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« Ma folie, mon envie, ma lubie, mon idylle »
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Harry comprit quelques jours plus tard ce que Morphée lui avait dit ce jour-là, dans la salle de bain.
Il ne connaissait pas grand-chose à l'amour. A vrai dire, le manque profond d'intérêt qu'il accordait aux autres humains l'avait pas mal isolé et tous les rapports charnels qu'il avait eu n'étaient... eh bien, ils n'étaient que charnels. Aucune femme, aucun homme, ne lui avait fait goûter à ce genre de sentiment. Et l'amour, c'est quand même un sacré sentiment. Il est puissant lorsqu'il vient d'une mère, mais l'est encore plus lorsqu'il vient d'une personne qui veut vivre le reste de sa vie avec vous simplement parce qu'elle vous aime, sans que rien d'autre ne vous unisse, pas même le sang. Juste l'amour.
Et Harry est amoureux.
Il s'en est rendu compte soudainement, comme si le sentiment venait de se réveiller. Morphée et lui étaient dans le salon, une assiette de pâtes froides sur les genoux, et regardaient avec attention un documentaire sur la reproduction des hérissons (ils adoraient les documentaires, surtout lorsqu'ils portaient sur des sujets qui, par nature, n'intéressaient personne). Harry avait lâché un commentaire stupide, juste pour l'amuser, et Morphée avait éclaté de rire. Un simple rire, une explosion de bonheur dans la pièce, qui a tout déclenché.
Ça a frappé Harry, de voir à quel point il était amoureux d'elle.
Tout sembla plus léger. Plus facile. Et si évident.
Depuis, il est en chute libre. Il tombe chaque jour un peu plus sous le coup de ses sourires, des mots qu'elle prononce à sa manière, de chaque geste délicat qu'elle fait avec sa grâce naturelle. De la façon dont elle le regarde, de sa peau qui brille sous le soleil, de la façon dont elle murmure son prénom, des soirées où elle lui parle du ciel, de ses yeux. De chaque respiration. D'elle. Il est fou d'elle, putain.
Il n'a pas peur. Il pourrait s'effrayer de l'ampleur que sont en train de prendre les choses, mais il n'a pas peur. Il devrait pourtant. Parfois, pour sentir son cœur battre un peu plus vite, il imagine Morphée lui lancer un dernier regard avec de quitter définitivement l'appartement. Peut-être que c'est de cela dont il devrait avoir peur, car rien ne dit qu'elle restera. Rien ne dit qu'elle restera, pour lui.
— Harry ? C'est à toi de jouer.
Sa voix le sort de ses pensées. Il cligne un instant des yeux et rencontre le regard amusé de Morphée. Elle porte un vieux t-shirt Rolling Stones qu'elle lui a volé, il est trois fois trop grand et les manches courtes recouvrent au moins la moitié de ses bras. C'est mignon. Il baisse le regard sur le plateau de scrabble et sourit en voyant qu'elle a formé le mot « wabidy ».
— Bien joué, il commente, ça sonne bien. Et ce serait quoi, d'après toi ?
— Une espèce de papillon très rare qu'on trouve dans les forêts humides et qui a des ailes gigantesques, et toutes vertes.
Il sourit niaisement face à l'innocence qui transporte chacun de ses mots. Harry aime bien leurs parties de scrabble, bien qu'elles n'aient pas beaucoup de sens. Ils trouvaient ça ennuyeux, le fait de placer des mots sur un plateau. Trop classique. Du coup ils ont décidé de changer les règles et le but est maintenant de placer des mots inexistants puis de leur trouver un sens. Y'a pas vraiment de gagnant, y'a pas vraiment de but ou de sens non plus. Ils l'ont juste décidé, et ils aiment ça.
Encore plus lorsqu'un temps comme ça s'abat sur Londres et contre les vitres de l'appartement. Le ciel est totalement noir dehors, et Harry a entrouvert toutes les fenêtres en espérant que le vent chasse la chaleur étouffante qui plombe chaque pièce. On entend mieux la pluie d'été qui tombe dehors, et le tonnerre qui succède aux éclairs. Le ciel classique de Londres au début d'un mois de juin.
— A toi, elle rappelle en voyant que ses pensées l'ont encore envoyé loin du jeu.
