Chapitre 51 - Led


Le Proudy ressemble au Proudy ce soir, avec sa musique pop électro et ses lumières qui balaient la piste dans un mouvement continu, rien de nouveau sous le soleil. Quoique c'est peut-être pire que lors de mes autres visites : il est tôt. Il n'y a pas encore grand-monde sur place, les barmen ne sont pas débordés. Pour un mercredi soir, ce serait étonnant, mais ça brasse tout de même pas mal d'une manière générale, ici.

J'espère qu'on va faire plus que se regarder dans le blanc des yeux, même si ça n'implique que des mots. Vu tout ce que j'ai donné en me préparant, je devrais être plus tatillon sur le résultat de cette soirée, mais je me rends compte que je suis déjà bien content qu'il soit vraiment venu sonner à ma porte. Ça, j'ai bien conscience qu'il y avait une chance sur deux pour qu'il se barre la queue entre ses jambes plutôt qu'entre les miennes – et même ça, je sais que je vais m'asseoir dessus... métaphoriquement seulement. A l'aide.

— Où est-ce que tu veux aller ? demandé-je nonchalamment, histoire qu'il y en ait au moins un de nous deux qui agisse comme un humain doué de sociabilité.

Il hésite et regarde un peu partout autour de nous, sans répondre et ça ne m'aide pas. Alors, je prends sur moi : j'attrape sa main, parce que bordel, si deux mecs ne peuvent pas faire au moins ça au Proudy, on marche sur la tête, puis je l'entraîne au bar où un type essuie nonchalamment un verre qui a l'air bien sec.

— Deux sex on the beach, s'il vous plait ! commandé-je rapidement, haussant la voix pour couvrir la musique déjà forte.

Je sens le regard de Matt sur moi et, du coin de l'œil, j'aperçois son rictus. Bien, il a compris. Entre mes doigts, sa main se détend enfin un peu. Il se rapproche, couvrant le pas qui nous séparait comme une distance de sécurité, et son bras me frôle. Premier contact initié de sa part. Bien, on avance.

— On attaque direct avec les cocktails ? demande-t-il.

— Première étape, te désinhiber, répliqué-je avec sérieux.

Et sérieux, je le suis. A quatre-vingt pourcent. S'il reste comme ça, on ne va même pas se rendre sur la piste. Alors me toucher, n'en parlons pas. Pas que j'ai envie qu'il me saute dessus (enfin, je ne dirais clairement pas non), mais pour danser, vu que c'est le programme qu'il m'a promis, j'estime que je mérite au moins des mains baladeuses. Sur mes épaules ou mon cul, je lui laisse le choix, mais qu'il fasse un effort.

Moi, j'en ai fait : cheveux, et Az' a fait un boulot du tonnerre cet après-midi, ravalement de façade comme si j'arpentais sur mon plus beau catwalk, et une touche gothique dans ma tenue de ce soir. Vu la tête qu'il a tiré quand j'ai ouvert la porte, il aime. Enfin, je crois. Il a louché, en tout cas, je suppose que c'est bon signe...

Les verres enfin dans nos mains, je l'entraîne vers une petite table à l'étage. A côté de nous, la barrière donne une vue plongeante sur la piste de danse où il n'y a encore presque personne. Je préfère quand il y a une certaine effervescence, je dois l'avouer, alors commencer par se mettre bien me convient plutôt. Alors, quand on se laisse enfin tomber sur nos chaises, de part et d'autre d'une minuscule table ronde comme des dizaines autour de nous, je ne montre peut-être pas un engouement énorme. Je le vois dans ses yeux lorsque je le dévisage sans détour. Car ce soir, pas de rond de jambe, mon petit Matty. Tu m'invites, tu m'emmènes dans une boîte de nuit gay réputée pour ses backrooms ? J'espère bien que tu as une idée derrière la tête, sinon je risquerais d'être déçu, cette fois. Vraiment. Surtout après qu'on se soit tournés autour comme ça. Je crois que ça ne m'est jamais arrivé de poireauter plus de quelques jours avant de passer à la casserole, alors deux mois ? Bordel, il y a des jours où j'y pense et je m'y perds, sans savoir quoi en sortir. La dernière fois qu'on est sorti en public, je suis resté à distance, mais je doute que Fred aurait apprécié mes tentatives d'utiliser l'expo pour me faire un mec contre une poterie. Et ça m'aurait un poil desservi aussi, même si j'ai une réputation qui me colle à la peau.

