DYNASTIE IKER *** V ***

PIROS - CABINE DE KYBOP

À la suite de toutes ces révélations et du tumulte qui avait secoué leur équipage, le départ avait été inévitablement retardé. Zorth proposa un vote, une manière de les inclure pleinement dans la prise de décision, comme une entité à part entière. Cette initiative trouva un écho favorable auprès de beaucoup d'entre eux. En fin de compte, la décision fut prise à l'unanimité : ils avaient tous besoin de répit, même sur cette planète qui semblait, en apparence, si apaisée. Personne ne s'aventura à nouveau hors du Piros. Ils restèrent là, dans leur cocon métallique, à l'abri de tout, leurs esprits feignant de se reposer.

Kybop en profita pour être la plus inactive possible, s'enfouissant dans son matelas comme une enfant gâtée. C'était étrange, surtout après avoir levé le voile sur les zones d'ombre qui recouvraient son existence. La déception la frappait de ne pas voir en Fyguie une réaction qui réponde à la sienne. Elle était la colère là où il était le soulagement, le mépris là où il n'était que réjouissance, l'obscurité face à la lumière de l'espoir éclatant dans ses yeux, un espoir désormais gonflé d'une joie nouvelle.

Pour lui, le croisement du récit d'Alida et du sien ouvrait un champ des possibles, des vérités qu'il avait certainement cherchées toute sa vie. Mais pour elle, ses révélations assombrissaient ses perspectives, comme si un nouveau poids s'était installé sur ses épaules. Quand elle y pensait, elle avait cette sensation absurde que son ignorance n'était finalement pas si mal. L'éclat de tous ces semblants de vérités venait perturber les changements profonds qu'elle avait entrepris en elle depuis le début de cette aventure, les fragilisant. Et elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi. La carapace froide, méfiante et indestructible qu'elle avait tenté de se forger devenait de plus en plus disparate, comme un bonhomme de neige fondant au soleil.

La neige. Toujours cette neige...

La neige d'Eltanin, avec ses mines nauséabondes, le manteau blanc des Askyrs et le sang de Guitry dégoulinant sur ses mailles glacées, l'immaculée blancheur du village d'Erdo et ses révélations vertigineuses... Ces flocons, d'un blanc aveuglant, à la fois solides et fragiles, avaient toujours fait partie de sa vie. Comme un rappel glacial de la fragilité de son existence, capable d'effacer les traces d'une ville entière, mais disparaissant sous le moindre rayon de soleil, aussi éphémère qu'un rêve de givre.

Je suis la neige.

Froide, silencieuse, fragile et suffocante. Kybop étendait son voile d'hiver sur tout ce qu'elle touchait, tout ce qui s'approchait d'elle. Elle dissimulait la laideur d'un bâtiment délabré sous un élégant linceul, tout en étouffant un tapis de fleurs sous une prison glacée.

Comment se défaire de ce froid qui la mordait la peau depuis toujours ?

Alors qu'elle se perdait dans ses profonds désespoirs, son jumeau fit son entrée dans sa cabine, accompagné du fruit de tous ses questionnements : Alida.

Elle se redressa dans un soubresaut soudain qui déversa toute sa tension dans ses muscles meurtris par tant de relâchement. Une fois droite sur ses pieds, fermement ancrée dans le sol, elle serra les poings pour ne pas flancher, tentant d'offrir ce qu'elle pouvait faire de mieux : un regard fixe et une moue menaçante.

— Qu'est-ce que vous voulez ? grogna-t-elle, ses mots mourant dans sa gorge serrée.

Fyguie se fendit d'un rictus, devinant certainement quelle serait sa réaction en entrant ici en compagnie de la reine déchue.

Suis-je si prévisible ? pensa-t-elle.

— Calme-toi, lança-t-il prudemment, les mains en avant. On va juste parler. Concluons un pacte de "non-agression", ok ? Personne ne se coupe la parole, tout le monde s'écoute. Pas un mot plus haut que l'autre, seulement des échanges entre personnes civilisées.

Sa sœur lui répondit par une inspiration lasse et agacée, refermant ses bras autour de sa poitrine, tel un hérisson se recroquevillant sous la menace d'un danger imminent.

Sans réponse vocale de sa part, Fyguie conclut qu'il ne s'agissait pas d'un refus catégorique et invita Alida à s'installer sur une chaise pour libérer la parole.

Une fois assise, la souveraine d'Ebrédès croisa élégamment les jambes dans un geste lent et fluide.

— Je ne saurais pas par où commencer, entama-t-elle avec hésitation. Peut-être devrais-je d'abord vous en dire plus sur notre famille... votre famille. Celle dont je vous ai privée en vous confiant à Gano peu après votre naissance.

Sa voix s'éteignit faiblement sur les derniers mots, comme si le poids de sa confession lui volait son souffle.

— Vous êtes les descendants directs d'une grande lignée, une famille pure qui s'étend sur des siècles de règne, bien plus que la famille d'Ultya.

Elle marqua une pause avant de dévoiler, timidement, une broche argentée pendue à sa robe, portée sur le cœur.

— Notre blason est le blaireau, annonça-t-elle. Cet animal, emblème de notre lignée, a toujours été respecté par nos ancêtres et nous nous sommes toujours identifiés à lui. Le blaireau est connu pour sa ténacité et sa capacité à bâtir des œuvres durables.

Elle laissa glisser ses doigts sur le métal froid mais réconfortant du précieux bijou.

— Cet animal a souvent été sous-estimé, alors qu'il est une créature résiliente, méthodique et ingénieuse, reconnue pour ses talents de bâtisseur. C'est dans cet esprit que le château des Iker, véritable joyau de notre héritage, a été érigé.

