BRIZBI VARANE *** I ***
PIROS - CABINE D'HOUDA
Elle n'osait pas s'approcher. Brizbi connaissait trop bien ce sentiment de vide, celui qui la laissait dévastée, seule, sans rien autour. Mais elle ne pouvait pas l'abandonner dans cet état. Houda était assise au bord du lit, les mains posées mécaniquement sur ses cuisses, le regard perdu dans le néant. Elle n'avait prononcé un mot depuis qu'elle avait vu ses parents dans la cuisine, mais ses lèvres demeuraient entrouvertes, comme si un flot de paroles était prêt à déferler sans aucun contrôle. Varane inspira profondément, puis vint s'asseoir à ses côtés.
— Je ne sais pas si tu m'entends... Ni même si tu as envie de m'écouter... Mais je t'assure que tu peux traverser tout ça.
Houda tourna lentement la tête vers elle, inexpressive.
— Non, se contenta-t-elle de lui répondre froidement.
Brizbi prit sa main dans les siennes et la reposa sur ses propres cuisses. Sa main était glacée, mais elle sentit un léger resserrement des doigts autour des siens, un appel à l'aide que Houda ne réalisait peut-être pas. Brizbi n'était pas certaine que Houda puisse vraiment l'écouter, mais elle décida de partager son histoire, même si ce ne serait peut-être qu'un bruit de fond voguant dans les eaux troubles qu'elle traversait. Elle espérait que ses mots trouveraient une attache, quelque part en elle.
— Laisse-moi te raconter quelque chose, confia Brizbi en fixant leurs mains entrelacées sur ses cuisses. J'ai grandi au bord de la mer, sur une planète appelée Zylcon. C'était un endroit tranquille, presque serein. La plupart des habitants venaient de familles simples, comme la mienne. Ma mère travaillait dans l'usine de poisson au bord de la baie, pendant que mon père cultivait des pommes de terre. Rien de spectaculaire, mais nous étions heureux. Il y avait moi, mes parents, ma grande sœur, mon petit frère... Et Saumon, notre chien.
ZYLCON - MAISON DES VARANES - ONZES ANS PLUS TÔT
« — Les enfants ? appela joyeusement maman depuis la cuisine.
— Oui, M'man ! On arrive ! répondit ma sœur, Calyss, du haut de l'escalier.
Elle les pressait pour qu'ils ne ratent pas le transport pour l'école. Et chaque fois, ils dévalaient les escaliers comme un troupeau d'éléphants, ce qui agaçait un peu Papa.
— Doucement, les enfants ! avertit notre père, les sourcils froncés.
— Désolé, P'pa, s'excusa Pizos en riant.
Papa ne se fâchait jamais vraiment. Il s'empressait de leur déposer un baiser sur le front avant de partir aux champs.
— Bon, j'y vais. À ce soir, mes amours, annonça-t-il en attrapant sa besace.
Papa était la douceur incarnée. L'équilibre, la bienveillance. Jamais un geste de violence, rien d'autre que de l'amour et du dévouement envers eux tous. Il était leur point d'ancrage.
— Est-ce qu'on mange sur la plage ce soir ? demandai-je en espérant une réponse positive.
Poppy, notre mère, jeta un coup d'œil à papa pour savoir s'il confirmait avant qu'il ne s'échappe de la maison.
— Oui, on mangera ensemble sur la plage, répondit-il avec un sourire.
C'était l'une de nos habitudes préférées, quand le temps était clément. Ils se retrouvaient sur la plage avec les autres familles du bord de mer, chacun ramenait ce qu'il avait, ou ce qu'il pouvait. Je me souvenais encore de ce jour-là, dans le bus. Avec Calyss et Pizos, on discutait de tout et de rien.
— Vous ne trouvez pas que Papa est bizarre en ce moment ? demanda Pizos en regardant par la fenêtre.
— Bizarre, comment ? interrogea Calyss, amusée.
— Je ne sais pas... La dernière fois, j'étais allé pêcher avec lui, et je l'ai senti tendu.
