Chapitre 57 - Led -

J'ai chaud. Trop chaud, teeeeellement chaud. Qui a dit que septembre n'était plus un mois estival? Pourquoi les gens continuent-ils de parler d'un « été indien » quand cette chaleur étouffante court de plus en plus tard dans la saison chaque année ? J'ai souvenir du mois de septembre, l'an dernier : étouffant quand on frisait déjà les quarante degrés. Le soleil m'a brûlé la peau à chaque trajet jusqu'à la boutique de Béa. La chance que j'ai cette année, c'est le réaménagement de mes horaires et, surtout, de mon contrat. C'est un peu étrange. Je passe plus de temps chez moi qu'avant et, pour la première fois depuis la création de mon activité, je peux passer des heures de jour comme de nuit à créer, sans me freiner à cause du manque de temps et de sommeil – même si ça ne m'arrêtait franchement pas avant.

J'ai encore du mal à m'y faire, je vérifie régulièrement quel jour nous sommes, au cas où je sois trop à côté de mes pompes. Mais pour le moment, ça va. Je gère. Je crois.

Je sue, je suis dégueulasse et à moitié couvert de peintures et fluides en tout genre, tous issus directement de mon travail. Les bases pour confectionner mes résines sont gluantes et me font quémander une douche fissa. Mes mains sont si dégueulasses que j'ai moyennement envie de lever ne serait-ce que le coude pour appuyer sur le gros rond de l'écran de mon téléphone et stopper le direct live qui tourne depuis deux heures. Ça avance plutôt bien, je dois le reconnaître et je m'éloigne de deux pas de ma table de sculpture pour détailler ma dernière œuvre et juger de son avancement. La tête du Prince Triton est en bonne voie, et il ne me faut pas grand-chose pour imaginer le visage de Matty à la place du mannequin de plastique sous l'argile. Non, mieux, il ne me manque que lui pour parfaire la chose. Cette tête factice m'a permis de définir les formes que je voulais, à présent il me faut le vrai pour le faire passer à la casserole.

Et justement, le voilà. Quand la sonnette retentit, j'écrase l'écran de mon téléphone pour espérer appuyer sur le bon bouton en hurlant « Mon rendez-vous est là, à bientôt tout le monde ! » comme un malpropre, vérifie trois fois que le live s'est bien arrêté, et cours dans le couloir. J'enfonce le bouton de l'interphone.

— Yes ?

C'est moi.

Il ne prend même pas la peine de me dire qui et je souris à cette idée. Il prend ses aises un peu, mais ça me fait chaud au cœur de voir sa confiance se développer petit à petit. Cette semaine, il a tenu parole et m'a envoyé des messages. Presque tous les jours, j'avais un petit mot sur les réseaux, dans mes messages privés. Il n'y a pas eu de visio, en revanche, ce que je trouve un peu triste, mais quelques sextos m'ont laissé imaginer sa réaction de l'autre côté de la conversation. Il y a quelque chose d'adorablement innocent chez lui quand on aborde le sexe, ce que j'essaie de ne pas trop faire pour éviter de le faire fuir. Il réagit bien depuis quelques temps, mais qui sait ? Si j'y vais trop fort, trop souvent, trop vite... disons qu'avec quelqu'un d'ouvert à tout ça, ça irait plus vite, je pourrais faire du rentre-dedans tranquille et au mieux l'avoir dans mon lit pour quelques câlinages, au pire me taper un râteau ou le faire marrer.

Mais non.

Il a fallu que je m'intéresse au type le plus mal embouché de la ville. Et que j'aime ça. J'aurais dû me rendre dans un donjon de BDSM, ça aurait été limite plus facile, tiens.

Mes pensées se meurent quand j'ouvre la porte avec mes coudes et que je me retrouve face à lui, à ses yeux encore timides et cernés, qui hésitent constamment sur le premier geste à avoir avec moi, et à son sourire léger qui ne demandent qu'à s'agrandir.

— Salut, dis-je bêtement.

Parce que je ne suis pas idiot. Je comprends bien la façon dont mon corps s'échauffe de le voir, ma peau qui picote avec délice tandis qu'il se rapproche de moi et se penche pour déposer un baiser rapide sur mes lèvres, comme s'il profitait de mon incapacité à le toucher à cause de mes mains et poignets dégueulasses.

Je fais la moue au fait d'être ainsi coincé et il me dédie un regard penaud après s'être redressé.

— Mauvaise idée ? demanda-t-il.

— Je peux pas te toucher, c'est absolument injuste et un véritable coup bas. J'ignorais que tu étais aussi abject.

