Chapitre 53 - Led -

La pénombre qui règne dans ma chambre n'est bonne qu'à griser tout ce que je regarde quand j'ouvre enfin les yeux. Il fait chaud, comme chaque matin depuis deux mois. J'ai l'impression que mon corps entier est collant, mais peut-être que c'est le cas. Je roule sur le dos, mes bras sont moites contre mon corps nu. Erk. Je déteste cette sensation, j'ai l'impression d'entendre ma peau se décoller d'elle-même. « Shluuurp », on dirait. Dégueulasse. Quand ma tête s'enfonce dans mon oreiller, la nausée me prend un peu, mon estomac pulse littéralement et je pince les lèvres. Oh, j'ai envie de gerber... je crois que je l'ai fait deux fois après mon retour cette nuit, d'ailleurs. C'est tout vide, là-dedans, et ça ne me rend que plus malade. Il faut que je boive, ma bouche ressemble à un désert.

Les draps gisent presque au sol, comme si je m'étais débattu toute la nuit et, me connaissant, c'est fort probable.

Je grogne en roulant sur mon autre côté, étendant mon bras dans le vide à mes côtés. Les draps sont froids, inutilisés de toute façon, et la solitude qui m'étreint ce matin – ou quelle que soit l'heure qu'il est – me laisse perplexe pendant une seconde ou deux.

Matt n'a pas fini la nuit ici, comme je m'y attendais évidemment. La soirée me revient petit à petit, avec une lenteur qui me laisse pantelant et dans l'expectative. Son corps contre le mien, ses mains sur moi, cherchant chaque parcelle de peau nue qu'il pouvait trouver. Sa bouche gourmande, quémandant tant et tant de baisers que je m'y suis perdu.

La fin de la soirée est floue. J'ai souvenir d'une voiture, on a pris un taxi, je crois, qu'il a fait passer chez moi en premier... rien de certain, vu la mine qu'on s'est mis. Les cocktails du Proudy sont plus costauds que ceux de Corentin, j'avais complètement oublié ça. Vu ce qui cogne dans mon crâne à mesure que je roule dans mon lit, la journée va être longue. Heureusement que je ne bosse pas chez Béa aujourd'hui, elle m'en mettrait plein la tronche et je n'ai clairement pas besoin de ça dans l'immédiat.

A tâtons, je cherche mon téléphone, le trouve plus bas dans le lit, à côté d'un vibro qui n'a rien à faire là. Je mets de côté le fait qu'il faut que je vérifie si je n'ai pas fait des trucs avec cette nuit, et allume mon écran. Une floppée de notifications des différentes applications que j'utilise me sautent à la figure. Oh, ce bordel... je m'absente une soirée et Az' me noie sous les appels et les messages, c'est quoi ce souk ? « On sort ce soir », « bah t'es où ? », « tu bosses chéri ? » sont seulement les premiers... le reste, elle s'inquiète. Elle a fait un tour à mon appart, est repartie bredouille avec le groupe dans la soirée. Mon téléphone était quelque part dans l'intérieur de ma botte, contre mon mollet. Ça évite que quelqu'un puisse me le piquer quand je suis arraché comme la veille, il n'y a pas grand-monde pour penser à mettre la main dans des chaussures. Disons que c'est peu commun et qu'il faut se mettre à quatre pattes devant la personne à voler. On a vu plus discret.

D'autres messages, sur d'autres conversations, et le nom d'Anthony se fait vite connaître. Depuis quelques temps, on reparle, il arrive à m'approcher de nouveau sans trop faire la gueule. Ma bonne résolution de ne plus baiser avec mes potes est décidément la bienvenue quand je vois combien ça nous a éloignés. Ça a aussi touché nos amis en commun, instauré un climat gênant pendant un moment. J'ai déconné en le laissant faire, en m'imaginant que ça ne changerait rien à nos rapports, parce que visiblement Antho n'a pas du tout la même manière de penser que moi. Typique du genre d'erreur que je fais avec mes proches.