Il regarde ses lettres, dubitatif. C'est presque plus dur de former un mot qui n'existe pas. Il faut que ça sonne bien, qu'on ait envie de le prononcer et de savoir ce qu'il veut dire. Mais bon, c'est toujours mieux que de rester comme un con devant ses 7 lettres pour finalement placer "de" sur le plateau à cause d'un vocabulaire évidemment limité. Un rictus vient étirer ses lèvres lorsqu'il vient fièrement placer le mot "hugrudu" sur le plateau.
— C'est l'ingrédient secret qu'ils ajoutent dans la sauce des Bigmac, il explique en alignant les lettres. Tomate, poivre, colorant, et hugrudu.
En relevant la tête vers Morphée, il l'aperçoit plongée dans ses pensées. Elle fixe un mur du salon d'un air absent et mordille sa lèvre, apparemment en proie à des songes intérieurs. Il ne la tire pas immédiatement de sa rêverie, ce serait gâcher une occasion de la contempler. Est-ce qu'elle s'éteindra un jour, cette obsession qu'il a pour elle ? Peut-être que ça ne dure qu'un temps, comme la passion. Peut-être qu'un jour il se réveillera avec elle à ses côtés et qu'il ressentira à nouveau ce vide destructeur ralentir les battements de son cœur. Pourtant, sur le moment, en ressentant ce qu'il ressent en la regardant, il aurait juré qu'il l'aimerait pour l'éternité. Mais après tout, qu'en savait-il de l'amour ? Et qu'en savait-il, de l'éternité ?
— Il faudrait enlever toutes ces choses sur ton mur, elle s'exclame après un certain temps qu'Harry n'aurait pas pu quantifier.
— Mon mur ?
— Ouais. Tu m'as dit que tu te sentais comme un prisonnier dans cet appartement, à cause des cartes postales, de ces billets que tu as accrochés et qui ne sont pas à toi. Eh bien... tu devrais les enlever.
Harry porte son attention sur ledit mur. Il est couvert de souvenirs qui ne lui appartiennent pas. Il aimait bien imaginer qu'ils étaient à lui, qu'il avait vraiment visité Paris, que la femme souriant devant la mer était amoureuse de lui, qu'il s'était perdu dans cette jungle en l'Amérique du sud et qu'il se tenait derrière la caméra pour prendre la photo de ce groupe d'amis. Il y croirait presque. Mais au fond il n'était qu'un voleur. Il volait les tableaux et les souvenirs, espérant donner un certain sens à sa vie absurde.
— Ça ferait un peu... vide, tu ne crois pas ? il demande en ancrant à nouveau son regard dans le sien.
— C'est vrai. Et on n'aime pas le vide.
— Non, vraiment pas. Le vide ça craint.
Elle semble réfléchir quelques instants, jonglant son regard entre Harry et le mur.
— Ton polaroid, elle lança soudainement, il fonctionne ?
Harry hoche la tête, comprenant doucement où elle voulait en venir. Il a une collection impressionnante d'objets appartenant au siècle dernier, autant des vieilles radios que des appareils photo qu'il n'utilise même pas, ou encore ses fameux vinyles. Ce n'est pas comme s'il vouait un culte au passé, mais il trouvait dans ces objets une certaine mélancolie qui faisait écho à celle qui baignait son existence depuis toujours. Il se sentait comme la poussière qui venait les recouvrir, comme les rayures qui venaient les abimer, et comme le temps qui les faisait progressivement disparaître.
Morphée se lève du canapé, surement pour aller chercher le fameux polaroid, et il baisse son regard sur le plateau de scrabble bancal devant lequel il se tient en tailleur. Ce jeu n'a vraiment aucun sens. Il adore ça.
Il entend un flash crépiter et relève la tête pour apercevoir Morphée, debout à quelques mètres de lui avec le fameux objet en main. Un grand sourire illumine son visage alors qu'elle recule l'appareil pour attraper le morceau de papier qui en sort. Elle l'agite et souffle dessus, comme si elle s'y elle avait fait ça toute sa vie, et vient courir vers Harry en échappant un gloussement enfantin.
— Regarde-toi ! elle s'exclame en se jetant à ses côtés, renversant à moitié le plateau de scrabble, faisant tomber quelques lettres au sol.
