noct1s

Un parc désert. Une ville abandonnée par les citadins endormis. La balançoire qui bougeait doucement, se berçant elle-même, grinçant avec calme alors que la brise se levait. Les arbres étaient dévêtus de leurs manteaux de feuilles, prêts à embrasser l'hiver alors que leurs cimes avaient une allure effrayante dans la nuit, étirant les ombres macabres devant la lumière de la lune et celle timide de quelques lampadaires.

Et parmi ces ombres, une ombre. Une silhouette immobile à une vingtaine de mètres de lui. Ne l'avait-il pas déjà vu ? Il en avait la désagréable sensation. Une silhouette noire dont le seul point lumineux était en fait au nombre de deux : deux yeux qu'il voyait le fixer depuis la distance les séparant. Des yeux comme des lumières, qui le transperçait sans qu'il ne parvienne à s'en détourner. Et soudainement une pensée le grisa : cette silhouette qu'il avait déjà vu était plus proche que la dernière fois.
Et, au loin, l'ombre humaine étira un sourire. Le genre de sourire qui aurait fait froid dans le dos du plus vaillant des hommes.

"BOUM".


Un son lourd réveilla Jungkook. La sensation de malaise de son cauchemar ne parvenait pas à le quitter alors qu'il prit le temps de respirer et se calmer. Lorsqu'il regarda son téléphone, celui-ci lui indiqua 03h48, agressant ses yeux de sa lumière bleue bien trop vive pour ses pupilles recherchant le sommeil.

Jungkook était un jeune homme comme beaucoup. Ravissant, certes, plein de charisme derrière ses yeux bruns et ses cheveux châtains, mais un jeune homme au parcours normal qui venait de partir du cocon familial pour prendre son premier appartement seul, à la capitale, dans l'espoir d'obtenir un diplôme en photographie. Un appartement simple, dans un vieil immeuble, un petit salon, une chambre, une cuisine, une salle de bain. Que demander de plus lorsque nous sommes à l'aube de l'indépendance ? En tout cas, ce n'était pas Jungkook qui allait se montrer plus avare. Cet appartement était parfait... à une exception près.

"BOUM".

Toutes les nuits, ou presque, ce bruit chiant qui frappait contre ses murs n'hésitait pas à le sortir du sommeil. Jungkook soupira, enfouissant son visage dans son oreiller. Quel genre de parents fallait-il être pour laisser ses gosses jouer au ballon sur les murs des immeubles en pleine nuit ? Ce bruit familier lui avait été plus agréable dans ces souvenirs de jeunesse à Busan, lors des vacances scolaires lorsque ses amis venaient le chercher. Là, c'était juste énervant.

Pourtant il l'ignorait, comme toujours. Ses muscles étaient trop paresseux pour accepter de se lever, et son caractère trop timide pour de toute façon engueuler des gamins. De toute façon, il n'avait pas envie de quitter son lit.

Il soupira et mit ses écouteurs avant de lancer une musique.

"BOUM".

Taehyung lui donna un coup de coude dans les cotes alors que sa tête penchait en avant dans le petit amphithéâtre dans lequel ils avaient cours.

Il se redressa d'un coup, faisant de son mieux pour rouvrir les yeux avant de réaliser que leur professeur de l'histoire de l'art le fixait d'un regard inquisiteur.

"Monsieur Jeon. J'avais espéré que la dernière fois vous avait servi de leçon quant au fait de s'endormir en cours.
— Pardon, Monsieur Lee....
— Qu'importe... Répondez plutôt à la question que je vous avais adressée.
— La question..?
— Aucune idée de ce dont je parle ? Peut-être devriez-vous la demander à vos collègues qui ont pris la peine d'écouter."

Alors que Jungkook soupira, un groupe de quelques filles, trois rangs derrière eux, commença à glousser. Cette journée commençait mal.

A peine le cours fut-il terminé que Taehyung emmena son ami à la machine à café, lui offrant ce qu'il y avait de plus fort.

Alors que le café coulait dans le vacarme assourdissant de la vieille machine, Taehyung se retourna, croisant ses bras sur son torse.