Et ça m'amène indubitablement à Matt. Pour l'instant, c'est tranquille. On ne peut pas dire qu'il se passe vraiment quelque chose... enfin si, je suppose que si. Pour un type comme lui, avoir ma langue fourrée dans sa bouche veut dire beaucoup de choses. Je dois dire qu'entre le Matt qui sanglotait dans mon lit après qu'on soit allé un peu trop vite et le Matt chaud bouillant d'hier soir... il y a déjà deux mondes. Les semaines ont passé, peu nombreuses mais creusant déjà un fossé. Et en même temps, c'est lent. Si lent. Ça m'oblige à y penser encore et encore, à vérifier mes messages toutes les heures pour être sûr de ne pas avoir raté un de ses envois et, parfois, je me demande ce que je fous.

Je continue mes lives, j'en fais même plus qu'avant vu que j'en ai la possibilité grâce à mon nouvel emploi du temps, mais je dois avouer que je regarde beaucoup trop l'écran pour vérifier s'il est en ligne et en train de visionner lui aussi. Le plus souvent, la réponse est : non. Quand il se connecte, c'est plutôt la nuit, à des heures inavouables. Il ne pose plus beaucoup de questions. Parfois, les gens appuient sur les cœurs et les balancent sur l'écran. J'aime m'imaginer son pouce survoler cette touche, la frôler... se retenir... comme il le faisait hier au-dessus de ma peau, au-dessus de mon téton et accrochant à peine la bille de mon piercing. Soupirant au souvenir embrumé, j'enroule une main autour de mon sexe et me rappelle notre tour aux toilettes. Est-ce que j'ai rêvé quand il bandait si dur qu'il ne pouvait pas pisser ? Ou est-ce que j'étais trop bourré pour comprendre ce que je regardais ? Parfois, mes désirs deviennent un peu réalité dans ma tête. D'autres fois, ce ne sont pas des hallucinations. Comme son regard sur moi. Je suis sûr de ne pas l'avoir imaginé. Si profond. Rempli de mille tentatives de promesse.

Bref. J'ai vu la queue de Matt. Je crois. Et je me raccroche à ce petit souvenir pour me branler rapidement, espérant à moitié faire disparaître la douleur lancinante qui s'installe dans mon crâne à mesure que je m'éveille.

Ça gratte à la porte qui s'ouvre avant que je comprenne, et brusquement un truc lourd, doux et définitivement peu gracieux me saute dessus en hurlant. Toutes griffes dehors.

— Putain Duchesse ! sifflé-je en la repoussant aussi vite que possible.

Ses pattes arrière ont évité de peu mon membre, que je protège comme je peux d'une main. Pour le coup, je suis bien réveillé, mon cœur bat la chamade et pas du tout pour les raisons que j'aimerais, et j'observe madame se précipiter vers la porte. Là, elle se retourne, me fixe une seconde et miaule férocement. Je lui balance un oreiller qui la fait détaler.

— Je sais que t'as faim ! Laisse-moi me branler, bordel !

Je retombe sur l'oreiller en gémissant, lâche mon sexe et fixe le plafond. Matt me trotte dans la tête entre deux vertiges d'avoir trop bougé et trop vite. Avec une flemme monumentale, je reprends mon téléphone et regarde le reste des noti...

Oh.

Je roule de l'autre côté, encore.

Des messages de Matt en non lus. Ils me font de l'œil, je regarde dans le coin de l'aperçu depuis quand ils sont là. Trois heures. Il y a trois heures, Matt m'a contacté. En haut de mon écran, j'apprends que la matinée touche à sa fin. Il a dû me les envoyer pendant qu'il allait travailler à son traditionnel neuf/dix-sept, comme on dit dans le milieu. Après plusieurs secondes de tergiversations qui ne me ressemblent pas, j'ouvre les messages et me repait en silence des quelques mots qu'il a écrits.

Duchesse pleure à la porte.

— La ferme, laisse-moi profiter un peu... soupiré-je.

Dur de me concentrer, mais mon cœur parvient quand même à se faire tout mou à la lecture. Est-ce que je suis bien arrivé ? Est-ce que je vais bien ? Il est désolé de je ne sais quoi... vu les lettres qui sont mélangées, à mon avis, il n'a pas eu le temps de totalement dessouler entre le moment où il est rentré et celui où il a dû se rendre au travail. J'espère que lui va bien, en fait, parce que personnellement, je suis en sécurité dans mon lit. Du bout des doigts, j'essaie de répondre un truc intelligent :

[11 : 26] Led : Tu arrives à bosser, ivrogne ?

