A L'OUEST DE ZOLDELLO *** II ***

ZOLDELLO - VILLAGE DU PALAIS

Kybop et Lilas parcouraient incognito, comme deux fugitives, le village se trouvant en bas du palais. La lune s'était levée, la nuit était belle et le village bien animé. L'occasion parfaite pour essayer d'obtenir des informations. Quelqu'un avait sûrement vu quelque chose.

— Rappelez-moi pourquoi elle avait accepté d'enfiler ce truc...

Elle réprima un rire moqueur.

— Ce n'était pas un truc. C'était une tenue très respectée sur Zoldello. Ce sont les uniformes des Bienveillantes. Des femmes qui prenaient soin des plus démunis.

— Super... C'était tout elle ça... Et Lilas alors ?

— Un habit traditionnel, s'empressa-t-elle de répondre sans plus de détails.

— Traditionnel de quoi ?

Lilas arborait une tenue simple mais élégante, conçue pour passer inaperçue dans le village tout en gardant une certaine sophistication. Elle portait une robe fluide en lin crème, aux manches amples, bordée de motifs dorés discrets. Autour de sa taille, une ceinture en cuir souple maintenait la tenue tout en offrant une liberté de mouvement. Son visage était partiellement dissimulé sous un masque doré, du type de ceux que l'on portait pour un bal. Ce masque avait l'avantage de rendre ses traits difficiles à distinguer pour les villageois. Ses cheveux, relevés en un chignon bas, étaient dissimulés sous un léger voile transparent.

Lilas fit mine de ne pas l'avoir entendue et se dirigea vers un artisan. Ils discutèrent quelques minutes ; l'homme était très expansif, gesticulant comme s'il mettait en scène un événement marquant. Kybop distinguait mal son visage, ne sachant pas s'il était en colère ou simplement très expressif. Finalement, elle opéra un demi-tour et revint vers Kybop.

— Alors ?

— Il ne savait rien, ajouta-t-elle en faisant non de la tête.

— Mais qu'est-ce qu'il lui avait bien raconté ?

— Sa femme le trompait. Ne lui demandait pas pourquoi il lui avait raconté cela.

— Pourquoi est-ce qu'il lui avait raconté ça ?

Elle roula les yeux au ciel.

— Qu'est-ce qu'elle venait de lui dire ? s'agaca-t-elle en croisant les bras.

— Elle voulait savoir !

— Parce qu'il avait cru qu'elle venait lui faire une proposition.

— Quoi ? Quelle proposition ?

Elle tourna les talons avec dédain, les bras toujours croisés. Elle ne comptait pas lui répondre et continua ses interrogatoires. Sur la place du marché se trouvait un poissonnier qui s'activait à trier son poisson pêché à la tombée de la nuit. Kybop regarda Lilas s'en approcher prudemment quand l'homme lui saisit le bras. Son sang ne fit qu'un tour. Sans avoir le temps de réaliser son geste, elle se tenait face à lui, un couteau sur sa gorge.

— Kybop ! hurla Lilas, terrifiée.

— Tu vas répondre à quelques questions mon grand.

Le calme revint doucement, sans pour autant retirer sa lame de son goitre, elle demanda à l'homme s'il n'avait pas vu quelque chose d'inhabituel dernièrement. Il lui parla alors d'individus étranges qui avaient rôdé autour du palais ces derniers jours. Il les avait remarqués parce qu'ils portaient des capes noires sous un soleil de plomb. Trouvant cela suspect, il les avait gardés à l'œil. Finalement, ils les auraient vus repartir avec un agriculteur roux, du nom de Janthier.

Elle relâcha l'homme tout en maintenant la menace du regard. Celui-ci avait bien compris qu'elle n'était pas une Bienveillante de Zoldello. Il se remit au travail rapidement en remettant son col en place l'air renfrogné. Elle fit un pas en arrière, le cœur encore battant. Lilas, toujours choquée, se rapprocha.

— Vous ne devriez pas réagir comme ça ! Nous allons nous faire repérer ! dit-elle, une lueur d'inquiétude dans les yeux.

