REINE REGENTE
*En cours de réécriture*
ESPACE AÉRIEN DE ZOLDELLO
Nous y sommes. Une étrange sensation m'envahit, comme si le sol se dérobait sous mes pieds. Je ne saurais dire pourquoi, mais j'appréhende la réaction de la Reine. Tout le monde s'attend à ce qu'elle saute de joie, qu'elle les enlace avec amour.
Après tout, n'importe qui ayant perdu un être cher rêverait de vivre un tel moment, n'est-ce pas ?
Pourtant, je reste convaincue qu'il n'y aura pas d'effusion, du moins pas tout de suite. Je m'attends à de l'incrédulité d'abord, peut-être une phase de déni, voire de colère. Tout risque de tourbillonner dans son esprit, comme une vague emportant tout sur son passage. Ce sera comme un deuil à l'envers : rien d'évident ni de naturel.
Dans cette attente, je me tiens sur le pont où Lilas vient de me rejoindre. Lorsqu'elle s'approche, je lui tends la main pour qu'elle puisse se glisser à mes côtés. Son épaule effleure la mienne, et elle pose doucement sa tête contre moi. Ensemble, nous contemplons la beauté de sa planète qui s'étend devant nous, majestueuse et silencieuse.
— J'ai peur... souffle-t-elle. Je n'ai aucune idée de la manière dont Saranth va prendre la nouvelle...
Lilas est en train de me confier ses doutes, sans aucun filtre. Elle a besoin d'être rassurée, c'est sans doute ce qu'elle attend de moi. Je vais faire de mon mieux pour lui transmettre un peu de positivité, même si ce n'est pas vraiment mon fort.
— Ta cousine n'a pas vraiment l'air d'être quelqu'un de fragile. Tout se passera bien.
— Je n'en suis pas vraiment certaine, répond Lilas, la voix hésitante. Elle gère beaucoup de choses avec brio... Mais là, nous parlons d'émotions.
Lilas a raison.
Qui suis-je pour parler en son nom ?
Pourtant, j'ai échangé quelques conversations avec Saranthia, et je connais une partie de son histoire. Elle m'a donné l'impression d'être quelqu'un de solide, forgé par des épreuves qui pourraient paraître insurmontables.
— Saranthia a dû affronter bien des émotions dans sa vie. Perdre ses parents... Je ne sais pas ce que cela représente, puisque je n'en ai jamais eu. Mais j'imagine que cela a dû être un combat immense pour ne pas sombrer.
— Oui... acquiesce Lilas. Et elle n'était qu'une enfant.
Je prends une inspiration avant de poursuivre.
— Je pense que les enfants sont bien plus résilients que les adultes. C'est peut-être pour cela qu'elle est si forte aujourd'hui.
— Que veux-tu dire ?
Lilas me regarde, intriguée.
— J'ai la sensation qu'une douleur vécue dans l'enfance nous façonne. Elle modèle l'adulte que nous devenons. Mais l'inverse... ça ne fonctionne pas. Quand on traverse une épreuve similaire à l'âge adulte, c'est comme un effondrement. La sensation du temps qui nous manque, l'énergie nécessaire, tout ce dont nous aurions besoin pour nous reconstruire. C'est comme si c'était trop tard, comme si tout était foutu. Alors on sombre dans la facilité... l'alcool, la violence, puis la dépression. Mais les enfants, eux... Ils ramassent les morceaux et utilisent ce qui s'est brisé pour bâtir la vie qui les attend.
Un silence suit mes paroles. Puis Lilas, toujours songeuse, reprend :
— Tu penses que parce que Saranth a survécu à la perte de ses parents, elle pourra accueillir cette nouvelle avec plus de facilité ?
Je secoue doucement la tête.
— Non, je ne dis pas que ce sera facile. Je dis qu'elle en a les capacités. Parce qu'elle a traversé cela quand elle était enfant. Et aujourd'hui, elle est plus forte. Plus forte qu'elle ne l'aurait jamais été si elle n'avait pas perdu ses fondations si jeune. Saranthia est solide. Ce qu'elle a perdu, elle l'a reconstruit elle-même. Alors, ne t'inquiète pas trop pour elle.
Lilas reste silencieuse, comme frappée par la conviction de mes mots.