"C'est quoi ton excuse cette fois pour dormir comme un ours en hibernation durant le cours de ce chaleureux M. Lee?
— La même chose que la dernière fois...
— Les gosses au ballon?
— Ouais, et un cauchemar, un de plus....
— Et tu t'en rappelles toujours pas ?", fit cette fois Taehyung en attrapant le gobelet maintenant plein et le tendant à son ami qui le saisit avec un soupir reconnaissant.

Ils n'avaient fait la connaissance l'un de l'autre que depuis la rentrée, mais ces deux solitaires s'entendaient comme deux poussins d'une même portée. Deux frères un peu perdus.

"Bah... C'est pas moi qui vais te blâmer, je m'en souviens jamais non plus...
— Arrêtons de parler de ça...
— Tu sais... Je sais que tu es du genre timide mais, tu devrais aller dire aux gosses d'arrêter. C'est quand même incroyable qu'ils soient dans les rues durant la nuit. Je te jure parfois je me demande ce que foutent les parents... Mal dormir ça ruine la santé, je te signale !
— Pas la peine de me le signaler, je crois que je suis à même de m'en rendre compte tout seul...", soupira Jungkook avant d'avaler une gorgée brûlante. Il commença à boire, étirant une grimace sous l'amertume et la chaleur du nectar noir. Taehyung n'avait pas plaisanté sur le dosage pour lui permettre de tenir sur leur prochaine heure de cours.

Et à force de cafés, la journée parvint à se terminer sans autre incident ou endormissement. C'était d'ailleurs ça, les seuls incidents qu'il redoutait lorsque le jour était levé. Car alors qu'il était retourné dans son logement et que la nuit s'était emparé du ciel, à peine perturbé par les lumières artificielles de la ville, lui avait d'autres craintes.

Ce sentiment étrange qui l'habitait dès qu'il refermait la porte de chez lui, cette oppression inexplicable. Cette angoisse aussi singulière qu'inavouable. Il avait pourtant tenté de gagner du temps, errant dans les rues marchandes un moment avant que le froid ne le pousse à retourner chez lui.

Pourtant la soirée était bonne : il l'avait passé à jouer à PUBG en ligne avec son seul et meilleur ami, Taehyung, avant de s'avouer qu'il était peut-être temps de travailler ses cours.

Pourtant ce n'était pas eux qui l'avaient gardé éveillé lorsque la fatigue commença à saisir son corps et faire picoter ses yeux.

Il pleuvait dans ce parc sombre. La même balançoire grinçait toujours, se berçant sans une once de vent. Des gouttes d'eau tombaient par terre et dans le petit bassin au centre de l'étendue végétale, causant des petits 'plocs' incessants. Mais son cœur cognait d'angoisse dans sa poitrine car il savait qu'il allait le revoir : cet homme à la silhouette sombre, aux yeux perçants et au sourire terrorisant, carnassier, vorace. Il tournait sur lui-même, à la recherche de cette vision inquiétante sans parvenir à le voir. Puis, à force de faire des tours, elle apparut.

Lorsque le sourire maléfique s'étira, des mots résonnèrent dans sa tête sans que les lèvres ne se mouvent.

"Pressé de me voir ? Je peux t'accorder cette faveur..."

N'était-ce pas la première fois qu'il entendait sa voix ? Il en avait l'impression en tout cas. Plus perturbant encore : cette voix ressemblait à la sienne. Plus rauque, avec une réverbe aussi étrange qu'inquiétante, mais tout de même la sienne, il en était sûr.

Un simple battement de cil et il avait disparu.

Paniqué, Jungkook fit un nouveau tour sur lui-même, priant pour qu'elle ait disparu pour de bon. Pourtant lorsqu'il se retourna, la vision lui glaça le sang. Le visage était à une dizaine de centimètres du sien, mais ce visage n'était pas n'importe lequel : c'était le sien. C'était lui qui se fixait avec cette lueur de démence.

Un cri si puissant qu'il n'en franchit pas ses lèvres pétrifiées, un battement de cœur plus fort que les autres, et Jungkook se tenait maintenant dans sa chambre. Sa peau était humide de sueurs, et alors qu'aucun souvenir ne lui revenait à l'esprit, la sensation de peur était, elle, encore bien incrustée dans chacune de ses cellules. Ses membres tremblaient encore. Cette fois, il ne pouvait pas se contenter de rester dans son lit et attendre. Il ralluma la lumière et se dirigea vers la pièce d'eau. L'eau qui commença à couler du robinet était le seul son dans cet environnement si calme qu'il lui semblait inquiétant alors qu'il s'humidifia le visage.

