Chapitre 5

Liz dérive parmi les ombres, dans un paysage embrumé. Il fait tantôt glacial, tantôt l'air est étouffant, et parfois une lumière surgit au milieu des ténèbres et l'éblouit. Il lui semble être coincée dans un tourbillon déconnecté du reste du monde, et bien qu'elle hurle, personne ne l'entend. Elle est seule, abandonnée.

Parfois, d'étranges bruits résonnent, des frottements, des souffles, qui lui paraissent à la fois très lointains et très proches. C'est comme si son corps ne lui appartenait plus et était hors de sa portée. Elle flotte dans les airs, caressée par le vent de ses sentiments face au paysage de ses pensées. Malgré sa solitude, elle se sent bien, et rechigne à quitter ce cocon hors de la portée du mal et des épreuves.

Seulement, une voix la tire de sa torpeur, faisant vibrer son monde fragile :

— Liz ! Liz, réveille-toi !

Le paysage se met à trembler, la brise s'accentue et tout devient noir. Au loin, elle sent quelqu'un lui secouer l'épaule, tout en prononçant des paroles incompréhensibles. Comprenant qu'il est temps de partir, avec un effort surhumain, elle ferme les yeux, et lorsqu'elle les rouvre, elle se retrouve face à l'inconnu brun.

Ce dernier semble soucieux et des cernes creusent ses yeux noisette. Il passe une main tendue dans ses cheveux en bataille, avant de soupirer, soulagé, en voyant qu'elle s'est réveillée. Liz, elle, ne comprend pas où elle est, avant de se souvenir des évènements de la veille. À moins que cela fasse plus de temps. Elle n'en a aucune idée et son horloge interne est perturbée.

Redoutant ce qu'il va lui faire, elle recule brusquement et s'aperçoit qu'elle se trouve dans un lit. Plutôt confortable, les draps sont blanc immaculé et quelques coussins sont éparpillés dessus. Ce dernier se trouve dans une chambre qui lui est inconnue. D'immenses baies vitrées ornent le mur de droite, et, à travers la vitre propre, elle aperçoit une cité illuminée dans la nuit, composée principalement de hauts immeubles. En arrière-plan, elle distingue une forme familière démesurée, semblable à une tour immense. Passé sa stupeur première, elle comprend qu'elle a devant elle New York.

Refusant de croire ce qu'elle voit, elle se tourne de nouveau vers le jeune homme brun. Ce dernier scrute sa réaction avec attention, tout en se mordant la lèvre. Ne sachant pas trop quoi demander, elle finit par s'exclamer d'un ton abrupt :

— De quel droit tu te permets de m'enlever comme ça, sans même me donner d'explications ! Je ne sais rien du tout sur toi, alors que tu sembles connaître plus que mon prénom.

— Je sais, ce n'était pas super cool de ma part. Mais dès que je t'aurais expliqué, tu comprendras. Pour commencer, je m'appelle Mats. Mais, si tu veux bien, allons manger quelque chose avant, parce que ça risque de prendre un sacré bout de temps, et tu dois avoir faim, après trois jours dans un quasi-coma.

— Comment ça, un quasi-coma ?

— Une sorte de sommeil profond, si tu préfères. C'est à cause du somnifère que je t'ai donné pour t'endormir.

— Donc tu drogues les gens sans raison, maintenant ?

— Écoute, c'est infiniment plus compliqué que ça. Tu ne veux pas prendre de repas...

— Non, plus tard, je n'ai pas faim, le coupe Liz. S'il te plaît...

—Très bien.

Le dénommé Mats entraîne la jolie brune hors de la chambre, et ils arrivent dans une pièce au plafond haut, dans le style typiquement new-yorkais. Il s'assoit sur un large canapé et, réticente, elle s'installe malgré tout à ses côtés, le plus loin possible.

— Bon, très bien. Par où commencer... soupire-t-il.

Ce dernier s'étire, interminable, jusqu'à ce qu'il reprenne, d'une voix hésitante, comme s'il ne savait pas ce qu'il pouvait dire ou non.

