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« elle mentait à ses propres rêves »



⋆ ⋆ 


Les façades des bâtiments se dégradent à mesure qu'on s'éloigne du centre de la capitale ; moins de moyen, moins de beau monde à impressionner. Morphée se tient au pied de son ancien immeuble, contemplant d'un œil mauvais cet amas de pierre qui n'a plus voulu d'elle. Ce n'est pas le meilleur moment pour faire ce qu'elle s'apprête à faire, le coin est moins sûr lorsque le ciel commence à assombrir les ruelles et elle aurait très bien pu attendre le lendemain matin pour se rendre ici. La journée était pourtant merveilleuse au bord de la Tamise mais Harry a dû partir faire la garde de nuit au Tate Modern, n'imaginant pas un seul instant à quel point Morphée pouvait se mettre en danger lorsqu'elle n'était accompagnée que du silence.


Elle se retrouve donc ici, prête à récupérer les quelques fragments de sa vie qui résident dans un appartement condamné.


L'intérieur de l'immeuble est sombre, plongé dans le noir, on aurait pas fait attention aux marches d'escalier si elles ne produisaient pas un bruit inquiétant à chaque pas. Un bruit qui ne crée plus aucune réaction chez Morphée, pas même l'ombre d'un sursaut. Sa main agrippe la rampe rouillée, une chaleur étouffante stagne entre les murs de l'immeuble et l'accompagne alors qu'elle gravit les étages. Des néons blanchâtres éclairent le couloir après qu'elle ait cherché un interrupteur à tâtons et ses yeux se posent immédiatement sur la porte au fond. Son ancien appartement. Elle avance à pas feutrés, fixant le numéro treize qui décore pauvrement la porte. Il y a normalement un six devant mais il a pendu pendant quelques années avant de finalement se décrocher. Dès lors ce fut l'appartement numéro treize, le maudit.


Un avis l'expulsion est placardé sur la porte, une feuille rouge qui se voit depuis l'autre bout du couloir et qui est surement là à titre d'exemple pour les autres résidents. « Voyez ce qui arrive à ceux qui ne payent pas leurs dettes ». Morphée ne s'étonne pas lorsque la clef ne parvient pas à entrer dans la serrure. Elle reste un moment devant la porte, ne se concentrant sur rien d'autre que sa respiration et les lettres capitales inscrites sur la feuille. « Expulsé ».


Derrière cette porte il y a tout ce qu'elle a laissé et même si elle ne peut plus récupérer les rêves qui se sont effrités entre ces murs, elle compte bien reprendre le peu d'affaires qui lui appartiennent. Ses mains arrachent rapidement l'avis d'expulsion et il suffit de quelques coups de pieds sur la poignée pour que la porte s'ouvre enfin, claquant contre le mur dans un bruit sourd. Elle entre prudemment, ses pas font crier le parquet. Elle laisse la porte d'entrée grande ouverte comme pour s'assurer qu'elle peut s'échapper d'ici rapidement et à tout moment. Rien n'a changé, tout est terne. Des couleurs fades sur des meubles qui seront bientôt pris par les huissiers. On ne pourrait même pas entendre le soupire qu'elle lâche du bout des lèvres avant de se diriger dans la chambre. Elle sort un grand sac de sous son lit et s'empresse d'y fourrer des vêtements avec des gestes qui témoignent d'une certaine nervosité. Comme si elle prenait la fuite.


Elle retourne dans le salon, le sac pendant à son épaule. Ses yeux cherchent quelque chose, le moindre objet qui puisse avoir assez de valeur pour qu'elle veuille l'emporter avec elle, loin de ce tas de ruine. Finalement, son regard se pose sur les trophées. Ils décorent fièrement une étagère du salon mais ne brillent plus depuis longtemps. Morphée s'approche, levant la tête pour les contempler. Ça fait si longtemps qu'elle n'a pas pris le temps de bien les regarder, de lire les éloges gravés sur les coupes. Ses doigts en agrippent une, qu'elle détaille avec plus d'intérêt, jusqu'à ce qu'elle décide de toutes les faire glisser dans son sac. S'il y a bien une chose qui a de la valeur à ses yeux, c'est cette partie du passé.