Quelques instants à souffler, à prendre le temps de retrouver ses esprits, puis il se redressa, plantant ses yeux par mégarde dans le miroir face à lui.

Était-ce bien son reflet qu'il y voyait ? Il lui semblait que ses yeux étaient bien trop intenses pour lui appartenir. Il se sentait mal. Le stress monta en lui avant qu'il ne se détourne, attrapant une serviette. Il hallucinait complètement. La fatigue, sûrement. Oui, ça devait être ça. Pourtant, à nouveau, il se retourna vers le miroir et observa ces yeux qui lui semblaient si étrangers. C'était comme s'ils le regardaient avec défiance, alors Jungkook se perdit en eux, jusqu'à ne plus savoir qui observait qui.

"BOUM".

Son corps se figea d'un coup avant que la colère ne monte en lui. Taehyung avait raison : il devait dégager ces gosses une bonne fois pour toute, et aujourd'hui, il n'était pas d'humeur à supporter ces bruits.

D'un pas rapide et motivé, il se précipita aux fenêtres de son salon, côté rue, et ouvrit la fenêtre avant d'y engouffrer son visage.

"VOUS AVEZ PAS BIENTÔT FINIS, BON SANG?!"

Pourtant lorsque son regard se dirigea en contrebas, il réalisa : la rue était déserte. Avaient-ils eu le temps de fuir ? Jungkook était immobile, sans parvenir à profiter de l'air frais sur ses joues, l'esprit trop préoccupé, à la recherche de solutions rationnelles. Quand soudain...

"BOUM".

Son cœur se serra dans sa poitrine alors que le bruit provint du mur extérieur, comme d'habitude. Le mur près duquel il se trouvait.

Il avait passé la plupart de son temps, cette nuit-là, à angoisser, seul, à tenter de se rassurer en errant sur les réseaux sociaux, alternant entre ça, et des tentatives désespérées pour s'endormir.

Et c'est finalement sans s'en rendre, qu'il glissa vers un sommeil dénué de repos.

Le problème n'était pas cette nuit spécifique, pas le fait que ça lui soit arrivé une fois, non. Le véritable souci était que cette nuit n'avait été que le début de sa prise de conscience, et de sa descente inexplicable dans l'angoisse, cauchemar après cauchemar. Cette répétition constante qui le privait de sommeil. Et même lorsqu'il lui semblait faire des nuits convenables et sans incident, les matins étaient toujours les mêmes : son corps était comme une carcasse vide, sans énergie. Chaque mouvement était une épreuve et garder ses yeux ouverts était un miracle.

Il était fatigué. Angoissé, et fatigué.

Mais alors que les semaines passaient, les mois défilaient tout aussi vite au rythme des cours et des nuits. L'angoisse s'amoindrit, comme s'il avait dompté quelque chose qu'il ne parvenait pas à discerner dans ses rêves. Ce n'était qu'une vague sensation, bientôt concrétisée par le fait qu'il ne se réveillait plus en panique au beau milieu de la nuit. La peur avait laissé place à une sensation plus étrange lorsque ses yeux s'ouvraient au petit matin : l'excitation. Une sensation de débauche malveillante. Mais la fatigue, elle, restait toujours présente, de pire en pire.

Ce matin, ce n'était pas son téléphone qui le réveilla, mais une sensation de chaleur sur sa peau et un voile plus clair qu'il ne devrait l'être par delà ses paupières. Tiré de son état, il se força à ouvrir les yeux avant de les refermer sous la puissance des rayons du soleil qui avaient envahi la pièce. Il cligna, jusqu'à ce que ses yeux n'acceptent de rester ouverts. Et alors que la lumière du jour chassa les dernières vapeurs de sommeil de son esprit, il réalisa : ce n'était pas normal que le ciel soit déjà si haut dans le ciel.

D'un geste vif, il attrapa son téléphone qui indiqua 10h04.

"Et merde!!", beugla-t-il avant de se lever en trombes, enfilant des vêtements aussi vite qu'il le pouvait avant de s'évader de son appartement, son sac sur les épaules. [...]

