PIROS

DURIAN - FLOGGY'S

Avec Guitry, nous avançons lentement vers la table de Fyguie. Je décide d'y aller franchement, comme si tout était parfaitement normal.

— Salut.

Les deux femmes tournent la tête comme si je venais de leur cracher dessus. Leurs regards, acérés comme des lames, me fusillent sur place. Les deux autres restent figés, leurs yeux brillants d'une méfiance inquiète.

— Qui êtes-vous ? demande la femme aux cheveux de feu, la voix glacée.

Lofy et Milo, postés au fond du restaurant, nous observent. Leurs visages marquent l'hésitation.

— C'est qui ces deux-là ? murmure Milo.

Lofy hausse un sourcil, agacé.

— Inconnu au bataillon... lâche-t-elle avec un soupir sarcastique.

À la table de Fyguie, l'ambiance se tend encore. Je la sens dans l'air, cette hostilité presque palpable. C'est comme si chaque regard portait le poids d'une menace silencieuse.

— Et vous, vous êtes qui ? intervient Brizbi, sa voix dure et tranchante.

Je m'avance encore, posant mes mains sur la table dans un grincement exagéré.

— Mon identité ne vous regarde pas, dis-je avec un sourire provocateur.

La tension monte d'un cran. Manko Krane, les mâchoires serrées, échange un regard d'acier avec Varane.

— Vous feriez bien de surveiller votre ton, grogne Krane, une menace à peine voilée dans sa voix.

Elle me dévisage, ses pupilles dilatées, ses traits tendus comme ceux d'un prédateur jaugeant sa proie.

Varane éclate de rire, son ricanement sec brisant l'ambiance oppressante.

— Vous ne savez vraiment pas à qui vous avez affaire, hein ? murmure-t-elle en s'enfonçant dans sa chaise, un sourire cruel étirant ses lèvres.

Elle se redresse légèrement, l'air amusé.

— Oser parler à Manko Krane de cette façon ? Vous êtes inconscients, ou juste suicidaires ?

Varane éclate de rire, un ricanement sec, se repliant davantage dans sa chaise comme si elle assistait à un spectacle, un sourire cruel se dessinant sur ses lèvres.

— Écoutez-moi bien, vous n'êtes visiblement pas du coin, reprend Krane entre ses dents, mais personne ne me parle sur ce ton...

Elle appuie chaque mot avec un sourire carnassier, comme un avertissement pour que je fasse bien attention aux mots qui vont franchir mes lèvres. Mais c'est trop tard. Mon cœur s'emballe, le sang affluant dans mes tempes. L'adrénaline et le cortisol s'enflamment dans mes veines. Il n'est pas question que je baisse d'un ton. Pas maintenant.

— Je ne sais pas qui vous êtes, Manko Krane, et je m'en contrefous, répliqué-je, ma voix coupante. Ce que je sais, c'est que je suis ici pour parler à Fyguie. Vous pourriez être la Reine de la Galaxie, je n'en aurais toujours rien à foutre.

Cette Manko Krane n'en revient pas. L'audace dont je fais preuve la laisse sans voix. Brizbi, qui était restée assise jusqu'à présent, se redresse d'un bond, son regard devenu aussi tranchant qu'une lame. Krane, de son côté, prend une grande inspiration, ses yeux plissés tentant de contenir la colère qui menace de déborder.

Les deux policiers échangent un regard furtif, réalisant que les choses viennent de prendre une tournure bien plus sérieuse. Leurs mains se crispent autour de leurs ceintures, prêts à dégainer à tout moment.

— Merde... Ça dégénère, susurre Birland à son binôme.

Dans un fracas brutal, les chaises basculent. Les policiers se lèvent d'un bond, leurs gestes précipités projetant une onde de tension à travers la pièce.