Je regrette un peu de ne pas avoir tenté plus que le plaquer contre le mur au moment de nous séparer. Je suis presque sûr que j'aurais pu obtenir beaucoup, beaucoup plus de choses de lui ce soir-là. Sa bouche offerte m'appelle encore dans mes rêves érotiques et je me réveille souvent avec la queue douloureuse à cause de ces souvenirs qui dégénèrent dans mes songes. Mais non. Je suis resté sage, si sage que je ne suis même plus sûr de la raison ni de ce que j'en ai ressenti à part cette intense frustration. Peut-être que je voulais lui donner du temps, ne pas le brusquer, parce qu'il est si différent de tous ces types qui se ruent sur moi comme sur un trophée à agiter après. Si fermé et à la fois si lisible. Si...

Oh, et puis merde.

On est au Proudy et c'est lui qui m'y a traîné, même si on dirait qu'il va transpirer son âme par tous ses pores d'ici deux secondes tant il semble tendu.

— Bois un coup, soupiré-je en levant mon propre verre.

— On se met minables d'entrée de jeu ? tente-t-il de plaisanter, mais son ton est tremblant derrière cette fichue fausse confiance qu'il tente d'afficher.

— On essaie de faire en sorte que tu ne fasses pas de malaise au deuxième pas sur la piste, répliqué-je avec un clin d'œil. Alors détends-toi, c'est pas un cocktail qui va te faire rouler.

Il laisse échapper un petit rire dans un souffle et je sens littéralement tout son corps qui se ramollit. Voilà. J'ai mis le doigt dessus, comme prévu. Il se met la pression, peut-être à cause de l'endroit. Le Proudy est à quatre-vingt pourcent fréquenté par une clientèle LGBTQ+ depuis son ouverture et les vingt pourcent restant sont les potes accompagnants ou des curieux, voire des hétéros qui aiment la nouveauté et l'ambiance. Un peu de tout, mais majoritairement des gens intéressés par une soirée avec le même sexe. Et autant dire qu'un étage encore plus bas que la piste, le mot « sexe » est sûrement gravé au sperme sur tous les murs. Le service de nettoyage est hyperactif dans l'établissement. Et diablement efficace. Je les plains. Ou alors ça les excite. Est-ce qu'ils les préviennent lors de l'embauche ? Eeek.

— Tu viens souvent ici ? enchaîné-je en regardant autour de nous.

Après tout, il n'a pas hésité en me suivant, je déduis qu'il savait où il mettait les pieds. A ma grande surprise – quoique... –, il secoue la tête négativement. Sur ses paupières qui s'abaissent, je remarque avec regret la peau nue de toute tentative de maquillage. Dommage. Je pensais que c'était une sortie un peu spéciale, aujourd'hui, du fait qu'il ait osé proposer quelque chose qui sort de sa zone de confort. Peut-être que je me monte la tête, finalement. J'imaginais plus. Je ne le connais pas suffisamment.

— Juste une fois, avoue-t-il.

Son regard se porte un peu ailleurs, quelque part derrière moi, et ses joues rosissent à mesure qu'il parvient à prononcer quelques mots. Je l'ai vu se tasser sur son siège, en grand gaillard qu'il est, jusqu'à n'apparaître que comme un mec lambda qu'on ne remarquerait pas. Manque de bol, je suis en face de lui et pas franchement le mec le plus discret du monde. Le plus curieux en revanche, c'est probable.

— Qu'est-ce que tu regardes ? demandé-je sans pouvoir empêcher mon sourire en coin.

Il devient cramoisi et ses yeux hésitent entre rester sur ce qu'il a trouvé et moi. Il se redresse brusquement quand je me retourne, un cri étranglé m'intimant de ne pas jeter un œil.

Trop tard.

Derrière moi, à quelques tables, deux hommes se pourlèchent allègrement au-dessus de leurs consommations à peine entamés. La lumière basse n'empêche pas de bien y voir et on sent leur passion jusqu'ici, à travers leurs bouches, leurs mains qui tâtent tout ce qu'elles peuvent. Vraiment tout ce qu'elles peuvent.

— Oh oooh ? ricané-je en me rasseyant dans le bon sens.

Il est cramoisi, le bas de son visage caché derrière sa main, et son regard me fuit.

— Matty, appelé-je.

— Désolé, grogne-t-il.

— Matty, répété-je.

Il fronce les sourcils, toujours sans me regarder. A la couleur de ses joues et à la fine sueur qui couvre ses tempes, je peux presque sentir le battement frénétique de son cœur. Si je ne me trompe pas. Mais même avec les hétéros, je ne me suis jamais trompé. Je me lève, pose mes mains à plat sur la petite table et me penche vers lui. Ses prunelles sombres sont attirées par mon mouvement et m'observent avec une inquiétude touchante.

— Tu sais, dis-je en espérant être suffisamment bas pour que lui seul m'entende. Tu envoies beaucoup de signaux contradictoires...

Il cligne des yeux. Bon, il comprend ce que je dis, je pense.