— C'est vrai qu'elle a toujours fait ce qui lui chante, finit-elle par murmurer. Une fille pleine d'énergie, qui n'a jamais craint l'aventure. Elle ne s'est jamais cantonnée à rester sur Zoldello. Elle est partie çà et là, à travers l'univers. Loin du Royaume, insouciante.
Je souris en imaginant cette princesse rebelle voguant à travers l'univers. Cependant, Saranthia n'avait plus rien d'une voyageuse sur Sarga. Elle semblait y vivre de manière permanente. Et c'est tout naturellement que je me suis demandé ce qu'elle pouvait bien faire là-bas.
— Pourquoi Saranthia était-elle sur Sarga ?
Lilas hésite un instant.
— C'est... à cause de Slikof. Mais je ne suis pas censée être au courant...
— Comment ça ?
— Eh bien... Je pense qu'elle a fui Slikof.
Je reste sans voix. Bien sûr, j'imagine qu'il s'agit d'un amour interdit, mais j'ai tellement de mal à concevoir ce couple improbable que je préfère être certaine de ce à quoi Lilas fait allusion.
— Saranthia et Slikof ?!
Lilas ricane doucement, amusée par ma réaction.
— Oui. Je les ai surpris quand elle vivait encore sur Zoldello. Au détour d'un couloir, main dans la main, en pleine discussion.
— Ils vous ont vue ?
— Non. Mais leur complicité était flagrante. Leur regard... Ils étaient amoureux, cela ne faisait aucun doute.
Je peine à cacher mon étonnement.
— Donc, elle aurait fui ?
— Oui. Connaissant Saranth, elle n'a pas dû accepter qu'il soit plus fidèle à ses engagements qu'à son amour pour elle.
— Mmm... La Reine de Glace s'est isolée sur ce glaçon à cause d'une déception amoureuse ?
— En partie. Mais je pense aussi qu'elle aime sincèrement Sarga.
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu'elle peut bien trouver à cette planète froide et inhospitalière.
— C'est un désert de glace. Qu'aime-t-elle là-bas ?
— Ça semble inhabité, mais Sarga est une planète très festive. Il y a toute une métropole souterraine, très vivante. C'est là que Tyra et Hyldon se sont rencontrés.
— D'accord... Je comprends mieux maintenant. Merci de m'avoir mise dans la confidence.
— Avec plaisir, répond Lilas en relevant doucement sa tête de mon épaule.
Elle se positionne face à moi, et nos regards s'accrochent. L'intensité de ses yeux me trouble. Une envie irrépressible de l'embrasser m'envahit, mais je me retiens. Je sais trop bien que quelqu'un pourrait nous observer dans l'ombre, comme je l'avais moi-même fait autrefois avec Zorth et la princesse.
À l'époque, j'étais remplie de méfiance et d'a priori. Maintenant... maintenant, je meurs d'envie de lui offrir mes lèvres, et bien plus encore. La vie est étrange parfois.
Alors que nous restons suspendus dans ce moment, l'alarme du Piros déchire le silence. La voix de Zorth résonne dans les haut-parleurs, brisant la magie.
— Cher Équipage du Vaisseau. Nous arrivons sur Zoldello, je vous demanderais de bien vouloir vous préparer. Notre atterrissage est imminent.
ZOLDELLO - PALAIS D'ULTYA
Notre arrivée s'est déroulée en toute discrétion, non loin du palais, au cœur de la nuit. Pas de cérémonie, ni de fanfare. Slikof a tout orchestré pour que le retour de la princesse passe inaperçu, et surtout, pour que la présence du couple royal demeure secrète. Personne, à l'exception de notre équipage, n'en est au courant.
Aucun soldat ne nous attend. Aucun garde. Pas même un oiseau de nuit dans un recoin sombre du palais. Un calme lourd résonne dans nos poitrines, comme l'annonce d'une tragédie imminente. Comme si un malheur allait nous assaillir au prochain tournant. Ce silence étrange donne l'impression d'arriver dans un lieu où nous ne sommes pas les bienvenus, comme si nous faisions irruption là où personne ne nous attendait, à un moment inopportun.
Slikof mène la danse, et il le fait avec une aisance déconcertante. Il arpente les couloirs comme si Zoldello lui appartenait. Ses mouvements sont fluides, rapides, presque trop légers. On dirait qu'il flotte. Je me surprends à penser qu'il doit voir dans le noir. Il est impressionnant.