Morphée replace correctement son sac sur l'épaule lorsque la sonnerie de son téléphone fait vibrer sa poche arrière. Elle l'attrape difficilement et peut sentir ses muscles se serrer lorsque ses yeux tombent sur les quatre lettres qui s'affichent sur l'écran. La sonnerie est bruyante, interminable, comme si elle n'allait jamais cesser. Mais elle cesse, et Morphée lâche le souffle que la peur avait bloqué dans ses poumons.


— Ravi de voir que ton téléphone fonctionne.


C'est un timbre de voix que l'on reconnaitrait entre mille, notamment pour le silence glacial qu'il laisse derrière lui. Si glacial que Morphée peut sentir le sang se geler dans ses veines. Son souffle sortirait surement en une buée blanche s'il n'était pas à nouveau piégé dans ses poumons. Elle sait sur qui ses yeux se poseront lorsqu'elle aura le courage de relever la tête, elle peut déjà visualiser les traits de son visage et sentir le venin que cracheront ses mots.


Comme un fantôme qui refait surface après qu'on ait tenté d'oublier son existence, Dean se tient là, accoudé au chambranle de la porte. Les fantômes reviennent toujours vous hanter temps que le travail n'est pas terminé. Ses yeux restent fixés sur Morphée, la froideur de son regard ne l'avait jamais effrayé jusqu'à maintenant. Dean ne la regarde pas comme il l'a toujours fait, il n'y a pas cette lueur d'espièglerie qui pouvait se montrer aussi dangereuse que rassurante. Ses prunelles ne sont plus que deux blocs de glace inexpressifs, et rien ne pourrait plus la terrifier.


Son attention s'arrête sur le sac de voyage qui pend sur l'épaule de Morphée. Il le fixe quelques instants avant de relever le regard vers elle, faisant durer le suspense encore un peu. Coincée ici avec lui, Morphée attend qu'il fasse le premier geste, qu'il dise le premier mot. Qu'il démarre le spectacle.


— Tu vas quelque part ? il demande en pointant le sac de l'index.


C'est une question rhétorique, il connait très bien la réponse. C'est pourquoi Morphée reste silencieuse, son regard ne déviant jamais de celui de Dean. Il décroise les bras et décide finalement de s'approcher, sa démarche légère ne laissant même pas le temps au parquet de craquer sous ses pas.


— J'ai vu l'avis d'expulsion sur ta porte l'autre jour, il raconte d'une voix basse, tu étais introuvable. Je me suis fait énormément de soucis, tu sais.


Le poison de ses mots est caché dans le véritable sens qu'ils portent. Rien n'est sincère ; ni ses paroles, ni l'air faussement inquiet peint sur son visage.


— Mais je savais que tu allais revenir. Tu ne partirais quand même pas sans tes précieux trophées, il termine en lançant un regard amusé aux coupes dorées qui dépassent de son sac.


Morphée s'en veut d'être si prévisible ; elle s'en veut pour beaucoup de choses, notamment pour avoir fait confiance au serpent qui se tient devant elle. Il la fixe de ses yeux perfides, cherchant dans son regard la moindre trace de frayeur. Encore un pas, puis un autre. Il s'approche jusqu'à ce qu'elle puisse sentir son souffle gelé contre sa peau.


— Ne fais pas ça Dean. S'il te plait.

— Quoi donc ?

— Ça, elle insiste. Me menacer.


Il garde le silence pendant quelques secondes, étudiant l'expression de son visage.


— Je ne te menace pas Morphée, il finit par dire avec sérieux. Mais sois certaine que je le ferais dans un mois si je n'ai toujours pas les 75 000£ que tu me dois.


Un pouffement sort malencontreusement de sa bouche, le genre qu'on lâche sous la pression. C'est souvent comme ça qu'elle réagit lorsque Dean parle de cette somme astronomique et, à la manière dont il la prononçait, chaque zéro semblait ressortir et lui donner un peu plus le vertige. Elle brise leur contact visuel, préférant fixer les murs fissurés que ces deux blocs de glace.


