REGENTE *** II ***

PALAIS D'ULTYA – SALLE DU TRÔNE

Lilas inspira profondément avant de pousser la lourde porte de la grande salle. Elle était suivie de près par son oncle et sa tante, toujours dissimulés sous leurs capes de fortune. Dès que la Régente aperçut sa cousine, un éclair de surprise traversa son regard, puis elle se leva d'un bond, les bras grands ouverts pour l'enlacer.

Dans l'étreinte, Saranthia resta figée un instant, semblant encore incapable de saisir ce qui se passait. Elle se recula légèrement, scrutant le visage de Lilas, une étincelle de confusion dans les yeux.

— Que fais-tu ici ? Je vous croyais partis pour Kapu !

Lilas prit un moment pour répondre, son regard fuyant légèrement celui de la Régente. Elle se dégagea de l'étreinte en prenant doucement les mains de Saranthia dans les siennes.

— Ce serait trop long à expliquer... Nous n'avions pas le choix. Nous devions revenir sur Zoldello.

Saranthia, toujours sur ses gardes, la fixa avec insistance. Elle connaissait sa cousine par cœur, et quelque chose dans son attitude la mettait mal à l'aise. Ses yeux glissèrent lentement vers les deux inconnues, restées dans l'ombre près de la porte. La pénombre rendait la situation d'autant plus difficile à lire. La nuit était profonde, et les lumières vacillantes de la salle du trône, soigneusement tamisées pour ne pas attirer l'attention, créaient une atmosphère oppressante, presque fantomatique. Une pointe d'inquiétude se fit entendre dans sa voix lorsqu'elle reprit la parole.

— Lilas... Qu'est-ce qui se passe ici ?

La princesse hésita, la bouche entrouverte, ne sachant pas comment trouver les mots pour l'annoncer. Elle serra les mains de Saranthia un peu plus fort, comme pour la rassurer, et secoua doucement ses poignets pour recentrer l'attention sur elle.

— Sache que c'est totalement inattendu... Jamais... jamais je n'aurais cru que cela puisse être possible. Mais je suis là. Je vais rester ici, à tes côtés.

Lilas se tourna alors en direction des deux inconnues. D'une main, elle fit un léger geste vers eux, les incitant à se dévoiler. Le couple royal, tout en silence, avança finalement vers leur fille. C'était le moment.

Saranthia ne bougea pas d'un millimètre. Elle resta immobile, déstabilisée, ne sachant pas si elle devait se méfier ou, au contraire, accorder sa confiance à ces inconnus. Mais la simple présence de Lilas à ses côtés balaya rapidement toute menace. Sa cousine ne la mettrait jamais en danger, et cette certitude l'apaisa aussitôt, comme un baume sur une plaie ouverte.

Les pas du couple royal résonnèrent doucement, et, lorsqu'ils s'arrêtèrent enfin à quelques mètres de la Régente, ils se tendirent la main. Malgré l'apparente sécurité, Saranthia ne put s'empêcher de scruter la pièce du regard, espérant apercevoir Milo quelque part, prêt à la protéger. Mais il n'y avait personne. Seulement elle, Lilas, et ces deux silhouettes mystérieuses.

Soudain, le plus grand des deux retira sa cape, et Saranthia fit un pas en arrière, son souffle suspendu. Devant elle se tenait un homme, et elle reconnut immédiatement les traits vieillis mais familiers de son père. Hyldon. Il lui sourit d'un air qui semblait rempli de tendresse paternelle.

— Bonjour, ma petite perle.

Sa voix résonna comme un écho, un spectre du passé revenant la hanter, frappant Saranthia en plein cœur. Tyra fit un pas à son tour, retirant délicatement sa capuche, comme pour ne pas troubler l'instant. Son visage enfin découvert, elle resta figée devant sa propre fille. Une jeune femme couronnée, si différente de celle qu'elle avait connue, se tenait devant elle. La voir, non plus comme un enfant, mais comme une souveraine, la laissa sans voix.

Saranthia peina à respirer. Elle ne savait plus où elle se trouvait, ni ce qui se passait autour d'elle. Ses yeux fixèrent ces deux ombres qu'elle n'aurait jamais cru revoir. Ce mélange de déni et de réalisation la fit vaciller. Un tourbillon de sentiments contradictoires l'envahit alors. Son souffle se coupa, puis reprit, rapide et saccadé, comme si son cœur tentait de rattraper tous les battements manqués. Elle posa une main sur sa poitrine, cherchant désespérément à se calmer, mais en vain. Le choc était trop intense.

