Chapitre 17

L'esprit en panique, Liz expulse malgré-elle l'air emmagasiné et bois la tasse. Seulement, au lieu d'avaler de l'eau, elle sent comme une brise liquide entrer dans sa gorge. Après quelques inspirations, elle parvient à se calmer. Les battements de son cœur ralentissent petit à petit, et elle ferme les yeux pour mieux se concentrer. Son esprit se concentre sur l'image de l'Headquarter, comme si c'était la seule chose qui comptait, et elle sent un lent courant l'emporter.

Lorsqu'elle soulève ses paupières, elle a l'impression d'être dans un rêve : l'océan est tiède et son clapotis est semblable à une berceuse. Autour d'elle, des nuées de poissons nagent vigoureusement, blancs, rouges, bleus, verts, il y en a de toutes les couleurs. Ils ne semblent pas le moindre du monde effrayés par l'étrangère qui pénètre dans leur lieu de vie, au contraire, ils tourbillonnent à ses côtés. Des dauphins se joignent à eux dans un concert de cliquètements, enchaînant les figures les plus impressionnantes les unes que les autres. Bientôt, des raies les rejoignent et les accompagnent, majestueuses avec leurs longues nageoires.

Face à un tel spectacle, Liz sent toute sa peur la quitter et être très vite remplacée par un émerveillement indescriptible. Ses cheveux flottent autour de sa tête comme une auréole, baignant dans l'onde d'un parfait turquoise. À son grand étonnement, ses vêtements ne lui paraissent pas si lourds qu'elle le croyait, et elle dérive avec la légèreté d'une plume. Le courant l'entraîne vers la haute bulle, lentement mais sûrement, et elle distingue bientôt avec plus de précisions ce qu'elle contient.

À vue d'œil, elle compte une dizaine d'étages meublés de façon similaire avec ce qui ressemblent à des bureaux. De nombreux Spectres sont présents, mais aucun ne regarde dans sa direction, ce qui la rassure. Certes, son aura rouge ne la distingue pas d'eux, mais elle ne peut s'empêcher de craindre qu'ils se jettent sur elle à son arrivée. Elle n'en a vu que six dans sa vie, sans compter Ava Branshorn, et n'est pas encore habituée à leur présence. Mis à part le halo qui les entoure, ils sont d'apparence très semblable aux hommes : environ un mètre soixante-dix, avec des cheveux bruns, blonds, roux ou noirs et des yeux marrons, verts ou bleus. Leurs habits sont presque tous les mêmes : une veste en cuir assorti d'un pantalon et de bottines de la même matière, qui est plus fine que chez les Hommes.

Seule différence, Mats lui a expliqué que les Spectres arrêtaient de vieillir une fois leur majorité atteinte et mourraient donc le visage aussi lisse qu'à vingt ans. Cela lui paraît inconcevable et contre-nature d'imaginer un tel phénomène, mais après tout ce qu'elle a vu ces dernières semaines, le contre-nature et l'inconcevable ne manquent pas.

Avant que la jolie brune n'ait le temps de continuer à réfléchir, les créatures qui l'entouraient s'éloignent subitement et un silence pesant tombe sur l'océan. Son pouls s'affole et elle s'attend à voir un Spectre menaçant apparaître devant elle. Heureusement, il s'agit seulement de la fin du Torrens Aquae. La bulle n'est plus qu'à quelques mètres, et elle ferme instinctivement les yeux, se préparant au choc, qui, évidemment, n'a pas lieu. Lorsqu'elle soulève prudemment ses paupières, elle se rend compte qu'elle est debout sur le sable humide, dans ce qui semble être le rez-de-chaussée du Headquarter. En levant les yeux, elle manque de rendre son petit-déjeuner : au-dessus d'elle, elle distingue les dix étages de l'immense sphère, les sols les séparant étant transparents.

— C'est impressionnant, pas vrai ? Surtout pour toi qui n'es pas habituée...

Liz tourne la tête et voit la Résistante qui la regarde attentivement, guettant sa réaction. Elle met un instant à comprendre qu'elle parle du Torrens Aquae et balbutie en retour :

— Oui, c'est vraiment...

Pour être honnête, elle ne sait pas comment finir cette phrase : beaucoup de mots pourraient être utilisées. Finalement, elle opte pour un « magnifique ». Car si l'expérience est certes effrayante et très peu réaliste, elle n'en demeure pas moins incroyable.

