Chapitre 47

Ça va faire deux jours que mon père a disparu... Pas de nouvelles de lui ! Il est parti un matin sans rien dire et nous a plantés là en disant qu'il en avait plein le cul.

Paulo squatte chez Sophie, et Max, chez Agathe. Moi, je voudrais bien taper l'incruste chez Marion, mais il y a déjà Paulo et en plus, je suis plus ou moins en froid avec elle depuis que Dakota a débarqué. Je ne peux pas non plus bouffer chez cette dernière à cause de Jimmy qui monte la garde dès que j'approche sa sœur.

Je suis donc tout seul chez moi à terminer la dernière boîte de céréales Trésor qui me sert de repas depuis deux jours, car les placards, frigos et congélateurs sont totalement vides. Alors que je suis tranquille sur mon canapé, en train de comater de bon matin, Max se prépare à partir chez « mon » Agathe.

— Tu fais quoi ? me questionne-t-il en boutonnant son polo bleu marine qui fait ressortir son bronzage.

— Une commande sur le Drive de Carrouf (non, je n'ai pas fait de faute, c'est fait exprès)! J'ai trouvé la carte bleue du vieux sur le buffet, donc je remplis les placards.

— Calme ta joie ! me coupe-t-il dans mon élan. Pas la peine d'acheter un wagon de bouffe ! On part dimanche pour Nice, rejoindre tata.

— Quoi ?

— Tata et les filles seront à Nice pour quinze jours, elles nous invitent à camper, et ensuite elles nous remontent sur Paris.

Mes frères sont toujours au courant des événements à venir avant moi. C'est dû au fait que je ne prête jamais attention à ce qui se passe dans l'avenir. Je ne sais jamais ce que je vais faire le lendemain. Je n'ai pas de projet. Max semble ravi mais moi, pas le moins du monde.

— C'est une blague ? Mais je ne veux pas partir !

— On n'a pas le choix, merdeux ! articule Max en réduisant à néant la dernière petite lueur d'espoir qui me restait. Le vieux a décidé de nous envoyer là-bas.

— Non, mais moi, j'y vais pas, branleur !

Je refuse catégoriquement en énumérant tout ce que je dois abandonner ici : la plage, Dakota, mes potes, mon skate (non, lui, je l'emmène), ma liberté (oui, ma tante est une dictatrice, finies les sorties, les repas à pas d'heure, internet à volonté, l'impolitesse, le non-respect...).

— En plus, c'est ce taré de Maurice qui nous conduit jusque là-bas... Et d'après ce que j'ai entendu, le trajet sera un vrai pèlerinage !

— Mais dimanche, c'est dans deux jours !

— Tu sais compter ! Tu t'améliores... T'es bien parti pour la Première S ! me lance mon frère sur un ton admiratif qui n'exprime rien d'autre qu'un total foutage de gueule.

— Oh, ferme-la !

Je balance ma boîte de céréales dans sa tronche et il l'évite de justesse.

Je suis abasourdi par la nouvelle. J'essaie de me résoudre à l'idée de partir chez ma tante et mes trois cousines, pour un trajet de deux jours, accompagné par Maurice le grincheux, meilleur pote de mon père qui conduit sa caisse pourrie comme un escargot... quand soudain je réalise qu'à Nice, on ne surfe pas. Bordel, on va foutre quoi là-bas ?

— Oh, arrête de chialer ! s'énerve Max qui se recoiffe pour sortir retrouver sa meuf. Fallait profiter de ton mois de juillet pour surfer, au lieu de chasser Dakota !

— N'importe quoi, j'ai presque pas surfé à cause des orages ! je me défends.

Je repense à l'été pourri par les drapeaux rouges. Les courants et le mauvais temps n'ont pas été propices au surf.

— Ben dis-toi qu'il y en aura aussi en août !

— Et mon anniversaire ?

Je suis tellement déçu à cause de la soirée phénoménale que j'avais prévue depuis plusieurs semaines.

— Tu le fêteras à Nice, avec tata ! éclate de rire cet abruti.

— Et Paulo, il dit quoi ?

Mon frère est mon ultime recours.

— Paulo, il est ravi car il en a plein le cul, de Sophie...

Si même Paulo est emballé à l'idée de traverser la France pour crever de chaud, se casser le dos sur le tapis de sol de la tente et entendre le camionneur qui me sert de tante ronfler toutes les nuits, en effet, la cause est perdue d'avance. Il ne me reste qu'à prévenir mes potes et Dakota...

Dans la soirée, j'ai invité ma bande de copains à venir me tenir compagnie. Il pleut et nous squattons le salon.

— Mais il est où, ton vieux ? me questionne Jimmy, intrigué que je sois seul.

— Soit il a une meuf, soit il est chez les putes !

— Tonio, tu devrais pas dire ça ! me reprend aussitôt Marion qui sait bien que je ris jaune.

— On s'en bat les couilles, de toute façon ! Je suis un pro du Drive de chez Carrouf, j'ai fait les provisions...

Puis je lève mon verre de vodka orange pour porter un toast :

— Les gars, à la fin de mes vacances !

— T'es puni ? s'inquiète aussitôt ma meilleure pote qui s'imagine toujours le pire pour moi.

— Non, je pars à Nice dimanche ! La sœur de ma mère a loué un mobil-home avec mes trois cousines. Je pars la rejoindre pour quinze jours et ensuite, on monte chez elle sur Paris.

— Je ne serai plus là quand tu rentreras ! réalise Dakota. Je serai repartie chez ma mère.

— Moi, je serai en vacances en Corse ! rajoute Marion tristement. On ne se verra plus jusqu'à la rentrée !

— Putain, moi aussi, je serai en Bretagne du 15 au 30 août ! constate Jimmy.

— Et moi, je serai à Saintes-Maries-de-la-Mer, avec la communauté gitane, se vante Dylan.

— Il semblerait que ce soient les deux dernières soirées de nos vacances ensemble, alors...

Ma conclusion démoralise toute notre bande.

Au moment de dire au revoir à Dakota, celle-ci s'inquiète de ma nonchalance.

— Tonio, ça ne va pas ?

— Comme quelqu'un qui se casse trois semaines au bagne ! je lui réponds, en haussant tristement les épaules.

— T'exagères !

— Pas du tout, tu connais pas ma tante ! Dors avec moi ce soir...

Dans mon désespoir, je lui prends la main pour la convaincre de rester. Je tente, après tout, il faut toujours espérer. La maison est vide, c'est le moment où jamais...

— Demain soir, je viendrai te dire au revoir ! Je serai toute seule, me glisse Dakota à l'oreille avant de déposer un bisou rapide sur mes lèvres. 

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