Le temps qu'il saisisse ce que je viens de dire et que le sarcasme lui monte au cerveau la foulée, je m'enfuis dans le couloir, direction l'atelier où mes affaires sont en cours. J'ai à peine atteint la porte que j'entends son pas rapide :

— Eh dis donc, reviens-là !

Tout sourire, je me retourne... et n'ai pas du tout anticipé son corps qui rencontre le mien, ses bras qui m'enlacent férocement et sa bouche qui revient dans un baiser enflammé. Les mains en l'air et aussi écartées de lui que je le peux, je me tends contre lui, essaie de glaner autant de surface de contact que je le peux, laisse sa langue m'envahir et me retourner le cerveau. Bon sang, oui. J'aime ce Matt, les petits trémolos hésitants qu'il a parfois, et ce divin soupir qui lui échappe tandis qu'une de ses mains glisse à l'arrière de mon crâne, me décoiffant. Lorsqu'il me laisse respirer enfin, mes doigts tremblent de ne pas pouvoir les passer sur sa peau quand je remarque son débardeur. Oh, bon sang. Tant de peau à découvert. C'est une hérésie, un sacrilège, une putain d'ode au divin. Avec le soleil qui lui a brûlé la peau tout l'été, il s'est paré d'un exotisme que j'apprécie d'autant plus maintenant. Lorsqu'il porte du blanc comme aujourd'hui, le contraste est prenant, sensuel et étonnamment accentué par l'innocence qu'il dégage.

Sa bouche me reprend avec un baiser léger, dans un goût de trop peu et je laisse une moue m'échapper.

— Je vois que ça se permet beaucoup de choses, dis-je faussement mécontent.

Ses dents mordillent sa lèvre une seconde avant qu'il réponde :

— Je me suis dit que j'allais tenter...

— J'aime cette prise d'initiative.

Le sourire qui étire ses lèvres fait trembler quelque chose dans ma poitrine. Je ne suis pas dupe de ce qui se passe, de ce qui s'opère entre nous, mais je sais aussi que je dois faire attention. Batifoler, d'accord. L'initier aux choses, pas de problème. Développer un affect particulier pour lui, c'est une autre histoire. On ne sait jamais comment ça peut évoluer avec quelqu'un comme Matt. Ceci dit, j'en ai conscience et, me dis-je, je peux bien m'octroyer un peu de plaisir en le dévergondant, vu tout le temps et la frustration que ça va prendre.

De nouveau à l'aise avec moi-même, je lève les mains et il louche dessus.

— Tu faisais un truc ? dit-il en prenant enfin en compte que je suis handicapé.

— Je préparais le terrain pour aujourd'hui. Prépare-toi à être couvert de trucs dégueulasses !

— Avec la tête que tu fais en le disant, je crains vraiment le pire.

Son petit sourire amusé m'assure du contraire. Il sait ce qui est prévu aujourd'hui, je l'ai prévenu à l'avance la dernière fois que nous nous sommes vus, la semaine dernière. Mon ébauche de Prince Triton m'a convaincu de ce que j'avais en tête, même en n'ayant pas tous les éléments et, pire, même si rien n'était adapté à lui. Il est temps de changer ce facteur-là et de créer des accessoires qui n'iront qu'à lui, rien qu'à lui. Cette idée, cette once de possessivité m'envoient un long frémissement, que je camoufle en me raclant la gorge et me laissant tomber sur mon tabouret.

— Tu vois ce charmant monsieur ? demandé-je en désignant la tête en plastique sur laquelle je travaillais avant son arrivée.

Il lui jette un coup d'œil et hausse les sourcils en se rapprochant.

— Charmant, oui, acquiesce-t-il. Très belles oreilles.

Vrai, je ne suis pas mécontent du tout des branchies-nageoires dont il va écoper.

— Ravi que tu aimes ça, parce que tu va bientôt avoir les mêmes.

Il cligne des yeux tandis que j'attrape la tête de Gaspard, mon mannequin-tête.

— Vraiment ?

— Tu pensais quoi, que j'étais juste là pour la déco ? répliqué-je avec une moue déçue.

Pendant une seconde, je le vois se débattre avec lui-même : plaisanterie ou pas plaisanterie ? je m'autorise un sourire moqueur, peu subtil, et il comprend. Son corps se détend un peu et il lève les yeux au plafond pour me faire savoir son avis sur ma blague. Je suis désopilant, je sais, merci Matty.