Kybop ne lui répondit pas. Plutôt que de réfléchir à sa remarque, elle scrutait la place à la recherche de quelqu'un d'autre. Son regard s'arrêta sur une marchande qui disposait des fruits frais sur sa table. Peut-être saurait-elle quelque chose. La marchande lui lança un regard tout sourire, puis dévisagea Lilas avec dégoût. Elle décida de l'aborder et lui posa poliment quelques questions. Elle y répondit sans pour autant fournir quoi que ce soit d'utile concernant le palais. À part une chose : lors de son voyage pour récupérer de la marchandise, dans l'ouest de Zoldello, elle avait fait une rencontre. Un agriculteur, transportant trois étranges personnes. Ses propos firent écho à ceux du poissonnier ; il s'agissait probablement de ce fameux Janthier.

Elles avaient fait le tour. Les renseignements récoltés n'étaient pas probants, mais les guidaient dans une direction et cela semblait être l'ouest. Avant de se mettre en route, Kybop ressentit le besoin de clarifier les choses avec Lilas. Dans une ruelle tranquille, elle lança la conversation.

— Pourquoi ces hommes ont eu ce comportement avec vous ? Et la marchande ? Pourquoi ne voulait-elle visiblement pas vous parler ?

La princesse lui lança un regard condescendant que Kybop n'apprécia guère.

— Ma tenue. Ce n'était peut-être pas le choix le plus pertinent.

Kybop fronça les yeux, perplexe.

— Depuis quand une tenue traditionnelle peut-elle provoquer ce genre de réaction ?

— C'était un vêtement de Jouvencelle.

— Et c'est quoi ça ?

— Des jeunes femmes qui rendent des services aux « Messieurs ».

Kybop n'en croyait pas ses oreilles ! Comment une princesse, censée se mouvoir discrètement, pouvait-elle choisir une telle tenue ? Quelle ironie : alors que Kybop faisait tout pour la protéger, elle se mettait elle-même en danger !

— Mais vous êtes sérieuse ?

— Désolée ! Nous sommes parties si rapidement ! Je n'ai pas = eu le temps d'élaborer un plan !

— Vous allez retirer ça tout de suite !

— Non ! Si quelqu'un voit mon visage, nous serons démasquées !

Un râle de colère s'échappa de ses lèvres mais elle avait raison, il était trop tard pour agir là-dessus.

— D'accord. Mais restez près de moi et ne parlez plus à aucun homme. C'est clair ?

Lilas haussa un sourcil, l'air satisfait, ce qui agaça d'autant plus Kybop.

— Seriez-vous jalouse ?

— Non, vous êtes une idiote ! lui lança Kybop.

Elle lui tourna finalement le dos en direction d'une calèche.

— Hey ! Vous n'avez pas le droit de me parler sur ce ton !

Elle la rattrapa tant bien que mal, continuant de jacasser.

— Montez. Et taisez-vous, je ne veux plus vous entendre.

Lilas lui lança un regard noir et attrapa sa robe pour grimper plus facilement. Elle finit par s'asseoir à ses côtés, l'air boudeur. Kybop ne savait pas pourquoi, mais elle avait la sensation que ce petit spectacle était orchestré de bout en bout. Lilas n'avait pas choisi cet accoutrement pour rien. Elle voulait provoquer une réaction de sa part et Kybop ne savait pas si elle aimait ça. Ce n'était pas le moment de tester ses nerfs.

Tout en repensant aux risques inutiles qu'elle venait de leur faire prendre, elles partirent en direction de l'ouest. L'air était lourd, presque oppressant, et le bruit de la calèche résonnait comme un écho sinistre dans la nuit. Au milieu de l'obscurité, des hululements lugubres perçaient le silence. Les ombres des arbres se dessinaient, leurs branches noueuses semblant se tendre vers elles, prêtes à les saisir.

Finalement, elles trouvèrent refuge dans une maisonnette abandonnée. Son bois était rongé par les insectes et elle semblait prête à rendre son dernier souffle. L'intérieur était plongé dans une obscurité profonde, le sol craquait sous leurs pieds, comme une mise en garde, une protestation face à leur intrusion. Une légère odeur de moisi flottait dans l'air, ajoutant à l'atmosphère lugubre de leur abri temporaire, comme si les murs eux-mêmes portaient le poids de vieux secrets.

