ses côtés. Elle a mis ce rouge à lèvres pour lui. Ses cheveux bouclés retombent sur ses épaules à chaque pas qu'il fait, sa chemise blanche au col évasé lui donne des allures de poète. Leurs yeux se rencontrent parfois, après qu'elle ait lâché quelques paroles absurdes pour attirer son regard. Et son sourire. Il est sublime son sourire.


London Bridge s'étend juste derrière eux, ils marchent à contre courant des passants. C'est comme s'ils découvraient la capitale pour la première fois. A leurs yeux ce coin n'a jamais été plus qu'un attrappe touristes et la Tamise n'est habituellement qu'un fleuve reflétant le gris du ciel. Et pourtant les voilà, marchant côte à côte, couvant Londres du regard.


— C'est sans doute la première fois que je viens ici en quatre ans, Morphée déclare. C'est stupide pas vrai ? Habiter une si jolie ville et ne jamais en profiter.


Ses problèmes avaient créé une jolie prison pour elle et son esprit, elle ne pensait pas vraiment à aller se balader après les visites que lui rendait Dean. Harry, lui, n'a juste jamais eu envie de flâner dans cette ville. Londres c'est tout gris, comme lui. Pourtant il ne peut pas dire qu'un délicieux parfum de vitalité ne se dégage pas du bord de la Tamise. Peut-être qu'il s'agit juste du parfum de Morphée.


— Tu vivais où avant de venir à Londres ?

— Camelford, elle répond en lui jetant un bref regard. C'est un petit village à l'ouest.

— 'Connais pas.

— Personne connaît.


Son ton est neutre, son regard est fuyant. La tamise se reflète sur ses orbes claires, avec un doux soupçon de mélancolie qu'Harry parvient à remarquer. Des souvenirs doivent défiler dans son esprit à cet instant, pas un ne fait revenir son sourire.


— Pourquoi tu es parti ? il demande, sa curiosité s'éveillant.

— Je ne sais pas... l'attirance pour les grandes villes, je suppose. Les possibilités.


Harry comprend qu'elle n'en dira pas plus. Il comprend aussi que c'est tout un mystère qui se cache en ce petit bout de femme, et ça l'intrigue. Quelque chose chez elle l'a captivé dès la première seconde. Il aimerait dire que ce n'est que physique ; des lèvres rouges vifs, un corps sculpté, une grâce infinie dans le moindre de ses mouvements. Un air d'oeuvre d'art. Mais c'est bien plus, c'est métaphysique. C'est les petites choses invisibles qui composent son ombre, c'est la manière dont elle a regardé les tableaux hier soir, c'est les secrets qui trainent sur le bout de sa langue. Harry a senti ce parfum de mystère sur elle, c'est peut-être ce que cette sirène a utilisé pour l'attirer dans ses filets.


— Et toi ? elle demande finalement, mettant sa main en visière pour le regarder. Je sais que tu n'as pas toujours habité Londres. Tu viens d'où ?

— Manchester, rien d'original.

— C'est les musées qui t'ont attiré ici ?

— Entre autre.


Il n'est pas parti de Manchester, il a fuit. Il a cru pouvoir semer le spleen. Mais ça il ne le dira pas, Morphée n'est pas la seule a manier l'art des réponses vagues.


— Je n'ai jamais pensé à venir ici, il poursuit après quelques secondes de silence. Je vois la Tamise tous les jours en sortant du Tate Modern, j'imagine que je m'en suis lassé.

— Mais ça fait du bien, non ? De jouer au touriste ?


Harry se sent léger. Ses sens fonctionnent mieux, les couleurs sont plus intenses, les bruits superficiels sont écartés naturellement pour qu'il ne reste que le plus important. La voix de Morphée. Il observe sa peau velouté sur laquelle se dessine les couleurs. Et il se sent léger, comme si plus rien n'avait d'importance. Comme si ses actions ne porteront pas de conséquences dans le futur.


— Soyons des touristes jusqu'au bout, il s'exclame en laissant naître un sourire sur ses lèvres.


