Chapitre 6
Assassiné.
Ce mot résonne froidement dans l'esprit de Liz, sonnant comme le gong de la mort. Elle a du mal à respirer, et se penche en avant, les mains sur le crâne. C'est comme si, subitement, elle comprend l'enjeu de ce qu'il se passe. Ce n'est plus une blague ou une anecdote qu'elle racontera plus tard, non, c'est bien plus que ça.
S'efforçant de se calmer, elle se masse longuement les temps, tout en se répétant de se calmer. Mais, malgré cela, elle ne peut s'empêcher de se demander pourquoi tuer ainsi un Spectre innocent. Après quelques minutes, elle relève la tête et aperçoit Mats, face à la baie vitrée, qui n'a pas bougé d'un pouce. Il est dos à elle, et la jolie brune ne peut distinguer son visage, mais il reste silencieux.
Lentement, ne sachant pas trop quoi faire, elle se lève, le rejoint et pose une main sur son épaule. Surpris, il se tourne vers elle, comme s'il ne comprend pas pourquoi, après avoir été si désagréable, elle est soudainement gentille.
— Je suis désolée.
C'est tout ce que la jolie brune trouve à dire, mais cela semble réconforter le jeune Spectre qui lui adresse un faible sourire. Voyant qu'il ne parle plus, elle continue, s'efforçant de trouver les mots justes.
— C'est ignoble d'avoir fait ça, alors qu'il était innocent, murmure-t-elle.
— Je sais. Quand je l'ai appris, il y a quelques mois, je n'ai pas compris. J'étais encore obsédée par l'illusion d'un Gouvernement juste et puissant et d'une vie parfaite. Ça a été un choc immense, mais surtout, ça m'a fait me rendre compte de la vérité. Des gardes sont venus plusieurs fois fouiller notre maison, la retournant les moindres recoins. Ils nous ont emmenés, moi et ma mère, au palais des Spectres et nous ont interrogé durant des jours, attendant qu'on craque et qu'on révèle quelque chose. Je ne savais rien d'important et ma mère non plus, alors ils nous ont relâché tout en nous maintenant sur surveillance.
— Mais alors comment as-tu fait pour t'échapper ?
— Et bien, je me suis rappelé cet endroit. Nous y venions tout le temps, quand j'étais petit, et nous y passions souvent des semaines entières en se baladant dans tout New York. Ma mère, fan du monde humain, adorait y séjourner, mais nous avions soudain cessé de nous y rendre il y a quelques années, pour une raison qui m'est inconnue. C'était ma dernière option, alors j'ai fait croire à un suicide pour m'enfuir. J'ai tout organisé, allant même jusqu'à laisser une lettre à ma mère qui expliquait que la mort de mon père m'avait anéantie, ce qui ne devait pas être dur à croire.
— Mais alors elle croit que tu es... enfin, que tu t'es suicidé ?
— Oui. Je ne lui ai rien dit, même après m'être installé ici. Je ne voulais pas la mêler à ça et lui faire courir des risques pour une décision que j'avais prise seul. Je n'avais aucun moyen de la prévenir de ma situation, et, même si c'est dur de me dire qu'elle vit en me pensant mort, je sais que c'est la meilleure décision à prendre, pour elle comme pour moi, murmure Mats, le regard voilé par la tristesse, avant de se racler la gorge et de reprendre plus fort. J'ai simulé un saut dans la mer depuis la falaise où se trouvait notre résidence, ce qui rendait mon corps hors d'atteinte, et j'ai fui. J'ai erré dans cette ville jusqu'à retrouver l'adresse de cet appartement et je m'y suis installé. Mais ce n'était pas tout : en le fouillant, j'ai découvert de nombreux documents qui parlaient de toi. Il y avait un carnet de santé, les noms de tes parents, ton adresse, et bien d'autres choses. Encore aujourd'hui, je ne sais pas comment mon père les a obtenus.
— Il m'espionnait ? l'interroge, légèrement paniquée, Liz.
— Non, je n'avais aucune photo, juste des écrits. Bref, en voyant tout ça, j'ai compris que tu étais spéciale. Habité d'un désir de vengeance immense, j'ai pris ma décision : je devais t'aider. Ne serait-ce que pour prendre ma revanche, même si je voulais aussi comprendre ce qui avait poussé mon père à se sacrifier. Il était intelligent, et je suis persuadé qu'il savait qu'il allait mourir, mais qu'il n'a rien fait pour que tu puisses vivre. Et si c'est le cas, alors je devais tout faire pour achever son acte.
Le jeune homme reprend son souffle un instant, et il ferme les yeux, comme pour honorer la mémoire de son père. Curieuse, la jolie brune le fixe, attendant avec impatience la suite et il se racle la gorge puis reprend :
— Alors, j'ai vécu ici, pendant quelques mois, faisant des allers-retours très fréquents vers Paris pour vérifier que tu allais bien. Je savais que ce n'était qu'une question de temps avant que l'on découvre ton existence, puisque ton influence commençait à se révéler, et je devais m'assurer qu'on ne te capture pas. Quand tu m'as vu pour la première fois, j'ai compris que bientôt, nous allions devoir fuir. Je m'attendais quand même à avoir un peu plus de temps, j'avoue que tu m'as surpris quand tu es entrée dans la cuisine pour me parler.