OUEST DE ZOLDELLO - DANS LA MAISONNETTE

Il était temps de faire une pause et de manger un morceau. Elles étaient parties à la hâte, mais Kybop avait bien pensé à prendre de quoi survivre. Elle rejoignit Lilas pour lui transmettre les informations de manière très robotique.

— On mange, on boit, on se repose, puis on repart. Je vais me débarrasser de cette tenue ridicule. De toute façon, personne ne sait qui je suis.

Toujours froissée par leur altercation lors de leur départ du village, la princesse ne lui parla plus. Peu importe, Kybop n'avait pas le temps de s'attarder sur sa susceptibilité. Elle s'enfonça dans l'une des pièces pour se changer en toute intimité. En sortant, elle la vit devant la fenêtre, éclairée par la lueur de la lune, sa main tendue vers les rayons. Cela projetait le plan que contenait son Œil, celui qu'elles avaient vu sur les Askyrs, celui qu'elle avait aperçu juste après la mort de Guitry. Une fois derrière elle, Kybop prit sa main et la guida dans l'obscurité.

— Pourquoi faites-vous cela ? reprocha Lilas sèchement.

— Nous ne devons pas être repérées. Votre Œil est comme un phare au milieu de l'océan ; il ne faut pas guider les navires vers nous. Restons discrètes.

Elle acquiesça timidement avant de tomber dans les bras de Kybop, d'une étreinte ferme et douce à la fois. Lilas plaça ses mains sur ses omoplates pour mieux l'attirer vers elle.

— Je suis désolée. Je me suis comportée comme une enfant inconsciente.

La chaleur de son corps contre le sien fit perdre tous ses repères à Kybop. Elle eut du mal à lui répondre.

— D'accord... Mais ne refaites plus ça.

Elle rendit son étreinte et sentit le visage de Lilas se nicher dans son cou.

— Promis... susurra-t-elle.

Kybop s'éloigna doucement avant que Lilas ne remarque son cœur qui s'emballait comme un pur-sang au galop.

— Reprenons notre route. Nous ne devons pas rester ici, sinon nous ne les rattraperons jamais.

— D'accord. Le prochain village n'est qu'à deux ou trois kilomètres. Nous devrions y être rapidement.

— Bien. Allons-y.

GYSKON - AUBERGE DU VILLAGE

La princesse avait raison, elles arrivèrent au village en quelques dizaines de minutes. Tout semblait désert, une atmosphère de désolation régnait, à l'exception d'un bâtiment qui se dressait au milieu de la nuit : une auberge, ses fenêtres obscures comme des yeux vides.

— Je vais y entrer. Vous restez ici.

— Pourquoi ? Je ne suis plus habillée en jouvencelle ?

— Il est hors de question qu'une bande d'ivrognes vous voie débarquer. Même dans vos habits de villageoise, vous pourriez attirer l'attention.

Elle fronça les sourcils, désapprouvant sa décision, mais ne put rompre sa promesse.

— Très bien. Mais si vous ne revenez pas rapidement, je vous rejoins.

Kybop entra à l'intérieur et l'odeur âcre de l'alcool et de la sueur l'assailli. Les regards se tournèrent vers elle, des yeux fuyants et curieux, tentant d'analyser sa provenance et ses intentions. Le silence s'étira, pesant, avant que le murmure des conversations ne reprenne timidement. Kybop ne se démontra pas et se dirigea vers le bar, chaque pas résonnant comme un défi dans cette ambiance chargée de méfiance.

À peine installée, elle réalisa que cet endroit n'était pas des plus fréquentables. Les murs, jaunis et marqués de taches sombres, portaient les cicatrices d'anciennes rixes, tandis que les ombres dansaient sous la lumière vacillante des chandelles. Une silhouette près du comptoir se tourna vers elle, un sourire en coin trahissant une familiarité troublante.

— Je l'ai déjà vue quelque part, celle-là... annonça Fiora à ses acolytes, un sourire carnassier aux lèvres.

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