Elle sourit, elle aussi, et le suit lorsqu'il prend un chemin dérivant de la balade le long du fleuve. Une petite boutique d'attrappe touristes se trouve à quelques pas, le genre de magasin qui vend des t-shirts "god save the queen" et des plans de métro. Harry laisse passer Morphée en premier et, dans la démarche, effleure le bas de son dos du bout des doigts.


La boutique est blindée de touristes et pourtant personne n'achètera quelque chose, c'est un fait. Tout le monde s'extasie sur les boules à neige comme s'il s'agissait d'un objet unique venant du futur. Le futur a un drôle parfum de Chine et de plastique. Harry observe les murs menaçant de s'écrouler sous le poids de toutes ces babioles. Il attrappe les boules à neige, les retourne sans ressentir la satisfaction que d'autres peuvent ressentir en voyant des faux flocons tomber sur une miniature de Big Ben. Il touche à tout, manque de renverser une étagère pleine de dé à coudre. C'est la première fois qu'il joue au touriste, il a le droit aux erreurs. Son regard se pose finalement sur Morphée qui essaye des lunettes de soleil au fond de la boutique. Il la regarde enfiler une paire rose avec des verres en forme de coeur et observe le sourire qui naît sur ses lèvres rouges alors qu'elle se regarde dans le miroir.


— Elles te plaisent ? il demande après avoir traversé le magasin pour la rejoindre.


Il connaît déjà la réponse, c'est écrit sur ses traits.


— Je n'ai pas d'argent, elle répond simplement avant de reposer les lunettes sur le présentoir.

— Moi non plus. Mais, il se penche légèrement et entreprend de baisser le volume de sa voix, ne suis-je pas le plus grand voleur de ce siècle ?


Elle tourne la tête pour lui lancer un regard étonné, auquel il répond par un simple sourire. Ce n'est ni un Vermeer ni un Monet mais pour revoir cette expression sur le visage de Morphée, il volerait n'importe quoi. Au final, c'est plus pour lui même qu'il fait ça. Ses yeux voyagent le long de la boutique, il repère le vendeur en train de pianoter sur son téléphone à la caisse.


— Parle allemand, Harry chuchote en prétendant s'intéresser au présentoir à lunettes.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Parce qu'on est censé être des touristes. Et puis, l'allemand ça dissuadera le vendeur de s'approcher.

— Oh, d'accord Helmut.


Il lui lance un regard en coin et prend une profonde inspiration, comme s'il s'apprêtait à jouer le rôle de sa vie. Les mots qu'il commence à débiter n'ont rien d'allemands, il doute même qu'ils puissent exister dans une quelconque langue. Morphée pince ses lèvres entre elles, perdue quelque part entre l'envie de rire et celle de porter ces lunettes. Il continue à sortir ces mots incompréhensibles et, discrètement, attrappe la fameuse paire de lunettes avant de la faire délicatement glisser sous la manche de sa veste en jean. Leurs regards se croisent, ils comprennent et sourient. Personne n'a rien vu, le vendeur n'a pas bougé. Ils commencent à se diriger vers la sortie lentement, sans précipitation. Pris d'une confiance sans faille, Harry attrappe même un petit paquet de bonbon avant de définitivement sortir du magasin. Ils marchent un peu plus rapidement dehors et attendent de regagner le bord de la Tamise avant de finalement réagir à ce qu'ils viennent de faire.


— Je crois que ceci t'appartient, Harry sourit à Morphée en lui tendant les lunettes.


Elle le regarde comme on regarde la personne qu'on aime le plus au monde. Ses pas ralentissent, elle place l'objet sur son coeur et fixe Harry qui s'arrête lui aussi. Il attend quelque chose, un mot, un geste, et reste interdit devant la beauté qu'elle donne au paysage.


— C'est la chose la plus gentille qu'on ait faite pour moi, elle déclare d'une voix douce, aussi douce que du velour.


Son coeur s'affole à l'idée d'être celui qui la rendre heureuse. Égoïste qu'il est, il espère être le seul. L'unique homme à pouvoir faire naître cette admiration dans son regard. D'ailleurs il n'a parlé de Morphée à personne, il ne la veut que pour lui. Il espère l'épater avec quelques bonbons, des omelettes le matin et une paire de lunettes volée afin qu'elle ne veuille jamais le quitter.