Lilas avance avec une assurance toute naturelle, connaissant ces couloirs comme sa poche. Kylburt se fond dans son ombre, la suivant de si près qu'il devient une extension d'elle-même, marchant à sa gauche, tandis que je prends place à sa droite, formant ainsi une garde rapprochée. Notre progression est rapide, mais calculée. Chaque pas est empreint de vigilance, et nous restons tous sur nos gardes. Derrière, le reste du groupe suit dans un silence presque solennel, escortant Hyldon et Tyra, dissimulés sous de lourdes capes sombres. Leur camouflage laisse à désirer, mais pour l'instant, les rares soldats que nous avons croisés n'y ont même pas prêté attention.
La scène me rappelle Fiora et ses deux crétins dans l'auberge, mais cette fois, c'est nous qui jouons les infiltrés. Nous atteignons enfin la porte de la Salle du Trône. Impossible de s'y tromper. Elle est sculptée dans un bois monumental, comme si elle était taillée d'une seule pièce dans un arbre gigantesque. Les motifs floraux qui la couvrent sont familiers : ils se répètent partout sur Zoldello, des vêtements aux maisons, en passant par les meubles et les bijoux.
Je m'arrête un instant pour l'observer. Tout ici semble conçu pour impressionner par la grandeur, mais à mes yeux, cet effet tombe à plat. Cette porte colossale, qui dissimule un trône où tant de souverains ont plié sous le poids de leur règne, ne m'évoque rien d'autre qu'une tentative un peu désespérée de préserver un passé révolu. Les éléments autrefois forgés pour ce palais n'ont plus rien à voir avec ce que Zoldello est devenu. Ils paraissent presque désuets, comme un écho lointain d'un âge d'or qui ne fait plus sens aujourd'hui.
Slikof s'arrête brusquement et se retourne, tirant ma réflexion à un terme abrupt. Il nous donne ses directives d'un ton tranchant, ramenant toute mon attention à l'instant présent.
— Bon. Milo est au courant de notre venue. Mais la Reine ne sait pas que nous sommes ici.
Kylburt fronce les sourcils, surpris.
— Quoi ? Elle ne sait même pas que le Piros est de retour ?
— C'était mieux ainsi, répond Slikof calmement. Moins elle en sait, plus elle est en sécurité. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'un conciliabule exceptionnel doit avoir lieu.
Slikof laisse tout le monde accueillir l'information avant de se tourner vers le couple princier, l'air plus incertain.
—Prince Hyldon, Princesse Tyra... Comment voulez-vous procéder ?
Le silence s'est insidieusement installé. Tyra, les mains tremblantes, semble incapable de prononcer le moindre mot. Son regard reste rivé sur la porte massive qui les sépare de leur fille, une barrière à la fois physique et symbolique. L'idée de retrouver Saranthia la bouleverse, et chaque seconde d'attente ne fait qu'alourdir le poids de son appréhension.
Hyldon, debout à ses côtés, tente maladroitement de la réconforter. Il glisse sa main dans la sienne, mais son geste est hésitant, presque fragile. Lui aussi est envahi par le doute, et cela transparaît dans toute son attitude. Tous deux semblent piégés, coincés entre deux émotions contraires : l'élan irrépressible de retrouver leur fille et de la serrer dans leurs bras, et la peur viscérale d'un rejet.
Tyra se tourne légèrement vers Hyldon, comme pour chercher un appui, mais ce qu'elle lit dans son regard n'est que le reflet de sa propre anxiété. Ce moment, qu'ils avaient peut-être idéalisé dans leurs espoirs les plus fous, s'avère terriblement incertain.
Alors qu'ils cherchent encore un semblant de réconfort l'un auprès de l'autre, la porte massive de la Salle du Trône s'entrouvre lentement. Milo, le nouveau garde de la Reine, se glisse discrètement à l'extérieur, ses mouvements empreints d'une vigilance presque furtive.
— Milo. La Reine est là ? demande Slikof, brisant la tension.
— Oui, elle est sur le trône. Elle vous attend...
D'un regard méfiant, Milo balaie le groupe. Son regard s'arrête aussitôt sur les deux silhouettes encapuchonnées qui détonnent dans l'équipe. Il plisse les yeux, soudain alerte.
— Qui sont-ils ? demande-t-il d'un ton sec, désignant les inconnus d'un mouvement brusque du menton.