"Alors là, mon pote, il faut que je te félicite pour avoir réussi à entrer dans le cours de Mme Choi avec quarante minutes de retard.
— Elle a probablement eu pitié de ma tête fatiguée en sueur...
— Ne réduit pas ton exploit à un peu de pitié, voyons! D'ailleurs, tu as prévu de rendre quoi pour le TD de demain?
— Quoi..?
— Bah, le devoir maison où on devait magnifier des instants du quotidien. T'as oublié?
— ....
— Tu as oublié...
— Cette fois, le prof va me tuer c'est sûr...
— Tu as encore une soirée pour le faire. Prends l'appareil numérique pour ne pas avoir à développer en chambre et le tour est joué, non?
— ... On termine les cours à 18h. Je te signale qu'il fait déjà nuit à ce moment-là, alors les photos...
— Ils ont commencé à installer les décorations de Noël dans les rues... Ça pourrait être sympa, non?
— Okay. Viens avec moi alors, s'il te plait.
— Contre un chocolat chaud au café d'en face, je suis ton homme.
— Glouton.
— Toujours. "

Les lumières colorées des décorations se reflétaient dans les flaques sur le bitume encore humide des averses de l'après-midi. Jungkook n'aurait pas pu rêver mieux pour se rattraper sur son oubli. Les clichés étaient beaux, notamment lorsque Taehyung s'incrustait dans le paysage. Il devait bien l'avouer, les photos urbaines nocturnes avaient leur charme quand on y apportait un petit 'plus'.

Ils s'étaient ensuite rendus tous deux dans l'appartement de Jungkook, faisant défiler les photos sur l'écran de son ordinateur, un chocolat chaud entre les mains pour faire disparaître le fantôme du froid hivernal qui leur avait brûlé les joues et les mains.

Ils avaient passé des heures à commenter les clichés, à sélectionner celles dignes d'aller dans le dossier à rendre le lendemain matin, si bien que leurs téléphones affichaient maintenant 00:23.

"OH MERDE!", s'exclama Taehyung en se relevant. "Si je ne me dépêche pas, je vais louper le dernier bus!
— Tu peux rester ici cette nuit, si tu veux.
— ... Hmm... Pour m'éviter de courir sur trois rues, je veux bien accepter. Mais j'ai quand même deux conditions.
— Quoi donc ?
— Tu me prêtes des fringues pour demain, et tu me refais couler de ce merveilleux chocolat chaud !"

Le deal scellé, un certain sourire ne quittait pas les lèvres de Jungkook. Il était bien trop heureux, satisfait de ne pas avoir à affronter cette nuit seul. Ce n'est pas parce qu'il ne se réveillait plus en pleine nuit en totale panique qu'il se sentait bien chez lui pour autant. Les bruits contre les murs n'étaient d'ailleurs jamais partis.

Alors c'est avec joie qu'il invita son ami dans son lit, regardant quelques vidéos sur le pc portable de Jungkook avant que le sommeil ne vienne les cueillir et la raison leur rappeler du cours du lendemain matin. Mais nul doute pour Jungkook, cette nuit allait être la plus paisible depuis qu'il habitait entre ces murs.

Lorsque le réveil sonna, le lendemain matin, Jungkook ouvrit les yeux et grogna avant de se retourner vers son ami. Il cru d'abord à un mirage de sa vision encore trouble lorsqu'il ne vit rien à côté de lui. Rien, à part des draps froissés.

Il s'assit d'un coup dans son lit, prenant conscience de l'obscurité dans la pièce, du calme dans le logement, et du bruit de la pluie contre sa baie vitrée, juste en face de son lit, donnant sur un étroit balcon. Il tendit l'oreille, cherchant dans ce calme apparent une once de vie et de présence de son ami. Peut-être dans la cuisine en train de faire couler le café ? Quelque chose de ce genre, n'importe quoi.

Pourtant, rien. Il fixa un instant son reflet dans la baie vitrée, détestant comme toujours ce regard qu'était le sien. Car c'était le sien, non? Il s'était fait à cette idée.

Il saisit son téléphone et hésita à envoyer un message à Taehyung.

"BOUM".

Le bruit provenait de la porte, cette fois. Alors il laissa le téléphone retomber sur le matelas et se précipita vers l'entrée.