Manko Krane réagit sans hésitation. Dans un mouvement fluide et précis, elle sort une arme de sa ceinture et la braque droit sur eux. Les deux policiers se figent, leurs mains suspendues dans un geste inachevé, mais l'hostilité dans l'air est palpable, prête à éclater.

L'espace entre nous est devenu un champ de mines, un fil invisible tendu au point de rupture.

C'est alors que Milo hurle, sa voix tranchant l'atmosphère comme une alarme incendie :

— TOUT LE MONDE À TERRE !

Certains obéissent instantanément, se jetant au sol, tandis que d'autres foncent vers les sorties de secours et l'entrée. La panique s'installe, créant une confusion totale.

Parfait ! C'est maintenant ou jamais !

Je saisis le bras de Fyguie, qui n'a pas le temps de réagir. Les détonations éclatent autour de nous, résonnant dans l'air. Leurs armes de guerre, bien trop puissantes pour une fusillade à bout portant, transpercent l'espace. Des éclats de tables et d'objets volent en tous sens, comme une pluie d'étoiles mortes. Les deux policiers, désorientés, peinent à riposter avec leurs petits calibres.

Dans un geste rapide et chevaleresque, Guitry saisit la jeune femme qui accompagnait notre cible initiale. L'urgence nous presse : nous fonçons vers la porte derrière le comptoir, l'enfonçant sans hésiter pour déboucher dans les cuisines.

— Restez baissé ! ordonne Guitry.

J'entends des hurlements et des explosions juste derrière nous. Il faut qu'on sorte rapidement et Slikof et Kylburt sont toujours à l'extérieur.

Alors que la bataille fait rage dans la pièce d'à côté, je réalise que nous n'avons rien pour nous défendre. La seule option qui nous reste est de passer par la porte de sortie à l'arrière du bâtiment. Je pousse la poignée, qui devient notre ticket de sortie vers la survie. Une fois dehors, nos deux anges gardiens sont prêts à nous accueillir.

— On ne vous a pas vue sortir par-devant, on s'est dit qu'il fallait voir les autres issues ! informe Slikof.

Entre le vacarme, la panique et les détonations, il est difficile de s'entendre.

— Vous avez une arme ? demandé-je dans l'urgence.

— Non, nous ne sommes pas armées ! On doit repartir au plus vite vers le Piros.

Slikof jette un coup d'œil pour s'assurer de la présence de Fyguie.

— Il est avec vous ?

— Oui ! Balance Guitry en levant le ton pour être certain d'être entendu.

Kylburt désigne Houda dans un mouvement du menton.

— Elle ? C'est qui ?

— Où que nous allions, elle vient avec nous ! lance Fyguie sur un ton protecteur, tout en l'attrapant par la main.

— Oui, elle vient, confirme Guitry.

Personne ne prend le temps de discuter, l'urgence est bien trop pressante. Nous nous lançons dans une course effrénée à travers cette ville agitée. Je ne suis même pas sûr que les deux femmes soient réellement à nos trousses, mais une chose est certaine : nous devons partir. Sans armement, nous ne sommes que des cibles sur pattes. Il n'est pas question de leur donner l'opportunité de nous rattraper.

Le souffle court, le Piros apparaît enfin au loin, son pont qui se déploie comme un refuge, une promesse d'évasion.

— GUITRY !

Il se tourne vers moi, son regard affichant une lueur d'espoir. C'est le signal. C'est notre chance de voler de nos propres ailes. Je dévie brusquement sur la droite, et il me suit, un peu trop rapidement. Un instant, tout semble se synchroniser, mais une étrange sensation me retient.

Est-ce la promesse que nous nous sommes faite à bord du Piros ?

Ou la peur de l'inconnu qui se profile au bout du chemin ?

Slikof repère immédiatement notre manœuvre et stoppe sa course. Son regard, incertain, se fait intense. Il hésite.

Doit-il nous suivre ou continuer sa course vers le vaisseau ?