Hyldon, toujours digne malgré sa nervosité, tend une main apaisante. D'un geste lent, il abaisse sa capuche, dévoilant son visage.
— Hyldon II du Sextant, dit-il calmement. Et voici Tyra d'Ultya. Enchanté de faire votre connaissance.
À ces mots, Tyra s'avance et relève à son tour sa capuche.
— Merci, Milo, dit-elle d'une voix douce. Merci d'avoir veillé sur notre fille.
Milo reste figé, sidéré, la main encore tendue dans celle du Prince. Son expression trahit une incrédulité profonde.
Slikof, conscient de la tension grandissante, intervient pour reprendre le contrôle de la situation. Il glisse une main subtile pour dégager celle de Milo et ramener l'attention sur lui.
— Donc, je disais : comment voulez-vous procéder ?
Milo referme lentement la bouche, ses yeux fixés sur Tyra avec une intensité troublante, il voit en elle une ressemblance frappante avec Saranthia.
C'est à cet instant que la réalisation nous frappe, presque physiquement : nous avons planifié ce retour sur Zoldello comme une mission stratégique, nous concentrant uniquement sur les aspects techniques et la sécurité. Le maître des oiseaux de nuit a pris soin de tout orchestrer avec minutie, s'assurant que nous entrions sans être repérés, que les risques soient minimisés. Mais personne, pas même lui, n'avait réellement pris la mesure du poids émotionnel que cette opération implique.
Nous sommes venus dans l'urgence, obnubilés par les dangers extérieurs, et avons négligé ce qui est peut-être le plus crucial : l'annonce à la reine. Comment doit-elle être faite ? Quelles paroles choisir pour apaiser, pour expliquer, pour rouvrir des plaies que le temps avait peut-être scellées depuis des années ? Aucun plan n'avait été établi pour ces instants, à la fois si intimes et si décisifs. Et maintenant, alors que nous sommes à quelques pas de cette confrontation, le vide de cette préparation nous submerge. Devant ce qui ressemble à une impasse, je décide de prendre la parole et de presser les choses.
— Désolée d'intervenir, Slikof, mais nous devons agir vite pour ne pas attirer trop l'attention, dis-je en brisant le silence.
Slikof acquiesce brièvement, sans se départir de son calme.
— Mlle Flokart a raison, approuve-t-il. Nous ne devons pas rester plantés là, dans le couloir.
Je lance un regard appuyé à Hyldon et Tyra, cherchant à les inciter à prendre une décision.
— Vous devriez entrer dans la salle avec Lilas, proposé-je. Vous êtes de la même famille, et c'est ensemble que vous devez affronter ce moment. De plus, la Reine fait pleinement confiance à la Princesse.
Personne n'émet d'objection, ma proposition semble convenir à tous. À l'exception de Binny, qui laisse échapper un léger soupir de reproche, sans doute frustré de ne pas pouvoir être aux premières loges pour capter tous les détails croustillants de ce moment clé.
— Le reste du groupe n'entre pas ? intervient Binny, les sourcils froncés.
— Non, tranché-je. C'est une affaire de famille. Nous n'avons pas à nous en mêler. C'est un moment délicat, et la Reine aura besoin de digérer tout ça en toute intimité.
Slikof hoche la tête, partageant mon point de vue.
— Je suis d'accord, dit-il. Mieux vaut ne pas compliquer la situation. Nous devrions en profiter pour nous éclipser et nous reposer un peu.
Mon frère se place à mes côtés pour appuyer ma proposition.
— Elle a raison. Restons à l'écart. Ils n'ont pas besoin de nous pour cette étape.
D'un commun accord, nous nous éclipsons sous les regards anxieux des parents de Saranthia. Avant de partir, je pose une main rassurante sur le bras de Lilas, accompagnée d'un sourire encourageant. Je n'ai aucun doute qu'elle saura quoi faire.
PALAIS D'ULTYA – SALLE DU TRONE
Lilas inspire profondément avant de pousser la lourde porte de la grande salle. Elle est suivie de près par son oncle et sa tante, toujours dissimulés sous leurs capes de fortune. Dès que la Reine aperçoit sa cousine, un éclair de surprise traverse son regard, puis elle se lève d'un bond, les bras grands ouverts pour l'enlacer.
Dans l'étreinte, Saranthia reste figée un instant, semblant encore incapable de saisir ce qui se passe. Elle se recule légèrement, scrutant le visage de Lilas, une étincelle de confusion dans les yeux.
