Chapitre 21

Laetitia ne semble pas tenir rigueur de la brusquerie de son chef et elle pose une main sur l'épaule de Liz pour la guider vers la Caeli Columna par laquelle elles sont arrivées. La descente lui paraît beaucoup moins étrange que ne l'avait été la montée et elle est fière de réussir à sortir de la tornade-ascenseur sans tomber, juste en perdant un peu l'équilibre.

— Alors, était ce si horrible que ça ? lui demande la femme.

Sa cagoule se plisse au niveau de ses yeux, se qui suggère qu'elle aborde un air rieur mais elle n'en est pas vraiment sûre. A vrai dire, parler à quelqu'un dont elle ne voit pas les émotions faciales la perturbe au plus haut point et elle ne comprend pas l'intérêt de dissimuler ainsi son visage, surtout que le Princeps l'a autorisé à se découvrir.

— Euh, tu ne voudrais pas enlever ton masque ? ne peut-elle s'empêcher de demander. C'est un peu étrange, j'ai l'impression de parler à un enfant avec un déguisement d'Halloween.

— Un déguisement d'Halloween ? répète-t-elle sans avoir l'air de comprendre. Qu'est-ce que c'est ?

— Les Spectres ne fêtent pas Halloween ? Attends, tu sais que ce que c'est que Noël quand même, rassure moi ?

Devant le silence de la Résistante, la jeune fille reste bouche bée. Cela peut paraître idiot, après tout, Noël, ce n'est pas si important, mais elle a l'impression d'être face à un extraterrestre. Ce qui en soit, n'est pas si éloigné de la vérité.

— D'accord, articule-t-elle lentement. Bon, c'est pas grave, juste, tu ne voudrais pas enlever ta cagoule ? En plus, tu dois mourir de chaud avec ça sur la tête.

Un rire discret s'échappe de la bouche de la femme qui attrape le tissu noir au niveau de sa joue et tire légèrement dessus. Celui-ci semble se transformer en poussière et se désintègre dans les airs, révélant enfin le visage de l'inconnue.

Cette dernière doit être jeune et elle ne lui donnerait pas plus de vingt-cinq ans, mais avec ce qu'elle a appris sur les Spectres, Liz sait qu'elle pourrait aussi bien être en face de quelqu'un âgée de cinq cents ans. Ses traits sont fins et délicats et sa figure fait penser à celle d'une poupée de porcelaine qu'on aurait peur de casser. Ses yeux noisette en amande pétillent de vie et son nez en trompette est parsemé de quelques rares taches de rousseur. Sa peau est pale et lisse et ses longs cheveux noirs lisses volent dans le vent de la Caeli Columna à présent qu'ils sont détachés.

Epoustouflée par sa beauté, elle ne peut s'empêcher de se demander comment quelqu'un ayant l'air si fragile peut participer à la résistance en tant qu'un des membres les plus hauts placés. Mais la voix de la jolie Asiatique la sort de ses pensées :

— Satisfaite ? Alors, tu vas me répondre maintenant ?

— C'était quoi la question déjà ? lui demande l'adolescente avec un sourire contrit. Désolée, je n'ai pas écouté.

— Je voulais savoir si tu avais trouvé ça si horrible que ça.

Liz se repasse intérieurement la conversation avec le chef de la Résistance et est forcée d'admettre que ça s'est bien passé. Certes, les révélations qu'il lui a fait n'ont pas été agréables à entendre mais il a été honnête et a répondu à toutes ses questions. Il ne lui reste plus qu'à espérer qu'il continue à se comporter ainsi avec elle et ne l'écarte pas comme une enfant fragile à protéger.

— Non, tu avais raison. C'était stressant, angoissant mais pas horrible.

Amusée par sa réponse, la Résistante sourit, découvrant ses dents blanches parfaitement alignées.

— Dans ce cas, tout va bien. Ne t'inquiète pas, tu as encore quelques jours avant de faire ton choix définitif et de prêter allégeance même si je pense que tu n'as pas vraiment le choix, pour être honnête. Ce n'est pas que nous voulions te kidnapper ou quelque chose du genre mais tu sais désormais trop de choses sur nous pour que nous nous permettions de te laisser partir. Même si je sais que tu n'irais pas répéter nos secrets dans ce cas, si jamais tu es capturée, le Gouvernement n'aura aucun mal à t'extraire toutes ces informations.

— Oui, ça paraît logique, approuve-t-elle. Merci de me l'avoir dit, j'apprécie.

— De rien. Tu sais, nous ne sommes pas contre toi. Même si tu as l'impression que tout ça est très sérieux et que tu risques de mourir à chaque instant, et je ne vais pas te mentir, ce n'est pas impossible, nous sommes avec toi. La plupart des autres rebelles ne sont pas aussi froids que le Princeps et tu t'entendras sûrement bien avec eux. Mais bon, on reparlera de ça une autre fois Pour l'instant, je vais te montrer où tu vas vivre pendant ces prochains mois.

