Après le départ de Mats, Liz reste quelques minutes sans bouger, indécise quant à la marche à suivre. Malgré la méchanceté de ses propos et les risques encourus, il est hors de question pour elle de se tourner les pouces pendant qu'il risque sa vie. Et puis, c'est peut-être sa seule chance de connaître enfin la vérité sur son identité, et elle refuse de la laisser passer.

Mais peut-être a-t-il raison, après tout. Si les Résistants décident de la livrer aux Spectres, alors ce sera la mort assurée. Comment choisir face à un tel dilemme ?

— Je dois le rejoindre... murmure-t-elle finalement, avant de le répéter d'une voix plus assurée.

Même si elle se met en danger, elle sait que si jamais il arrivait malheur à son ami alors qu'elle était restée l'attendre sans rien faire, elle s'en voudrait à tout jamais.

Elle referme la fenêtre à laquelle elle était accoudée, se dirige vers l'entrée et enfile rapidement une veste noire bien trop grande pour elle.

— Et maintenant, qu'est-ce que je fais ? s'interroge-t-elle tout haut.

Liz n'a aucune idée de comment elle pourrait retrouver Mats. Elle n'a ni photo, ni adresse de la place en question, ne sachant pas où est le carnet. Et puis, elle n'est pas sûre de parvenir à se téléporter à une ville à des milliers de kilomètres, son maximum jusqu'à présent étant une cinquantaine de mètres.

— Ou alors, je peux essayer de me téléporter directement à lui ! s'exclame-t-elle. Si on peut le faire jusqu'à un objet, pourquoi pas un être vivant ?

Malgré tout, son entreprise demeure incertaine et très risquée. Mais elle n'a pas vraiment le choix, aussi se place-t-elle au centre du salon. L'adolescente ferme les yeux et tente de faire abstraction du monde qui l'entoure. Le cœur battant à tout rompre, elle s'efforce de ne penser qu'à lui. Elle se concentre sur la couleur rouge sombre de son aura et sur la présence désormais familière de son influence. Elle se rappelle le doux murmure indéchiffrable qui semble entourer le jeune Spectre et projette sa conscience dans l'espace, s'imaginant rechercher Mats comme un point d'ancrage.

Soudain, un chant lointain lui parvient, et elle reconnaît celui du jeune homme.  Se focalisant de toutes ses forces sur son ami, elle laisse son instinct la guider et tisse un lien entre eux.

Autour d'elle, le monde se met à tourner à toute vitesse, et tout ce qui l'entoure disparaît. Liz se sent ballotée de toutes parts, son corps tantôt s'étirant tantôt se compressant dans ce qui paraît être le néant. Derrière ses paupières closes, des couleurs vives défilent et la lumière l'éblouit. Ses membres ne lui répondent plus, comme si elle était déconnectée de la réalité. Elle craint avoir fait une erreur et être perdue dans le non-être à tout jamais quand, après quelques secondes ou des milliers d'années, elle retrouve sous ses pieds la terre ferme.

Anxieuse à l'idée d'avoir atterri au Pérou ou au milieu du désert, elle ouvre un œil, puis deux, et comprend qu'elle a réussi. Elle se trouve désormais sur une place bondée, à proximité de ce qui semble être une fontaine. Sur cette dernière trône fièrement une statue représentant un homme sur un cheval cabré. La foule qui l'entoure la bouscule et elle se fait à plusieurs reprises marcher sur le pied ou frapper par un coude avant de parvenir à s'extraire de l'amas d'Hommes.

Tous ont le même halo bleu roi qui les entoure, ce qui rassure quelques instants Liz, heureuse de revoir des humains. Seulement, en observant ce qui l'entoure plus en détail, son cœur s'arrête : au milieu de toutes ces auras couleur du ciel, celles rouge sang de six Spectres contrastent comme du blanc sur du noir.

Durant quelques instants, elle retient son souffle, terrifiée à l'idée d'avoir été repéré à cause de sa couleur. Heureusement, ils ne paraissent pas avoir remarqué sa présence et sont pris dans une discussion qui paraît plutôt mouvementée. Tout en priant silencieusement pour que son ami aille bien, la jolie brune s'approche discrètement et se place derrière la statue de la fontaine, de façon à voir ce qui se passe. Les Résistants sont au nombre de six, et sont tous vêtus de la même cape noire et de la même cagoule sombre, comme des espions du FBI. D'après leur stature, il semble il y avoir une femme de taille moyenne et quatre hommes à la carrure imposante. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est l'unique présence féminine - mise à part Liz - qui a le contrôle de la situation. Elle parle à grand renfort de gestes à Mats, l'air agacée de la tournure que prend la situation. L'adolescente, s'approchant encore, entend des bribes de leur conversation qui lui glacent le sang :

— Où est-elle ? interroge-t-elle le Spectre.

— Je ne vois pas de qui vous voulez parler, répond-il. Si je suis ici, c'est uniquement pour vous rencontrer. Le Gouvernement a tué mon père, et j'aimerais me venger pour pouvoir rejoindre la...

Il est coupé au milieu de sa phrase par la main d'un de ses colosses qui enserre soudain son cou. S'étouffant à moitié, il tente de la retirer, mais son adversaire est bien trop fort.

— Lâchez-moi... croasse-t-il dans une tentative désespérée pour se libérer.

Il se trémousse dans tous les sens, mais la poigne de fer de l'homme l'empêche de s'éloigner, ne serait-ce que d'une dizaine de centimètres. Si la situation n'était pas si grave, Liz aurait éclaté de rire en voyant les mouvements du bassin qu'il fait.

— Écoute, contrairement à ce que tu crois, je n'ai aucune envie de blesser un gamin innocent. Dis-moi juste où elle est et on te relâchera.

Malheureusement pour les deux, la tentative de la femme reste vaine. Voyant cela, elle esquisse un mouvement de la tête quasiment-imperceptible vers l'armoire à glace qui resserre sa prise. Liz comprend que si elle a choisi de ne pas utiliser son influence, c'est pour ne pas se faire repérer par les autorités. Et dans ce cas, en usant de la force, cette confrontation pourrait très mal se finir pour l'ami de la jolie brune. Ce dernier a le visage de plus en plus pâle et sa respiration est très faible.

«  Il est comme son père, réalise soudain la jeune fille. Il ne cédera pas.  »

Voyant qu'il ne cherche plus à se débattre, elle prend une grande inspiration, et avant d'avant réalisé ce qu'elle fait, l'adolescente sort de sa cachette et avance à la lumière.

— C'est moi que vous cherchez ?