Un long silence s'étire, brisé seulement par la respiration des deux adolescents. Le jeune Spectre semble avoir tout dit, et se tourne vers Liz, comme s'il attendait une réponse.
— Merci, se surprend à dire cette dernière, avant de poursuivre, d'un ton gêné. Je suis désolée de t'avoir parlé comme ça, et de t'avoir demandé si tu avais des parents, c'était vraiment maladroit et méchant de ma part...
— Tu n'avais aucun moyen de savoir, je ne t'en veux pas. Et puis, voir un inconnu débarquer chez toi et t'enlever a dû te paraître étrange, rit Mats, rassuré. Je dois admettre que j'aurais réagi de la même façon.
— Mais alors, si je ne suis ni une Spectre ni une humaine, qu'est-ce que je suis ?
— Et bien, pour être honnête, je n'en ai aucune idée. J'ai simplement quelques théories, mais aucune ne me paraît logique. Mais je te promets que je vais tout faire pour trouver. De toute façon, on va devoir passer pas mal de temps enfermés ici, conclut Mats.
Le jeune homme semble légèrement revigoré, bien que la tristesse demeure présente dans son regard. Sentant que ce qui allait suivre n'allait pas lui plaire, elle l'interroge d'une voix légèrement anxieuse :
— Et pourquoi ça ?
— Parce que les Spectres peuvent détecter les influences. Heureusement, mon père l'a prévu, et je suppose qu'il a installé un dispositif pour brouiller les pistes dans cet appartement. Si nous sortons, même quelques instants, nous risquons d'être repérés.
— Mais qu'est-ce qu'on va pouvoir faire alors ? Rester ici plusieurs mois à rien faire ?
Rien qu'à imaginer demeurer ainsi, tel un lapin en cage, elle a l'impression qu'elle va exploser. Pourquoi passer tant de temps à s'ennuyer ?
— Pas à rien faire, loin de là. Je dois finir d'éplucher tous les carnets de mon père et faire des recherches, et toi, tu dois rattraper toutes ces années chez les Hommes. Tu ne maitrises aucune technique d'influence et tu ne sais rien de notre histoire, de notre monde... Si nous voulons avoir une chance de survie, nous devons avant tout connaître nos ennemis. Comment faire si nous ignorons tout d'eux ?
— C'est vrai, c'est juste que... Je vais devenir folle, si je reste des mois dans le même endroit ! À quoi bon être en vie si c'est pour vivre reclus et s'ennuyer à mourir ?
— Écoute, je sais que ça te parait dur, voir impensable, mais nous n'avons pas le choix. Regarde mon père : il a fait des recherches sur toi à la vue de tous, et en récompense, on l'a assassiné.
Mats a dit cela d'une voix froide qui ne trompe pas la jeune fille : il est plein de rancœur pour ce que son père a subi et veut absolument se venger. Il fait presque peur, tant il semble déterminé à faire du mal en retour, comme un monstre dénué de sentiment. Mais cela ne rend pas l'idée d'être confiné plus attrayante, et elle tente une dernière fois sans trop y croire :
— Je sais, mais...
— Il n'y a pas de mais. Liz, il ne s'agit pas d'un jeu ou d'un rêve, non, il s'agit d'une vraie guerre et d'une réelle menace. Le Gouvernement est cruel, et il n'hésiterait pas à nous tuer s'il nous trouvait un jour. Comment voudrais-tu être heureuse si tu étais morte ?
— Tu as raison, abandonne-t-elle avec un interminable soupir. Je suis désolée d'avoir protesté, j'ai un peu de mal avec cette idée, et je n'ai pas encore totalement assimilé le fait de ne pas être humaine. Tout ça est si nouveau pour moi, je ne sais absolument pas comment réagir !
— C'est tout à fait compréhensible. Tu vis quelque chose que personne ne vivra sûrement jamais, et il est normal que tu sois perdue, tu sais. Tu n'as pas à t'inquiéter, tu n'es pas toute seule, et je ne t'abandonnerais pas.
La gorge nouée, l'adolescente acquiesce et lui adresse un faible sourire. Une soudaine fatigue la prend, et elle balbutie en retenant un bâillement :
— Je suis fatiguée, ça te dérangerait de continuer cette conversation demain ?
— Bien sûr que non, ne t'inquiète pas. Suis-moi, je vais te montrer où tu dors.
Mats l'entraine dans un couloir qui débouche sur une vaste chambre. Cette dernière est très propre, et les murs blancs piquent presque les yeux. Un large bureau tient compagnie à une bibliothèque pleine d'épais livres, mais la seule chose qu'elle voit, c'est l'immense lit qui se tient au fond de la pièce. Mats lui désigne une valise pleine d'affaires qu'elle reconnaît comme certains de ses vêtements, et elle enfile à la hâte un pyjama, avant de se glisser dans les draps blancs et se sombrer dans un profond sommeil.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top