Chapitre 25
Ce soir encore, nous retournons dans le vieux château. Au fil des visites, le petit groupe du départ s'agrandit et le petit salon du haut n'arrive plus à contenir tout le monde. Nous avons déplacé les vieux canapés au milieu de l'immense grenier, ainsi que quelques matelas trouvés dans les chambres. Cela fait une salle sympa, éclairée par de nombreuses bougies. Le plafond mansardé laisse entrevoir la magnifique charpente en bois avec ses poutres probablement centenaires. Les planchers, bien que très poussiéreux sont en bon état. Nous pouvons aisément courir et sauter dessus sans risquer de passer au travers. D'ici, nous avons une vue à 360 degrés sur l'extérieur, mais pour éviter de nous faire remarquer, nous laissons les seize fenêtres et volets fermés.
Cet endroit chargé d'histoire devient notre QG. Les lycéens vont et viennent en attendant les résultats du bac. Ce soir, nous avons mis la musique et je subis une véritable torture en entendant les paroles des chanteurs à la mode. Il y en a un, en particulier, qui vient de sortir son nouvel album et qui suscite l'unanimité auprès de la gente féminine avec son costard rose et sa coupe imitation surfeur des années 80, c'est Harry Styles. Je vais d'ailleurs m'abstenir de critiquer tout haut son clip raté de Sign of the times, dans lequel il nous produit l'effet d'un mauvais super-héros avec un trucage bidon... Bref, Marion kiffe et moi je meurs.
Il est minuit passé quand mes deux frères créent la surprise en débarquant avec leurs tendres conquêtes. Agathe me dit à peine bonjour depuis la séance du Cap ou pas Cap et ça me donne le fou rire.
— Pourquoi tu ris en regardant ton ancienne crush, me questionne Marion alors que je m'étrangle avec une gorgée de vodka orange.
— Je suis en train de penser à un jeu qu'on pourrait faire !
— Quoi ?
J'ai beaucoup de mal à répondre à mon amie. Je tousse et me tords de rire à la fois, complètement affalé sur un divan qui pue la poussière. Marion, assise contre moi, me tape dans le dos pour m'aider à respirer quand j'arrive enfin à lui exprimer mon idée :
— Un poker !
— Tu veux jouer aux cartes ?
— On pourrait faire un poker déshabilleur ! je m'esclaffe en imaginant Agathe à poil.
— Non, mais t'es complétement bourré ! Tes frères vont te tuer !
Marion s'énerve et me secoue en s'agrippant à mon T-shirt pour me faire réagir.
— Tais-toi ! Change de musique, ça pue, ton truc ! je lui ordonne en détachant ses mains de moi.
— Change de musique toi-même, me rétorque-t-elle. Et arrête de boire, c'est n'importe quoi !
Elle s'écarte de moi, contrariée. Pour me provoquer, elle monte le son de sa merde qui me donne le cafard. Elle reste plantée derrière la sono à me défier du regard. Finalement, je capitule et je décide de me lever pour rejoindre Jimmy et Dylan qui doivent être en train de se défoncer dans un coin du château. Je titube sur le plancher qui tangue sous mes chaussures. Je m'aide de mes mains pour longer les murs car j'ai beaucoup de mal à me repérer dans le noir à cause de tout l'alcool que j'ai avalé.
— Hey mec ! m'interpelle Jimmy, assis avec Dylan contre un mur au fond d'un couloir. Oh bordel, tu t'es mis minable, ce soir !
— Ouais !
Je rigole en m'affalant par terre contre lui. J'ai beaucoup de mal à garder les yeux ouverts, ce qui n'est pas vraiment essentiel, étant donné l'obscurité. Je hume l'odeur de la weed qui se dégage du joint de mes amis.
— Paulo va te tuer s'il te voit !
— M'en fous !
— Tu devrais arrêter de boire, pour dessaouler un peu !
Je tire une énorme bouffée sur le pétard qu'il me tend. Ce soir, j'ai décidé que j'étais libre ! Aucun de mes frères ne me privera de mes droits. Je n'ai de comptes à rendre à personne, cette soirée est juste parfaite. Plus rien n'a d'importance, je rentre dans une mécanique où je n'arrive plus à dire autre chose que :
— M'en fous !
— Oh putain, Speed ! T'es défoncé grave ! se marre désormais Dylan.
— M'en fous !
Mes deux amis ne savent pas vraiment s'ils doivent me prendre au sérieux ou si je me moque d'eux. Les voir ainsi, inquiets pour moi, me donne un fou rire ingérable.
