Doutes
Ce matin-là, Shisui fut réveillé par le pépiement incessant d'une bande d'oiseaux qui s'était emparés du rebord de la fenêtre de sa chambre. Il remit la grasse matinée qu'il avait eu l'intention de s'octroyer à plus tard et se leva en baillant. Comme un automate, il se dirigea vers la salle de bain tout en se demandant à quand remontait sa dernière matinée à fainéanter au lit. Il n'avait jamais été du genre à avoir le réveil facile et il ne redevenait vraiment lui-même que lorsqu'il avait enfin pris son petit déjeuner.
Tout en s'aspergeant le visage d'eau tiède, Shisui commença à penser au programme de sa journée. Il savait qu'Itachi était parti en mission pendant son escapade de la veille et il se félicitait de ne pas être dans le même cas que lui et d'avoir enfin une journée de repos. Il flânerait une partie de la journée et s'entrainerait tranquillement près du lac qui jouxtait les terrains réservés aux Uchiha dans l'après-midi.
Cependant, cette deuxième partie de son plan n'allait pas se dérouler aussi paisiblement qu'il l'avait imaginé.
Cela ne faisait pas une demi-heure que Shisui s'entrainait lorsqu'une voix désagréable vint perturber sa concentration. Il suspendit son mouvement et se redressa pour apercevoir les deux conseillers de Fugaku se diriger vers lui d'un pas qui respirait la suffisance.
« Inabi, Yashiro, les salua-t-il poliment, je ne m'attendais pas à avoir de la compagnie aujourd'hui, continua-t-il sans se départir de sa bonne humeur.
- Malheureusement, nous ne sommes pas venu pour le plaisir Shisui, commença Yashiro.
- Oui nous sommes venue te parler d'une affaire sérieuse, renchérit Inabi.
- C'est un peu délicat, enchaina Yashiro qui connaissait le manque de diplomatie de son compagnon. Je vais aller droit au but. C'est à propos d'Itachi, avoua-t-il. De plus en plus de personnes se demandent si, en tant qu'ANBU, il ne pourrait pas être plus influencé par ses camarades, l'Hokage ou même les anciens que par son propre clan. Je sais que la mission que notre chef lui a confiée est délicate mais, nous ...
- Vous n'avez pas confiance en Itachi, l'interrompit Shisui qui était abasourdi par ce qu'il entendait.
- Je n'irai pas jusque-là, mentit Yashiro, nous voulons juste prendre le maximum de précautions pour nous assurer que le clan demeure en sécurité.
- Et pour cela, vous suspecter non seulement mon cousin, mais aussi mon meilleur ami, pointa Shisui.
- Itachi est puissant et occupe un poste important au sein du village. Mais, mis à part toi, il n'est lié à aucun membre du clan, attaqua Inabi. Il ne fréquente personne et personne ne sait ce qu'il pense vraiment. Malgré tout, nous avons tous remarqué que depuis qu'il avait rejoint les ANBU, il était encore plus distant et taciturne qu'avant. Même toi tu as dû remarquer qu'Itachi avait changé. Alors oui Shisui, je ne suis pas persuadé que nous puissions faire confiance à ton meilleur ami, le provoqua Inabi.
- Inabi ! Tu ne devrais pas dire de telle chose, s'interposa Yashiro.
- Pourquoi ! Je cherche simplement à être totalement honnête avec toi Shisui. Même si ce que j'ai à dire est difficile à entendre, se défendit-il.
- Ecoutes Shisui, reprit Yashiro, tu dois comprendre que nos doutes au sujet d'Itachi ne sont liés qu'à la sécurité des Uchiha. Réfléchis. Que se passerait-il si l'Hokage apprenait qu'Itachi est notre espion ? Ou, pire, si ce dernier nous trahissait au bénéfice du village ? Nous ne pouvons pas jouer avec la sécurité de nos familles. Nous avons besoin d'avoir des certitudes à son sujet, exposa Yashiro avec la voix de l'homme raisonnable. »
Pourtant, Shisui ne put s'empêcher de penser que s'ils souhaitaient réellement protéger leur famille, ils leur suffisaient simplement d'abandonner leurs intentions bellicistes et de laisser la place au dialogue comme Itachi le leur avait conseillé. Cependant, il garda ses réflexions pour lui.
« Pourquoi venez-vous me parler de tout ça, s'agaça-t-il ?