Voyant la panique sur son visage, Lilas réagit aussitôt, se précipitant à genoux pour soutenir sa cousine qui venait de s'effondrer. Les mains de Saranthia se refermèrent autour des siennes avec une telle force qu'elle peina presque à respirer elle-même. C'était comme si elle se raccrochait à la seule chose solide qui lui restait, une dernière branche avant la chute.

— Ce sont bien eux, Saranth. Nous les avons trouvés sur le chemin pour Kapu.

Les paroles de Lilas lui arrivèrent, mais elles semblèrent provenir d'un autre monde, comme un murmure lointain, une braise sous la cendre. Saranthia, les yeux noyés de larmes, ne put s'empêcher de crier.

— Mais je pensais qu'ils étaient morts ! hurla-t-elle entre deux sanglots, sa voix brisée.

— Je sais... Nous aussi, répondit Lilas, la voix chargée d'émotion.

Lilas lança un regard complice et plein de compassion à son oncle et sa tante, puis, sans un mot, leur fit signe de les rejoindre. Ils s'approchèrent d'elles sans hésiter, se mettant à genoux à leurs côtés. En un instant, ils les enveloppèrent dans une étreinte tendre et profonde, un amour qu'ils n'avaient pas pu leur offrir pendant toutes ces années où ils avaient été séparés.

Et dans les bras de ses parents, la Régente laissa éclater toute la douleur refoulée pendant des années de deuil. Une crise de larmes déchira le silence, son corps secoué par les sanglots. Enfin, après toutes ces années de doutes et de souffrances, elle se permit de pleurer, de relâcher toute la pression, le poids de la perte, et la joie intense de les retrouver.

PALAIS D'ULTYA – AILE EXTÉRIEURE

Ils étaient restés enfermés toute la nuit dans la salle du trône. Kybop n'avait pas vraiment dormi, mais le spectacle du lever de soleil était inégalé, et ses premiers rayons venaient caresser son visage. Elle adorait ce moment. Elle se laissait imprégner par la lumière, tout en imaginant ce qui avait dû se dire entre eux durant ces heures interminables. Cela avait dû être éprouvant... Pour eux trois. Tyra devait aussi expliquer à Saranthia qu'elle allait devoir les suivre sur Kapu. Mais pour cela, il fallait qu'elle récupère l'Œil. Et ça... C'était une autre histoire.

Elle était restée là, dans ce petit coin tranquille. Après avoir erré sans but dans le château pendant une partie de la nuit, elle s'était retrouvée sur cette aile qui donnait sur un paysage verdoyant en contrebas. L'air était frais et agréable, contrastant avec la chaleur des pierres contre lesquelles elle s'appuyait. Elles étaient comme des lézards ayant absorbé toute la chaleur du soleil, et cette chaleur l'enveloppait, la calmait. Elle se laissa glisser lentement le long du mur jusqu'à s'asseoir. L'air emplit ses poumons, mais l'étreinte de la pierre la fit fermer les yeux, presque comme si elle était en train de sombrer dans un état de somnolence enivrant. Une sorte de paix douce et tranquille, un instant suspendu avant le chaos à venir.

— Tu tombes dans les pommes ou quoi ?

Elle sursauta, un peu comme lorsqu'on se réveille en sursaut, pris de court par l'impression d'avoir raté une marche. C'était désagréable, un réveil brutal qui la fit presque perdre l'équilibre.

— Guitry ! C'est toi ?

Il apparut soudainement, se plantant devant elle avec un éclat de rire qui secouait tout son corps. Il s'installa à ses côtés, sans cérémonie.

— Je suis mort, ma belle, tu le sais. Et toi, tu sembles surtout manquer de sommeil.

Elle réalisa qu'il n'était qu'une apparition, un mirage de son esprit. Mais peu importe. Elle avait bien l'intention de profiter de sa présence.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Aucune idée. C'est ton cerveau qui m'invoque. À croire que tu penses à moi, lui dit-il avec un clin d'œil charmeur.

Elle lui donna un petit coup de coude, riant malgré elle.

— Oh, tu crois que l'idée de te voir me réconforte ?

— Exactement ! Alors, dis-moi, à quoi tu penses, toi ?

Le ton de sa voix s'assombrit, pour laisser place à un air plus grave et sérieux. Elle laissa tomber l'arrière de sa tête contre le mur en expirant lourdement.

— Je pense que c'est beaucoup, tout ça... Je suis fatiguée. Si seulement tu étais encore là...