A la fois excitée et angoissée, Liz hoche la tête, curieuse de découvrir à quoi va ressembler sa « demeure » comme l'a appelée le chef de la Résistance. Elle suit l'Asiatique vers le bord du quartier général, face à l'océan.

— Ta bulle se trouve parmi les hauteurs, ce qui veut dire qu'elle repose sur une sorte de sol invisible et non pas sur du sable. Mais ne t'inquiète pas, ce n'est pas du tout différent de celle-là. Pour y aller, il te suffit d'emprunter un Torrens Aquae. Ce sera juste un peu plus vertical cette fois, mais tu ne risques rien, explique-t-elle en insistant sur le « rien ». Contrairement aux autres qui permettent d'aller quasiment partout dans la cité, celui-ci ne va que vers ton logement afin que le Princeps ait un accès direct. Il te suffit donc de faire un petit saut pour que le courant t'y emporte.

La jeune fille obéit et se rapproche du bord, son crâne encore à une dizaine de centimètres de l'eau presque l'eau. Elle s'efforce de chasser ses doutes et se rassure avant de se mettre sur la pointe de pieds. Cela ne suffit pas et elle fait un petit bond assez peu déterminé, comme si une partie d'elle refusait qu'elle quitte la terre ferme – enfin, façon de parler puisqu'elle était sous l'eau. Mais elle est quand même aspirée et en à peine quelques secondes, elle est déjà plusieurs mètres au-dessus du sol. Heureusement, ce n'est pas violent du tout, bien au contraire et elle parvient à garder son calme et à profiter de la vue.

L'Aqua Civitatem compte de nombreux bâtiments, ou plutôt de nombreuses « bulles » comme les appelle Laetitia, bien plus qu'elle n'a cru au premier abord. Elle voit les vagues silhouettes rougeâtres de Spectres qui vaquent à leurs occupations entourées d'animaux marins comme des dauphins ou des bancs de poissons colorés. Et encore plus haut, elle aperçoit la surface de l'eau. Elle ne voit que très lointainement le ciel mais ce dernier lui paraît d'un bleu parfait qu'aucun nuage ne vient troubler. Maintenant qu'elle y pense, elle n'a aucune idée de l'endroit où elle se trouve. Sûrement près de l'Equateur vue la couleur de l'eau et sa chaleur. A moins que la température résulte encore de l'influence des êtres écarlates.

Soudain, ses pieds se posent sur un sol bien solide, la remmenant à la réalité. Ce dernier est transparent et son estomac tressaute dans sa poitrine mais elle parvient à garder son équilibre. Elle se force à relever la tête et à ignorer le vide tandis que son mentor atterrit à ses côtés, pas le moindre du monde perturbée par la cité qui s'étend sous elle.

— Suis-moi. Tu vas voir, c'est immense et tu as tout ce qu'il te faut !

L'adolescente, assez excitée, s'exécute et elles arrivent dans un coin de la pièce, au-dessus duquel se trouve – bien évidemment – une Caeli Columna. Elle s'y engouffre après elle mais au lieu d'immédiatement décoller, un étrange brouillard blanchâtre sorti de nulle part entoure son corps, l'empêchant de voir. Elle panique et pense à un enlèvement mais heureusement, l'étrange phénomène prend fin aussi rapidement qu'il a commencé et elle recouvre sa vision. Ses pieds quittent presque immédiatement le sol et elle rejoint la femme au premier étage.

— Qu'est-ce qui s'est passé, là ? C'était quoi, cette brume blanche ? l'interroge-t-elle, les sourcils froncés.

— C'est un scanneur d'influence, il vérifie si tu as l'autorisation d'être ici. Comme ce que font les Hommes avec une serrure, si je me souviens bien, mais contrairement à eux où il suffit de forcer la porte, on ne peut pas tromper un scanneur d'influence. C'est totalement sécurisé. D'ailleurs, nous ne sommes que trois à pouvoir venir ici pour l'instant : moi, toi et le Princeps, évidemment. Il peut se rendre partout dans la cité, de toute façon.

Liz hoche la tête et détaille ce qui l'entoure. La pièce est très vaste et semble faire office de vestibule mais elle est très peu meublée : une unique commode trône près d'un des bords de la bulle et une armoire occupe celui d'en face. Le reste est occupé par des étagères ornées de bibelots divers qui lui sont inconnus. Le tout n'est pas très chaleureux et elle se demande si elle aura l'utilité d'une telle pièce, mais avant qu'elle n'ait le temps de poser de questions, Laetitia l'entraine vers la colonne pour passer à l'étage supérieur.

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