Elle s'arrêta un instant, comme si elle pesait chaque mot, puis poursuivit d'une voix empreinte de fierté :

— Ce monument autrefois majestueux, dont chaque pierre semblait porter l'empreinte du temps, a été construit sur un siècle entier, génération après génération. Nos ancêtres en ont eux-mêmes supervisé sa construction, s'assurant que chaque détail reflétait leur vision d'une œuvre pérenne, à l'image des vastes terriers que le blaireau façonne avec patience et détermination.

Alida marqua une pause, ses paroles gorgées de respect pour ces ancêtres dont elle portait encore aujourd'hui le symbole. D'un geste lent, elle attrapa à nouveau la broche, caressant ses contours gravés avec une tendresse presque religieuse.

— Un blaireau niché dans une goutte de sang... Ce symbole est aussi un rappel poignant de nos origines et de nos sacrifices.

Elle leva les yeux pour capter leur attention, sa voix prenant une tonalité solennelle.

— Les "sangs rouges", comme nous nous nommons, non sans arrogance. Une lignée pure et inébranlable, forgée dans les épreuves et la lutte. Cette goutte de sang symbolise le prix à payer pour bâtir quelque chose d'immortel.

Malgré sa réticence, Kybop était happée par ce récit, sorti tout droit d'un livre d'histoire. L'un de ceux où l'on érige des noms en légende, où l'on enjolive la brutalité des guerres et travestit les ambitions de seigneurs avides en actes de grandeur. Le genre de livre qui lui faisait froncer les sourcils et détourner le regard avec mépris.

Quelque chose en elle refusait d'accepter cette famille comme la sienne. C'était un rejet viscéral, collé à ses entrailles comme un chewing-gum sur le bitume. Les couronnes, le pouvoir, toute forme de suprématie sous prétexte d'un nom ou d'une filiation... Et pourtant, c'était ce qu'elle portait en elle, cet héritage gravé dans son ADN auquel elle refusait d'appartenir.

Une lutte intérieure entravait le plaisir qu'elle pourrait ressentir à découvrir son histoire : la vraie et non celle qu'elle s'était fantasmée.

Elle avait toujours cru être issue d'une famille modeste. Des gens simples, vivant dans une campagne isolée, sur une planète où le vert s'étendait à perte de vue. Elle imaginait des parents aimants, mais désespérés. Des parents qui auraient dû l'abandonner pour lui offrir une vie meilleure, la vie qu'ils ne pouvaient eux-mêmes lui donner.

Mais il n'en était rien. La brutalité de la réalité fracassa de plein fouet ses rêves naïfs.

Elle venait d'une lignée privilégiée. Des nobles retranchés dans un château de pierre, vieux de plusieurs siècles. Ce bastion ancestral, joyau de leur héritage, transmis comme un trophée, de génération en génération.

Des murs qui suintaient l'arrogance d'un pouvoir autoproclamé. Des richesses accumulées, des dettes envers un avenir que l'on repeignait d'or pour masquer les ombres d'un règne construit sur la domination et l'oppression.

Elle s'y refusait. Elle s'en soustrayait.

— Et alors quoi ? Nous devrions nous réjouir de ces origines glorieuses ? tonna-t-elle.

Alida ne sembla pas s'offusquer de sa froideur. Pire encore, on dirait qu'elle s'en satisfaisait, comme si elle comprenait. Comme si elle savait que sa dureté n'était qu'une armure pour se protéger. Et pourtant, Kybop ne pouvait détourner les yeux de son visage, si semblable au sien. Une version précieuse, presque intacte, dépourvue des accrocs et cicatrices qui marquaient le sien. Seules quelques ridules, fines et discrètes, trahissaient son âge qu'elle portait avec l'élégance d'un bijou.

Son frère réagit à son attitude en lui rappelant le pacte qu'ils avaient tacitement conclu. Cela l'adoucit l'espace d'un instant, et ses bras se délirent lentement tandis qu'elle s'installait sur le rebord de son lit.

— Je ne vous demande rien, murmura Alida, son regard voilé de tristesse. Je suis déjà si reconnaissante d'avoir la chance de vous revoir. Votre père, mon bien-aimé Sandor, a tout fait pour nous protéger, jusqu'à sacrifier sa vie. Lorsque Waldo m'a annoncé sa mort cette nuit-là, je savais. J'ai compris que votre naissance était parvenue aux oreilles des Hématiens, mettant tout en péril : la prophétie de l'équilibre, la lignée, nos vies.

— Vous voulez dire que votre grossesse était secrète ? interrogea Fyguie.

— Non, bien sûr que non. Il était difficile pour une reine de cacher un ventre rond, sourit-elle, caressant son ventre comme un souvenir précieux. Mais personne ne savait que deux vies grandissaient en moi. C'était là mon plus grand secret.

— Pourquoi cela ? questionna Kybop, prise au jeu des révélations.

— Parce que cela faisait de vous la plus grande menace qu'ait connue la prophétie des Sang-rouges. Une seule naissance était déjà considérée comme un danger. Mais celle de jumeaux... c'était un cataclysme sans précédent. Une grossesse gémellaire est un miracle, rare même dans des circonstances ordinaires, et n'avait plus eu lieu depuis des siècles dans l'univers. Au sein d'une lignée pure, une telle naissance annonçait des accomplissements majeurs liés à la prophétie, que leur confrérie avait toujours cherché à embrasser. Selon les écrits, tout laissait à croire que ceux qui fermeraient le portail seraient... semblables. Identiques.

— Semblables ? reprit Fyguie, plissant légèrement les yeux.

— Les traductions divergent, confia Alida. Mais les termes étaient posés ainsi : "semblables, identiques, ressemblants, doubles..."

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