Chapitre 41

Nous jouons un long moment au trou du cul, appelé aussi P.D.G., ainsi planqués sous la plus grande rampe du skate-park. Étant un bon stratège, j'adore jouer aux cartes. Ce jeu ne nécessite pas forcément beaucoup de chance, tout est dans la patience et la ruse. Bref, le joueur qui gagne la partie devient le Président, alors que le perdant est le trou du'c... Il n'existe pas plus mauvais joueur qu'Ashton, et c'est lui qui met fin à la partie en me balançant son jeu à la figure.

— Tu fais chier, bordel ! râle-t-il alors qu'il ne s'est pas débarrassé d'une seule carte de la partie. T'attends toujours avec tes trois cartes de merde pour les poser au dernier moment et finir le premier !

— C'est le jeu, ma pauvre Lucette ! je me vante en ramassant les cartes éparpillées.

— Ta gueule ! riposte-t-il énervé.

—Appelle-moi Président, s'te plaît, espèce de trou du'c !

Je coupe court à la discussion qui risque fort de s'envenimer en me levant pour attraper mon skate. Je prends de l'élan pour virevolter sous la pluie. Dakota et Marion restent toutes les deux à l'abri à câliner mon chien, alors que Jimmy, Dylan, Ashton, Max et moi, nous amusons sur les différentes rampes. Nous nous entrecroisons pour faire quelques figures. Je ne réfléchis pas vraiment aux tricks que j'effectue. Je les fais naturellement en fonction de l'élan. Je sens les regards de Marion et Dakota sur moi alors je ne suis pas suffisamment concentré pour tenter de nouveaux trucs. Je préfère les choses simples, appuyées de quelques grimaces, histoire de faire rire les filles.

Puis nous nous dirigeons vers la rue piétonne, pour voir si nous croisons une connaissance. Max retrouve Agathe qui fait les boutiques avec des filles de sa classe. Nous le laissons avec elle pour revenir auprès de Marion et Dakota.

Dans la soirée, le temps est toujours aussi humide, alors nous nous dirigeons tous à l'arrêt de bus pour rentrer chez nous. Max nous rejoint, et en attendant le car, nous remontons sur nos skates. Je ne sais pas comment se débrouille mon frère, mais il perd l'équilibre et se luge comme un débutant. De loin, je remarque qu'il reste assis par terre, penché en avant, et je comprends qu'il s'est blessé.

— Qu'est-ce que tu fous, branleur ? je le questionne en m'arrêtant à côté de lui.

— Bordel, je me suis explosé le doigt !

Je vois rapidement à ses traits crispés et son visage tendu qu'il souffre. Il tient sa main qui dégouline de sang sur son sweat et reste plié en deux au milieu de la route.

— Fais voir ! Ah, ouais, quand même ? je confirme en observant son bout de doigt qui ressemble à un morceau de steak haché bien frais. T'as un problème ! Faut récupérer ton ongle, je crois que ça se greffe. Bouge ton cul de la route, tu vas te faire écraser !

— Putain, ça fait trop mal ! gémit-il en grimaçant.

— Tu vas pas lâcher une larme, quand même !

Je me moque de lui en cherchant son ongle partout.

— Ta gueule !

— Ooohhh Jimmy ! je gueule. Faut appeler les pompiers. Max, tiens ! Il est là, ton ongle !

— Ça va ? s'inquiète Marion.

— Non ! je lui dis en secouant la tête, tout en ramassant l'ongle de mon frère. T'as pas un kleenex pour conserver son ongle ? Jimmy, fais-le allonger sur le trottoir, sinon il va nous tomber dans les vaps, cet abruti ! Regarde la gueule qu'il a, il tourne au vert !

— J'appelle les pompiers, propose Dylan, impressionné par l'état du doigt de Max.

— Je préviens ma mère pour qu'elle nous rejoigne avec ton père ? me suggère Marion.

