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« les fleurs du mal poussent dans ma chambre »
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Une tasse de café fumante brûle les paumes de Morphée alors qu'elle scrute les alentours avec curiosité. Le canapé est plutôt dur, inconfortable, elle se tient droite sans oser esquisser le moindre mouvement. Son regard se pose quelques fois sur Harry. Il est dans la cuisine ouverte et bataille contre la machine à café qui semble appartenir aux années 90. A vrai dire, tout dans cette appartement semble dater de cette période ; les meubles un peu rétros, les couleurs claires des tissus et les livres empilés un peu partout qui doivent provenir des vieilles librairies que l'on trouve à Camden. Un ensemble vintage un peu fade mais qui, aux yeux de Morphée, dégage un charme particulier.
— Désolé pour la pagaille, la voix d'Harry la tire de ses pensées et elle tourne la tête vers lui. Je n'ai pas vraiment l'habitude d'accueillir du monde ici.
— Ça va, c'est ok.
Elle le rassure en affichant un mince sourire et repart dans la contemplation de l'appartement. Harry n'arrive pas à croire qu'elle soit là, assise sur son canapé usé. Il pensait encore ne jamais la revoir il y a quelques heures. Ses lèvres se portent à sa tasse de café brûlante alors qu'il s'adosse au four de sa cuisine. Il l'observe silencieusement, appréciant ce qu'il ressent lorsqu'il la regarde. Ses cheveux sont encore un peu mouillés à cause de la pluie et son mascara a laissé quelques traces noires sous ses yeux mais elle reste jolie. Elle semble légèrement perdue, cependant.
— Je vais devoir y aller, Harry se surprend presque à prendre la parole. Je dois être au boulot pour huit heures.
— Tu fais quoi comme travail, flic ou quelque chose du genre ?
Elle à dit cela uniquement en raison de l'uniforme qu'il a revêtu en rentrant et qui lui donne l'allure d'un policier de Scotland Yard. Ça lui va plutôt bien.
— Je suis gardien dans des musées, mais je suis le plus souvent au Tate Modern.
Morphée hoche la tête d'un air impressionné et tente de trouver un lien entre le métier d'Harry et le fait qu'il ait été présent à sa séance photo.
— C'est plutôt atypique comme métier. Tu dois être pointé du doigt depuis l'effraction qu'il y a eu, non ?
Le sourire du bouclé s'éteint doucement alors qu'il assimile les paroles de Morphée. Elle le regarde innocemment en attendant qu'il lui réponde mais il ne comprend pas. Ou bien, il a peur de comprendre.
— Pointé du doigt ? il répète avec un petit rire nerveux.
— Certains ont sûrement dit que tu avais mal fait ton boulot, puisqu'il y a eu un vol dans le musée où tu es gardien.
— Ohh, bien sûr, il réagit aussitôt, un peu trop vite. Je veux dire- évidemment. J'étais de garde ce soir là mais je n'ai rien pu faire, cet enfoiré est parti avec les oeuvres.
Il porte à nouveau la tasse à ses lèvres et boit quelques gorgées de son café amère en détournant le regard. C'est étrange de se traiter soi-même d'enfoiré et de placer ça dans un mensonge mal articulé à cause de la panique. Il met sa tasse dans l'évier qui déborde de vaisselle et fait quelques pas vers Morphée sans trop l'approcher. Elle est la première personne qui met les pieds chez lui, d'habitude il n'invite personne. En même temps, il n'a personne à inviter. Ce qu'il fait et ressent depuis quelques heures est nouveau, il n'est pas encore totalement à l'aise avec la situation mais ça ne lui parait pas non plus déplaisant.
— Ne te gêne pas pendant que je ne suis pas là, dit-il face au regard attentif qu'elle lui lance. Fais comme chez toi. Tu peux utiliser la douche, manger, dormir sur mon lit si tu es fatiguée. Et, hm, si tu t'ennuis j'ai pas mal de livres. Tu peux aussi regarder la télé mais elle est plutôt vieille et je n'ai pas le câble. En fait, on peut juste regarder des DVD. J'ai pas mal de vieux films si tu aimes ça et- ouais. C'est à peu près tout.
Harry aperçoit une lueur d'amusement danser dans ses yeux bleus ; la même lueur qu'il avait vu lorsqu'ils étaient dans la laverie. Elle apprécie son air embarrassé, il n'est pas totalement à l'aise. Il se gratte l'arrière de la nuque et prononce certains mots un peu trop vite. Elle a aussi senti les regards en coin qu'il lui lance depuis qu'ils sont rentrés et elle s'est arrangée pour les lui renvoyer lorsqu'il tourne la tête. Mais ce que Morphée apprécie plus que tout, c'est le charme qu'il dégage.
— Je peux t'emprunter quelques vêtements ?
— Oui, bien sur.
Il constate qu'elle n'a pas ramené grand chose avec elle ; un large sweat-shirt qui recouvre son large pantalon, un simple sac à dos noir qui paraît quand même bien vide.