— Bon, ok ! T'as pas envie de gerber, au moins ? s'affole Jimmy.
— Non, ça va ! je marmonne en mimant une nausée les deux mains sur ma bouche.
— T'es con, rit Dylan.
Marion débarque dans la pièce pour m'annoncer :
— Tonio, je dois rentrer ! Ma sœur s'est engueulée avec Paulo ! Elle veut partir, du coup !
— Non ?
Je rigole de plus belle, en imaginant le couple se déchirer pour je ne sais quelle raison.
— Bon, de toute façon, tu t'en fous, t'es bourré ! me reproche-t-elle.
— Ouais ! Mais tu t'en vas pas, je la supplie en lui prenant la main.
— Si Sophie rentre, je rentre, j'ai pas le choix ! À demain !
— Attends !
Je l'attire contre moi et elle se baisse pour être à ma hauteur.
— Quoi ? dit-elle en coinçant ses cheveux derrière ses oreilles.
— Fais-moi un bisou !
— T'es bourré !
— M'en fous !
Je tends mes lèvres vers sa bouche. J'ai terriblement envie de ce baiser, maintenant. J'ai besoin de l'affection de Marion. Je m'accroche à elle, sans la quitter des yeux, pour le lui faire comprendre.
— Il bloque là-dessus ! intervient Jimmy en haussant les épaules. Il n'arrête pas de dire "m'en fous" !
— Marion, allez ! Fais-moi un bisou !
D'une main, je tourne son visage vers le mien et Marion finit par craquer. Elle me colle un smack rapide. J'aspire sa lèvre inférieure pour savourer ce bisou et je lance un sourire narquois à mes deux potes qui n'en reviennent pas.
— Toi, t'es un malin, me lance Jimmy en tirant sur son pétard.
— Au fait, Paulo se bourre la gueule, donc il devrait pas trop t'emmerder ! m'informe Marion.
— M'en fous !
— Super ! me félicite Marion, le pouce levé. Salut !
Elle fait une moue réprobatrice avant de s'échapper.
— T'es trop con, Speed ! me reproche Dylan qui lance un sourire désolé à Marion.
— M'en fous !
— Bon, moi je me casse, ajoute Jimmy. T'es trop chiant quand t'es comme ça !
— Je suis en manque d'affection, les gars !
Je souhaiterais les retenir pour continuer à les emmerder un peu... Dylan fronce les sourcils en se retournant sur moi. Il apprécie Marion et a de l'admiration pour elle. Marion est différente des autres filles. Elle n'a jamais embrassé d'autres garçons que moi et elle n'a pas honte de clamer haut et fort qu'elle ne sortira qu'avec le garçon qu'elle aime. Il me trouve probablement injuste avec elle. Mais je suis tellement ivre que je ne me rends compte de rien.
Jimmy se lève pour s'apprêter à rejoindre le groupe.
— Va te taper Mégane, il paraît qu'elle te kiffe ! se fout de moi Dylan.
— Depuis mon mot d'amour, elle me parle même plus ! Hey, les gars, vous voulez pas faire un pogo ? je propose en m'accrochant au mur pour m'aider à me lever.
La soirée me paraît tellement triste et molle et moi, j'ai besoin de bouger, sinon je vais continuer à me défoncer.
— Oh, putain ! Vas-y ! On met la musique à fond ! Ça va exploser sa mère ! approuve Dylan qui sort son iPhone pour chercher un truc qui déchire.
Nous finissons par nous mettre d'accord sur The Trooper d'Iron Maiden. Je monte le son de la mini-chaîne à fond, puis Jimmy, Dylan et moi commençons à sauter partout en nous rentrant dedans au son de la musique. Nous sommes très vite rejoints par la plupart des mecs présents à la soirée. C'est un jeu très masculin et les filles s'écartent de nous car elles ont peur de prendre un mauvais coup. Même si je ne suis pas le plus petit en taille, j'avoue que je ne suis pas le plus costaud et je me fais bouler plusieurs fois contre les murs ou même dans un canapé, mais c'est trop bon. La musique est violente, et le rythme agressif me fait tout oublier.
Paulo est totalement saoul. Lui qui d'habitude défonce tout le monde par sa force, roule par terre au moindre coup. Les autres en profitent et ça me fait marrer. Le pogo dure le temps de la chanson. Jimmy, en poussant Dylan un peu fort, explose une porte, et Max, qui mime un guitariste avec un manche à balai, casse tout sur son passage : quelques vitres, une glace et un magnifique lustre...
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