— J'ai aussi volé des bonbons, il déclare, sortant le petit sachet de sa poche alors qu'ils se remettent à marcher.


Le visage de Morphée s'illumine, ses lunettes en forme de coeur lui donne un air de gamine. Et le regard qu'elle donne à ce paquet de bonbon également.


— Tu peux me donner la réglisse, je suis sûre que tu n'aimes pas ça.

— Figure toi que j'adore la réglisse.

— Ne dis pas ça trop fort, elle s'exclame, on risquerait de se faire arrêter par des flics.

— Parce qu'on aime la réglisse ?

— Oui. Quoi qu'il y ait plus de chance que tu te fasses pincer pour effraction et vol de collection publique.


Un rictus prend possession des lèvres charnues d'Harry.


— C'est donc ça que je suis à tes yeux, il répond calmement. Un voleur.


Il dépose quelques bonbons dans la main de Morphée en sentant ses yeux l'étudier en silence. Hésitant, il lève le regard vers elle.


— Non, je te vois comme un artiste.


Il essaye de lire une trace d'humour dans ses iris mais n'en voit aucune. Ses mots résonnent dans son esprit, il écoute attentivement leurs échos pour être certain que c'est bien cela que Morphée lui a dit. Elle le voit comme un artiste.


Ils décident de s'asseoir sur un coin d'herbe au bord de la Tamise, là où des couples s'embrassent entre les pissenlits. Harry n'a pas encore brisé le silence, il hésite même à répondre. Il le doit pourtant, il doit lui dire qu'il n'a rien d'un artiste. Il n'est rien de plus qu'un connard de pessimiste qui voit le monde en gris, un insensible fatigué, un misérable voleur égoïste. Il lui parlerait alors du spleen, de cet immense vide qui résume son existence, et des sensations qu'elle seule arrive à provoquer. Mais Harry n'est pas doué avec les mots, et il ne le sera jamais. Il joue distraitement avec une fleur alors que son regard se perd sur la Tamise.


— Crois-moi, je n'ai rien d'un artiste. Je ne sais rien faire. Ni peindre, ni composer. Je n'ai jamais rien créé.

— Mais tu vois, elle réplique. Ce n'est pas donné à tout le monde de voir, c'est difficile. Tu parles aux artistes à travers leurs peinture, tu comprends ce qu'ils veulent que tu comprennes. Je l'ai vu hier soir.


Ses mains restent occupées par les pissenlits qu'il cueille distraitement, son esprit voyage en même temps que ses prunelles vertes.


— Je ne suis qu'un collectionneur, il affirme d'une voix terne.


Artiste est un titre bien trop lourd à porter, il n'en ai pas digne.


— Je ne te crois pas, Morphée réplique en tournant la tête pour le regarder. Personne ne se réveille un matin en ayant envie de collectionner des tableaux de maîtres.

— J'aime l'art, c'est tout. Je l'ai étudié pendant quelques années avant de venir à Londres.

— J'ai étudié la physique, ce n'est pas pour autant que j'ai une fusée dans mon appartement.

— Ça c'est peut-être parce que tu n'as plus d'appartement, justement.


Il rit en captant le regard scandalisé qu'elle lui lance, ses yeux se plissent et des fossettes viennent creuser ses joues alors qu'il rejette la tête en arrière. Morphée arrache un pissenlit pour lui lancer dessus, son rire s'élevant plus discrètement.


— Sérieusement Harry, elle commence d'un ton plus posé. Merci de me laisser rester chez toi.

— T'as pas besoin de me remercier.


Il se sent presque coupable à chaque merci qu'elle lui souffle. Tout ce qu'il fait pour elle, il le fait surtout pour lui. Pour pouvoir poser ses yeux sur elle, comprendre ce qu'elle est en train de lui faire tout en admirant sans fin la douceur de ses traits, de ses courbes.


