Chapitre 50 - Matthieu
C'est perturbant de se dire qu'on sort en boîte alors qu'il fait encore jour. C'est quelque chose qui m'a toujours un peu gêné, outre la chaleur qui règne dans toute la ville. Août n'est pas vraiment le mois pour sortir et se coller à d'autres corps. Tout le monde est en sueur et ne rêve que de fraîcheur. Avec la chance qu'on a, ce sera tout sauf sensuel, ça va sentir fort dans toute la boîte, et...
Et je ne me suis jamais pris la tête comme ça pour un rencard !
J'ai filé rencard à Led, putain.
Pour danser, la raison la plus pitoyable que j'ai pu choper, le plus vite possible, pendant que Yanis était hilare à son bureau en me regardant. Connard. Il pouvait pas m'aider, plutôt ? Je suis pas sûr que ses listings en back-up soient si intéressants et prenants que ça pour l'empêcher de m'aider à garder ma dignité. En revanche, je suis à peu près certain qu'il envoyait des textos en douce à Corentin. Voire des sextos vu sa couleur et son sourire. Enfoiré. L'entraide, c'est surfait, on dirait.
Je stresse à mort. Sans raison. Enfin, officiellement sans raison, officieusement je me demande ce que je fous. C'est vrai, quoi, j'arrive la bouche en cœur à demander une sortie, mais... bordel, comment ça marche, avec un mec, au juste ?
Pour ce qui doit être la vingtième fois, je me tourne devant le miroir de la salle de bain de Yanis.
Chemise noire, pantalon blanc. Il m'a prêté un slim. Ça tranche avec mon bronzage, accentué par la plage de dimanche dernier, et je ne déteste pas du tout. Ça me rappelle d'ailleurs quand je sortais en boîte avec lui, avant de me mettre avec Mandy et d'adopter un mode de vie sage. Enfin, on ne peut pas vraiment dire que j'ai été dévergondé un jour, j'imagine.
Je tourne encore, sceptique.
— Eh, t'es sûr pour le blanc ? appelé-je à travers le couloir.
— Ouais, t'inquiète, ça te fait un cul d'enfer !
— Quoi, c'est trop ?
Bordel, je veux pas avoir de problème !
— Mais non, c'est parfait !
J'entends son soupir d'ici. Bientôt, ses pas résonnent et Yanis apparaît dans l'encadrement de la porte de la salle de bain, les bras croisés.
— Matt, ce soir, tu sors. Et pas en tant que moitié de Mandy, qu'on se le dise. C'est fi-ni-to, ça, mon gars, OK ?
Je hoche la tête, même si, là-dedans, ça turbine encore.
— Ce soir, tu danses, ajoute-t-il. Ce soir, tu tournes la page, tu ne penses pas au reste.
— Ça va être dur, demain, maugréé-je.
Ça fait longtemps que je ne suis pas vraiment sorti en semaine, comme ça, en prévoyant... absolument rien de concret pour sauver mon cul au réveil.
Je tourne encore. Ça me moule le boule, et je sais pas quoi faire de cette information. Quelque chose me dit que quelqu'un ce soit saura me faire part d'une idée, tiens.
— Juste, t'es sûr pour le Proudy ? me demande ensuite Yanis.
— Mh mh.
Non. En revanche, je sais que j'ai très peu de chance de tomber sur quelqu'un que je fréquente au quotidien. Outre que c'est une boîte gay, c'est aussi à l'autre bout de la ville.
— Tu te maquilles ?
A cette question, un frisson dévale ma colonne et mon cœur rate un battement.
— Non.
Je n'ai pas réessayé depuis les explications de Led. Je n'ai pas eu l'occasion, encore moins le temps : Mandy avait déjà investi les lieux et mis la main sur mes affaires. Je n'ai rien dit à Yanis, je me sens déjà assez pitoyable comme ça de lui avoir laissé le dernier mot. De quoi est-ce que j'ai peur, au juste ? Elle fait un mètre cinquante les bras levés, elle est chétive, et...
J'en sais rien. Juste d'imaginer me dresser contre elle me hérisse tous les poils du corps. Je me dis que me montrer patient, attendre que tout ça se tasse et finisse, ça suffira. On redeviendra de simples amis, sans bénéfice, contrairement à certains de ses ex d'après ce que j'ai compris d'avant. Chacun à sa place et le monde n'en tournera que mieux, hein ? C'est ce que je me suis toujours dit. Le problème, c'est que la place que j'ai, je l'ai trouvée et prise d'assaut faute de mieux. Faute de réalité. Faute de comprendre et d'assumer.
Mon moral vacille aussi soudainement que ces pensées s'insinuent et mes bras retombent. Je me fixe. Qu'est-ce qui peut faire que Led accepte de me voir, au juste ? Je suis commun. Inintéressant au possible. Peut-être que cette soirée ne représente rien de spécial. Oh, peut-être qu'il a pitié ? Ça lui ressemblerait, il a l'air suffisamment gentil pour s'occuper de tous les chats errants, comme dirait ma grand-mère.
Yanis frappe dans ses mains et me fait sursauter.
— Allez ma belle, ricane-t-il. Assez d'égo pour ce soir, t'as un tram à choper ! Ce serait con que t'arrives en retard pour ton rendez-vous galant, hein ?
Je jette un coup d'œil au petit réveil au bord du lavabo, et m'active. Ouais, ce serait dommage que je sois en retard pour me ridiculiser !