— Que fais-tu ici ? Je vous croyais partis pour Kapu !
Lilas prend un moment pour répondre, son regard fuyant légèrement celui de la Reine. Elle se dégage de l'étreinte en prenant doucement les mains de Saranthia dans les siennes.
— Ce serait trop long à expliquer... Nous n'avions pas le choix. Nous devions revenir sur Zoldello.
Saranthia, toujours sur ses gardes, la fixe avec insistance. Elle connaît sa cousine par cœur, et quelque chose dans son attitude la met mal à l'aise. Ses yeux se déplacent lentement vers les deux inconnues, restées non loin de la porte, puis elle reprend, une pointe d'inquiétude dans la voix.
— Lilas... Qu'est-ce qui se passe ici ?
La Princesse hésite, la bouche entrouverte, ne sachant pas comment trouver les mots pour l'annoncer. Elle serre les mains de Saranthia un peu plus fort, comme pour la rassurer, et secoue doucement ses poignets pour recentrer l'attention sur elle.
— Sache que c'est totalement inattendu... Jamais... jamais je n'aurais cru que cela puisse être possible. Mais je suis là. Je vais rester ici, à tes côtés.
Lilas se tourne alors en direction des deux inconnues. D'une main, elle fait un léger geste vers eux, les incitant à se dévoiler. Le couple royal, tout en silence, avance finalement vers la Reine. C'est le moment.
Saranthia ne bouge pas d'un millimètre. Elle reste immobile, déstabilisée, ne sachant pas si elle doit se méfier ou, au contraire, accorder sa confiance à ces inconnus. Mais la simple présence de Lilas à ses côtés balaye rapidement toute menace. Sa cousine ne la mettrait jamais en danger, et cette certitude l'apaise aussitôt, comme un baume sur une plaie ouverte.
Les pas du couple royal résonnent doucement, et, lorsqu'ils s'arrêtent enfin à quelques mètres de la Reine, ils se tendent la main. Malgré l'apparente sécurité, Saranthia ne peut s'empêcher de scruter la pièce du regard, espérant apercevoir Milo quelque part, prêt à la protéger. Mais il n'y a personne. Seulement elle, Lilas, et ces deux silhouettes mystérieuses.
Soudain, le plus grand des deux retire sa cape, et Saranthia fait un pas en arrière, son souffle suspendu. Devant elle se tient un homme, et elle reconnait immédiatement les traits familiers du Prince. Hyldon. Il lui sourit d'un air qui semble rempli de tendresse paternelle.
— Bonjour, ma petite perle.
Sa voix résonne comme un écho dans la salle du trône, un spectre du passé revenant la hanter, frappant Saranthia en plein cœur. Tyra fait un pas à son tour, retirant délicatement sa capuche, comme pour ne pas troubler l'instant. Son visage enfin découvert, elle reste figée devant sa propre fille. Une jeune femme couronnée, si différente de celle qu'elle avait connue, se tient devant elle. La voir, non plus comme un enfant, mais comme une souveraine, la laisse sans voix.
Saranthia peine à respirer. Elle ne sait plus où elle se trouve, ni ce qui se passe autour d'elle. Ses yeux fixent ces deux silhouettes qu'elle n'aurait jamais cru revoir. Ce mélange de déni et de réalisation la fait vaciller. Un tourbillon de sentiments contradictoires l'envahit alors. Son souffle se coupe, puis reprend, rapide et saccadé, comme si son cœur tentait de rattraper tous les battements manqués. Elle pose une main sur sa poitrine, cherchant désespérément à se calmer, mais en vain. Le choc est trop intense.
Voyant la panique sur son visage, Lilas réagit aussitôt, se précipitant à genoux pour soutenir sa cousine. Les mains de Saranthia se referment autour des siennes avec une telle force qu'elle peine presque à respirer elle-même. C'est comme si elle se raccrochait à la seule chose solide qui lui restait, une dernière branche avant la chute.
— Ce sont bien eux, Saranth. Nous les avons trouvés sur le chemin pour Kapu.
Les paroles de Lilas lui arrivent, mais elles semblent provenir d'un autre monde, comme un murmure lointain. Saranthia, les yeux noyés de larmes, ne peut s'empêcher de crier.
