EPILOGUE (fin du Tome 1)
Nous sommes en septembre et il fait encore très beau. Il n'y a pas de vent et la mer est calme. Les touristes ont enfin déserté les plages de l'Atlantique. À ma droite, Max est songeur. Il se laisse bercer par les flots. À plat ventre sur sa planche de surf, il pose son menton sur ses deux mains entrelacées.
Paulo, assis sur son surf, nous regarde en souriant, satisfait de nous avoir réunis pour l'après-midi. Au milieu de l'océan, loin des tracas de la maison, nous parlons tous les trois de la fête de ce soir quand soudain, Paulo dévie la conversation sur mon père :
— Hier, quand je suis allé à la mairie pour m'inscrire sur les listes électorales, cet enfoiré de maire était en train de parler de papa...
Intrigué par ce que mon frère a entendu, je donne deux coups de bras dans l'eau pour me rapprocher de son surf, puis je m'assois à califourchon.
— Il disait quoi, trou du'c ?
— Oh, des conneries : que c'est pas un mauvais bougre, mais qu'il lève le coude un peu trop facilement... Qu'avec ce qu'il a vécu, il peut le comprendre...
Je lis dans le regard de mon frère beaucoup de colère et ça m'attriste. Le maire est pourtant loin d'être parfait pour se permettre de juger mon vieux. Je rappelle à mes frères l'épisode de l'incendie qui a eu lieu la semaine dernière sur le village :
— Il s'est pas vu, ce con ! Il a débarqué complètement torché, les gendarmes l'ont envoyé décuver chez lui !
— Je sais, merdeux... approuve Paulo en s'accrochant au surf de Max qui dérive. Il a dit aussi qu'il s'occupe de ses « drôles » comme il peut, qu'on est pas des faciles.
— C'est sûr que son fils à lui est parfait... je renchéris, énervé.
Mon pote Jimmy est un camé, il ne passe pas une journée sans fumer d'herbe. Je l'aime bien, mais avant de dénigrer mon père, le maire ferait mieux de regarder son cul.
— Sa fille par contre... s'esclaffe Max en levant les sourcils pour se moquer de moi.
— Pas vrai, branleur ?
Paulo me met une tape sur l'épaule pour me signifier qu'il est au courant de mes aventures avec Dakota. Nous échangeons un sourire complice. Je m'attends à ce qu'il me fasse pour la énième fois la morale sur l'utilisation indispensable des capotes, mais il n'en fait rien. Il se contente de secouer la tête en soupirant.
Je médite sur ce que Paulo essaie de nous faire comprendre. Je m'accroche désespérément à lui comme un naufragé perdu. Il est devenu mon repère et je tente de le rassurer sur l'avenir.
— Le maire n'a pas tort sur tout. Mais moi, je trouve qu'il n'est pas trop chiant, comme vieux, sauf quand je l'emmerde...
— Ouais et toi, tu l'emmerdes sacrément, merdeux ! rigole Max.
— Bah écoute, je lui rends la monnaie de sa pièce. Il est trop casse-couilles quand il est bourré, je rétorque en jouant avec le scratch de mon leash* que j'ai accroché à ma cheville gauche.
Max baisse la tête et trempe sa main dans le remous des vagues alors que Paulo regarde loin devant en se grattant la barbe nerveusement. Je sais à quoi il pense et son visage anxieux m'inquiète. Depuis que nous sommes rentrés de Paris, les tensions montent entre mon père et lui. Leur relation est de plus en plus compliquée. Paulo gère la plupart des problèmes depuis plus d'un an et par-dessus le marché, il encaisse les humiliations que le vieux lui balance régulièrement à cause de son échec au bac.
— Dans tous les cas, je sais comment le faire céder quand il punit, il faut taper là où ça lui fait mal...
Mes frères sont moins malins que moi dans les conflits d'autorité et je suis fier de savoir comment arriver à mes fins. Mais à ma grande surprise, Max me contredit pour prendre sa défense :
— Je trouve que c'est dégueulasse, ce que tu fais ! Tu oublies qu'il est courageux, quand même !
Max a changé. Je ne sais pas si c'est grâce à Agathe qu'il a pris de l'assurance ou s'il est soudain sorti d'une longue période de léthargie, mais il est plus accessible. J'aime bien ce nouveau Max, je me sens plus proche de lui.
— Courageux, tu parles ! rage Paulo.
Il lâche le surf de Max et, pensif, il se gratte un peu plus fort le menton. Mais Max continue de défendre mon père alors qu'il essaie de se maintenir à proximité de nous :
— Vous n'avez pas vu maman... Vous ne pouvez pas comprendre ! C'était horrible... Papa se sent coupable de ne pas avoir vu les signes qui annonçaient son suicide. C'est moi qui l'ai trouvée ! Au fond du jardin, la tête explosée !
Max n'a jamais parlé de ce qu'il a vu ou ressenti. C'est la première fois qu'il se livre à nous. Je ne sais pas trop comment réagir face à sa confidence et j'admire Paulo, qui pose fraternellement sa main sur le bras de Max. J'ai du mal à trouver les gestes et les mots dans ce genre de situation. Je m'allonge sur ma planche pour me préparer à prendre la prochaine vague. Je réalise que le temps de l'insouciance est bel et bien terminé. Mon père et Paulo s'affrontent régulièrement et je redoute le jour où mon frère aîné partira sur un coup de tête.
Est-ce que j'aurai suffisamment d'arguments pour le retenir, et combien de temps ? Dans tous les cas, à la fin de l'année, il aura son bac. Que va-t-il se passer ? Heureusement, je suivrai Max. Le fait d'être dans la même classe que lui est finalement rassurant. Nous sommes de plus en plus souvent ensemble et nous apprécions ces moments de complicité. En me redressant sur mon surf, propulsé par la vague, je songe à mon père qui en un an a vieilli de dix ans...
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