Chapitre 13

En montant dans la voiture, je me demande ce qui a bien pu passer par la tête de mon père pour débarquer comme ça à la gendarmerie. Il me soutient alors qu'il sait pertinemment, comme tout le monde d'ailleurs, que j'ai piqué ce putain de téléphone. Il conduit tranquillement, en silence. Je le soupçonne de ruminer la façon dont il va aborder le sujet. J'attends patiemment qu'il se lance et c'est un exercice difficile pour moi après toutes ces émotions.

En arrivant dans notre petit village, il ne prend pas la direction de la maison, et quand il tourne au carrefour du cimetière, une angoisse me prend au creux du ventre. Il veut que je montre ma sale gueule de petit con à ma mère. Je n'ai pas revu le caveau depuis plus d'un mois, jour où je me suis juré de ne plus jamais la pleurer. Je ne veux plus voir sa tombe.

J'ai cette douleur au fond de moi qui m'accable et qui me serre le cœur si fort que j'ai besoin de me sentir vivant. Je veux aller de l'avant sans me poser de questions. Écraser ce chagrin qui me poursuit et cette putain de pensée qui me rappelle à chaque seconde qu'elle m'a lâchement abandonné. Alors pour oublier, je fonce, je me déconnecte, je ne me raisonne plus...

Lorsque mon père se gare sur le parking, je suis prêt à faire tout ce qu'il me demandera pour éviter de descendre. Je le préviens :

— J'y vais pas !

— Tu fais comme tu veux ! lâche-t-il en se détachant. Mais dis-moi où tu l'as planqué !

Il n'a plus de permis, il conduit avec trois grammes mais il met sa ceinture. Il est vraiment surprenant parfois.

— Planqué quoi ? je lui rétorque innocemment.

— Le portable !

Je ne comprends pas ce qu'il attend de moi, si je dois vraiment lui avouer ce qu'il sait déjà ou continuer de nier.

— Quoi, le portable ?

— Tonio, arrête de me prendre pour un con, tu l'as planqué où ? s'énerve-t-il.

— Ben, quelque part...

— Je pensais que tu l'avais caché au caveau de maman, comme avant...

Il fait référence à mes petits vols que je cachais ici, il y a quelques mois, juste après le décès...

— Non, j'ai changé de planque depuis que t'as trouvé celle-là, je l'informe, fier de moi.

— Bon, écoute Tonio, c'est grave ce que tu as fait ! Ce portable, il faut que tu t'en débarrasses ! Tu t'en es servi ?

— Non, mais t'es con ou quoi ? Je l'ai éteint et basta !

— Et depuis hier, tu l'as mis où ?

— Je l'ai rangé au vieux lavoir ! Mais ne t'inquiète pas, personne ne m'a vu et comme je l'ai coupé, il n'est pas géo localisable...

— T'en es sûr ? s'inquiète-t-il.

— Oui, il n'y a que le FBI qui sait faire ça : retrouver un portable hors connexion et ils n'en ont rien à foutre de celui du CPE !

Mon père redémarre sa voiture pour aller jusqu'au lavoir où je descends pour récupérer le téléphone. Puis il se dirige vers le petit port du village et il m'oblige à le jeter au fin fond des vases. C'est ainsi que se termine l'histoire du portable du CPE. Je suis écœuré, j'ai jeté un IPhone dans l'eau !

— Je t'avertis Tonio, c'est la dernière fois ! Si t'as envie de pourrir en prison pour vols, c'est ta vie ! Chacun est responsable de ses actes ! Je ne vais pas te punir mais plus jamais je ne viendrai te chercher à la gendarmerie ! T'as compris ?

— Oui ! je lui réponds.

J'ai une boule à l'estomac, celle que l'on ressent quand on a déçu la dernière personne qu'il reste pour veiller sur vous.

C'est là que j'ai vraiment pris conscience qu'il fallait que j'arrête. Pas face aux gendarmes ou au CPE, non, face à mon père. Cet ivrogne qu'il est devenu, mais qui persiste à croire en moi parce qu'il m'aime.

Il est loin d'être le père idéal et il ne l'a jamais été. Il est égoïste et ne supporte pas que l'on perturbe sa vie quotidienne. Il n'est pas affectueux ni attentif mais il est là, imposant son autorité et surveillant de loin nos dérapages. Il nous indique une direction simple et claire : être heureux. En le regardant, dépassé par ma connerie, je comprends pour la première fois qu'il est comme Paulo, Max et moi, totalement perdu dans son chagrin. Le pilier de la famille a disparu, laissant seuls derrière elle un patriarche désemparé et trois rejetons sans repères.