— Tu me donnes un délai maintenant ? elle demande dans un souffle.

— Peut-être que ça te foutra la pression de savoir qu'il y a une date limite.


Morphée replace correctement le sac qui glisse sur son épaule et ose finalement relever le regard pour maintenir celui de Dean. Il ne lui donne plus qu'un mois pour rassembler la somme qu'elle n'a jamais réussis à récupérer et, en le regardant droit dans les yeux, elle brûle d'envie de demander : « sinon quoi ? ». Après tout, que pourrait-il lui faire ? Comment pourrait-il l'atteindre ?


— On verra bien, Dean, elle se contente de dire.


Morphée prend le temps de jeter un dernier coup d'œil à la pièce, à cet appartement qui emportera avec lui tous les souvenirs d'une période compliquée qu'elle espère maintenant révolue. Les meubles qui seront vendus ou laissé sur le trottoir devant l'immeuble, la poussière qui s'est entassée sur eux et l'espace qu'ils vont laisser, le vide qu'il y aura. Elle pense à tout cela, sentant le poids du sac sur son épaule, et finit par contourner Dean pour s'en aller.


— A dans un mois Morphée.


En sortant, elle n'a plus aussi peur que lorsque Dean est apparu par surprise dans cet appartement. C'est le point positif des chantages qu'il lui fait vivre depuis deux ans ; avec le temps, la crainte s'efface. Peut-être est-ce là l'erreur de Morphée, le fait de ne plus craindre la personne qui la menace. Le piège se refermera sur elle et sous-estimer Dean sera la dernière chose qu'elle fera.


« Sinon quoi ? »


⭐︎ ⭐︎


Il est presque trois heures du matin lorsqu'elle aperçoit la silhouette d'Harry remonter la ruelle sous la lumière dorée des lampadaires. Morphée le suit du regard depuis la fenêtre du salon, où elle se tient depuis des heures, et observe les boucles brunes qui se balancent à chaque pas qu'il fait sur le pavé. Elle jette un rapide regard à la tasse de thé froide entre ses mains, puis au salon quasiment plongé dans le noir. La lumière extérieure dessine des contours orangés aux meubles et fait scintiller les trophées que Morphée a posé sur la table basse.


Un bruit de trousseau résonne dans le couloir, puis celui du parquet qui craque sous des pas maladroits, suivi d'autres sons qu'Harry essaye surement de ne pas produire en entrant dans l'appartement. La lumière colore sa peau et dessine sa silhouette alors qu'il débarque dans le salon, se débarrassant de ses chaussures à l'aide de quelques coups de pieds. Il s'apprête à balancer sa veste sur le canapé lorsqu'il remarque le sac de sport qui s'y trouve, et lève immédiatement la tête pour croiser le regard qui l'étudiait en silence depuis avant.


— Morphée, il lâche dans un souffle, la surprise se lisant dans ses yeux curieux, tu ne dors pas ?

— J'y arrive pas, je t'attendais.


Il hoche lentement la tête, un sourire se formant sur ses lèvres à l'idée qu'elle l'ait attendu toute la nuit. Il l'imagine danser pieds nus dans le salon, sur une vieille musique, vêtue seulement d'une immense chemise qu'elle lui aurait volée. Il la voit à moitié endormie sur le canapé, des milliers de pensées en tête, puis allongée sur le parquet, lisant un bouquin à bout de bras au-dessus de sa tête. Il l'imagine et regrette de ne pas l'avoir vu de ses propres yeux, ou qu'une de ces images ne soit peinte puis accroché à côté d'un De Vinci.

Et maintenant elle est là, adossée contre la fenêtre, et la lumière extérieure crée un halo autour de son visage délicat. Harry se force à détourner le regard.


— Je... j'avais cuisiné quelque chose avant et il y a des restes dans le frigo, Morphée explique en observant Harry qui se débarrasse de sa veste. Je me suis dit que tu aurais surement faim en rentrant.