— C'est-à-dire ? creusai-je, intriguée.
— Il n'arrêtait pas de regarder autour de nous. Parfois, il m'attrapait par le bras pour me rapprocher de lui.
Ma sœur et moi échangèrent un regard, fronçant les sourcils.
— Maintenant que tu le dis, c'est vrai qu'il passe beaucoup de temps à regarder par la fenêtre, confirma Calyss, un sourcil en l'air.
— Oui ! Dans la cuisine, il fait pareil ! dit Brizbi en riant, tapant dans les mains de sa sœur.
Mais Pizos semblait plus inquiet que nous.
— Il ne vous a rien dit de particulier ?
— Non, p'tit frère, répondit Calyss, songeuse.
— Peut-être qu'on devrait en parler à Maman ce soir ? proposai-je.
On acquiesça tous les trois d'un hochement de tête. On savait bien que si quelqu'un pouvait avoir une idée de ce que traversait papa, ce serait Maman. Papa avait coutume de dire qu'ils étaient des âmes liées depuis plusieurs vies. Que leur destin était d'être ensemble depuis leur arrivée dans ce monde. C'était un romantique, il ne tarissait pas des loges sur l'amour, il en rajoutait des tonnes, ce qui ne manquait jamais d'amuser notre mère.
Notre fratrie avait toujours été soudée. Pizos, bien que plus jeune, avait toujours son mot à dire, et on l'écoutait. Nos parents n'avaient jamais fait de différence entre nous.
Ce soir-là, après une journée d'école ordinaire, le soleil commençait déjà à décliner lorsque nous étions rentrés à la maison.
— Allons directement à la plage ! cria joyeusement Pizos en bondissant d'enthousiasme.
L'odeur de la nourriture cuite au feu de bois flottait déjà dans l'air.
ZYLCON - PLAGE
Je dévalais les dunes avec mon frère et ma soeur, racontant les derniers ragots de la journée. Le feu, qu'on pouvait voir depuis notre maison, nous indiquait le chemin, comme un phare attirant les bateaux pour le ravitaillement. Une fois arrivés, notre père nous accueillit avec une accolade et un doux bisou sur le front. Pizos et Calyss rejoignirent aussitôt les enfants du quartier, mais moi, je restai auprès de lui.
— Alors, cette journée, ma puce ? demanda-t-il en faisant griller de la viande sur le feu.
— Ma journée ? Longue à mourir, je souffle en lorgnant un morceau de poisson avec appétit.
— Allez, tu as bien dû t'amuser un petit peu, non ?
Il m'attrapa par l'épaule et me fit basculer doucement de droite à gauche.
— Non, je te jure, P'pa. Trop longues, ces journées, répondis-je en le repoussant. Les gens de ma classe sont ennuyeux, pas drôles.
Il enfourna un morceau de poisson et enchaîna les questions, la bouche pleine.
— Et ch-ette fille, Ch-ilda ? articula-t-il difficilement, se brûlant la langue.
— Gilda ? repris-je en souriant, amusée par son manque de manières.
Il acquiesça en secouant la main pour apaiser la douleur.
— Je te l'ai déjà dit, elle n'est pas dans ma classe, P'pa.
Il me sourit bêtement avant de reprendre d'un ton plus sérieux.
— Et alors ? Tu ne la vois pas pendant la journée ?
— Si, mais bon... C'est juste pendant les pauses, murmuré-je en baissant les yeux sur le sable. Il n'y en a que deux, et pendant quinze minutes... Ce n'est vraiment rien.
— C'est déjà ça, tenta-t-il de positiver. Tu devrais lui dire.
Je haussai les sourcils, feignant l'ignorance.
— Lui dire quoi ?
— Que tu l'aimes bien... dit-il en souriant, son visage proche du mien.
Je lui donnai une tape sur le torse, riant malgré moi.
— P'pa ! Arrête ! T'es chiant !