Un petit sourire vient creuser une fossette sur la joue du bouclé alors qu'il attrape la photo. Y'a rien de bien exceptionnel, si ce n'est ses cernes qui n'ont pas pu être nettement retranscrites sur le papier à cause de la qualité du polaroid. Cela adoucit son visage, en quelque sorte. Il n'aime pas se regarder trop longtemps, alors il jette un dernier regard à ses boucles désordonnées et repasse le polaroid. Morphée, elle, ne se gêne pas pour le regarder. Elle admire la photo quelques instants, un sourire aux lèvres, et Harry se demande si elle se félicite pour son talent de photographe ou si elle est réellement en train de l'admirer.
Son cœur pulse plus fort à cette simple idée.
Est-il possible qu'elle l'admire, lui ? Il se demande pour la première fois s'il l'attire, autant qu'elle l'attire, si elle veut se jeter sur ses lèvres comme lui a méchamment envie de le faire maintenant. Si, lorsqu'ils se regardent dans les yeux, elle sent ce feu crépiter doucement dans son corps. Si elle le désire, autant que lui la désire. Et si tous ces si ne sont pas que des si, alors qu'est-ce qui les retient ?
Le flash crépite à nouveau.
— C'est quoi ?
— Tes mains, elle répond simplement en attendant l'impression de la photo.
— Mes mains ?
— Ouais.
— Elles ont quoi mes mains ?
— Elles devraient appartenir à ce musée dans lequel tu travailles.
Il se met à les fixer, contemplant les bagues en métal qui s'alignent sur chaque dernière phalange, puis le tatouage incruster sur sa peau entre le pouce et l'index. Ses yeux passent ensuite sur les veines qui ressortent sur le dos, puis sur la pierre rouge qui scintille légèrement sur l'une de ses bagues. Il ne comprend pas vraiment ce qu'elles ont de particuliers, ses mains. On peut à la limite leur trouver un côté "artiste tourmenté", ou "rockeur des années 80", mais certainement rien de comparable avec ce qu'on trouve dans un musée.
— Est-ce que je peux prendre tes tatouages en photo ? elle demande sérieusement en décrochant son regard du polaroid entre ses mains qui montrent surement les fameuses mains d'Harry.
— Si tu veux, il répond simplement et la suit du regard lorsqu'elle se lève pour tourner autour de lui comme une petite étoile. Ils n'ont pas vraiment de sens, tu sais. Les tatouages.
Il a senti que c'était important de le préciser, comme si l'absence de sens pouvait altérer la beauté des photos et des dessins sur sa peau.
— Je sais.
Et elle ne semble pas s'en soucier plus que ça, car le flash crépite à nouveau. Une fois, deux fois, trois fois. Il passe un regard sur les polaroids, apercevant un bout de la rose gravée sur son coude, de la date incrustée au-dessus de sa clavicule, de l'encre sur son poignet. En voyant le résultat, il comprend que ses tatouages n'ont pas besoin d'avoir de sens. C'est simplement beau, et la beauté est tout ce qu'Harry a cherché dans sa vie ; dans les portraits accrochés au fond du couloir, dans les musées qu'il surveille, dans le sourire d'une femme ou dans les yeux d'un homme. La beauté elle est là, inscrite partout sur son corps, et aussi à côté de lui. La beauté il la contemple, et elle lui sourit en retour.
— C'est ça ton idée ? il demande, un sourire au coin de ses lèvres. Tu veux accrocher des photos de moi sur mon propre mur ? Ça fait vraiment prétentieux.
— Oui, totalement. T'es un petit prétentieux.
Elle prend une autre photo, son rire enfantin se perdant dans le crépitement de l'appareil. Harry l'observe attraper le papier, il étudie le regard qu'elle pose dessus et s'émerveille de cette lueur qui danse sur ses iris. Un éclat de bonheur dans le bleu de ses yeux.
Doucement, il vient lui prendre l'appareil des mains. La tête toujours relevée vers Morphée, qui se tient debout devant lui, il veille à ne pas la perdre des yeux alors que ses grandes mains viennent manipuler l'objet. Un éclair vient brusquement fendre les nuages, envoyant un élan brutal de luminosité dans la pièce avant que tout ne retombe dans l'obscurité. Il fait bien trop sombre pour qu'on distingue avec précision les traits de Morphée, mais ses yeux noirs brillent par cette lueur qu'Harry veut garder en mémoire à tout jamais. Il vient coller l'appareil à son visage, un œil fermé et l'autre contemplant Morphée à travers l'objectif rayé. Le flash vient attaquer son visage comme l'éclair qui a frappé le ciel juste avant. Elle n'a pas posé, elle n'a pas souri, elle était juste elle-même. La Morphée de l'instant présent. Et c'est exactement celle-là qu'Harry veut voir collé sur le mur de son salon. Il veut cet exact regard qu'elle lui a lancé, cette exacte fossette qu'un léger rictus a creusé sur sa joue, et l'exact souvenir de ce moment qu'ils ont partagé ensemble.