Il sourit à ses mots, une fossette creusant sa joue alors que ses mains retournent la paperasse d'un tiroir bancal. Ses yeux se posent finalement sur le paquet de cigarette qui se cache là, sous des relevés bancaires froissés. C'est toujours le même paquet, avec les mêmes vieilles clopes et le même vieux briquet planqué à l'intérieur. Harry n'a jamais voulu le jeter et c'est typiquement la faute à ce type de soirée où l'envie de nicotine se fait inexplicablement ressentir.


— C'est gentil, il répond finalement avec cette même stupide fossette en refermant le tiroir. J'ai juste besoin d'un petit remontant avant.


Morphée ne le quitte pas des yeux alors qu'il se déplace jusqu'à la fenêtre, face à elle. Il appuie son épaule contre le mur de manière nonchalante et glisse délicatement une clope entre ses lèvres charnues.


— Je ne savais pas que tu fumais.

— C'est parce que je ne fume pas. Pas régulièrement du moins, juste quand... quand tout est trop. Ouais, « trop ».


Elle l'observe en silence alors qu'il allume son attrape-cancer avec attention. Il tire une fois et attend de longues secondes avant de recracher la fumée dans un souffle qui semble aussi expulser toutes ses idées noires. Puis il repose le regard sur elle, comme par automatisme. La lumière extérieure dessine des ombres sur leurs visages alors que la fumée se dissipe dans l'air, permettant à chacun de mieux voir les détails qui composent l'autre. Des lèvres rougis, comme malmenées, et une lueur orangée dans le regard. Harry tire à nouveau sur la cigarette.


— Dure journée ? elle demande en baissant les yeux sur ce qu'il coince entre ces lèvres.

— Pas vraiment mais... je pense à beaucoup de choses. Pas que ce soit forcément mauvais, c'est juste nouveau. Avant, je ne pensais à rien.

— Qu'est-ce qui a changé ?


Il étudie le regard qu'elle lui lance, l'innocence dans laquelle ses mots ont baigné. La cigarette se consume, les cendres s'écrasent sur le parquet sans qu'il y accorde la moindre attention. Il regarde Morphée et sent la réponse à sa question lui brûler la langue. « toi ». Ce serait tentant de le dire, de laisser cette pensée s'envoler et de voir les dégâts qu'elle causerait. Morphée a déclenché quelque chose chez Harry, et tout est en train de changer.


— J'ai l'impression de te connaître depuis des années alors que je ne sais absolument rien de toi, Harry lance soudainement, laissant sa réponse mourir sur le bout de sa langue.


Il ramène la cigarette à ses lèvres sans quitter Morphée du regard.


— Parle-moi de toi. Dis-moi quelque chose, n'importe quoi.


La curiosité fait briller ses prunelles. Morphée reste stoïque pendant quelques secondes, l'écho des paroles d'Harry résonnant dans son esprit, avant qu'un rire délicat ne traverse ses lèvres. Elle passe une main dans ses cheveux – une sorte de tic nerveux – et transporte son regard sur l'extérieur.


— Hm, je ne sais pas vraiment. Je... j'aime beaucoup Londres, elle déclare alors que dans ses yeux se reflète la lumière orangée des lampadaires. L'atmosphère, l'art présent absolument partout, dans les rues, sur les murs. Il y a quelque chose d'atypique, une sorte de mélange entre tradition et modernité. Je ne me suis jamais sentie aussi libre qu'ici.


Un léger sourire vient étirer ses lèvres en même temps qu'elle parle. Son regard s'attarde sur la rue, sur les immeubles en face où seuls quelques rares lumières sont encore allumées.


— C'est de loin la plus belle ville, elle reprend sans regarder Harry qui, lui, n'a son attention tournée que vers elle. Ça fera un choc lorsque je devrais partir, plus rien ne sera comme ici.


Harry tic au mot « partir ». Ses sourcils se froncent et il recrache la fumée un peu plus fort. Il reste sans rien dire pendant quelques instants, étudiant l'expression tourmentée de Morphée qui ne le regarde toujours pas. Qui aurait cru qu'un besoin de contact visuel pouvait autant se faire ressentir. Il voudrait apercevoir dans ses yeux ce qu'il n'y a pas sur ses lèvres, lire dans ses iris tous les mots qu'elle ne prononce pas.