— Bien, je vais y aller, il lance finalement en attrapant ses clefs. Je reviendrai vers dix-sept heures.
Elle hoche la tête alors qu'il lui adresse un dernier regard depuis le hall d'entrée. Il ne sait pas vraiment s'il doit rajouter quelque chose, un « bonne journée » ou « à ce soir », il ne s'est jamais posé ce genre de questions. Ça n'a jamais compté avant maintenant. D'ailleurs ces mots ne lui vont pas, ils ne sont pas fait pour sortir de sa bouche. Alors il décide de lui lancer un simple regard avant de sortir de chez lui.
Le calme n'est perturbée que par la porte d'entrée qui claque quand il part. Morphée fait parcourir ses yeux le long de la pièce, intriguée par l'endroit dans lequel elle a atterri. C'est le reflet d'une âme, après tout. L'âme d'Harry dispersée dans des vieux livres et des plantes à moitié mortes. Et Morphée veut la décoder, cette âme. Elle se lève après avoir reposé sa tasse de café et fait quelques pas vers la fenêtre, écartant les rideaux. Ses yeux suivent la silhouette d'Harry qui remonte la rue avant de finalement disparaître entre les corps. Elle soupire et recule, observant le salon. Un vieux vélo est posé dans un coin de la pièce, juste en dessous d'une immense carte du monde qui recouvre le mur. Beaucoup de choses recouvrent les murs. Des photos du ciel, de la mer, des cartes postales accrochées par des morceaux de scotch. Il y a des billets de concert aussi, des places de festivals. Morphée parcourt la pièce en posant ses yeux sur chaque photo, chaque motif. Ses lèvres se tirent en un sourire lorsqu'elle remarque l'affiche de Kill Bill accrochée au dessus de la télévision.
Elle évite de marcher sur les livres qui traînent parterre, près du canapé, et poursuit son exploration en longeant le couloir. Le reflet de ses cernes se dessine dans le miroir lorsqu'elle entre dans la salle de bain. Elle examine ses cheveux, son maquillage qui a un peu coulé et la pièce dans laquelle elle est. Là aussi, Harry a mis des plantes. Elles sont presque mortes. Ses vêtements rejoignent rapidement le sol et elle se glisse dans la baignoire, sous l'eau la plus brûlante qu'elle ait pu ressentir. Elle reste longtemps, se délecte de l'odeur de jasmin qu'a le shampoing d'Harry et observe la buée se coller au miroir. Cet appartement est peut-être la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis longtemps.
Une serviette blanche recouvre son corps frêle lorsqu'elle sort de la salle de bain. A la recherche de vêtements, Morphée ouvre une porte au hasard et tombe sur une chambre. Sa chambre, sans l'ombre d'un doute. Elle s'avance de quelques pas en admirant la collection de vinyle qui s'étend sur une étagère. Ici il y a encore plus de livres. Sur le lit, le plancher, la table de nuit, des piles entières. Une guitare est accrochée au mur, à côté d'une grande affiche de Blue Velvet. Du bout des doigts, Morphée caresse les pochettes des vinyles jusqu'à en attraper un. 4 non-blonde - What's up. Les premières notes démarrent après qu'elle ait placé le vinyle sur le tourne disque, la voix résonne dans un son pur.
Ses yeux continuent leurs périples, voyagent avec curiosité le long des murs. Du bout des lèvres, Morphée fredonne la mélodie tout en parcourant la pièce. Elle ouvre en grand l'armoire et attrape un t-shirt jaune qui a attiré son regard entre des chemises colorés. Il est grand sur elle mais dégage une odeur agréable de poivre et de jasmin. Son regard fait une dernière fois le tour de la chambre avant qu'elle ne sorte pour chercher son jean qui, lui aussi, est un peu large.
L'appartement d'Harry est une énigme à résoudre. Il est captivant, dégage une aura mystérieuse. Il y a quelque chose de triste entre ces murs. Quelque chose qui transpire la mélancolie, qui hurle la souffrance et qui pleure la solitude. Tout ici semble détaché de la réalité, détaché d'un espace-temps et détaché de tout vivant. C'est là que naît la fascination. Harry se reconnaît dans ces pièces désordonnées, dans le parfum de tristesse et de solitude qui recouvre la poussière, dans les horloges cassées qui ne donnent plus l'heure depuis longtemps.
Mais cet endroit raconte une histoire. L'appartement de Morphée, lui, ne disait qu'une chose : qu'elle était fauchée.
Elle continue de tourner en rond sans se lasser des éléments qu'elle découvre à chaque nouveau coup d'oeil. Et, pour le coup, ce qu'elle découvre cette fois, c'est qu'il y a une pièce qu'elle n'a pas encore visitée. La pièce là, au fond du couloir.
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— Tu veux pas arrêter de regarder ce putain de tableau et faire ce pour quoi t'es payé ?