En attrapant la photo pour la mettre devant ses yeux avides, Harry se dit deux choses ; Dieu qu'elle est belle, et Dieu ce que je l'aime.
Il sursaute lorsqu'elle vient saisir le morceau cartonné, ses doigts froids frôlant sa peau brûlante. Morphée remarque son mouvement de recul, comme si ce simple effleurement avait provoqué une puissante décharge électrique. Ce n'est pas la première fois que ça arrive ; quelques fois, lorsque leurs peaux se frôlaient par inadvertance dans l'enchainement d'actions, Harry avait ce même mouvement de recul. Puis il instaurait une certaine distance entre eux, comme si l'idée de leurs corps se touchant le dérangeait profondément. Morphée pensait au début qu'il s'agissait d'un besoin irrépressible d'espace vital mais, à mesure que cette situation se répétait, elle ne pouvait s'empêcher de penser que le problème venait probablement d'elle.
Harry ne veut pas la toucher.
— On devrait peut-être reprendre la partie, elle propose d'un air bien plus calme, dénudé de l'excitation qu'avaient provoqué les photos polaroid.
Elle se replace sur le canapé, de l'autre côté du plateau de scrabble sur lequel dansent les lettres non-alignées. Harry fronce les sourcils en voyant qu'elle évite son regard, et ce n'est pas quelque chose qu'ils ont l'habitude de faire tous les deux. Leurs regards sont comme des repères, deux bouées flottant à la surface d'un océan de réalité. Tout passe par leurs regards ; les émotions sous lesquels ils essayent de ne pas se laisser submerger, les mots qu'ils n'osent pas prononcer. Pourquoi elle ne le regarde pas ?
— À toi, elle lâche dans un souffle en gardant les yeux rivés sur le plateau.
Il baisse le regard sur ses lettres. Son esprit assemble des mots inexistants, à la recherche de celui qui sonnerait le mieux pour une partie de scrabble-de-mots-qui-n'ont-aucun-sens. Un mot lui saute aux yeux, d'un coup. Une fois qu'il a remarqué ces lettres qui s'assemblent parfaitement, il n'est plus en mesure d'en voir d'autres. C'est ce mot. Ce mot-là. Uniquement lui.
Délicatement, il vient placer les quatre lettres sur le plateau, avec le "a" de "wadiby".
A I M E R
Morphée suit le mouvement de ses mains, puis celui de ses yeux. Ils se regardent un instant sans rien dire, comme si le mot sur le plateau avait volé tous les leurs. Dehors, le tonnerre éclate brusquement, comme pour leur donner le courage de dire quelque chose.
— C'est un mot qui existe, Morphée déclare simplement.
— J'avais envie de l'écrire.
Elle hoche la tête, comme s'il y avait quelque chose à comprendre et qu'elle comprenait.
— Et ce serait quoi d'après toi, ce mot ?
A cet instant, elle le regarde si intensément qu'Harry se demande s'il n'y a pas quelque chose qui est en train de se passer. S'il n'y a pas un changement qui s'opère en arrière-plan, dans les coulisses de leurs sentiments.
— C'est ce que je ne me suis jamais autorisé à faire, jusqu'à maintenant.
Alors ouais, il ne sait pas ce que c'est qu'aimer, mais c'est sa définition à lui. Il ne sait pas si c'est éphémère, si ce qu'il ressent va évoluer, se décupler, si ça va être plus fort au point de l'étouffer. Mais il comprend que tout ce qu'il a toujours attendu de la vie est devant ses yeux, planquée dans ce petit bout de femme qu'il veut chérir. Il veut compter pour elle, continuer à sentir sa présence dans son appartement, entendre ses histoires et ressentir ce qu'elle ressent. Il comprend que sa vie est déjà absurde, et qu'elle le serait encore plus s'il devait la passer seul. Il veut l'aimer, et qu'elle l'aime.