Zorth, qui surveille depuis le pont, hurle notre nom dans un cri désespéré :

— NE PARTEZ PAS, KYBOP !

Je ferme les yeux, une douleur sourde me serre la poitrine. C'est plus qu'une simple hésitation. C'est un déchirement. Tout me pousse à partir, mais cette voix... Il est difficile de l'ignorer. Pourtant, l'instant suivant, nous reprenons notre course, fuyant vers la liberté, mais la réalité nous rattrape plus vite que prévu.

Deux silhouettes familières surgissent, menaçant de briser notre élan. Cheveux rouges se tient face à nous, accompagnée de la folle à la cicatrice en croix, prêtes à en découdre, armes à la main. Krane me vise, son fusil gigantesque braqué sur moi comme un jugement implacable. Mais alors qu'elle se prépare à tirer, une voix perçante éclate dans la rue :

— BARREZ-VOUS ! hurle Milo, son ton furieux déchirant l'air.

Les policiers arrivent en trombe, ouvrant le feu dans leur direction. C'est une course contre la montre, un chaos total.

Slikof, qui nous a finalement rattrapés, m'attrape violemment par le coude, me forçant à rebrousser chemin vers le Piros. L'élan de liberté qui m'animait quelques secondes plus tôt s'évapore dans la violence de la situation. Plus aucun choix ne s'offre à nous. Je me résigne, laissant mes jambes me porter vers le vaisseau, mon cœur lourd de ce renoncement.

À peine mon pied posé sur le pont, le vaisseau décolle, emportant avec lui tout espoir d'évasion.

PIROS - SALLE PRINCIPALE

À bord du Piros, l'ascension se fait dans un silence étrange, seulement brisé par les bruits métalliques du vaisseau qui prend de l'altitude. Le sol tremble légèrement sous nos pieds, et pendant un instant, j'ai l'impression que tout s'est figé autour de moi. Le vaisseau monte, emportant tout avec lui, mais moi, je reste là, à moitié perdue, entre la promesse de liberté et l'obligation de revenir en arrière.

Slikof m'attrape, m'oblige à changer de direction. Le choc est encore là, dans mes muscles tendus, dans cette brûlure intérieure qui me démange de regret. Partir, c'est l'option la plus simple, la plus claire. Pourtant, au moment où mes pieds retrouvent le sol du Piros, quelque chose en moi change, sans que je puisse l'expliquer. Une sensation contradictoire, comme si, au fond, j'avais retrouvé ma place, sans savoir exactement pourquoi.

Les portes de la salle principale s'ouvrent, et Zorth nous invite tous à entrer. Un silence nerveux s'installe dans la pièce. Deux nouvelles figures ont rejoint l'équipage. Tous ceux impliqués dans cette mission mystérieuse affichent un franc soulagement d'avoir retrouvé leur nid. Moi, je me sens prise dans un tourbillon, ce mélange de doute et de soulagement qui m'empêche de comprendre ce que je ressens.

Zorth, comme à son habitude, lève l'index pour capter l'attention de tous. Il va prendre la parole. Je n'ai pas envie de l'écouter, mais je le fais tout de même, car tout le reste semble flou. Mon esprit se raccroche à sa voix, comme un fil qui me relie à cette réalité que je n'ai pas choisie. Et mon regard se perd sur la silhouette de Fyguie, qui, je ne sais pourquoi, m'est étrangement familière.

— Bienvenue parmi nous, cher Fyguie et...

Zorth invite la jeune femme qui l'accompagne à s'introduire elle-même d'un geste de la main.

— Euh... Houda. Houda Monty.

— Houda Monty. Très bien.

Kidyne l'approche pour la rassurer d'un geste amical de la tête.

— Vous voici sur le Piros !

Les deux amis échangent un regard, leurs expressions marquées par la confusion.

— Désolé, Monsieur, mais on ne comprend pas du tout ce qu'il se passe, balbutie Fyguie, la voix teintée d'une gêne sincère.

