DYNASTIE IKER *** I ***

EBREDES - NON LOIN DU PIROS

Cela faisait une demi-journée qu'ils avaient atterri sur cette planète, et chacun, à sa manière, semblait vouloir profiter de cette escale.

Les enfants Ristocs et Fyguie flânaient encore dans le centre-ville de Kereskedo, attirés par l'effervescence de ses rues bondées et la bonne ambiance qui y régnait. Zorth, Slikof et Kylburt, eux, n'avaient toujours pas donné signe de vie depuis leur mystérieuse excursion.

Sylice, elle, était restée cloîtrée dans le laboratoire. Son obsession pour l'Œil de la princesse Tyra était devenue presque pathologique. On l'entendait parfois murmurer, comme si elle cherchait à dénouer un secret qu'elle seule pourrait comprendre. Chaque minute qu'elle consacrait à ce mystère l'éloignait un peu plus de la réalité et du reste de l'équipage.

Le capitaine Dogast, toujours pragmatique, avait profité de l'arrêt pour s'occuper du vaisseau. Avec Tamy à ses côtés, ils arpentaient les magasins de Kereskedo à la recherche de provisions et de pièces de rechange. Loin des préoccupations pesantes du reste de l'équipage, ils savouraient cette pause bienvenue.

Dogast, d'un naturel avenant, semblait parfaitement à l'aise dans cette ambiance animée. Il échangeait des plaisanteries avec les vendeurs, négociait habilement les prix et n'hésitait pas à raconter quelques anecdotes pour détendre l'atmosphère. À ses côtés, Tamy, une Adhara curieuse et émerveillée par la diversité de l'univers, observait tout avec un mélange de fascination et d'enthousiasme.

Les deux se complétaient parfaitement, formant un duo inattendu mais harmonieux. Là où Dogast maîtrisait l'art de la persuasion, Tamy attirait la sympathie par son innocence et sa spontanéité. Ils riaient, discutaient avec les commerçants et semblaient partager un moment de légèreté qui contrastait avec l'atmosphère tendue autour de cette escale inattendue.

Cette escapade n'était pas qu'une simple mission logistique : c'était une bouffée d'air frais, une opportunité de recharger leurs batteries avant de replonger dans les incertitudes du voyage.

Houda Monty, en revanche, semblait errer sans but. Les yeux plissés, encore sensibles à la lumière après tant de temps passé dans l'obscurité de sa cabine, elle s'était aventurée hors du Piros sans prévenir personne. Ses pas étaient lents, hésitants, comme si elle cherchait quelque chose sans savoir quoi. Chaque foulée l'éloignait un peu plus, jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse à l'horizon, avalée par les vastes étendus de cette planète inconnue.

Le jour où elle avait débarqué à bord du vaisseau, Houda était une jeune femme naïve et pétillante, dont l'énergie illuminait le reste de l'équipage. Aujourd'hui, elle s'était refermée sur elle-même, insaisissable et froide, son regard perdu trahissant un combat intérieur qu'elle refusait de partager.

Même Brizbi, autrefois capable de briser ses silences par une simple étreinte ou une remarque bien placée, semblait avoir perdu cette capacité. Leur lien nouveau, autrefois si fort, s'effritait sous le poids d'un mur invisible qu'elle avait dressé entre elle et le reste du monde.

La famille royale, nouvellement réunie mais toujours en proie à un chaos émotionnel, avait choisi de rester proche du vaisseau. Ils avançaient dans une promenade bucolique qui semblait presque forcée, leurs visages fermés trahissant un malaise latent. Le groupe était scindé en deux : Tyra et Hyldon d'un côté, Lilas et Saranthia de l'autre. Cette séparation physique ne faisait que refléter les tensions silencieuses qui les habitaient, à l'image du tapis de poussière qu'ils foulaient depuis ce matin.

Alors que Saranthia ne lâchait pas le bras de sa cousine, ses doigts légèrement crispés autour de son biceps, Lilas décida de briser le silence pesant.

— Aviez-vous déjà entendu parler de cette planète ? demanda-t-elle.

Son regard était tourné vers son oncle avec une curiosité sincère. Celui-ci plissa les yeux, comme s'il cherchait à faire remonter un souvenir enfoui.

— Oui... Je porte à mon poignet un bracelet fait de pierre de cette planète. Un bijoutier de Zoldello m'en avait fait la confidence. D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours porté, mais je n'ai pas de souvenir quant à sa provenance.

Saranthia tendit une oreille attentive, mais n'intervint pas. Son regard se perdit au loin, comme pour détourner son attention de la conversation et éviter de s'attarder sur ses parents.

— Mon promis aux noces est originaire d'ici, déclara Lilas. Sa famille appartenait à la dynastie Iker.

Hyldon fronça légèrement les sourcils, une lueur d'inquiétude traversant son regard.

— C'est étrange... Il ne semble plus y avoir de pouvoir en place ici. J'ai la sensation que cette famille a été décimée ou destituée.

— Oui, mais Andras faisait partie de mes prétendants aux noces, ce qui signifie qu'il est un Sang Rouge. Mon père n'aurait jamais enfreint les exigences de la confrérie : maintenir une lignée pure, soupira-t-elle, oscillant entre certitude et lassitude.

Tyra, debout à ses côtés, posa doucement une main sur l'avant-bras de sa nièce, son geste plein de tendresse et de réconfort.

— Tu as raison, Lilas. Mon frère n'aurait jamais proposé quelqu'un qui ne répondrait pas à ces critères. Il a dû faire toutes les vérifications nécessaires, confirma-t-elle.