— Mais je pensais qu'ils étaient morts ! hurle-t-elle entre deux sanglots, sa voix brisée.
— Je sais... Nous aussi, répond Lilas, sa propre voix chargée d'émotion.
Lilas lance un regard complice et plein de compassion à son oncle et sa tante, puis, sans un mot, leur fait signe de les rejoindre. Ils s'approchent d'elles sans hésiter, se mettant à genoux à leurs côtés. En un instant, ils les enveloppent dans une étreinte tendre et profonde, un amour qu'ils n'ont pas pu leur offrir pendant toutes ces années où ils ont été séparés.
Et dans les bras de ses parents, la Reine laisse éclater toute la douleur refoulée pendant des années de captivité. Une crise de larmes déchire le silence, son corps secoué par les sanglots. Enfin, après toutes ces années de doutes et de souffrances, elle se permet de pleurer, de relâcher toute la pression, le poids de la perte, et la joie intense de les retrouver.
PALAIS D'ULTYA – AILE EXTÉRIEURE
Ils sont restés enfermés toute la nuit dans la salle du trône. Moi, je n'ai pas vraiment dormi, mais le spectacle du lever de soleil est inégalé, et ses premiers rayons viennent caresser mon visage. J'adore ce moment. Je me laisse imprégner par la lumière, tout en imaginant ce qui a dû se dire entre eux durant ces heures interminables. Cela a dû être éprouvant... Pour eux trois. Tyra doit aussi expliquer à Saranthia qu'elle va devoir nous suivre sur Kapu. Mais pour cela, il va falloir qu'elle récupère l'Œil. Et ça... C'est une autre histoire.
Je reste là, dans ce petit coin tranquille. Après avoir erré sans but dans le château pendant une partie de la nuit, je me suis retrouvée sur cette aile qui donne sur un paysage verdoyant en contrebas. L'air est frais et agréable, contrastant avec la chaleur des pierres contre lesquelles je m'appuie. Elles sont comme des lézards ayant absorbé toute la chaleur du soleil, et cette chaleur m'enveloppe, me calme. Je me laisse glisser lentement le long du mur jusqu'à m'asseoir. L'air emplit mes poumons, mais l'étreinte de la pierre me fait fermer les yeux, presque comme si j'étais en train de sombrer dans un état de somnolence enivrant. Une sorte de paix douce et tranquille, un instant suspendu avant le chaos à venir.
— Tu tombes dans les pommes ou quoi ?
Je sursaute, un peu comme lorsqu'on se réveille en sursaut, pris de court par l'impression d'avoir raté une marche. C'est désagréable, un réveil brutal qui me fait presque perdre l'équilibre.
— Guitry ! C'est toi ?
Il apparaît soudainement, se plantant devant moi avec un éclat de rire qui secoue tout son corps. Il s'installe à mes côtés, sans cérémonie.
— Je suis mort, ma belle, tu le sais. Et toi, tu sembles surtout manquer de sommeil.
Je réalise qu'il n'est qu'une apparition, un mirage de mon esprit. Mais peu importe. J'ai bien l'intention de profiter de sa présence.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— Aucune idée. C'est ton cerveau qui m'invoque. À croire que tu penses à moi, me dit-il avec un clin d'œil charmeur.
Je lui donne un petit coup de coude, riant malgré moi.
— Oh, tu crois que l'idée de te voir me réconforte ?
— Exactement ! Alors, dis-moi, à quoi tu penses, toi ?
Le ton de ma voix s'assombrit, pour laisser place à un air plus grave et sérieux. Je laisse tomber l'arrière de ma tête contre le mur en expirant lourdement.
— Je pense que c'est beaucoup, tout ça... Je suis fatiguée. Si seulement tu étais encore là...
Une larme s'échappe, traversant ma joue jusqu'à la commissure de mes lèvres. Voir son sourire, l'entendre encore, ça me ramène à ce moment où je l'ai vu s'effondrer dans la neige. Et pire encore, à l'instant où je l'ai laissé là, comme un simple morceau de papier que l'on oublie, emporté par le vent. Je revois son corps inerte dans la neige. Le poids de ma culpabilité est lourd, impossible à ignorer.
— Je suis tellement désolée... J'aurais voulu pouvoir te protéger.
— Arrête un peu avec ton complexe du super-héros !