- Tout le monde t'apprécie et te fait confiance ici. Et nous savons aussi combien tu es attaché au nom de ton père, ajouta Yashiro afin de faire peser une pression insidieuse sur les épaules de Shisui. En tant qu'ami d'Itachi, je pense que tu es le mieux placé pour garder un œil sur lui. Et si tu venais à constater un comportement étrange chez ton cousin, alors nous pourrions l'aider et le remettre dans le droit chemin. En tant qu'Uchiha, nous ne tournerons pas le dos à l'un des notre sans avoir essayé de faire quelque chose. »
Shisui demeura sans voix face à ce discours. Derrière ces belles paroles à la gloire du clan, la défiance, voir la menace qui pesait sur son cousin était on ne peut plus clair pour lui. La haine avait-elle à ce point envahi les cœurs de ses compatriotes pour qu'ils commencent à se méfier les uns des autres et envisagent les pires issues ?
Il était hors de question qu'il les rejoigne sur cette voie. Il s'était toujours promis de rester au côté de son cousin, de le soutenir si besoin, de lui être loyal. Et il savait qu'Itachi ne le trahirait jamais non plus. Même s'il était vrai qu'il lui cachait des choses en ce moment, Shisui comprenait que ce n'était que pour lui épargner un poids qu'il devait se croire capable de porter tout seul.
Cependant, accepter la proposition de ces deux-là serait autant un moyen de protéger Itachi de leur haine que de percer enfin à jour tout ce que ce dernier lui dissimulait.
* * *
L'instant où Shisui accepta de garder un œil sur Itachi pour le compte de Yashiro et de Inabi marqua la fin absolue de cette forme d'insouciance qu'il avait cultivée pendant des années dans sa vie personnelle.
Plus les semaines passaient, plus il lui semblait qu'Itachi se renfermait sur lui-même sans qu'il puisse rien y changer. Il évitait son père dès qu'il le pouvait. Pire, il esquivait aussi le reste de sa famille, Sasuke y compris. Et bien sûr, il ne voyait plus aucun de leurs anciens camarades non plus. Mais le plus douloureux restait cette façon qu'Itachi avait de le tenir toujours plus à l'écart de sa vie et de ses réflexions.
Ils avaient toujours été proches et voir son cousin s'enfoncer ainsi dans un mutisme et un isolement quasi impossible à briser le peinait énormément.
Shisui avait tenté de trouver une échappatoire au travers de ses camarades d'unité. Il avait même pris le risque d'organiser deux rencontres avec Lin sans motif urgent. Cela lui avait tout de même permis de vérifier que son stratagème pour rester en contact avec elle fonctionnait bien.
Et effectivement, l'invocation inversée qu'il avait négociée avec les chats ninjas du village de Makoto était parfaite. On ne pouvait rêver plus discret, plus sûr et plus rapide que ce moyen-là. Cela dit, les chats ninjas ne faisant jamais rien gratuitement, ce service de la part des félins leur coutait particulièrement cher en bizarrerie culinaire.
Mais, même ces petites escapades qu'il avait volontairement voulues dans des villages animés et pourvues de maints izakayas et restaurants, n'avaient eu qu'un effet limité sur son humeur. D'ailleurs, Lin avait bien senti que quelque chose n'allait pas. Et lorsqu'il avait repoussé à plusieurs reprises ses tentatives de comprendre pourquoi il était aussi préoccupé, elle lui avait dit une chose toute simple. Pour elle, un ninja ne se tourmentait que pour une raison : un conflit entre son devoir envers son village et sa conscience.
Et de fait, cela résumait plutôt bien sa situation. A ceci près que le devoir en question n'était pas relatif au village mais à son clan. Il réalisait soudain qu'il devait se montrer plus honnête envers Itachi. Sinon comment pouvait-il espérer que ce dernier le soi envers lui ?
Et puis, s'il trouvait le moyen de lui parler en tête à tête de ce que tramaient certains membres de leur clan dans son dos, Itachi comprendrait enfin qu'il ne parviendrait à quelque chose qu'en s'associant avec lui.
La question qui restait à élucider était donc la suivante : Comment trouver l'occasion de parler à Itachi loin des oreilles indiscrètes du clan, et dans une moindre mesure, du village ?
* * *
C'était la toute première fois qu'Itachi se rendait au quartier général de la Racine. Le bâtiment, étrange mélange entre un temple et une forteresse, se dressait à l'ombre de la même falaise que celle sur laquelle le village s'adossait. A ceci près qu'il n'était évidemment pas exposé aux yeux des habitants.