— C'est important de partager ses sentiments, ma puce, poursuivit-il comme un vieux sage. Tu pourrais passer à côté de beaucoup de choses si tu continues d'être aussi secrète. Je ne sais pas de qui tu tiens ça !
J'avais les yeux au ciel, en jetant un regard en direction de Maman, et mon père se donna une petite tape sur le front.
— Mais bien sûr, où avais-je la tête !
On riait de bon cœur. Dans ces moments-là, je ressentais cette complicité avec mon père, une compréhension mutuelle, comme une évidence. Il était mon confident, mon meilleur ami, mon modèle. En tant que deuxième de la fratrie, je cherchais souvent ma place entre le benjamin et l'aînée, mais mes parents avaient toujours su être justes avec nous, en nous donnant les mêmes chances et le même amour, même si chacun avait des besoins différents.
— Et tes cours d'informatique ? demanda-t-il en souriant.
— Oui... Heureusement qu'il y a ça. Tu as raison, répondis-je en hochant la tête.
Il me fit un clin d'œil complice.
— Tu sais, si on économise assez cette année, on pourra peut-être te prendre un meilleur ordinateur.
— Pas besoin, protestai-je, levant la main. Il y a le matériel nécessaire au lycée, P'pa. Et puis, je te rappelle que je ne suis pas ton seul enfant, dis-je en jetant un regard vers Pizos et Calyss. Je ne veux pas que vous dépensiez tout votre argent dans ma passion.
— C'est ce que font les parents, répliqua-t-il avec un sourire réconfortant.
Je m'approchai et lui fis un câlin plein de reconnaissance.
— Je sais, P'pa. Mais je n'en ai pas besoin, ne t'inquiète pas, murmuré-je pour calmer ses inquiétudes.
Alors qu'on se détachait l'un de l'autre, mon esprit dériva vers cette récente conversation qu'on avait eue dans le bus, et une petite pointe de tristesse me serra le cœur. Je me demandais pourquoi il était aussi inquiet.
ZYLCON - MAISON DES VARANE
La soirée avait duré jusqu'à tard dans la nuit. Nous étions cinq ou six familles du bord de mer. L'ambiance avait été bon enfant et tout le monde s'était bien amusé. Sur le chemin du retour, la main de mon petit frère dans la mienne, nous remontions les dunes jusqu'à la maison. Lorsqu'on arriva devant le seuil, Saumon n'arrêtait pas d'aboyer. C'était vraiment inhabituel. Mon père tendit son bras à l'horizontale pour nous faire signe de ne pas avancer.
— Chéri, qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta Poppy en attrapant son époux par le bras.
Il se tourna vers nous, l'air désolé.
— J'ai... J'ai fait une bêtise, mes amours, confia Willis, le regard coupable.
Sans qu'il n'ait le temps de nous expliquer quoi que ce soit, une voix grave se fit entendre. Il était là, posé dans l'embrasure de notre porte d'entrée, Saumon lui aboyant dessus.
— Allons, allons, Willis. Une bêtise ? ironisa l'homme d'un air faussement amusé.
Ma mère recula d'un pas, se plaçant devant nous en protection.
— Si tu peux me rembourser, alors ce n'est pas une bêtise, Willis, ricana-t-il, un malin sourire sur son visage sombre.
— Je... Je suis désolé, Krest, je n'ai pas la somme que tu voulais. J'ai besoin d'un peu plus de temps, supplia Willis en joignant ses mains devant son visage.
— De quoi parle-t-il, Willis ? interrompit notre mère.
Mon père était affolé et le chien continuait d'aboyer, la situation était confuse.
— Je vais vous expliquer, Mme Varane, prit-il le temps d'indiquer avant de faire un pas vers nous. Votre mari, ici présent, m'a emprunté un peu d'argent. Et malheureusement, il n'a pas l'air en mesure de me le rendre. Sauf que nous avions un deal, Willis. Et je n'aime pas quand mes créanciers ne respectent pas leur deal, répéta-t-il sur un ton menaçant.