Une larme s'échappa, traversant sa joue jusqu'à la commissure de ses lèvres. Voir son sourire, l'entendre encore, ça la ramenait à ce moment où elle l'avait vu s'effondrer dans la neige. Et pire encore, à l'instant où elle l'avait laissé là, comme un simple morceau de papier que l'on oublie, emporté par le vent. Elle revoyait son corps inerte dans la neige. Le poids de sa culpabilité était lourd, impossible à ignorer.

— Je suis tellement désolée... J'aurais voulu pouvoir te protéger.

— Arrête un peu avec ton complexe du super-héros !

Tout en reniflant, elle releva la tête, son cœur serré à l'idée qu'il disparaisse à nouveau. Elle avait oublié à quel point sa présence était légère, comme si une simple phrase pouvait balayer toutes ses inquiétudes.

— Je n'ai jamais attendu de toi que tu me sauves. D'ailleurs, personne n'attend ça de toi.

Elle n'eut pas la force de répondre. Son esprit préféra s'égarer, laisser les mots de son frère de cœur résonner sans qu'elle cherche à en discuter.

— Peut-être qu'au fond, c'est toi qui dois être sauvé, Kyb. Et sans vouloir me prononcer, j'ai l'impression que t'as une sacrée bande d'idiots qui tiennent à toi, juste sous le coude. Profites-en. Ouvre-toi. Laisse-les briser cette carapace que t'as passée des années à construire dans les mines. Ce temps-là est révolu. T'es plus l'enfant coincé sur ce caillou sans vie. T'as une mission, des objectifs. T'es libre de tes choix. Lâche prise avec tes démons. Fais-leur confiance... Tu te souviens de ce que je te disais sur ma mère, là-bas dans la mine ?

— Oui. Tu aimais penser à elle en fermant les yeux.

— Exact ! Je vois que le bon vieux Guitry laisse toujours une trace.

— Jamais, taquina-t-elle.

— J'ai toujours été convaincu que le monde était plus beau les yeux fermés. Parce qu'on peut y voir ce qui s'efface, ce qu'on oublie avec le temps. Tout peut revenir, même si la vision est floue, partielle, parfois inexacte. Mais on peut ressentir. Quand je repense à sa voix, à son rire, à son odeur... Quand mes paupières se ferment, je l'entends, je la sens à nouveau. Et ça m'apaise. Rouvrir les yeux après ça, c'est comme un déchirement. Mais tu devrais essayer de temps en temps...

— J'y penserai.

Guitry posa une main sur sa cuisse, un sourire plein de tendresse sur les lèvres.

— Fais-le maintenant.

Elle reposa l'arrière de sa tête contre le mur, laissant la chaleur des rayons du soleil s'abattre sur son visage. Une légère brise s'engouffra dans ce couloir ouvert sur l'extérieur, tourbillonnant autour des imposants piliers. En fermant les paupières, elle se sentit s'abandonner, comme transportée dans un songe lointain. Le poids de la main de Guitry sur sa cuisse s'évanouit. Elle ne vit rien, ne pensa à rien. Étrangement, rien ne vint. Le vide. Le néant absolu.

Pourquoi est-ce que cela l'apaisait ? Elle devrait plutôt être envahie par une angoisse incontrôlable. Est-ce ça, la vision censée bercer ses souvenirs ?

Puis, de l'obscurité, une lumière jaillit. Faible, mais présente. Elle s'approcha, et une voix l'accompagna. Cette voix lui donna des frissons, elle lui fit du bien. Peu à peu, elle devint plus claire.

— Est-ce que tu m'entends ? Tout va bien ?

Elle revint soudainement à elle. Une main était posée sur son visage. Quelqu'un la surplombait, les traits marqués par l'inquiétude.

— Kyb ? Est-ce que ça va ? Réponds-moi !

Elle tenta de reprendre ses esprits, mais tout s'emmêla. Elle tourna frénétiquement la tête vers sa gauche.

— Guitry ?

Il n'était plus là. Lilas regarda aussi l'endroit que Kybop venait d'observer, avec un léger frémissement.

— Kyb ? Tu t'es endormi, je crois que tu rêvais.

Au fond d'elle, elle le savait bien. Mais tout semblait si réel... Elle posa sa main là où il était assis quelques minutes plus tôt, dans l'espoir d'y sentir une chaleur ou un résidu de sa présence, mais rien... Lilas finit d'enrouler ses mains autour de son visage avec douceur, avant de se mettre à genoux juste devant elle.

— Tu n'as pas dormi de la nuit, je me trompe ?

— Non.

— Pourquoi ?