"BOUM".
"J'arrive, Taehyung !", répondit gentiment Jungkook en recherchant ses pantoufles. "Tu as été cherché le petit déjeuner ?"

Et alors que Jungkook souriait, heureux de pouvoir passer quelques instants de plus en compagnie de son camarade, aucune voix ne lui répondit. Et lorsqu'il ouvrit la porte, ce n'était pas lui.

Jungkook se figea, pétrifié par une vision angoissante. Face à lui : lui. Cette silhouette qui était la sienne. Cette figure aux yeux brillants de folie et ce sourire étiré avec malice, cette peau terne, et cette voix d'outre-tombe alors qu'il lui répondit.

"Je suis là, à présent..."

"BIP! BIP! BIP!"

Jungkook se redressa d'une traite dans son lit. Son cœur battait avec excitation et appréhension. Il pleuvait toujours dehors, et l'autre côté du lit était toujours vide de la présence de son camarade.

Sans perdre une seconde il envoya un message à son ami et se prépara. Il ne se souvenait pas de son rêve, et pourtant il savait au fond de lui qu'il n'avait pas besoin de le chercher : Taehyung était parti. [...]

Aussitôt eut-il franchi le seuil de la petite salle de cours dans laquelle ils avaient TD qu'il vit son ami, assis au fond de la salle près d'une des fenêtres, le regard pensif, son épaisse écharpe enroulée soigneusement autour de son cou. Un regard au bureau lui indiqua que le chargé n'était pas encore arrivé. Alors il s'approcha de Taehyung avant de s'arrêter brusquement sous le regard que ce dernier lui lança : des yeux pleins de peur, presque larmoyants.

"Tae, qu'est-ce qui se passe ?!
— Ne t'approche pas !! S'il te plait, reste loin de moi!"

Cette fois, les larmes de Taehyung coulaient bel et bien, débordant du bord de ses yeux.

"On est amis, Tae! Si quelque chose t'arrive, tu peux me le dire!!
— COMMENT TU PEUX FAIRE COMME SI RIEN NE C'ÉTAIT PASSÉ ? T'ES UN DANGEREUX PSYCHOPATHE, NE T'APPROCHE PAS DE MOI!"

Interloqué, Jungkook n'osa plus s'avancer d'un pas, et toute idée d'insister s'évanouit lorsque leur chargé de TD franchit finalement la porte.

"Asseyez-vous!"

Jungkook lança un dernier regard à Taehyung, impuissant devant cette situation qu'il ne comprenait pas.

"On en reparle après.
— Non. Laisse-moi tranquille, Jeon."

Jeon. Son nom résonnait dans son esprit comme une insulte alors qu'il accepta de laisser à son ami un peu d'espace personnel et de s'asseoir de l'autre côté de la salle. C'était la première fois qu'il l'appelait de cette façon. Si froid.

Une heure et demie préoccupé. Un cours entier à avoir l'esprit concentré sur son ami, incapable de donner son attention aux effets de perspectives et perspectives forcées, domaine de prédiléction de Pejac, un photographe dont Jungkook n'avait même pas réussi à discerner le nom tant il n'avait qu'une chose tête : Taehyung.

Alors dès que les clefs USB avec leurs devoirs à rendre et les nouvelles consignes pour le prochain furent échangés, Jungkook s'éclipsa précipitamment, se faufilant parmi les étudiants comme il le pouvait pour rejoindre son camarade. Il vit finalement le dos de Taehyung quelques mètres devant lui, qui marchait aussi vite, comme s'il fuyait quelque chose. Lui ? Pourquoi fuirait-il Jungkook ?

Lorsque le châtain posa sa main sur l'épaule de Taehyung, ce dernier fit volte-face, une expression de colère pliant ses traits avec disgrâce.

Il voulait lui crier dessus, Jungkook le sentait. Alors il le coupa d'une voix douce.

"S'il te plait, Taehyung, si ça a un rapport avec moi j'ai besoin de comprendre... Je t'en supplie.
— Ça a tout à voir avec toi !Tu veux me faire croire que tu ne te souviens pas ?!!
— Me souvenir de quoi ?! Je comprends rien, Tae, je te jure ! Peu importe ce que c'est, explique moi !"