— Au fait, pourquoi ne suis-je pas mouillée ? Je veux dire, même si l'eau est oxygénée, elle reste de l'eau, non ?

— Si, bien sûr. À vrai dire, je me demandais si tu allais poser la question. Décidement, rien ne t'échappe. Comme je te l'ai dit, nos scientifiques ont utilisé une technique d'influence spectrale afin de faire en sorte que l'eau ne dépasse par ce qui devait être les « parois » de la bulle et qu'elle forme comme un mur autour. Ainsi, elle ne peut pas entrer à l'intérieur, toute molécule aquatique est comme rejetée.

— Wouah, c'est très compliqué...

Liz a beau avoir conscience des extraordinaires capacités des Spectres, elle est toujours bouche-bée devant leur savoir-faire et leur talent. À côté d'eux, les Hommes sont si... communs.

— C'est vrai que tout ça doit te paraître très nouveau. C'est vraiment intéressant, la façon dont tu as vécu pendant quatorze ans comme une humaine tout à fait normale. C'est l'un des points que le Princeps voudrait le plus éclaircir, la manière dont tes pouvoirs se sont soudain révélés... Nous devrions aller le voir tout de suite, si nous voulons pouvoir lui parler avant que le soleil ne se couche.

— C'est qui exactement, le Princeps ?

La femme paraît réfléchir quelques instants, comme si elle cherchait ses mots, avant d'expliquer :

— C'est à la fois le fondateur de la Résistance et son chef. En vérité, personne ne connaît sa réelle identité, ni pourquoi il a créé notre rébellion. C'est quelqu'un d'assez mystérieux, de lointain, qui peut paraître froid, mais il est d'une grande efficacité. Il est comme le pilier de notre cause, sans lui, elle n'existerait même pas. Il accueille tous ceux en fuite qui veulent échapper au Gouvernement, ou qui sont contre les méthodes des Branshorn, en échange d'une allégeance afin d'avoir la certitude qu'on peut leur faire confiance

— Une allégeance ? En quoi consiste-t-elle exactement ?

La voix de Liz tremble un peu, et elle prie intérieurement pour qu'il n'agisse pas d'une demande trop humiliante ou effrayante. Son cerveau imagine instantanément près de mille possibilités plus horribles les unes que les autres, allant de l'incantation magique au saut à l'élastique.

— Rien de compliqué, une simple signature d'influence. C'est une technique très simple que tu apprendras rapidement, ajoute-t-elle en voyant l'incompréhension dans les yeux de l'adolescente. Je t'expliquerais, mais là on doit vraiment y aller.

Elle s'avance jusqu'au coin le plus éloigné de leur point d'arrivée et se place à quelques mètres du croisement des parois transparentes, avant de lui faire signe de la rejoindre. La jolie brune la rejoint et s'arrête à ses côtés, ne préférant pas prendre de risques. Elle sent soudain un courant d'air étrange pour l'endroit où elle se trouve et est surprise en voyant une brusque rafale s'élever du sol au croisement des murs, semblable à une tornade.

— Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un mauvais pressentiment concernant ce que tu vas me demander, grogne Liz.

— Ne t'inquiète pas, il ne va rien t'arriver. Tu vas juste être légèrement... désappointée.

— Euh... Tu peux clarifier, avant que je parte en courant ? Là, j'imagine vraiment le pire.

— Tu as devant toi une Caeli Columna, autrement dit une colonne d'air. C'est une technique d'influence spectrale qui utilise le vent et fonctionne comme un ascenseur humain.

— Comment un ascenseur humain, à la différence qu'il n'y a pas de paroi, pas de sol, pas de câbles, pas de test scientifique... Mais bon, j'imagine que ce n'est pas un simple cours de culture des Spectres que vous me faites, que vous n'avez pas pu demander au Princeps de rester au rez-de-chaussée et qu'il est au dernier étage ?

— Tu imagines bien. Dis-toi que c'est quand même très sûr, nous n'avons jamais eu de problèmes.

En vacillant malgré-elle, l'adolescente manque d'être emportée par une brusque bourrasque avant que la Résistante ne la rattrape, faisant encore augmenter sa peur.

« Bon sang, dans quelle affaire je me suis fourrée ? »

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