Vu l'heure, je ne m'attends à rien, mais ne pas voir le message en « lu » dans la minute me fait grogner. Plus tard, mon grand, plus tard. T'as le temps de faire de la poterie d'ici à ce qu'il réponde, si c'est comme ces dernières semaines. Oh, bon sang. Je sens que ça va être comme ça. Une fois tous les dix ans, il me proposera une sortie quand il lui tombera un œil.

J'entends le pas lourd de ma grosse patate poilue plus loin dans le couloir. Dieu sait ce qu'elle s'apprête à péter, mais en attendant je suis tranquille. Je me renfonce tranquillement dans mon oreiller, glisse de nouveau ma main vers mon entrejambe et de l'autre ouvre la profil de Matt sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas très glorieux d'utiliser ses photos, avec seulement son visage, et je le sais, mais je n'ai que ça. Ça et ma collection colorée qui me fait de l'œil, cependant j'ai la flemme de me bouger le cul jusque là-bas. Un petit moment de détente et de plaisir simple me suffit ce matin, mes doigts bougeant paresseusement le long de ma hampe. Matt en boîte, ses dents apparaissant dans un large sourire. Matt en soirée cocktail, et je refuse de savoir qui a pris le cliché. Matt allongé sur la plage, le soleil embrassant son corps entier. Oh, oui. Cette photo-là. Ses tétons sont plus bruns que son corps, appellent à mille sévices et me narguent, du style « tu n'es pas près de nous toucher ». Alors, j'imagine. J'imagine ce que ce serait de poser mes mains sur lui, pour de vrai cette fois et pas seulement ses doigts à lui qui touchent mon corps avec hésitation à travers mes vêtements.

Sous les siens, j'ai senti les muscles, peu proéminents mais présents, naturels chez cet homme. Il est grand et sa queue que j'ai aperçue cette nuit me fait saliver. Je pourrais glisser mes doigts le long de son torse, grignoter un mamelon, écouter ses râles de plaisir. Le malmener le temps d'arriver à son nombril. Me perdre dans les poils de son pubis. Je crois qu'il ne s'épile pas, ou peu, j'ai aperçu un monde sombre près de sa main et j'ai l'envie de m'y égarer, de laisser le grand méchant loup me ravir et faire ce qu'il veut de moi.

Quand je jouis tranquillement, un brouillard blanc me parasite le cerveau. Des mouchoirs traînent sur ma table de chevet et j'essuie vaguement mon désordre avant de jeter la boulette quelque part dans la chambre. Il fait chaud. Je comate, essayant de replonger dans mes souvenirs de la veille, qu'ils soient poilus ou non, avec ou sans la queue de Matt.

Duchesse gratte et miaule.

Mon téléphone vibre.

Et je souris comme un débile en voyant la photo d'un bol en plastique avec une salade composée dedans. Deuxième photo, un verre d'eau. Je vois les mains du type installé en face de lui, et je pourrais mettre la mienne à couper qu'il s'agit de Yanis. Ils bossent ensemble, j'avais oublié ce détail, tiens. Est-ce que je dois m'en méfier ? Vu que ce mec est venu m'emmerder chez Béa pour être sûr que je ne ferais pas de mal à Matty, j'imagine qu'ils sont plutôt proches. En attendant, Yanis ne tourne pas à l'eau, lui, ce qui me fait marrer.

[12 : 08] Matt : je vais crever, c'est plus de mon âge

Je glousse avant de pouvoir m'en empêcher et observe les points de suspension qui reprennent, sans respirer. Wow, il est motivé, deux messages d'affilé !

[12 : 09] Matt : pas trop mort aujourd'hui ?

Il est mignon.

[12 : 09] Led : Au fond de mon lit

[12 : 10] Matt : Tu décuves ?

[12 : 10] Led : Disons plutôt que ma main pense fortement à toi

[12 : 10] Matt : Putain

[12 : 11] Matt : Maintenant ?

Ricanant comme une lycéenne en chaleur – et d'après Az', je le fais particulièrement bien –, je ne mets pas très longtemps à répondre avec une photo de mon entrejambe :

[12 : 12] Led : Désolé, le spectacle est déjà fini !

Points de suspension, points de suspension...

[12 : 13] Matt : LED !!!!!

Ouais. Vivement la prochaine sortie ! 

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