Chapitre 8
— Wouah... C'est impressionnant.
Pour une fois, Liz est à court de mots et ne sait pas quoi dire. Mats sourit, l'air amusé. Il paraît scruter ses réactions, ce qui la met légèrement mal à l'aise, mais elle l'ignore et observe ce qui l'entoure.
L'adolescent brun l'a emmené dans une pièce assez vaste, une vingtaine de mètres carrés qui doit servir de bibliothèque : il y a des étagères sur tous les murs, et toutes sont remplies par des livres. Il y a là des centaines, voire peut-être même des milliers d'ouvrages de toutes sortes, de toutes longueurs et de toutes les couleurs. Elle a toujours adoré lire, et elle meurt d'envie de feuilleter ces écrits. Le jeune Spectre n'a pas bougé depuis qu'ils sont entrés et n'esquisse aucun mouvement pour la retenir lorsqu'elle s'avance.
Elle attrape un roman au hasard et l'observe sous toutes les coutures : il ne semble pas si différent de ceux des humains. Peut-être vient-elle de trouver un objet banal ? Curieuse, elle l'ouvre et reste bouche-bée : les pages sont vierges. Il n'y a rien d'écrit, aucune inscription, aucune trace d'encre, même pas de dessin. Les feuilles sont blanches, de la première à la dernière : pas de nom d'auteur, d'édition, de date, rien.
— Pourquoi il n'y a rien d'écrit ? demande-t-elle sans comprendre.
Toujours aussi souriant, Mats s'approche et prend l'ouvrage, avant d'expliquer :
— Parce que cet ouvrage contient un fragment. Un fragment d'espace, en l'occurrence. C'est un dérivé du procédé utilisé pour se téléporter qui permet de les introduire afin de pouvoir les visionner à sa guise. C'est comme un reportage humain, si tu veux, qui permet de voir exactement ce qui est à l'intérieur. Il existe de nombreux types de fragments, mais celui qui nous intéresse est là-dedans.
Tout en parlant à la jolie brune, il parcourt les étagères du doigt, semblant chercher quelque chose. Mats paraît savoir ce qu'il cherche et il sort l'un des ouvrages, mais elle ne comprend pas comment il peut savoir ce que contiennent les livres : il n'y a aucune couverture ou titre. Lorsqu'il le lui tend, elle repère un étrange gribouillage sur la tranche de l'objet. Il ressemble à l'une des runes grecques qu'elle a étudiées, et Liz est surprise quand trois mots surgissent dans son esprit, avec un déclic.
— La Grande Guerre...
Sans s'en rendre compte, elle le murmure doucement. Le Spectre ne paraît pas l'entendre et lui demande :
— Qu'est-ce que tu as dit ?
— Je... J'ai lu ce qui est écrit. Je ne sais pas comment, je n'ai jamais appris cette langue...
Mats pousse un soupir interminable en entendant sa réponse et passe la main dans ses cheveux. Il cherche ses mots une dizaine de secondes avant de déclarer :
— C'est écrit dans la langue des Spectres, la Lingua Influentiae.
— Les Spectres ont une langue ?
— Oui. Contrairement aux humains, ils la parlent instinctivement dès leur naissance, c'est pour ça que tu la connais. Tu l'utilises quand nous discutons, tu ne t'en étais pas rendu compte ? l'interroge-t-il, perplexe.
— Non, pas vraiment... Mais pourquoi sembles-tu surpris que j'ai pu lire ce qui est écrit, si je la parle déjà ?
— Pour rien, pour rien...
Le sentant évasif, Liz s'apprête à insister avant de renoncer. De toute façon, elle a déjà trop de problème, alors autant éviter de se compliquer trop la vie. Elle reporte son attention sur le livre qu'il lui tend depuis tout à l'heure et l'attrape. Contrairement au précédent, il est de couleur bleu ciel, curieusement propre pour un écrit qui devait reposer dans la poussière depuis de nombreuses années.
— Celui-ci contient un fragment de mémoire, reprend Mats. Il permet en quelque sorte de voyager dans l'esprit de celui qui a vécu la scène, avec ses pensées, ses émotions... Il en existe pour presque tous les grands évènements de l'Histoire, souvent de plusieurs points de vue, et même si les Hommes l'ignorent, ils sont à l'origine de presque tout ce qu'ils connaissent du passé.
— Qu'est-ce que tu entends par là ? Les humains avaient accès à ces fragments ?
— Non, mais les Spectres les assistent dans l'ombre depuis que leur collaboration a été rompue.
— Rompue ? C'est-à-dire ? interroge Liz sans comprendre le terme utilisé. Les Hommes connaissaient l'existence des Spectres ?
Mats grimace en entendant la question et passe - encore - une main dans ses cheveux.
« Il doit d'agir d'un véritable tic chez lui. Mais pourquoi ? Je n'arrive pas à savoir ce qu'il pense » songe-t-elle.
— Tu comprendras mieux en regardant ce fragment.
Comprenant qu'elle n'arrivera pas à lui tirer les vers du nez, l'adolescente acquiesce, avant de demander :
— Et comment je fais pour le regarder ?
— Et bien, c'est difficile à expliquer. Tu dois poser ta main sur une feuille et elle s'enfoncera à l'intérieur. Ton corps sera aspiré et tu te retrouveras plongée dans l'esprit de la personne à qui ce souvenir appartient. Lorsqu'il s'achèvera, tu te retrouveras ici automatiquement.
— D'accord. Je vais le faire, souffle-t-elle.
Bien que tout ça lui paraisse étrange, elle ferme les yeux et suit les consignes du Spectre, posant sa paume sur le papier. Mais au lieu de rencontrer une résistance solide, celle-ci s'enfonce à l'intérieur comme dans du sable. Liz se sent soudain étirée, comme un élastique et bascule tête la première en avant.
Elle a l'impression de sombrer dans un vortex infini. Autour d'elle, elle ne voit que les ténèbres les plus intenses et le silence le plus total règne. Elle voudrait crier, pleurer, chanter, mais elle n'arrive pas à bouger. Comme figée, le monde tourbillonne autour d'elle sans qu'elle puisse esquisser un geste. Elle tombe encore, incapable de penser à l'atterrissage qui suivra la chute. Ses pensées se font confuses, indéchiffrables, ses émotions se troublent jusqu'à ce qu'elle ne sache même plus qui elle est.
Alors que le néant s'apprête à l'engloutir, un décor se forme autour d'elle.
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