De retour à la maison, le sujet a été clos, ni mes frères, ni mon père ne l'ont plus jamais abordé. En revanche, il me reste une amitié à reconquérir et je sais que ça ne va pas être facile.

Après avoir dîné, je prends mon skate pour me rendre chez Marion. La lumière est allumée, ses parents doivent être là. Je sonne chez eux et c'est Sophie qui vient m'ouvrir. Marion est derrière elle, portant sa robe rouge trop courte, et elle me fait signe d'entrer. Je la suis jusque dans sa chambre que je connais bien, avec ses petits cœurs roses et sa tapisserie mauve qui me rappellent qu'elle est longtemps restée fan de Violetta. Les posters ont disparu quelques années auparavant pour être remplacés par des photos de l'océan et des diplômes de danse. Marion pratique le hip-hop et fait de nombreuses compétitions au sein d'une équipe bien classée sur le plan national. Cette pièce lui ressemble, classe, simple et toute propre, sans oublier son parfum vanillé qui submerge mes narines.

— T'es gonflé de venir chez moi pour mater Agathe, après tout ce que tu m'as fait ! me lance-t-elle en colère.

Elle est appuyée contre son pied de lit blanc à baldaquin, assorti à sa commode, son armoire et son bureau. Moi, je suis planté au milieu de la pièce, embarrassé par ma culpabilité. Les mains enfoncées dans les poches, je me mords l'intérieur de la lèvre avant de l'interroger :

— Pourquoi tu me parles d'Agathe ?

— Elle a bouffé ici, ce soir ! Elle fait des devoirs avec ma sœur, m'explique Marion.

Agathe est chez Marion, en même temps que moi ? Mon cœur manque un battement. C'est un signe que me fait le destin. Il faut que je trouve un moyen de lui parler.

— Je suis pas venu pour elle, je te jure que je savais pas.

J'essaie de la rassurer tant bien que mal, mais puisqu'Agathe est là, pourquoi ne pas saisir l'opportunité...

— Jure pas, menteur ! me balance-t-elle en me mettant une tape derrière la tête.

— Je voulais te demander pardon !

Je m'excuse sincèrement en me protégeant le crâne avec les mains pour éviter un autre coup. Pauvre Marion, je ne lui ai procuré que des emmerdes cette semaine. Je ne fais que des conneries.

— C'est bon, tu ne vas pas pleurnicher dans ma chambre !

Elle me pousse d'un coup pour me faire tomber sur son lit.

— Et aussi te dire merci de ne pas m'avoir balancé !

Je lui agrippe une main et l'attire contre moi.

— Ouais et bien remercie Max, plutôt ! lâche-t-elle en se débattant. Parce que moi, je t'aurais bien envoyé croupir en taule, tombeur !

— Je sais que ce n'est pas vrai !

Je la maintiens fortement pour lui faire face.

— Tout le lycée parle de toi, maintenant, espèce de thug, me provoque-t-elle.

— M'en fous, ça change pas...

Quelqu'un frappe à la porte, je lâche aussitôt Marion pour sauter au bas du lit. Si ce sont ses parents, ils vont en faire tout un plat, de me voir allongé sur Marion. Le dessus de lit est tout froissé, et j'espère juste qu'ils ne le remarqueront pas.

— Entrez ! dit Marion en faisant sa tête de petite Sainte-Nitouche. Elle tire vite fait sur sa robe rouge, toujours trop courte.

— Salut Tonio, m'interpelle Agathe, je peux te parler d'un truc ?

Je déglutis en jetant un regard interrogateur vers Marion. Puis je me jure que pour une fois, je vais réfléchir avant de lui sauter dessus. De toute façon, je suis venu sans mes capotes.

— Euh, salut Agathe, moi aussi, je voudrais te parler d'un truc... je marmonne le plus diplomatiquement possible.

Ce n'est pas le moment de merder avec Marion...

— Je vous laisse, finit par dire celle-ci en sortant de sa chambre.

Une fois seuls, Agathe m'interroge timidement :

— Alors, qu'est-ce que tu veux me dire ?

— Non, toi d'abord ! je lui impose en essayant de me mettre à sa hauteur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top