Tout en reniflant, je relève la tête, mon cœur serré à l'idée qu'il disparaisse à nouveau. J'avais oublié à quel point sa présence était légère, comme si une simple phrase pouvait apaiser toutes mes inquiétudes.
— Je n'ai jamais attendu de toi que tu me sauves. D'ailleurs, personne n'attend ça de toi.
Je n'ai pas la force de répondre. Mon esprit préfère s'égarer, laisser les mots de mon frère de cœur résonner sans que je cherche à en discuter.
— Peut-être qu'au fond, c'est toi qui dois être sauvé, Kyb. Et sans vouloir me prononcer, j'ai l'impression que t'as une sacrée bande d'idiots qui tiennent à toi, juste sous le coude. Profite-en. Ouvre-toi. Laisse-les briser cette carapace que t'as passée des années à construire dans les mines. Ce temps-là est révolu. T'es plus l'enfant coincé sur ce caillou sans vie. T'as une mission, des objectifs. T'es libre de tes choix. Lâche prise avec tes démons. Fais-leur confiance... Tu te souviens de ce que je te disais sur ma mère, là-bas dans la mine ?
— Oui. Tu aimais penser à elle en fermant les yeux.
— Exact ! Je vois que le bon vieux Guitry laisse toujours une trace.
— Jamais.
— J'ai toujours été convaincu que le monde était plus beau les yeux fermés. Parce qu'on peut y voir ce qui s'efface, ce qu'on oublie avec le temps. Tout peut revenir, même si la vision est floue, partielle, parfois inexacte. Mais on peut ressentir. Quand je repense à sa voix, à son rire, à son odeur... Quand mes paupières se ferment, je l'entends, je la sens à nouveau. Et ça m'apaise. Rouvrir les yeux après ça, c'est comme un déchirement. Mais tu devrais essayer de temps en temps...
— J'y penserai.
Guitry pose une main sur ma cuisse, un sourire plein de tendresse sur les lèvres.
— Fais-le maintenant.
Je repose l'arrière de ma tête contre le mur, laissant la chaleur des rayons du soleil s'abattre sur mon visage. Une légère brise s'engouffre dans ce couloir ouvert sur l'extérieur, tourbillonnant autour des imposants piliers. En fermant les paupières, je me sens m'abandonner, comme transportée dans un songe lointain. Le poids de la main de Guitry sur ma cuisse s'évanouit. Je ne vois rien, je ne pense à rien. Étrangement, rien ne vient. Le vide. Le néant absolu. Pourquoi est-ce que cela m'apaise ? Je devrais être envahie par une angoisse incontrôlable. Est-ce ça, la vision censée bercer mes souvenirs ?
Puis, de l'obscurité, une lumière jaillit. Faible, mais présente. Elle s'approche, et une voix l'accompagne. Cette voix me donne des frissons, elle me fait du bien. Peu à peu, elle devient plus claire.
— Est-ce que tu m'entends ? Tout va bien ?
Je reviens soudainement à moi. Une main est posée sur mon visage. Quelqu'un me surplombe, les traits marqués par l'inquiétude.
— Kyb ? Est-ce que ça va ? Réponds-moi !
Je tente de reprendre mes esprits, mais tout s'emmêle. Je tourne frénétiquement la tête vers ma gauche.
— Guitry ?
Il n'est plus là. Lilas regarde aussi l'endroit que je viens d'observer, avec un léger frémissement.
— Kyb ? Tu t'es endormi, je crois que tu rêvais.
Au fond de moi, je le sais bien. Mais tout semblait si réel... Je pose ma main là où il était assis quelques minutes plus tôt. Lilas finit d'enrouler ses mains autour de mon visage avec douceur, avant de se mettre à genoux juste devant moi.
— Tu n'as pas dormi de la nuit, je me trompe ?
— Non.
— Pourquoi ?
Par instinct, j'aurais tendance à faire de l'humour pour écarter tout sujet délicat. Je déteste paraître vulnérable. Mais ce foutu Guitry... Je sais que ce n'était pas lui, mais une simple divagation de mon esprit. Pourtant, c'était typiquement le genre de discours qu'il me balancerait, avec son air crétin. Bon, allons-y... Je vais suivre le conseil que mon propre cerveau m'a donné, en utilisant l'image de mon meilleur ami pour faire passer la pilule.
— Je... Je suis fatiguée. On attend des choses de moi. Mais je ne sais même pas quoi. Et franchement, personne ne sait.