Le regard de Taehyung se changea alors de colère en incertitude, puis en colère à nouveau.

"Pas ici.", articula-t-il avant de se détourner en direction du patio, la cour intérieure de l'université où les fumeurs ne manquaient pas de se retrouver lorsque la pause arrivait.

Mais aujourd'hui, peu étaient les braves qui avaient eu le courage d'affronter la pluie, et après quelques instants d'attente en silence, les dernières cigarettes s'écrasèrent et le silence revint. Ils étaient seuls.

Alors que Jungkook allait en profiter pour reposer la question qui lui brûlait les lèvres, le poing de son ami s'abattit violemment contre sa mâchoire. Le goût métallique du sang, provenant de ses gencives malmenées emplit alors sa bouche, et il se massa sans parvenir à retenir une grimace de douleur.

"C'est bon, ça t'a fait du bien ?! Tu peux peut-être me dire maintenant pourquoi j'ai l'air de la mériter, non?!"

Et après un instant d'hésitation, Taehyung enleva son écharpe dans des gestes lents et mesurés, et à mesure que le tissu dévoilait sa peau, Jungkook y voyait des rougeurs inquiétantes.

"Qu'est-ce qu-
— C'est toi qui m'a fait ça.", lâcha alors le châtain d'un ton froid et sec.
"C'est impossible...
— TU CROIS QUE JE TE MENT ?!"

Cette fois, Jungkook battit en retraite devant la colère de son ami. Son regard se dirigea vers le sol et sa tête se rentra dans ses épaules, comme un enfant qu'on venait de gronder. Taehyung ne s'en serait jamais pris à lui sans raison, ni le genre de personne à accuser quelqu'un à tort, et encore moins son ami.

"S'il s'est passé quelque chose je ne m'en souviens pas, Taehyung, et tu es mon ami, jamais je ne t'aurai fait ça... Je... Franchement, je ne comprends pas... Je te jure."

Quelques instants de silence, de doute probablement, puis Taehyung soupira.

"Si tu me mentais là, maintenant, tu serais le meilleur acteur que cette terre ait connu.
— Tu peux me faire confiance!", fit alors Jungkook en relevant ses yeux, plein d'espoir.
"Non, justement. C'est ça le problème. Que tu l'ai fait consciemment ou pas, tu l'as fait! Comment je pourrais te faire confiance à nouveau ?!
— ....
— Si tu veux redevenir mon ami, va voir un psy.
— Mais je-
— Je suis sérieux, Jungkook. Va voir un psy, fais toi soigner. Je dis ça sans amertume, mais de toute évidence tu en as besoin."

Et alors qu'il commença à s'en aller, une nouvelle question brûla les lèvres du châtain.

"Taehyung, je respecte ta décision... Mais explique moi concrètement ce qu'il s'est passé, s'il te plait...
— Tu m'as étranglé alors que j'étais endormi, ça tu l'avais compris. Mais.... C'était trop flippant... Genre tu hurlais... Mais sans que ton visage n'ait la moindre expression. Jamais je pourrais oublier cette vision. C'est tout ce que tu voulais savoir ?"

En silence, Jungkook hocha la tête, et Taehyung reprit son chemin.

"Désolé...", marmonna-t-il sans rassembler la volonté de suivre son ami. Il n'y avait qu'une sorte de résignation en lui, et l'étrange sensation que tout ceci s'était probablement réellement passé.

[...]

Jungkook était allongé dans le divan d'un psychologue. Il s'était attendu à un homme d'âge mûr avec un costume trois pièces et des petites lunettes rondes. A son grand étonnement, il n'en avait rien été. C'était une jeune femme à l'allure simple et sérieuse d'une trentaine d'années. Mais elle était son seul obstacle pour rejoindre Taehyung, et il avait une promesse à tenir.

"Jeon-ssi ? Vous m'expliquiez que vous vous sentez constamment fatigué, mais ce n'est pas la réelle raison de votre venue, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce qui vous fait dire ça..?
— N'importe qui de censé aurait été voir un médecin, pour ce genre de problème s'il n'y avait que ça. Alors ?
— Je fais des cauchemars. Chaque nuit je me réveille avec une impression de malaise.
— Pouvez-vous me les raconter ?
— Non.
— Voyons, M. Jeon, si vous refusez de m'en parler nous n-
— Ce n'est pas que je refuse... Je ne m'en souviens pas.
— Jamais ?
— Jamais.", confirma Jungkook en laissant son crâne d'un mouvement lasse contre l'appuis tête. Il hésita, inspirant un grand coup, puis ouvrit la bouche. " Mais ce qui m'a poussé à venir ici, ce n'est même pas ça...
— Poursuivez.", l'encouragea gentiment la jeune femme avec un faible sourire.