Il en a juste assez d'être rempli de vide. Maintenant il veut être rempli d'amour.
Alors ses sentiments fleurissent lentement, faisant de son corps un véritable jardin d'Eden. Le lierre pousse le long de ses veines, s'enroule autour de ses craintes et de ses doutes, à côté des roses qui se nourrissent de la beauté qu'il contemple chaque jour. Sa fascination fait pousser des orchidées mauves entre les coquelicots de ses désirs et son cœur, grand créateur, est un champ de tournesol qui prospère sous un soleil qui ne se couche jamais. Harry espère seulement que le printemps demeure éternel.
Morphée le fixe sans rien dire, car ses mots résonnent encore comme s'il venait tout juste de les prononcer. Elle baisse le regard vers les lettres sur le plateau et repense à leurs mains se frôlant, à son mouvement de recul. Tout se fige dans la confusion l'espace d'un instant.
— Harry, elle lâche en relevant la tête, pourquoi tu ne me touches jamais ?
Sa question le prend au dépourvu. Il s'était attendu à ce qu'elle le questionne par rapport au mot qu'il venait tout juste de glisser sur le plateau et qui, inconsciemment, révélait qu'il ressentait quelque chose de différent pour elle. Il ne comprend pas, et elle non plus.
— Est-ce que c'est à cause de moi ? J'ai... j'ai fait quelque chose ?
Il lit l'inquiétude dans ses yeux et s'en voudrait presque parce que, merde, c'est lui qui en est la cause. C'est sa stupidité.
— Quoi ? Non. Non, bien sûr que non, il répète précipitamment. Tu... tu vas trouver ça idiot.
Il passe une main dans ses cheveux, lâchant discrètement un soupir nerveux.
— Vraiment idiot. Carrément flippant même.
— Dis-moi, elle insiste d'une voix douce.
Ses yeux cherchent un point qu'il pourrait fixer, car son regard lui fait perdre tous ses moyens et il n'est clairement pas assez courageux pour dire ce qu'il s'apprête à dire en la regardant droit dans les yeux.
— Tu es comme... un tableau. Une œuvre d'art.
Il sent son regard, il écoute le silence qu'instaure son aveu.
— Et... c'est vraiment idiot, hein, mais j'ai peur de te toucher. J'ai peur de t'abimer, peur que tu ne fanes ou une connerie du genre. Peur que tout s'évapore, que tu ne sois pas réelle, finalement.
Un rire nerveux s'échappe d'entre ses lèvres alors qu'il ancre son regard dans celui de Morphée. Elle semble abasourdie. Il le serait aussi, si quelqu'un venait de lui sortir une bêtise pareille. Qu'est-ce qu'il peut être con. D'abord son problème avec l'art et la cleptomanie, puis son côté poète maudit pathétique et maintenant cette lubie bizarre qui touche - ou, justement, ne touche pas - Morphée ; si elle ne fuyait pas dans les prochaines heures, il pourrait croire que c'est elle qui est dingue.
Il s'attendait surement à un rire moqueur, à la panique qui viendrait déformer son visage, mais pas au regard qu'elle lui lance. Il est doux, son regard. Comme si l'aveu d'Harry avait chassé toutes les craintes. En même temps, comment a-t-il pu imaginer qu'il en soit autrement ? Il vient de la comparer à une œuvre d'art, à ces mêmes tableaux pour lesquels il a risqué sa vie dans le seul but de pouvoir être le seul à les admirer. Il n'y a pas plus bel éloge. Les mots qu'il avait peur de prononcer sont les mêmes qu'elle rêvait d'entendre. Morphée était l'œuvre d'art qu'Harry contemplait.
Lentement, elle lève sa main pour chercher celle d'Harry, posée nonchalamment sur sa cuisse. Ses yeux verts suivent le mouvement, s'écarquillant légèrement lorsque leurs peaux viennent se toucher. Rien d'accidentel, ça a tout de prémédité. Sa petite main vient agripper la sienne, beaucoup plus grande à côté. Harry admire les veines bleues qui ressortent sur le teint pâle de sa peau, puis la délicatesse de ses doigts qui se serrent par-dessus les siens. Elle attrape sa main et, toujours aussi lentement, l'entraine avec elle. Jusqu'à les poser toutes deux sur sa joue.