— Sans toi je serais sans doute dans un bus en direction de l'enfer, elle poursuit.

— Ce n'est donc pas l'enfer de partager le même appartement que moi ?

— C'est plus un honneur qu'autre chose.


Il baisse les yeux vers les pissenlits qui l'occupent distraitement depuis avant. Il se souvient encore des couronnes de fleurs qu'il faisait avec sa soeur lorsqu'il était petit et qu'un rien arrivait à capter son attention. Le regard de Morphée lui picote la peau, il la sent l'examiner et crève envie de faire pareil pour la millième fois.


— Je veux dire, tu as quand même l'équivalent du Louvres à côté de ta salle de bain. C'est incroyable.


Sa remarque décroche un sourire à Harry qui continu à jouer avec les fleurs jaunes. Il commence à les enrouler, tordre les tiges. Un silence apaisant tombe sur eux comme un voile de satin, leurs regards se perdent entre le fleuve et les fleurs. Mais le silence ne dure que quelques minutes, brisé par les soudaines vibrations qui émanent du téléphone de Morphée. Son visage pourtant si expressif se ferme lorsqu'elle pose les yeux sur son écran. Harry la surveille du regard, il a vu celui de Morphée s'assombrir en l'espace de quelques secondes et sait que ça n'a rien de normal. La moitié d'une couronne de fleurs repose dans ses mains qu'il a cessé de remuer d'un coup.


— Je vais essayer de retrouver un travail au plus vite, elle s'exclame en faisant disparaître son téléphone, ne faisant cependant pas partir son air préoccupé. Et bien sur, un nouvel appartement. Je ne veux pas t'embêter trop longtemps.


C'est comme un brusque retour à la réalité, l'éclatement de leur bulle. Les nuages redeviennent gris.


— Et si tu ne trouves rien ? Harry demande sans la regarder, tentant de réanimer les milliers d'espoirs qu'elle est en train d'enterrer.

— Eh bien, je n'aurais plus qu'à quitter Londres.


Le regard d'Harry se perd sur elle, cette fois. Dans ses yeux bleus il y a quelque chose qui réchauffe le coeur du bouclé, et sur sa bouche il a tout ce qu'il voudrait goûter. Il se sentirait presque mal de penser ça d'une femme qu'il vient seulement de rencontrer, mais est-ce réellement mal d'être à ce point attiré par le bien ? C'est tout ce qu'elle semble être ; le bien. Fragile, vulnérable et lumineuse. Mais il y a ce brin de folie en elle, le genre qui lui ferait réciter les monologues de Racine en prenant des airs de grande tragédienne. Elle est l'idéal, lui n'est que le spleen, mais même le plus grand des poètes les faisait danser ensemble dans ses vers.


Et soudain, en la voyant ainsi, il comprend. Morphée avait raison ; il arrive à voir. Il voit à travers les toiles et maintenant il voit en elle. Il aperçoit la détresse qui se cachait jusqu'alors dans ses iris. Il remarque la manière dont ses mains sont crispés autour de ce téléphone. Il voit et comprend pourquoi tout chez elle l'attire à ce point.


Peut-être qu'elle a le spleen, elle aussi.


Sur cette pensée, il dépose délicatement la couronne de fleurs sur ses cheveux blonds. 



. ✵ . * ✫


hey pretty people

déjà je suis désolé pour deux choses ; 1. ce retard monstrueux et 2. ce chapitre qui rentre dans la catégorie des pires que j'ai pu écrire. L'inspiration n'était pas présente comme on dit. J'espère qu'il vous a quand même plu même si il est niais sur les bords. mais on aime le niais.

je me doute que l'histoire peut paraître un peu lente (et ennuyeuse) mais don't worry, le prochain chapitre va ramener pas mal d'action hehe. les problèmes arrivent.

la dernière fois que j'ai publié il y avait 500 vues et maintenant on est à 1k, c'est juste extra donc merci beaucoup (et merci pour vos commentaires / messages, vous réchauffez mon coeur)

n'hésitez pas à me donner votre avis, vos hypothèses, je me tâte de les lire et d'y répondre (:

la bise

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top