Jungkook se triturait les doigts sous la pression, le stress et l'hésitation. S'il avouait qu'il semblerait qu'il ait voulu tuer son meilleur ami, pouvait-elle en parler à la police ? Il devait faire attention à ses mots.

"J'ai fait du mal à mon meilleur ami dans des circonstances étranges.
— Étranges ?
— En pleine nuit, alors qu'il était à côté de moi. Il m'a dit que je l'ai...", Jungkook hésita un dernier moment, tâtant ses options. " ...que je l'ai frappé. Mais je ne me souviens de rien.
— Et vous ne remettez pas sa parole en doute ?
— Non. Il ne me mentirait pas.
— ... Et diriez-vous que vous entretenez une relation saine avec lui ? Aucune jalousie ?
— Ma réponse précédente aurait déjà dû répondre à votre question, Madame."

Elle acquiesça alors, griffonnant quelques mots sur son carnet puis releva son visage vers le jeune homme.

"Vous avez peur de perdre le contrôle ?
— J'aimerai savoir d'où ça vient pour que ça ne se reproduise plus jamais. Si vous avez une solution, je la prend...
— Des explications, sans plus d'information, il y en a plusieurs mais... Avant de rentrer dans un mécanisme plus long, je ne peux m'empêcher de noter que la première chose que vous avez dit en arrivant ici est : je suis fatigué. La fatigue est cause de stress, d'angoisse amenant aux cauchemars, et de beaucoup d'autres choses. Si rien ne vous préoccupe, autre que ce manque de sommeil qui a pu conduire à tous vos soucis, alors réglons d'abord ce problème. Je vais rédiger une lettre à votre médecin afin qu'il vous prescrive des somnifères et anxiolytiques. S'il y a une récidive, alors nous aviserons."

Et alors qu'elle se plaça derrière son ordinateur, Jungkook ne put s'empêcher de faire les yeux ronds, surpris, en s'asseyant sur le bord du divan.

"C'est tout ?
— Pour l'instant. J'essaie d'éviter que nous tombions dans une spirale vicieuse. Si votre problème peut se régler avec un petit coup de pouce, tentons le coup.
— Alors je ne suis pas fou..?"

La psychologue ne put alors s'empêcher de rire, lui jetant un rapide coup d'œil avant de se reconcentrer sur son écran.

"Vous n'êtes pas fou, Jeon-ssi. Ce terme est mal utilisé. Je ne peux vous assurer que vous n'ayez pas une maladie mentale, mais comme je vous l'ai dit, prenons le temps de s'offrir l'opportunité de traiter ça différemment."

Elle prit alors le temps de lancer l'impression de la lettre, et lorsqu'elle la saisit, elle hésita à la tendre au jeune homme. Elle le regarda, gardant la feuille contre elle.

"Par curiosité, à quoi pensiez-vous ?
— Une schizophrénie, quelque chose comme ça...
— Une phase amnésique ne correspond pas à ce genre de comportement.
— A quoi correspond-elle, alors..?
— Un trouble dissociatif de l'identité, potentiellement. Mais rassurez-vous, nous n'en sommes pas là..."

Elle lui tendit alors la lettre et lui adressa un sourire en lui désignant la sortie.

"Merci.", articula doucement Jungkook.

"Si vous avez une nouvelle phase amnésique, peut-être que nous devrions parler ensemble de votre enfance."

Jungkook leva alors les yeux au ciel, certain de ne pas vouloir se coltiner ce genre de discussion. Mais alors qu'il faisait maintenant ses premiers pas en dehors de l'immeuble, il regarda la feuille et sourit. Si elle s'inquiétait vraiment pour lui et pour son entourage, elle ne se serait pas contentée de quelques somnifères et d'un "on verra", n'est-ce pas ? Cette pensée seule le rassurait. 

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