— Plus sérieusement, reprends-je en agitant la tête de Gaspard. J'ai besoin de travailler tes prothèses. En sachant que tu les porteras toute la journée et que tu seras ma pièce maîtresse, je veux que ce soit le plus parfait et adapté possible. Autant pour ton confort que pour le résultat.

Je veux que ce soit époustouflant. Que les gens se demandent où commence la fiction et où s'évanouit la réalité. C'est un jeu incessant avec le maquillage et des techniques que je maîtrise chaque jour un peu plus. J'ai mes spécialités, et ce style en fait partie.

Matt sera ma créature.

Quand la chaleur nous pousse à faire une pause, j'en suis au stade où je me fous d'avoir les mains couvertes de plâtre et autres produits en tout genre. Pour me permettre de travailler, Matt a dû abandonner ses vêtements et se retrouver en boxer, et je lui tourne autour depuis trois heures, détaillant avec ravissement chaque courbe de son corps comme si je les voyais pour la première fois, en même temps que j'essaie de ne pas perdre une seconde sur mon travail. C'est long, technique, je ne veux pas faire d'erreur. Rater une prise aujourd'hui, c'est courir le risque de devoir recommencer dans une semaine parce que mes tirages seront mauvais et irrattrapables. Assis à califourchon sur les cuisses de Matt, je m'étire sans pudeur puis observe la moitié de son visage plâtré. Du lubrifiant s'échappe de sous l'épaisseur blanche et je laisse le bout de mon pouce l'essuyer, glisser sur sa joue qui dépasse. Il laisse échapper un petit souffle. Sur son torse, ses pectoraux et ses flans sont également prisonniers de mes manigances, la texture blanche séchant plutôt rapidement grâce à la chaleur ambiante. Mes doigts glissent sur la ligne médiane de son corps, de sa clavicule à son nombril, et il expire dans un tremblement.

— Led, gémit-il. Sérieux, tu... je peux pas bouger...

— Oh, c'est parfait.

Ça fait un moment que je le vois passer par toutes les étapes à mesure que je travaille sur lui. je connais la sensation des matières sur le corps, le côté sensuel et charnel des mains qui caressent, qui appliquent, qui travaillent. J'ai été modèle, au tout début, et il n'y a rien de mieux pour apprendre que de savoir comment ça se passe à cette place.

Je me souviens aussi comment ça a fini.

Comme Matt, j'avais les yeux fermés à cause d'une empreinte que l'on faisait du haut de mon crâne .Comme lui, j'étais coincé, mes mains liées entre elles dans le plâtre.

Je me souviens de la sensation de ces doigts qui effleuraient ma peau, comme les miens sur celle de Matt. Son souffle se fait plus incertain. Ses lèvres s'entrouvrent dans une demande muette. J'y glisse le bout de la langue, gagnant un petit sursaut surpris.

— J'arrête dès que tu me le demandes, murmuré-je contre sa bouche.

Il hoche brièvement la tête, sans toutefois oser bouger plus. Ce type sait ce qu'il veut, j'en suis persuadé. Son problème, c'est plutôt de l'accepter et de passer des étapes pour se découvrir. S'il avait un petit ami, ce serait plus simple. Parfois, je l'imagine plutôt doux, romantique, et ça m'étreint le cœur. D'autres fois, je me demande s'il serait fougueux, passionné. Je me prends, certaines nuits, à penser à la façon dont il enlace, je me peins des scènes, enregistre des sons inexistants qui viennent peupler mes rêves naissants. Je me réveille brûlant. Et, parfois, inquiet.

Inquiet d'être celui qui lui fait découvrir tout ça, même aussi lentement que je le peux. Inquiet de ne pas faire les choses correctement. Inquiet qu'il soit déçu. Inquiet qu'il regrette nos rapprochements.

J'aime sa fragilité et sa délicatesse, derrière ce grand corps plus puissant que le mien. J'aime la façon dont il frissonne quand mes mains encore couvertes de plâtre humide glissent sur sa peau. Son ventre essaie de rentrer. Mes doigts descendent plus bas, accrochent l'élastique de son boxer et il retient son souffle ostensiblement.

Près de mon entrejambe, son sexe gonfle son sous-vêtement et j'hésite. Est-ce que j'y vais franco ?

Je jette un œil à ses bras de part et d'autre de son corps, plongés chacun dans un grand seau rempli de silicone de moulage pour récupérer la forme de ses mains et avant-bras. Il est à ma merci pour un moment encore.

— Led, appelle-t-il de nouveau dans un gémissement bas.

Ah, cette voix. Elle me fait des choses, vraiment. Elle va hanter mes nuits, mon string, mon poing et se répandre sur mes draps.

— S'il te plait, souffle-t-il.