— Le monde tel que tu le connais comprend trois grandes classes d'êtres vivants : les champignons, les animaux et les végétaux. Le truc, c'est qu'il en existe une autre, un peu à part, ignorée par les humains : les Spectres, dont je fais partie. Cette espèce est assez semblable aux hommes, mais elle a un rapport spécial avec la matière non organique, et est capable de distinguer les liens qui relient tout ce qu'il existe dans ce monde, ainsi que de les manipuler.

Commençant à comprendre où il veut en venir, Liz hoche la tête, captivée.

— Les Spectres possèdent ce qu'on appelle une influence sur le monde, et ils sont capables de la modifier de différentes façons. Un peu comme des super-pouvoirs, sourit Mats. Les humains sont incapables de voir les Spectres, normalement. C'est pour ça que ton cas est spécial.

— Que veux-tu dire ?

— Et bien, tu vois un peu déformé, n'est-ce pas ?

—  Heu... Oui. Je te vois en rouge et les humains en bleu. Les voitures en gris, ajoute l'adolescente en se rappelant l'incident du vendredi passé.

—  C'est quelque chose de propre aux Spectres, de voir les classes des autres espèces avec différentes couleurs, le bleu pour les animaux, le vert pour les végétaux... Or, tu les vois, et tu me vois également. Et surtout, tu as survécu à la téléportation.

— La téléportation ? répète Liz, incrédule. Qu'est-ce que tu entends par là ? On n'est pas dans Star Wars, là !

Sans relever, Mats se lève et commence à faire les cent pas, passant la main dans ses cheveux. Il paraît soulagé qu'elle le prenne ainsi, comme s'il redoutait pire.

— Oui, la téléportation, l'un des dons des Spectres. Je ne vais pas t'expliquer ce que c'est, je pense que tu n'as pas besoin. Mais, pour venir ici, je nous ai téléporté, j'ai tissé en quelque sorte un lien entre nos corps et cet endroit. Si tu avais été une simple humaine, en admettant que tu me voies, ton corps n'aurait pas supporté d'être ainsi manipulé et ton cœur se serait arrêté, à cause de la faiblesse de cette espèce.

Agacée par l'arrogance dont il fait preuve, la jolie brune se lève à son tour et le rejoint devant une seconde baie vitrée, tout en s'efforçant de conserver son calme. Sa tête semble bourdonner, comme si elle refuse d'assimiler ce qu'elle vient d'apprendre. Après tout, elle n'a aucune preuve. Mats n'est peut-être qu'un kidnappeur ou un fou à lier qui l'a entrainé dans sa maison. Seulement, il est difficile de croire qu'il ait fait le vol Paris-New York avec une passagère endormie. À moins qu'il l'ait droguée...

Stop, pense-t-elle soudain en se massant les tempes. Ce n'est pas en pensant à tout ça que je me sortirais de là. Essayons d'abord d'en savoir plus.

— Ok, admettons que je te crois, avec toute cette histoire de Spectres, d'influence... Pourquoi tu m'as emmené ici ?

Et qui sont les fameux « ils » qui me cherchent ? ajoute-t-elle mentalement, sans pour autant le demander à voix haute.

— Et bien, comme je te l'ai dit, ton cas est une véritable énigme. Tu es... une sorte d'anomalie. Le Gouvernement des Spectres est assez strict et l'idée qu'une fille mi-Spectre mi-homme existe ne les enchantait pas, c'est pourquoi ils se sont mis à ta recherche. Et très vite, ils ont découvert l'existence d'un lien entre toi et mon père.

— Comment ça ? balbutie Liz. Je... Je ne comprends pas où tu veux en venir.

— Mon père te connaissait, Liz. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, je n'en ai aucune idée, mais il savait que tu existais. Et il te surveillait. Il te protégeait, et dissimulait ton existence aux yeux des Spectres, et surtout aux yeux du Gouvernement. Quand ils l'ont appris, ils ont considéré cela comme de la trahison, et ils l'ont assassiné.

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