— Qui a parlé de partir ? il demande, sa voix plus rauque à cause de la cigarette.

— Un jour le choix ne se posera plus et je ne pourrais pas rester plus longtemps. Je n'aurais plus qu'à prendre un bus et retourner à Camelford.

— Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites, 'phée.


Surprise, elle détourne enfin le regard de la fenêtre et entend encore les échos du surnom qu'Harry lui a donné. Elle lui adresse un sourire, le remerciant pour ce qu'il vient de dire. Puis, après l'avoir vu tirer quelques fois sur le filtre de la cigarette, elle se penche vers lui et attrape la clope entre deux doigts. Le regard d'Harry suit sa main qui frôle la sienne et remonte jusqu'au visage de Morphée lorsqu'elle se replace près de la fenêtre tout en mettant ses lèvres à l'endroit même où il avait les sienne quelques secondes plus tôt. Ça ne devrait même pas attirer autant de son attention.


— J'avais obtenu une bourse pour l'Imperial London College, elle raconte, le regard cherchant celui d'Harry dans la fumée, c'est pour ça que je suis venue à Londres. Ici on peut entrevoir un avenir et avoir tout un tas d'opportunités, chose qui semble plutôt irréaliste dans le coin d'où je viens. À Camelford tu peux devenir boulanger ou délinquant. En général, tu choisis délinquant.


Harry écoute avec attention chaque mot qui passe la barrière de ses lèvres. Il craint de ruiner ce moment avec l'une de ses réflexions stupides, le moindre faux pas pourrait pousser Morphée à se replier sur elle-même. Il humidifie ses lèvres un peu sèches, reformulant ses pensées un milliard de fois avant de les prononcer.


— C'est l'une des meilleures universités du pays, il lance avec un brin d'admiration non dissimulé. Ce sont des scientifiques qui sortent de là. Tu devais être une perle rare à Camelford, surtout pour avoir le droit à une bourse.

— Crois-le ou non, j'étais un petit génie, son rire s'élève avec légèreté et elle tire sur ce qu'il reste de la cigarette. J'adorais les maths, la physique, l'astronomie, tous ces trucs. Ça me passionnait, j'étais douée. Mon frère m'emmenait à des tas de compétitions, j'ai gagné un prix national à l'âge de 10 ans, j'ai sauté une classe. Puis au lycée, un professeur a cru en moi et c'est en partie grâce à lui que j'ai obtenu cette bourse. Si t'avais vu la fierté dans les yeux de mes parents.


Elle marque une pause, fixant les cendres qui dégringolent dans l'air avec volupté.


— Ils ont bassiné mes voisins pendant des semaines, elle explique avant de prendre une voix plus enjouée pour les imiter. « Morphée va dans cette grande université, elle va devenir astrophysicienne ». Ils le répétaient à tout le monde.


Un mince sourire vient ourler les lèvres d'Harry lorsqu'elle laisse échapper un petit rire. Elle semble plongée dans ses pensées et dans les vieux souvenirs qui ne cessent de défiler dans sa tête depuis qu'elle s'est mise à parler. Lorsqu'elle replonge son regard dans celui d'Harry, il parvient à y déceler une lueur de mélancolie. De spleen. Une lueur au milieu d'un tas d'expression indéchiffrable. D'un geste un peu fragile, elle lui tend la cigarette dont il ne restera bientôt que le filtre et il s'en saisi en veillant à ce que leurs doigts ne se frôlent pas. Encore cette obsession étrange, une de plus.


— Ils n'avaient pas vraiment les moyens de m'envoyer à Londres. Ils ont tout sacrifié pour moi.


Harry comprend que l'histoire qu'elle raconte touche à sa fin. Ses phrases se font plus vagues, ses yeux perdent peu à peu tout ce qui les faisait briller.