Sous mes cuisses, je perçois un léger mouvement, comme s'il essayait de ruer, – oh, à peine – pour que je sache son besoin.

— Mmmh, mais j'ai les mains sales, boudé-je doucement. Et pas de fringues pour toi.

— Bordel, je m'en fous, ça se lave ! éructe-t-il alors.

Je ris à son emportement. Pour une fois qu'il se laisse aller, c'est moi qui ne suis pas certain de la façon de procéder. Enfin si, je sais exactement ce qu'il veut et je suis tout ouvert à le lui offrir, mais il y a quelque chose qui me chiffonne.

Je glisse de ses jambes et il bouge la tête comme s'il me cherchait, mais sans me voir. Du bout des doigts, je garde un contact avec sa peau et lui fait écarter les cuisses d'une pression entre ses mollets. Ses lèvres sont closes, son souffle court. Je le sens attentif.

— Je vais te toucher, Matt, le préviens-je.

— Oui, souffle-t-il.

— On n'est pas dans une visio ou des messages écrits, continué-je en m'accroupissant.

— Led...

Mes mains courent sur l'intérieur de ses cuisses. Ses muscles se contractent à mon toucher. Son érection est croissante. Oh, ça semble si prometteur. Je me rapproche encore, cale mes genoux contre les pieds du tabouret sur lequel il est assis. A hauteur de mes yeux, son désir me nargue.

— Je veux que tu te rendes compte que même si tu ne me vois pas, c'est réel, Matty, dis-je doucement.

Je vois ses joues s'empourprer. Il comprend pourquoi je dis ça.

A part cette fois-là durant une séance de maquillage et cet autre jour après la plage par écrans interposés, nous n'avons pas eu de rapport de ce type. Je ne veux pas que ce soit un truc à l'aveugle, qu'il puisse imaginer n'importe qui à ma place.

— Je veux que tu gardes bien en tête que c'est moi, ajouté-je enfin.

Je ne sais même pas pourquoi c'est si important. Pour lui, que ce soit un mec qui le touche est déjà un pas immense.

— T'es débile ou quoi ? gémit-il. Bordel, c'est de toi que j'ai envie, là, pas d'un mec au hasard dans la rue !

Juste ça, ça m'arrache un sourire et j'enfonce mon visage contre son aine, le tissu de son boxer frottant contre mes joues. Il est bouillant à cet endroit. Contre ma pommette, je peux sentir la dureté de son sexe. Son soupir, de contentement et de frustration, me fait du bien. Réel. C'est réel. Pas un petit rêve qui sera humide au petit matin. Son odeur m'enveloppe, ambrée et avec encore un soupçon de savon en ce milieu de matinée. Il est arrivé tôt, aujourd'hui, sur ma demande, afin de profiter d'autant de fraîcheur que nous le pouvions.

« C'est de toi que j'ai envie. »

Ça me plait. Beaucoup trop. J'ai envie qu'il se laisse aller, qu'il brise les barrières qu'il a érigées. Quand mes doigts tirent sur l'élastique de son vêtement pour le descendre et libère son érection mise à mal, il jure tout bas. J'expire chaudement contre lui. Il gémit. Mes mains trouvent ses bourses. J'ouvre la bouche et, pendant un moment, il n'y a plus que lui, moi, les sons indécents qu'il émet sous mes caresses. Je suce, lèche, mordille le long de la verge qu'il m'offre. J'essaie de ne pas penser à ma propre excitation, conscient qu'il ne peut pas me rendre la pareille, mais imagine sans mal ce qu'il pourrait faire. Mon corps tout entier me brûle d'envie et je ne fais que le toucher.

— Led...

Je soupire chaudement contre lui. Combien de fois ai-je espéré un moment comme celui-ci ? Je triche un peu, parce qu'il ne me voit pas, et récupère une de mes mains pour presser mon propre entrejambe. La pression est redoutable par ici et il ne faut pas longtemps avant qu'il craque, pulsant contre ma bouche, son sexe crachant sur son ventre. C'est chaud, c'est doux, ça me coule sur la joue. Je serre plus fort autour de mes parties, enfonce mon nez de nouveau contre lui, dans le creux entre sa cuisse et son bas-ventre, inspire fort – son odeur, cette virilité qui me fait tourner la tête et me rend dingue dans un moment comme ça. Son gémissement rauque me déclenche un frisson et ses cuisses qui se referment sur moi, comme s'il voulait me prouver qu'il est là, avec moi, me font tous décoller.

Je changerais de string tout à l'heure.

J'ai besoin de retrouver mon souffle. 

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