Je suis pris au piège, dans un bar, il fait noir maintenant et je suis désormais seul.

Si au moins je pouvais agripper une bouteille de scotch ! Désespérément, pendant des heures, je la fixe, je tente de la prendre, de la faire bouger, mais rien n'y fait. Celle-ci refuse de m'obéir.

On dit que lorsque l'on meurt on doit suivre la lumière, il n'y en a définitivement pas ici. Outre mon propre corps d'où émane une douce lumière blanche, aucune lampe n'éclaire les lieux.

Comme l'ennui me gagne, je me mets à lire les étiquettes et ce sur chacune des bouteilles du barman. Puis après quelques heures pénibles, le concierge fait son apparition.

L'homme vêtu d'un jeans et d'un gilet blanc nettoie méthodiquement chaque recoin incluant le sang gluant que j'ai négligemment fait couler sur le plancher, dans un rictus de dégoût.

— Yark, il aurait pu mourir ailleurs celui-là ! Pauvre petit imbécile, ça t'apprendra à embrasser la conjointe de Benjamin.

— Tu peux bien parler ! Tu couches avec lui !

Il ne m'entend pas, ne répond pas et continue sa routine comme si de rien n'était. Ma mort ne représente rien pour lui.

Lorsque les deux barmans font leur entrée, j'écoute attentivement la discussion.

— Tu as vu la tête de ta copine quand je lui ai parlé d'acheter une tarentule ?

— Oui ! Elle grimaçait de dégoût ! J'espère que tu achèteras une araignée pour vraie, elle paniquerait!

— En passant, tu as su pour Claude ?

— Ouais, le pauvre mec avait la cervelle en gélatine. Un alcoolo de moins, en plus il ne donnait jamais de pourboires. Bon débarras !

Je pensais pourtant être un bon client. Ces deux types vêtus en veston avec une cravate me recevaient toujours avec un grand sourire et ma boisson favorite. Je grimace de dépit, je les appréciais moi ces deux là. Plus maintenant.

— Tu vas au Klondike ce soir ? demande le plus petit des deux.

— Bien sûr, c'est beaucoup plus payant qu'ici, tu devrais venir !

— Non, je bouge comme un piquet.

Quoi ? Ce type est un acrobate professionnel dans les spectacles les plus populaires de la ville ! J'allais de surprise en surprise. Et moi qui croyais connaître les gens que je côtoyais. Enfin, je ne savais rien sur eux, même pas leurs noms.

L'éclairagiste ouvre les lumières colorées et l'animateur fait son apparition en tenue vert métallique. Les lieux tout à l'heure noirs et ternes, s'animent désormais de couleurs et de sons.

Des habitués commencent à arriver pour réclamer leurs breuvages afin d'oublier la vie citadine.

Je me glisse parmi eux, mais ne découvre rien d'intéressant cette fois, outre des histoires de boulots et de secrétaires éméchées.