— Un jour ils me verront descendre d'un bus, un sac de sport sur l'épaule, et je devrais leur annoncer que j'ai tout fait foirer. Je crois que c'est ça qui me fait le plus peur, ce qui m'empêche de partir d'ici. J'ai peur de voir la déception dans leurs regards. Peur qu'ils voient que tous ces sacrifices n'ont mené à rien.


La cigarette est finie ; l'histoire de Morphée également. Maintenant elle contemple l'extérieur d'un air vide, si loin dans ses pensées qu'elle ne sent même pas le regard d'Harry l'étudier. Il se demande pourquoi elle n'est plus à l'université, comment elle s'est retrouvée sur le banc d'une laverie automatique et pourquoi il se sent si mal à l'idée qu'elle puisse un jour s'en aller. Aucune question ne franchit la barrière de ses lèvres, cependant. Son regard est attiré par les quelques trophées qui brillent depuis la table basse, la lumière orangée des lampadaires venant frotter l'or des coupes. Il décolle son épaule du mur et appuie quelques pas sur le parquet grinçant, écrasant le mégot de cigarette sur la couverture rigide d'un livre qui trainait là. Il continue d'avancer, les yeux verrouillés sur les coupes jusqu'à ce qu'il en attrape une d'un geste délicat. Il la fait tourner entre ses doigts jusqu'à ce que la lumière vienne faire scintiller la plaque.


MORPHÉE WILLIAMS

2007 – 1er Prix


— Je suis retournée à l'appartement pour récupérer quelques affaires avant que les huissiers ne le fassent. Et... je n'sais pas... je ne pouvais pas les laisser là-bas, elle raconte, faisant référence aux trophées.


Dos à elle, Harry l'entend se rapprocher jusqu'à très vite ressentir la chaleur envoutante qui émane de son corps juste derrière le sien, sans même qu'ils ne se touchent.


— Tu l'as gagné comment celui là ? il demande sans décrocher ses yeux de la coupe.


Elle se penche légèrement et lève une main pour toucher la coupe, ses doigts frôlant presque ceux d'Harry. 


— Un concours stupide, quand j'avais 12 ans. Il fallait réciter de tête le plus de décimale de π. J'en connaissais 52.


Il lui jette un regard en biais, sa prise se resserrant sur la coupe. Elle lève les yeux vers lui, remarquant elle aussi à quel point ils sont proches. Des vagues de frisson glisse sur la nuque d'Harry car il imagine maintenant comment sonneraient les murmures de Morphée s'ils étaient prononcés à son oreille. S'il la faisait rire, il pourrait sentir sa cage thoracique vibrer contre ses omoplates. Mais à la place il la contemple, une certaine admiration dans le regard.


En plus de la grâce qui accompagne chaque ligne de son corps, chaque trait de son visage, chaque mouvement qu'elle effectue, Harry détecte maintenant une lueur de passion derrière ces deux orbes curieux. Morphée est une passionnée. Elle vit pour la physique, les lois et les chiffres, pour l'univers tout entier. Elle réfléchit, se questionne, pense. Elle sent la poussière d'étoile, le nœud de matière qui compose son corps et la terre sur laquelle elle marche. Morphée est une passionnée et ça la rend plus belle encore.


— Je vais me coucher, elle lance en reculant légèrement, il est vraiment tard. Tu... tu viens aussi ?

— Je vais rester ici encore quelques instants, mais je te rejoins bientôt.


Morphée hoche la tête, un petit sourire au coin des lèvres. En la regardant s'éloigner vers la chambre, immobile, ses bagues toujours pressées contre l'or du trophée, Harry espère qu'elle reste avec lui


Qu'elle ne le quitte jamais. 


. ✵ . * ✫


hi

oui, enfin

après 4 mois d'absence totale d'inspiration, voilà le chapitre huit ! je pense que j'ai perdu environ 80% des lecteurs en faisant une pause aussi longue mais bon j'écris avant tout pour moi et j'espère quand même que ce chapitre plaira à ceux qui continuent de lire l'histoire ! 

un peu trop long mais on découvre un peu la vie - ou plutôt le passé - de Morphée, j'espère lire quelques uns de vos avis, de vos "théories", etc :)

bisous

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