*
L'air est encore trop chaud pour un début de soirée. Quand je vérifie l'heure sur mon portable, il ne devrait décemment pas faire plus de trente degrés comme c'est le cas. On va bouillir, sérieux, c'était une idée à la con ! J'aurais dû lui proposer autre chose, je sais pas... un cinéma ? Ouais, les salles sont climatisées, au moins. Est-ce qu'il peut sortir avec des chaleurs comme en ce moment ? Allez à la plage, c'est une chose, mais en ville, quand tout est étouffant et qu'il n'y a pas un seul brin de vent ?
Les arrêts défilent à travers les vitres sales du tramway. Depuis quelques minutes maintenant, j'ai quitté mon quartier. Debout dans un recoin de la rame, j'observe tout ce qui m'entoure. Les gens vont et viennent. Les salariés ont laissé leur place aux fêtards. Les visages me sont tous inconnus, m'envoyant des ondes rassurantes. Je vis suffisamment loin des quais pour avoir peu de risques de croiser quelqu'un que je fréquente quotidiennement. Ma boîte est loin du centre-ville, mes collègues préfèrent vivre dans les communes alentours, pour la tranquillité d'une part, et le prix de l'immobilier qui n'a radicalement rien à voir. C'est un choix. Personnellement, je préfère être proche du centre. M'éloigner me rappelle mon adolescence, quand c'était une galère sans nom pour juste rejoindre des potes. J'aime le fait que tout soit là, à portée de main, en deux arrêts de tram ou dix minutes de marche.
Je sais qu'il y a un ciné dans le quartier de Led, pas forcément bien famé, mais l'idée est tentante. Ça me paraît moins dangereux que le Proudy un mercredi soir. Ou n'importe quel jour, en fait. Quand j'y suis allé avec Yanis, c'était différent. Le fait que mon ami soit là était rassurant et, quelque part, y être en reconnaissance et non pas en connaissance de cause a rendu tout très différent. Maintenant, c'est... merde, je suis conscient de tout. De ce que je veux, de ce que j'attends, je crois. Enfin, je sais pas ce que j'attends de tout ça, mais c'est là.
Par réflexe, je regarde tout autour de moi à ma sortie du tram. Puis, un message rapide :
[20 : 26] A Led – Je suis en bas dans cinq minutes
Un « vu » s'affiche quasi instantanément et mon sang se réchauffe dans mes veines. Il me faut moins de temps que prévu pour atteindre la porte de son immeuble, mais à peine j'ai appuyé sur la sonnette que sa voix répond à l'interphone.
— J'arrive ! Merde, deux secondes...
Et ça raccroche. Deux secondes, ouais j'ai ça en stock, je crois. Deux secondes à vérifier mon environnement, encore. Deux secondes à me demander comment la soirée va se passer, à jauger la distance avec le cinéma le plus proche, les dernières sorties de cette semaine, à...
La porte s'ouvre.
— Désolé, Duchesse s'était coincé les griffes dans le radiateur !
La première chose que je vois, ce sont ses yeux. Si clair, un bleu presque naturel, mais que je sais ne pas l'être. Puis, tout autour, les couleurs qui s'étalent, les paillettes qui accompagnent chaque battement de ses cils. Ses taches de rousseur ont disparu sous le fond de teint, comme d'habitude, et je regrette pendant une seconde qu'on ne soit pas dans l'océan. J'ai envie de ruiner cette partie de son travail, de faire disparaître ce masque qu'il porte.
Quoiqu'en y réfléchissant, c'est plutôt moi qui aie un masque. Quel con.
Je détourne ma propre attention en louchant sur ses cheveux. Sur ses vêtements. Sur ses chaussures. C'est un nouveau Led tout en étant le Led habituel, et l'agression colorée que je subis n'était absolument pas au programme. Bordel, je sais pas sur quel pied danser.
Je veux danser.
— Euh, tu... tu as changé de couleur ?
Il arque un sourcil, comme si j'avais dit un truc bizarre. Je précise :
— Tes cheveux...
S'il s'illumine comme ça à chaque fois que je dis quelque chose de débile, il va se transformer en halogène.
— J'avais envie de nouveauté, dit-il. Tu aimes ?
Son sourire va lui faire claquer les joues, j'en suis certain. J'ai du mal à me détacher de ce nouveau dégradé qui entoure sa tête. Les racines sont rouge sombre et s'éclaircissent sur un rose pétant aux pointes. Est-ce que j'aime ? C'est totalement différent de cet aspect acidulé qu'il a habituellement et en même temps, c'est... explosif. Wow ! J'ai pas de meilleur mot. Son maquillage arbore des couleurs plus sombres que les autres fois, aussi. Ses vêtements sont complètement noirs, une veste fine qui cache à peine un débardeur résille beaucoup trop court, et que je reconnais comme celui qu'il portait à notre première rencontre. Son nombril arbore un bijou brillant qui m'attire l'œil aussitôt. Son short est à deux doigts de libérer son cul aux yeux du monde. Et ses chaussures... putain.
Il est indécent.
Et effroyablement beau.
— J'aime beaucoup, dis-je simplement, sans reconnaître ma propre voix.
J'ai la bouche sèche, j'ai dû oublier de boire suffisamment aujourd'hui.
Son sourire s'agrandit, si c'est encore possible. Le gloss sur ses lèvres brille. Mon cœur fait un looping que j'essaie d'ignorer, mon ventre se serre et ma raison me chante quelque chose que je ne comprends pas vraiment.
— On y va ? demande-t-il.
Sa main se lève, puis recule, et je ressens de plein fouet sa retenue. Juste pour moi.
Bordel.
Adieu le ciné. S'il y a bien un endroit où je dois être ce soir, c'est sur une putain de piste de danse. Contre lui.
— O... ouais.
Je veux renaître.
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