- L'héritier -

3
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Prouver l'existence de Ben à Claude, ne fut pas bien difficile. Mon ami fantôme détenait certaines aptitudes telles que le vol, la télékinésie ou le don de passe-muraille.

Curieux de savoir si Ben était oui ou non le fruit de mon imaginaire, Claude décida de passer un soir à la maison. Je demandai alors Ben d'user de télékinésie en sa présence. Claude sembla stupéfait en voyant mes bouquins tournoyer autour de lui ainsi que les autres tours effectués par Ben. Il en déduisit que ce dernier était un fantôme en quête du repos éternel. D'après lui, Ben, après sa mort, n'avait pu regagner l'au-delà car son âme n'était pas en paix. Quelque chose en rapport avec sa vie passée l'en empêchait. Il devait trouver quoi, afin d'atteindre l'autre côté.

Je trouvais son raisonnement un peu tiré par les cheveux, mais pas improbable. L'intéressé qui ne se souvenait pas d'une quelconque vie passée, se montra dubitatif. Toutefois, il accepta l'aide de Claude pour élucider son mystère.

Le même tour avec les objets volant ne fut pas convainquant avec ma famille. Mes parents restaient persuadés que Ben n'existait que dans ma tête, d'où ce doute constant sur sa nature.

Il m'arrivait de me demander si les croyances de Claude l'avaient influencés quant à admettre l'existence de Ben car, il venait d'Afrique. Il y avait vécu douze ans de sa vie. Cela faisait seulement deux années et quelques mois que lui et sa famille avaient changé de continent. Ce garçon était étonnement superstitieux et croyait en la réalité de tout un tas de trucs que beaucoup penseraient balivernes.

     —  S'il te plait ! insista Ben.

     —  Je vais voir ce que je peux faire, capitulai-je.

Un silence s'imposa naturellement avant que Ben ne reprenne :

     —  Si ce que dit Claude est vrai, que je suis un fantôme et tout le reste... cela signifie que je vais finir par m'en aller un jour ou l'autre... est-ce que... ?

Je détournai mon regard du sien. J'inspirai fortement puis expirai d'un coup. Je voyais clairement où il voulait en venir.

     —  Oui, beaucoup. Tu es mon meilleur ami et ce sera toujours le cas.

     —  C'est pareille pour moi aussi, dit-il d'une voix dolente.

     —  On devrait arrêter de penser à des choses tristes. Et puis, rien ne dit que Claude a raison. Si c'est le cas, profitons du temps qu'il nous reste !

Ben me sourit. Son air parut aussitôt plus illuminé. Je lui rendis ce même sourire avec cette même mine.

Nous soufflâmes tous deux, adossés contre le banc, les yeux droit devant, contemplant le spectacle serein qu'offrait le parc.

Tandis que nous nous laissions porter par le paysage paisible, un homme passant en face de notre siège se stoppa. Il fixa dans notre direction.

Je le détaillai. Ses cheveux étaient gris. Il arborait un visage aux rides naissantes, un teint pâle, un air imposant et un regard grisant, toutefois terrifiant. Ses habits tristes et mornes inspirait un certain mépris.

L'homme nous toisait lorsque ma vision fit face à la sienne. Il me scrutait longuement, avec intrigue et fascination.

À l'instant où nos pupilles se saisirent, un violent battement de cœur étouffa ma poitrine. L'instant d'après, je crus que ce dernier bondirait de là.

Mon souffle se coupa le temps d'une dizaine de secondes. La vue de cet homme provoqua en moi un sentiment nouveau : l'angoisse.  

Alors que mes yeux, attirés par les siens au moyen d'une force mystérieuse, s'ancraient profondément en lui comme pour sonder son âme, je vis une silhouette sombre et offensive prônant un désir aussi noir qu'elle ne l'était elle-même.

Jamais je n'avais vu, ni ressenti une nébulosité en fixant droit un individu. 

Il s'attarda ensuite sur Ben, comme s'il était en mesure de le voir. L'expression troublée de Ben m'indiquait clairement qu'il voyait la même noirceur que je venais d'entrepercevoir dans l'œil de cet inconnu.

Il murmura d'étranges paroles dans sa barbe puis continua son chemin.

Immédiatement, Ben pivota vers moi et me questionna :

     —  Toi aussi tu as senti la même chose, n'est-ce pas ?

     —  Oui.

Ma réponse sonna évaporée.

     —  Tu as remarqué le changement de couleur de ton oeil droit quand vos regards se sont croisées ?

Je fronçai des sourcils interrogateur vers lui. Que racontait-il ?

     —  Qu'est-ce que tu racontes ?

     —  Lorsque tu l'as regardé droit dans les yeux, ton œil droit est passé de son gris initial à un vert plutôt cristallin.

     —  Je n'ai pas remarqué, fis-je sans vraiment savoir quoi dire d'autre.

Comment aurai-je pu voir ce changement de couleur sans une glace ou un autre objet permettant d'admirer son reflet ? Cela me semblait pas autant curieux qu'inimaginable.

     —  J'ai plutôt remarqué qu'il t'observait...

     —  Moi aussi, admit Ben.

     —  Qu'est-ce que cela signifie ?

     —  Que Claude avait raison. Je suis un fantôme et tu n'es pas l'unique personne capable de me voir.

J'inhalai un grand bol d'air et l'exhalait lentement. Tout ça commençait à me dépasser. Il me fallait bouger, prendre l'air.

Je me levai puis remballai mes affaires.

     —  Où va-t-on ? questionna Ben.

     —  Marcher. Respirer. Il faut que je pense à autre chose que ce qui vient de nous arriver...

Je parcourais le parc, l'esprit troublé. J'ignorais quoi penser de cette rencontre. Je jetai un rapide coup d'oeil à Ben qui était captivé par l'animation de l'endroit.

Je soupirai. Ma planche à roues dépassait de l'ouverture de mon sac. Je me sentis dans l'obligation de faire comme Ben, m'abandonner au paysage, afin d'avoir autre chose à l'intérieur de mon crâne.

Nous trottions sans but précis, les yeux observateurs.

Beaucoup de personnes se promenaient comme nous. Certains à pieds, d'autres à vélo ou encore sur des rollers.

Au-dessus la pelouse, quelques-uns lézardaient. Une famille étalait une étoffe blanche à pois rouges. Le panier en lianes à quelques pas d'eux, indiquait ils comptaient pique-niquer. Les bancs à l'ombre des arbres étaient tous occupés. Des parents se dirigeaient vers l'animalerie ainsi que l'air de jeux, tenant fermement leurs gamins dans par la main. Des couples d'amoureux flânaient main dans la main avec cette mine éprise qui me donnait la nausée.

J'ignorais en quoi deux individus bavant l'un sur l'autre telles de hyènes sottes, étaient mignons pour beaucoup.

Nous gravîmes les escaliers longés de parterres de fleures entourant l'imposante fontaine. Voir le parc en hauteur, offrait une magnifique vue d'ensemble. 

Après un moment dans la roseraie, nous prîmes le chemin de la maison.

La promenade dura deux heures à peu près. Cette entreprise destinée à me faire oublier l'étrange personnage de tout à l'heure, ne remplit sa fonction qu'à moitié. Une fois l'écrin de verdure quitté, la curiosité et l'angoisse refirent surface.

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