Par instinct, elle eut tendance à faire de l'humour pour écarter tout sujet délicat. Elle détestait paraître vulnérable. Mais ce foutu Guitry... Elle savait que ce n'était pas lui, mais une simple divagation de son esprit. Pourtant, c'était typiquement le genre de discours qu'il lui balancerait, avec son air crétin. Bon, allons-y.... se convainca-t-elle. Elle allait suivre le conseil que son propre cerveau lui avait donné, en utilisant l'image de son meilleur ami pour faire passer la pilule.

— Je... Je suis fatiguée. On attend des choses de moi. Mais je ne sais même pas quoi. Et franchement, personne ne sait.

Lilas lui releva doucement la tête pour poser son front contre le sien.

— Toi, moi, Fyguie, la Régente, et tous les autres... On a tous quelque chose à faire, mais on n'a pas d'attentes. Tu ne décevras personne. La seule chose qu'on veut, c'est régler ce foutoir et rentrer à la maison. Ensemble.

— Est-ce seulement possible ?

— On verra bien... Mais s'il te plaît, repose-toi. J'en ai marre de me faire du souci pour ta petite tête de linotte.

Elle laissa échapper un petit rire, malgré la lourdeur de sa fatigue. Enroulant ses bras autour de ses hanches, Kybop la rapprocha d'elle, comme si elle avait besoin de la sentir près d'elle pour ne pas se perdre. Elle se laissa aller dans son étreinte, cette chaleur douce, ce calme rassurant qui semblait la protéger de tout ce qui se déchirait encore en elle.

Le soleil réchauffait leurs épaules, mais c'était bien la présence de Lilas qui la réconfortait le plus. Son souffle contre sa peau, la douceur de son étreinte, lui évoquaient les conseils de son frère, désormais perdu à jamais. Elle ferma les yeux un instant, savourant ce moment avec une intensité plus profonde, et cet apaisement qui lui faisait tout oublier, même le poids de sa douleur. Puis, après quelques instants, Lilas se redressa. Elle lui sourit tendrement, et Kybop se sentit tellement reconnaissante de l'avoir à ses côtés.

— Va dormir. Je te rejoins dès qu'il y a du nouveau.

GOLTON II

Dans les profondeurs de sa planète, Fiora ne décolérait pas.

— Comment ont-ils osé ?

Drike, tendu, ne savait pas quoi dire. Chaque mot risquait de lui coûter cher.

— Venir jusqu'ici, piétiner ce lieu sacré, partir avec la relique ! Me menacer dans ma propre maison !

Sa colère grondait, et alors que la tension montait, Lozy et Tiger firent leur apparition.

— Que se passe-t-il ici ? demanda la jeune femme, l'air intrigué.

Fiora cessa sa tirade et la toisa d'un regard glacial.

— Vous tombez bien, tous les deux !

— On tombe toujours bien, ma belle, se moqua Tiger avec un sourire en coin.

— STOP ! Ne m'adresse pas la parole avec autant de légèreté ! Fiora gronda, son ton acéré.

Lozy et Tiger échangèrent un regard complice, amusés de la voir se fâcher.

— Drike va partir avec vous. Ramenez-moi ces crétins.

— Quels crétins ? Tiger haussait un sourcil, curieux.

— Peu importe. Prenez mon vaisseau, et foncez sur Zoldello.

Drike, pris au dépourvu, ne put s'empêcher de demander :

— Pourquoi Zoldello ?

— Réfléchis, espèce d'idiot ! Où crois-tu qu'ils vont aller ? Ils vont chercher cette Régente de pacotille.

— Et nous, on doit faire quoi ? interrogea Lozy, curieuse.

— Vous les tuez tous.

Lozy s'éclata de rire, s'en frottant les mains avec enthousiasme.

— Ok. J'adore le plan.

— SAUF... Fiora se pencha en avant, son regard dur. Les deux dernières d'Ultya : Lilas et Saranthia. Je les veux vivantes.

— Et la fille des Guidants ? Celle qu'on devait suivre ? enchaina Tiger.

Fiora dédaigna sa question d'un geste de la main.

— Elle n'a aucune importance. Je voulais simplement savoir ce qu'elle pouvait m'apporter. Elle aurait pu me communiquer des informations.

Lozy éclata de rire, moqueuse.

— C'est tout ? Vous lui avez couru après juste pour ça ?

Elle donna un coup dans le dos de Tiger, qui rit aussi.

— Merde... On a fait un carnage pour ça ? On pensait qu'il y avait un peu plus que ça derrière la petite rouquine.

— Non. Vous avez fait du chahut pour rien. Comme d'habitude.

Fiora, excédée, frappa le sol du pied.

— Trêve de bavardages ! Ramenez-moi les filles d'Ultya !

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