Dissimulé par l'épaisse forêt qui entourait Konoha, le bâtiment qui abritait l'organisation de Danzô, ainsi que ses salles et terrains d'entrainement était éloigné et presque ignoré du reste de la population. Son emplacement exact n'était d'ailleurs connu que de ses seuls membres, ainsi que des autres sections ANBU de l'Hokage.
Itachi traversa une première passerelle, discrètement surveillée par des gardes disséminés tout autour de la place. Devant lui, deux piliers en bois rouge encadraient l'entrée du bâtiment à proprement parler. Personne ne chercha à stopper son avancé ni ne lui demanda de décliner son identité ou d'annoncer le but de sa visite.
Visiblement, tout le monde savait déjà qu'il était attendu.
Une fois à l'intérieur, il découvrit la structure ajourée et complexe de l'édifice. Ici, on ne pouvait visiblement pas échapper aux regards de ceux qui étaient censés être vos camarades. Les accès aux étages et à leurs différentes parties s'entrecroisaient en tout sens et presque aucun mur ne vous dissimulait.
Un homme masqué accosta soudain Itachi d'une voix morne et l'invita à le suivre. Itachi acquiesça d'un signe de la tête et le suivit sans un mot. Ils traversèrent cet étrange lieu et s'engagèrent sur une seconde passerelle, bien plus longue que la première et qui desservait à gauche comme à droite plusieurs portes closes. Cette fois-ci, aucun étage ne venait surplomber l'espace. Après un instant de marche silencieuse, ils débouchèrent enfin sur une salle plus vaste que la précédente. Le silence le plus total y régnait et Itachi ne sentit que peu de présence humaine dans cette partie du bâtiment.
L'homme au masque s'écarta du passage et fit signe à Itachi de se diriger vers le centre de l'immense pièce, là où la passerelle formait un croisement et là où Danzô Shimura l'attendait, enveloppé dans l'étrange vêtement qui recouvrait toujours son kimono et retenait ce bras qu'on disait paralysé.
« Itachi, l'accueillit Danzô. Je suis heureux que tu aies répondu si promptement à mon appel. Et j'espère que tu excuseras la manière peu protocolaire avec laquelle mon message t'es parvenu hier. Je sais que tu n'étais pas encore rentrée de ta mission quand mes subordonnés t'ont dérangé. »
« Dérangé » était tout à fait le mot, mais Danzô ne fit aucun commentaire sur l'altercation qui avait failli s'ensuivre après qu'Itachi ai débusqué les deux messagers de la Racine au terme d'un combat qui l'avait opposé à des ninjas d'Ame en fuite. L'attitude de ces hommes lui avait paru pour le moins équivoque.
Quoi qu'il en soit, il n'était pas ici pour parler de ça. Aussi laissa-t-il Danzô lui exposer les raisons de sa présence ici.
Ce dernier le fixa de ses yeux perçants et inexpressifs. Et Itachi se dit un instant qu'il aurait beaucoup à apprendre de ce visage-là. Un visage aussi impénétrable qu'une forteresse. Puis la voix grave et posée de Danzô s'éleva dans la salle, venant interrompre sa réflexion.
« Il y a maintenant quelque temps, le clan Uchiha t'a ordonné d'espionner Konoha et ses dirigeants. Quels avantages ils comptent en retirer, nous l'ignorons pour l'instant. Mais grâce à ton initiative d'avertir l'Hokage, nous sommes en position d'éviter une situation possiblement dangereuse. En cela, je ne peux que louer ta fidélité ainsi que ta clairvoyance Itachi, flatta Danzô. Je n'ignore pas la promesse que notre Kage t'a faite ni son désir de renouer avec ton clan. Néanmoins, il nous faut rester vigilant et afin de préserver le village du moindre risque, j'aimerais moi aussi te confier une mission, déclara le chef de la Racine. Je sais que ce que je vais te demander est une chose délicate. Mais je suis certain que tu feras ton devoir, en tant qu'ANBU de Konoha. Cela afin de préserver la paix qui règne dans notre village ... à tous, insista Danzô.
- Quelle mission voulez-vous me voir accomplir Danzô sama, lui demanda platement Itachi ?
- Tu participes à toutes les réunions de ton clan n'est-ce pas, s'informa ce dernier pour la forme ?
- Oui, lui confirma Itachi.
- Bien, se réjouit le chef de la Racine. A partir de maintenant, tu devras me rapporter tout ce qui se dit lors de ces réunions et qui concerne directement le village. En d'autres termes, je souhaite que tu deviennes l'agent double de Konoha d'une manière totalement effective.