Hyldon ralentit sa marche avant de faire un geste de la main, invitant les autres à s'installer sur un banc en bois qui longeait un magnifique lac arboré. Lilas se retrouva aux côtés de sa tante et de son oncle, tandis que Saranthia resta, elle, à une certaine distance. Alors que le silence n'était brisé que par le chant des oiseaux alentours, Saranthia prit la parole d'un ton sec, chargé de colère.

— Ce n'est pas un bon prétendant pour Lilas. Elle méritait mieux, lâcha-t-elle, croisant les bras avec une rage contenue. Vous et vos saletés de conventions royales... Je suis bien contente d'avoir quitté Zoldello et d'avoir découvert autre chose que les chaînes de la couronne.

Tyra lança un regard attristé à Hyldon, son cœur encore lourd du souvenir de leur confrontation sur le Piros. Elle n'osa répondre, consciente qu'elle n'obtiendrait pas le retour qu'elle espérait. L'âme de sa fille restait tourmentée, rongée par une colère insondable qui refusait de s'apaiser. En posant délicatement sa main sur celle de son époux, Tyra lui transmit silencieusement un geste de renoncement, lui laissant symboliquement la main.

— Le poids de la couronne n'est jamais facile à porter, Saranthia. Nous naissons tous quelque part, et l'endroit où notre vie commence, ainsi que les contraintes et responsabilités qui en découlent, façonnent notre destinée. Mais ce n'est pas une fatalité. Nous avons tous notre libre arbitre. On peut choisir d'embrasser un chemin tout tracé, ou décider d'en prendre un autre, plus incertain. Lors de notre disparition, tu t'es éloignée de ce que l'on croyait être ton destin, et aujourd'hui, je vois que cela t'a apporté une forme de paix. Si tel est ton choix, sache que nous l'acceptons aussi, crois-le, ajouta-t-il avec douceur, sa main se posant doucement sur son cœur. Mais Gotbryde, tout comme nous, était fait d'un autre bois. La couronne avait toujours été un guide dans nos vies, dans nos décisions, dans nos renoncements. Je reconnais que nous avons peut-être eu tort de vous imposer nos convictions, pensant naïvement qu'elles étaient évidentes. Les parents ont souvent tendance à voir leurs enfants comme une extension d'eux-mêmes, oubliant parfois leurs propres aspirations et désirs. Croire que l'on détient la vérité, et que l'on sait ce qu'il y a de mieux pour vous. Pour cela, je m'en excuse sincèrement. Je suis convaincu que ton ressentiment envers ce prétendant n'est pas sans fondement, termina-t-il dans un sourire amusé.

Saranthia fronça les sourcils, à la fois agacée d'entendre ces paroles, mais aussi satisfaite de voir que ses doutes étaient reconnus comme légitimes.

— En tout cas, elle ne m'a jamais vraiment expliqué ce qui la dérangeait chez ce cher Andras Iker, souligna Lilas, un petit sourire en coin.

— Je ne l'ai jamais senti. Tout chez lui me semble faux, dit Saranthia.

Hyldon se pencha légèrement en avant, posant ses coudes sur ses genoux, les yeux fixés sur sa fille, attendant une explication.

— Et pourquoi ressens-tu cela ?

Saranthia, d'abord grognon, poussa un long soupir, comme si elle se sentait obligée de répondre.

— Quand je l'ai rencontré, il s'intéressait bien plus au roi qu'à Lilas elle-même. Il cherchait clairement à obtenir son approbation.

— C'est normal, le roi était mon père, répliqua Lilas, agacée. Quel fou ne chercherait pas d'abord à séduire le roi avant de demander la main de sa fille ?

— Ce n'est pas ça, Lilas. C'était bien plus subtil. Il feignait de s'intéresser à tout, il était en représentation. Et puis, son histoire larmoyante sur son passé... Elle marqua une pause, hésitante. Avait-il vraiment besoin d'en parler pendant un toast, devant toute la cour ? Cela aurait dû rester une conversation privée. Au lieu de ça, il l'a exposée à tout le monde, comme s'il voulait imprimer quelque chose dans l'esprit de chacun. Je ne l'ai jamais trouvé convaincant.

— C'est vrai qu'il a été quelque peu théâtral lorsqu'il est arrivé, soupira Lilas. Mais il a toujours été respectueux et sympathique avec moi. Et vu le choix qui s'offrait à moi, c'était clairement la meilleure option.

— Merci la couronne... souffle Saranthia, son ton rempli d'amertume. Voilà ce que nos parents voulaient pour nous : passer le reste de nos vies entourées de personnes garantissant une lignée, plutôt que de chercher un bonheur partagé.

Tyra ne put s'empêcher de cacher une certaine colère. Son visage se crispa, et ses mains se serrèrent imperceptiblement sur le bord de son pull. Elle bouillonnait intérieurement, incapable de rester dans le silence plus longtemps.

— Je ne peux pas te laisser dire ça, Saranthia. Gotbryde et Calyssia, ou encore ton père et moi... Nous avons partagé une vie remplie d'amour.

— Tant mieux pour vous, rétorqua Saranthia en haussant les épaules.

D'un mouvement vif, elle se tourna vers eux, les épaules droites et le menton haut, affichant une posture de défi.

— Mais je ne suis pas vous, et Lilas n'est pas ses parents, déclara-t-elle d'une voix ferme. Vous ne convaincrez jamais personne avec vos souvenirs dégoulinant de bons sentiments. Ce temps-là est révolu.

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