— ... alors soit tu m'emballes comme ces mecs, comme si on allait en crever au petit matin, soit tu m'expliques ce qu'on fout là.

Je crois qu'il va faire un infarctus. Ou un AVC. Ou les deux. Ses yeux s'écarquillent, si ronds en me fixant.

Sa main quitte sa bouche.

Son regard s'est assombri.

Mon cerveau hurle « enfin ! » quand sa main attrape ma mâchoire et qu'il se lève brusquement pour m'embrasser. Là, au milieu de toutes ces tables qui se remplissent au fil des minutes. Sa bouche plaquée contre la mienne, sa langue s'aventure déjà entre mes lèvres, avec ce brin de désespoir craintif que je lui connais déjà, et je l'accueille avec joie et empressement. Bordel, oui ! Après tous ces jours sans nouvelle à part une notification nulle sur les réseaux sociaux. J'aurais pu le harceler, lui envoyer des milliers de messages, mais Matty n'est pas le genre de mec qui répond positivement à ce type de sollicitation, je l'ai bien compris. Lui, on l'attend et il arrive quand c'est le moment pour lui. Peut-être que c'est ce qui me plait chez ce type, en plus du reste. Beau gars, timide – inhabituel chez mes conquêtes –, une terre vierge de tout, et autant dire qu'à ce niveau-là, je suis vraiment en terrain inconnu. Et très demandeur pour tester cette aventure-là.

Je le sens soupirer contre ma bouche et ne peux retenir un nouveau sourire. Je quitte sa bouche une seconde, plongeant dans ses yeux brillants de... désir. Ça, c'est quelque chose que je ne rate jamais, et la température monte d'un ou deux degrés dans le Proudy tout entier.

— Alors, tu t'es branlé combien de fois en pensant à moi depuis la dernière fois ? soufflé-je.

J'ai le souvenir de son visage, de son expression alanguie quand il se touchait au son de ma voix et ma queue apprécie l'image. Heureusement qu'ici, je ne serais pas arrêté pour outrage, et les mecs derrière nous feront bientôt pire que ça de toute façon, s'ils continuent comme ils en avaient l'air.

Ecarlate, il se mord la lèvre. Sexy. Je veux cette bouche sur moi dès qu'il en sera capable. N'importe où. Partout.

— Tous les jours, souffle-t-il dans un tremblement.

Sa peau est parcourue de frissons sous ma main glissée à l'arrière de sa nuque. Je l'attire de nouveau. Il a le goût, encore léger, des fruits et de la vodka.

Je veux le dévorer.

Peut-être que cette sensation, ce désir, sont accrus parce que je suis en manque, mais je m'en fous. Je sais aussi que rien n'arrivera de plus que des baisers ce soir. Parce qu'il n'a pas la tête du mec prêt à plus et que nos conversations au sujet de sa sexualité sont encore trop récentes. Et parce que je ne suis pas un salop. Mes parents ont beau avoir essayé de m'empêcher d'avoir une éducation sexuelle adaptée, je me suis démerdée pour me la faire moi-même, consentement compris. J'ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes, même lorsque je faisais le mur et retrouvais mon mec du moment en cachette. Ce que je n'aurais pas voulu, il ne l'aurait pas fait, encore moins en usant des quelques années de plus qu'il avait par rapport au gamin que j'étais à l'époque.

Toujours est-il que j'aimerais que Matty se laisse un peu plus aller, même si c'est déjà mieux que lors de nos premières rencontres.

Son baiser est un peu tendu. Parfois, je glane un coup d'œil sous ses cils tandis qu'il semble vérifier autour de nous. Est-ce qu'il attend quelqu'un d'autre ? Je penche plutôt pour un réflexe conditionné, à être sûr que personne ne le connait dans les parages. Je ne suis pas con. J'ai déjà vécu ce genre de situation et les mecs qui se cachent, c'est toujours un peu particulier. En sachant le placard d'où il sort, je comprends son attitude.

Et je raffermis ma prise sur lui, mes doigts serrés à l'arrière de son cou, avant de me retirer de nouveau. Ses lèvres s'ouvrent, je sens son mouvement pour essayer de me récupérer. Mignon.

— Qu'est-ce que tu dirais de continuer nos boissons, genre... avant qu'on se jette sur cette table en se dessapant mutuellement ? soufflé-je contre ses lèvres.

Il rougit de nouveau et soudain, j'ai envie de mettre cette idée en application, de le plaquer sur la table, de tirer ses fringues à ses genoux et de...

Il vient de se rasseoir avec un petit rire.

Tant pis pour mes genoux et sa queue dans ma bouche.

Hello sex on the beach.

Et que la personne qui a nommé ce cocktail aille se faire foutre.


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