Cette voix lourde et exagérément autoritaire fait grincer les dents d'Harry. Il pousse un soupire et tourne la tête d'un air las, posant ses yeux fatigués sur son abruti de collègue. Avec son air benêt et son regard mauvais, il ressemble encore plus à l'idée qu'on se fait d'un connard.
— T'es dans ma zone, Harry lui répond sans chercher à masquer la froideur de son ton. C'est l'autre côté du musée que tu devrais surveiller, à vingt pièces de moi.
Il n'apprécie pas grand monde, c'est vrai, mais lui il le déteste. Ignorant et hautain, qui ne comprend rien aux chefs d'oeuvres devant lesquels il passe chaque jour. Son esprit n'est clairement pas assez ouvert pour capter toute la sensibilité et la puissance de l'art. Il ne comprend pas alors il dénigre. Et pour cela, Harry le méprise.
— Je sais, il répond en avançant de quelques pas vers lui, un sourire mauvais pendu à ses lèvres gercées. Mais j'ai bien fait de venir ici au vu de comment tu "surveilles" ta zone.
La tape qu'il donne à Harry n'est amicale que dans l'apparence, elle sonne sinon comme une menace. Devant eux se dresse l'oeuvre majestueuse de Waterhouse, Lady of Shalott, que le bouclé ne se lasse jamais d'admirer. Pas même durant ses heures de travail. Il contemple les tableaux plus que ne le fait n'importe quel visiteur.
— C'est pas comme ça que tu seras employé du mois, Styles.
Un rictus moqueur vient étirer les lèvres d'Harry. Pendant que son collègue vise le statut d'employé du mois, lui est déjà détenteur d'une vingtaine d'oeuvres d'art estimées à plusieurs millions. Ils ne jouent apparemment pas dans la même ligue. Harry attend patiemment qu'il s'en aille et c'est ce qu'il finit par faire après avoir jeté un regard méprisant à la toile accrochée au mur.
Son regard à lui est captivé, aujourd'hui plus encore. Il observe cette femme sur le tableau qui ressemble tant à celle qu'il a laissé chez lui ce matin. Peut-être qu'elle est sortie de sa toile juste pour lui. Ce n'est pas tant au niveau du physique qu'elles se ressemblent ; Morphée a les cheveux beaucoup plus court, qui caressent ses épaules, et est beaucoup plus fine. Elles sont identiques au niveau de la délicatesse de leurs courbes, de la grâce de leurs visages, et de leurs yeux chargé d'une expression indéchiffrable. Si ce tableau ne l'avait pas encore rendu dingue, Morphée donnerait le coup final.
Il n'est jamais le premier à quitter le travail mais, ce soir, il s'en va d'un pas pressé. Qu'est-ce qui ne va pas chez lui à la fin ? Pourquoi se soucie-t-il de cette fille qui l'attend chez lui, pourquoi n'arrête-il pas de penser à elle, pourquoi il ressent des choses ? Il n'arrive plus à penser clairement avec les images de cette silhouette qui bombardent son esprit. Les pulsations de son cœur sont irrégulières alors qu'il se tient devant la porte de son appartement, hésitant à entrer. Ses sourcils se froncent alors qu'il croit entendre de la musique à l'intérieur. Lentement, il ouvre la porte. Ses yeux voyagent le long des murs, il fait quelques pas avec prudence tandis que la musique résonne depuis sa chambre.
I never meant to cause you any sorrow
I never meant to cause you any pain
Personne dans le salon. Le sac noir de Morphée est toujours posé au même endroit, au pied du canapé. Il se dirige alors vers sa chambre dont la porte est grande ouverte, permettant à la chanson de Prince de résonner dans tout l'appartement.
I only wanted one time to see you laughing
Un vinyle tourne seul sur la machine, Morphée n'est pas ici non plus. Quelques pochettes sont éparpillées sur les draps froissées, elle a dû écouter de la musique toute l'après-midi. Mais où est-elle maintenant ? Le regard d'Harry se dirige automatiquement vers la porte tout au fond du couloir. Elle est entrouverte.
I only want to see you laughing in the purple rain
Ses pas sont prudents contre le plancher, comme s'il avait peur de ce qu'il allait découvrir. D'un geste léger avec ses doigts, il pousse la porte. Et, lorsqu'elle s'ouvre complètement, c'est l'expression émerveillée de Morphée qu'il contemple.
Elle se tient là, au milieu de toutes les œuvres d'art qu'il a volé.
Purple rain
Purple rain.
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nda
hello, voilà enfin le chapitre cinq. Les paroles entres les paragraphes sont tirés de Purple Rain de Prince qui est une de mes chansons préférées et qui va bien avec le moment je trouve. Bon j'ai forcé sur l'aesthetic dans ce chapitre mdr, j'espère que les longues descriptions de l'appart vous ont pas ennuyer, je trouvais ça important pour connaître un peu la personnalité d'Harry.
j'aimerais beaucoup avoir vos avis sur ce chapitre, sur la fiction en général jusqu'à maintenant, ce que vous en pensez etc (:
all the love, la bise
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