- Je comprends parfaitement vos inquiétudes, admit Itachi sans ciller. Je ferais donc selon vos ordres, agréa-t-il en s'inclinant.
- Parfait, se félicita Danzô. Bien, tu peux te retirer maintenant. Nous nous reverrons donc à l'approche de la prochaine réunion, conclut-il avant de s'éloigner. »
En ressortant du quartier général de la Racine, Itachi sentit un poids supplémentaire venir peser sur son cœur. Cette fois, il devrait livrer absolument tout ce qui concernait son clan. Ce ne serait plus son initiative personnelle pour le bien des Uchiha comme cela avait été le cas jusqu'alors. Mais de la trahison pure et simple. Pourtant, il était un ninja de Konoha, convaincu qu'on ne pouvait pas laisser l'anarchie s'installer dans un village, si l'on voulait y maintenir la paix et la force de protéger les populations qu'il abritait et dont sa famille faisait partie. Il obéirait donc tout en tentant d'éviter que les choses ne s'enveniment davantage.
* * *
De bon matin, Shisui entrepris de passer par la maison de Fugaku afin de voir si cette fois il y trouverait Itachi ou si ce dernier se serait déjà évanoui comme s'était souvent le cas. Par chance, ce jour-là il semblait que quelque chose soit parvenu à retenir Itachi plus que de coutume.
En pénétrant dans le jardin familial, Shisui découvrit que cette chose était un Sasuke totalement outré par l'attitude désinvolte de son frère vis-à-vis de lui.
« Grand frère, reprocha Sasuke en faisant une moue enfantine ! Tu m'avais promis d'assister à mon entrainement cette après-midi. Tu m'as même redit hier matin que tu serais là !
- Je sais Sasuke, commença Itachi d'une voix posée. Mais l'Hokage m'a confié une mission entre-temps et je dois partir aujourd'hui même.
- Pauvre Sasuke, les interrompit Shisui en avançant vers eux. Quel frère ingrat tu as là, poursuivit-il en faignant l'indignation. Il ferait bien mieux de s'occuper de toi. Au lieu de ça, il se tue à la tâche et bientôt il aura les yeux tellement cernés que même ses joues seront bleues, se moqua-t-il.
- Tu te moques de mon grand frère, s'exclama Sasuke !
- Je n'oserais jamais faire une telle chose, se défendit Shisui avec une pointe d'ironie qui échappa à Sasuke. »
Itachi leva brièvement les yeux au ciel puis s'approcha de son frère cadet. Il l'appela par son prénom pour attirer de nouveau son attention puis posa un genou au sol pour se mettre à sa hauteur.
« Ecoutes Sasuke, si tout se passe bien, je serais de retour au village dans deux jours. Et cette fois, je te promets de passer un peu de temps à t'aider dans ton entrainement.
- C'est vraiment vrai, questionna Sasuke avec espoir ?
- Oui, bien sûr. En attendant, tu ferais bien d'aller te préparer pour l'académie, lui conseilla Itachi. Sinon tu arriveras en retard.
- Super, s'écria le cadet avec un enthousiasme retrouvé. J'y vais. Au revoir Shisui ! A dans deux jours grand frère, chantonna-t-il ! »
Puis Sasuke courut à l'intérieur de la maison pour se préparer sous le rire léger de Shisui pour qui une telle attitude était rafraichissante autant qu'attendrissante. Mais il retrouva vite son sérieux quand Itachi l'interpela.
« Qu'est-ce que tu fais là, lui demanda Itachi sans ambages.
- Rien de particulier. Je me demandais si tu viendrais t'entrainer avec moi ce matin, prétendit Shisui. Mais il semble qu'encore une fois, j'arrive trop tard.
- Dois-je prendre ça comme un reproche, demanda Itachi ?
- Je ne te reprocherai jamais d'être au service de l'Hokage et du village. Tu devrais le savoir, lui fit remarquer Shisui.
- Mmh, oui, bien sûr, répondit évasivement Itachi. »
Face à ce mélange de paranoïa et d'indifférence feinte, Shisui ne put se retenir d'ajouter :
« A moins que tu ne saches plus à qui te fier, balança-t-il froidement en fixant Itachi droit dans les yeux. »
Itachi ne répondit rien. Il se détourna dans une attitude totalement neutre et impénétrable et s'éloigna en silence.
Il était grand temps de crever l'abcès, pensa alors Shisui.
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