— Vous avez augmenté les intérêts de 15 % sans prévenir. Comment suis-je censé faire ? se défendit mon père, complètement démuni.
— Oui. Parce que vous ne me rendez pas mon argent dans les temps. Il est normal que je réclame une compensation, articula-t-il comme un serpent prêt à nous broyer les os.
Toute la famille était terrorisée. Personne ne savait quoi faire.
— P'pa ? murmura Calyss en le tirant innocemment par le bout de sa manche, à la recherche de réponses.
— On va trouver une solution, Krest. Je suis certain que l'on peut s'arranger, rassura notre père en fuyant notre regard.
Saumon n'avait pas cessé une seconde de lui aboyer dessus, ce qui semblait lui taper sur les nerfs.
— DITES À VOTRE PUTAIN DE CLÉBARD DE LA FERMER ! hurla Krest hors de lui.
Malgré deux ou trois appels, Saumon continua d'aboyer. C'est alors qu'un coup de feu nous fit tous sursauter.
— SAUMON !!! gémit Pizos, anéanti.
Notre chien venait de pousser un petit cri et de tomber au sol, raide mort. Mon petit frère engagea une course dans sa direction, inconsolable, quand ma mère le rattrapa pour qu'il n'approche pas de ce Krest.
— Il n'y a pas d'arrangement possible, Willis. Je veux mon argent.
Mon père était haletant, le regard posé sur notre chien baignant dans une flaque de sang. Il se tourna vers nous, Pizos était en larmes, retenu par les bras de ma mère pour éviter qu'il se jette sur Saumon. Calyss et moi nous tenions la main, encore choqués par cette scène irréelle.
— Krest... Je vous en conjure, laissez ma famille en dehors de ça. Ils n'étaient même pas au courant.
L'homme semblait considérer ce qu'il venait de dire, sous les pleurs de mon petit frère encore sous le choc, il était en pleine réflexion.
— Voilà ce que l'on va faire, finit-il par lâcher. Tu me donnes une de tes filles, et on est quittes.
Mon père bondit et changea subitement d'expression.
— Pardon ? grogna-t-il, le regard noir.
— La plus vieille de préférence, insista-t-il vicieusement.
Calyss fut parcourue d'un frisson et se camoufla derrière ma mère, sa main toujours dans la mienne.
— Vous ne toucherez pas un seul cheveu de mes filles, vous m'entendez ?! hurla notre père avec rage.
Mon père venait de faire un pas vers lui, un doigt dans sa direction pour le menacer.
— Du calme, mon grand. Rien de pervers, rassure-toi. J'aurais juste besoin de quelqu'un pour une mission. C'est l'histoire d'une petite semaine. Grand max.... dédramatisait-il sur un ton presque amusé. Rien de bien méchant. Aucun mal ne lui sera fait.
Je connaissais Calyss et je savais qu'elle n'avait pas les épaules. C'était une fille gentille, douce comme un chaton. Alors que moi... J'avais toujours été une dur à cuire. C'était le moment ou jamais d'intervenir. Je me dégageai subitement de la protection de ma mère pour faire un pas dans la direction de notre assaillant.
— Moi, je suis volontaire.
— BRIZBI ! m'invectiva mon père, complètement paniqué.
Il me fusilla du regard, comme si je ne me rendais pas compte de la situation. Comme si je ne réalisais pas.
— Eh bien... Je vois qu'il y a au moins une personne ici décidée à régler vos soucis, Willis, s'amusa Krest en pointant mon père du bout de son canon.
— Non ! Elle n'ira à nulle part, rétorqua mon père, rouge de rage.
Krest était clairement exaspéré par la situation et finit par mettre ma mère en joue.
— Soit elle vient, soit je tire dans le tas, annonça-t-il sur un ton complètement détaché.
— NON ! Non, ne faites pas ça ! supplia notre père en se mettant en travers de la trajectoire de son arme.
— JE VIENS AVEC VOUS ! Ne tirez pas, je vous en supplie, ajoutai-je espérant faire redescendre la tension.
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