— Ouais, je téléphone à mon père de mon côté.

Une heure plus tard, tous mes amis sont rentrés chez eux, sauf Marion. Les pompiers viennent chercher Max et son ongle. Mon père, qui nous a entre-temps rejoints, monte avec lui dans l'ambulance. Il grimace en découvrant la blessure de Max. Puis, sur les consignes des pompiers, il s'assoit à ses côtés en tentant le rassurer entre deux reproches.

— Tonio, tu récupères les papiers de la Sécu à la maison, m'ordonne-t-il.

— Ils sont où ?

— Tu cherches ! s'impatiente-t-il. Quand tu les as, tu m'envoies Maurice avec ! Et tu me laisses ce clébard où tu l'as trouvé !

— Ouais ! je rouspète en regardant Gipsy tristement.

La mère de Marion attend que je dise au revoir à mon chien. Je dois l'abandonner où je l'ai trouvé, c'est à dire dans cette même rue où Max s'est blessé. Je questionne tout de même un commerçant avant de partir, pour vérifier si Gipsy est connu, et il me confirme que c'est le chien de chasse du propriétaire de la pharmacie... Avec beaucoup de regrets, je laisse Gipsy retourner chez lui.

De retour au village, Marion m'accompagne chez moi.

— T'as besoin d'aide ? me demande Marion, embêtée pour moi.

— Ouais !

Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemblent les papiers de Sécu. Nous commençons à fouiller dans le buffet de cuisine.

—Ton père doit avoir une carte vitale, tu sais, une carte verte avec sa photo, m'explique Marion.

— Ouais, ouais, je vois... je fais, tout en réfléchissant à l'endroit où cette foutue carte peut bien se trouver. Faut que je te dise un truc sur Dakota...

— Quoi ? Si c'est que tu sors avec elle, tout le monde le sait...

— Je sors pas avec elle !

—Ah bon ? s'étonne-t-elle.

— Non ! je démens en la fixant pour examiner sa réaction. On s'est juste embrassés comme ça !

— Ouais, donc t'es sorti avec elle ! me contredit-elle, agacée.

— Non, je te dis que c'est juste comme ça !

Je reprends calmement mes recherches au milieu de la montagne de papiers de mon père.

— Ok ! accepte-t-elle, satisfaite de ma réponse. Et c'est quoi que tu voulais me dire, sinon ?

— Juste ça !

— Mais t'es amoureux d'elle ? me chuchote-t-elle timidement, une angoisse dans la voix.

— Non, je te l'ai déjà dit ! J'aime personne !

Je suis sincère dans ce que j'avance. Mais lorsque je lève la tête pour observer sa réaction, je suis beaucoup moins sûr de moi. Marion est troublée et ses questions me perturbent. J'aime bien la taquiner et la voir perdre ses moyens, surtout quand elle devient jalouse. Mais je ne veux pas qu'elle s'immisce dans mes choix.

— Ok ! Et tu comptes faire quoi avec elle ?

Elle tente de me faire formuler mes véritables intentions.

—Tout ce qu'elle voudra... je lui avoue pour défier ses sentiments. Ah, ça y est, j'ai trouvé les papiers !

—Cool, pour les papiers, me lâche Marion froidement.

—On reporte la fête à demain ?

— Ouais, bonne soirée ! me lance-t-elle en m'abandonnant à mon sort.

—Marion, t'en va pas comme ça !

J'essaie de la retenir par le bras, réalisant soudain que je l'ai probablement vraiment blessée.

—Tonio, c'est bon, oublie-moi, ok ? m'intime-t-elle en me repoussant pour se libérer de mon emprise.

Elle m'appelle par mon prénom et c'est vraiment mauvais signe.

—Oh bordel, tu fais chier, t'es bien une gonzesse, toi ! Jamais contente ! Je t'aurais pas dit pour Dakota, tu m'aurais fait la gueule, et là je te le dis, et tu fais la gueule quand même !

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