Lilas me relève doucement la tête pour poser son front contre le mien.
— Toi, moi, Fyguie, la Reine, et tous les autres... On a tous quelque chose à faire, mais on n'a pas d'attentes. Tu ne décevras personne. La seule chose qu'on veut, c'est régler ce foutoir et rentrer à la maison. Ensemble.
— Est-ce seulement possible ?
— On verra bien... Mais s'il te plaît, repose-toi. J'en ai marre de me faire du souci pour ta petite tête de linotte.
Je laisse échapper un petit rire, malgré la lourdeur de ma fatigue. Enroulant mes bras autour de ses hanches, je la rapproche de moi, comme si j'avais besoin de la sentir près de moi pour ne pas me perdre. Je me laisse aller dans son étreinte, cette chaleur douce, ce calme rassurant qui semble me protéger de tout ce qui se déchire encore en moi.
Le soleil réchauffe nos épaules, mais c'est bien sa présence qui me réconforte le plus. Son souffle contre ma peau, la douceur de son étreinte, m'évoquent les conseils de mon frère, désormais perdu à jamais. Je ferme les yeux un instant, savourant ce moment avec une intensité plus profonde, et cet apaisement qui me fait tout oublier, même le poids de ma douleur. Puis, après quelques instants, elle se redresse, retrouvant son sérieux. Mais dans son regard, je vois qu'elle me comprend, qu'elle sait ce que je ressens sans que j'aie besoin de le dire. Elle me sourit tendrement, et je me sens tellement reconnaissante de l'avoir à mes côtés.
— Va dormir. Je te rejoins dès qu'il y a du nouveau.
On se relève, je la serre une dernière fois contre moi avant de partir, cherchant le premier lit ou canapé qui croise mon chemin.
GOLTONS II
Dans les profondeurs de sa planète, Fiora ne décolère pas.
— Comment ont-ils osé ?
Drike, tendu, ne sait pas quoi dire. Chaque mot risquerait de lui coûter cher.
— Venir jusqu'ici, piétiner ce lieu sacré, partir avec la relique ! Me menacer dans ma propre maison !
Sa colère gronde, et alors que la tension monte, Lozy et Tiger font leur apparition.
— Que se passe-t-il ici ? demande la jeune femme, l'air intrigué.
Fiora cesse sa tirade et la toise d'un regard glacial.
— Vous tombez bien, tous les deux !
— On tombe toujours bien, ma belle, se moque Tiger avec un sourire en coin.
— STOP ! Ne m'adresse pas la parole avec autant de légèreté ! Fiora gronde, son ton acéré.
Lozy et Tiger échangent un regard complice, amusés de la voir se fâcher.
— Drike va partir avec vous. Ramenez-moi ces crétins.
— Quels crétins ? Tiger hausse un sourcil, curieux.
— Peu importe. Prenez mon vaisseau, et foncez sur Zoldello.
Drike, pris au dépourvu, ne peut s'empêcher de demander :
— Pourquoi Zoldello ?
— Réfléchis, espèce d'idiot ! Où croient-ils pouvoir aller d'autre ? Ils vont chercher cette Reine de pacotille.
— Et nous, on doit faire quoi ?
— Vous les tuez tous.
Lozy s'éclate de rire, s'en frottant les mains avec enthousiasme.
— Ok. J'adore le plan.
— SAUF... Fiora se penche en avant, son regard dur. Les deux dernières d'Ultya : Lilas et Saranthia. Je les veux vivantes.
Lane roule des yeux, visiblement déçu par la tournure des événements.
— Et la fille des Guidants ? Celle qu'on devait suivre ?
Fiora dédaigne sa question d'un geste de la main.
— Elle n'a aucune importance. Je voulais simplement savoir ce qu'elle pouvait m'apporter. Elle aurait pu me donner des informations.
Lozy éclate de rire, moqueuse.
— C'est tout ? Vous lui avez couru après juste pour ça ?
Elle donne un coup dans le dos de Tiger, qui rit aussi.
— Merde... On a fait un carnage pour ça ? On pensait qu'il y avait un peu plus que ça derrière la petite rouquine.
— Non. Vous avez fait du chahut pour rien. Comme d'habitude.
Fiora, excédée, frappe le sol du pied.
— Trêve de bavardages ! Ramenez-moi les filles d'Ultya !
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