Un sourire délicat se pose sur les lèvres de Morphée alors que sa peau laiteuse glisse sous les doigts d'Harry. Il caresse doucement sa joue, sans détourner les yeux des siens. Et c'est stupide, le fait que son cœur s'affole à ce simple contact. Il fixe avec attention ses prunelles, dérive ensuite sur les couleurs pastel qui colorent ses joues et le dessous de ses yeux. Un rose tendre et un mauve délicat, plutôt mignon. Et puis viennent ses lèvres. Il s'imagine y succomber à l'instant où ses yeux tombent dessus ; les toucher, les mordiller, les torturer. Les vénérer durant les cent prochaines années.
Dans la puissance de ses pensées, il en vient à passer un doigt dessus. Une simple caresse qu'il n'a pas pu retenir. Il relève le regard pour apercevoir les paupières de Morphée se fermer. Et en la voyant comme ça, ivre d'un simple touché, il se sent vaciller. Perdre la tête. Le contact est léger, aérien, en contraste total avec la passion qu'ils renferment. Elle est là, tendant leurs corps, faisant gronder leurs cœurs, accélérant leurs respirations et évinçant leur lucidité. Le regard d'Harry en est déjà imprégné et dévore ce visage qu'il tient d'une main plus ferme.
Il est comme Ève contemplant le fruit défendu, rêvant d'y goûter. Et, comme Ève, il le fera. Il y goutera.
C'était devenu irrésistible alors, d'un geste clair et évident, il la tira dans un baiser.
Lèvres contre lèvres ; ce ne fut pas une renaissance. Il n'y avait rien là-dedans qu'Harry ait déjà ressenti. C'est un éveil. Les yeux clos, il savoure la simple douceur qui s'échappe de ce contact. Les lèvres de Morphée contre les siennes, sa peau sous ses doigts. C'est délicat jusqu'à ce qu'elle décide que ça ne le soit plus. Soudainement elle agrippe un bout de son t-shirt, tirant dessus dans la tentative désespérée de le sentir plus proche elle. Son autre main se perd dans ses boucles, sans qu'elle ne sache l'effet que ça puisse lui faire. Oh, Dieu, l'effet que ça lui fait. Il grogne et l'embrasse avec plus d'ardeur, goûtant à sa chaleur et son parfum. Chaque mouvement réveille un peu plus ses sens, il sent pour la première fois. Il vit, pour la première fois. Basculant au-dessus d'elle, il entend le plateau de jeu basculer et s'écraser contre le sol. Elle l'embrasse plus fort. Il ressent plus fort.
Le vent fait claquer les fenêtres, le tonnerre éclate dehors et c'est une véritable tempête qui se déchaine dans les baisers qu'ils se donnent. Harry sent son corps s'animer sous le sien, sa main dérive sur les lignes et les courbes dont il n'osait que rêver. Maintenant il les touche, les caresse, les fait vivre du bout des doigts. Sa mâchoire dessinée, la courbure de ses seins, ses hanches qu'il agrippe sans délicatesse car il n'en est plus capable. Il a perdu l'esprit mais se sent plus vivant que jamais. Cette frénésie qui accompagne leurs caresses, ce goût sur sa bouche, ces bruits délicieux qui meurent dans leurs baisers ; c'est ça, vivre. Cette tornade de sensations, d'émotions, de sentiments. Tous les mots qu'il avait bannis de son vocabulaire et qui à ses yeux ne portaient aucune définition.
L'espace d'un instant, au milieu de ses pensées brumeuses, il comprend qu'il est heureux. Peu importe ce que ce mot veut dire, il se fiche bien du sens qu'on donne au bonheur. C'est quelque chose qu'il ressent là, maintenant, en embrassant Morphée.
C'est ce qu'il ressent là, maintenant, en étant vivant.
. ✵ . * ✫
hi pretty people
4 mois sans update, c'est pas cool. j'ai eu un gros blocage pour écrire ce chapitre et je pense que ça se ressent un peu, j'espère tout de même que les quelques personnes qui lisent encore ont apprécié ce chapitre !
j'ai plein de nouvelles idées pour spleen, j'espère l'avoir fini d'ici janvier 2019 afin de pouvoir l'auto-publier, car ce roman c'est mon petit bébé, c'est une partie de moi.
n'hésitez pas pour me laissez vos avis / impressions, je prends tout, et merci d'être encore là
à très bientôt ♥️
big love Xx.
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