— Bienvenue au club... taclé-je sèchement.

— Que tout le monde prenne place. L'équipage est enfin au complet. Même un peu plus nombreux qu'il n'était envisagé, sourit-il en regardant Houda puis Guitry.

L'habituelle procession en direction de l'immense table ronde se met en marche.

— Pitié, pas le même laïus que d'habitude où je le tue, grommelais-je dans ma barbe.

Une fois installés, Kydine se lance.

— Je suis Zorth Kidyne. Missionné par le roi Gotbryde pour la Mission Minden. Vous étiez le dernier élément manquant avant de commencer notre périple.

— Et... Pourquoi moi exactement ?

— Attendez Fyguie, attendez. Je vais y venir. Avant cela, il est important que je remette l'histoire dans l'ordre... Je vais vous parler d'une époque antédiluvienne. Avant les éclipses.

L'évocation de celle-ci provoque quelques frissons à une partie de l'équipage.

— Lorsque l'univers n'était qu'au début de sa colonisation. Lorsque les heures de la planète Terre n'étaient pas encore comptées.

Quelques sourcils se froncent.

— Encore généreuse et hospitalière, avant que l'exploitation irrémissible n'abîme la "belle bleue" à jamais. Dépouillée de ses ressources, meurtrie, celle-ci devint inamicale. De plus, l'extinction de l'Holocène, provoquée par la surchasse, finit de pousser les Terriens vers l'espace. Ils s'exilent. De nouvelles Sociétés, Royaumes, Reinaumes, communautés naissent de cette conquête.

— Attendez, qu'est-ce que vous racontez Zorth ? s'emporte Kylburt.

— Les Terriens étaient une espèce primitive. Ils ne sont pas allés plus loin que la voie lactée, rajoute De Xylis.

— Ceux dont on parle dans les livres d'histoire, peut-être. Mais ce n'est pas la réalité. Ce n'est pas ce qu'il s'est passé. La Terre a abrité les Premiers-Venants.

— Nous y revoilà... pensé-je, lasse de cette histoire.

— C'est-à-dire ? interroge Guitry.

— L'origine du peuplement de l'univers, M. Holt.

— Les Golts ?

Zorth se tourne vers Kylburt pour lui faire signe qu'il se trompe.

— Non. Les Golts ne sont qu'une vieille colonie terrienne, affirme-t-il sans détour. La première, pour être exact. Les Terriens ont souvent été relégués au rang de simples d'esprit, d'idiots de l'espace. Mais entre 2154 et 2300, ces mêmes Terriens ont colonisé des galaxies entières pour échapper à l'anéantissement annoncé de leur planète.

— Peut-être, mais nous étions déjà là en 2154. À travers l'univers tout entier.

— C'est exact, Slikof. Mais avant cette génération de Terriens, il y avait une autre.

— Je ne vous suis pas Zorth, répond De Xylis un peu perdu.

— La planète Terre a accueilli plusieurs générations d'êtres humains. Parmi eux, il y a ceux dont on parle dans les livres : les Envahisseurs. Cependant, ils ne sont pas la première civilisation humaine avancée de la Terre. Avant eux, il y avait d'autres peuples : les Bâtisseurs. Ces derniers ont vécu sur Terre bien avant, construisant des merveilles telles que les pyramides du plateau de Gizeh et le temple de Louxor, tous deux en Égypte, ainsi que les statues géantes Moaï de l'île de Pâques et la forteresse inca de Saqsaywaman près de Cuzco au Pérou.

Zorth s'extasie en évoquant ces civilisations disparues, sa voix vibrant d'une passion palpable.

— Autant de témoins de leur passage, souvent attribués à d'antiques civilisations possédant des techniques rudimentaires. Mais ce n'est pas le cas : les Bâtisseurs étaient les Originels, disparus dans un cataclysme sans précédent. Seule une poignée d'entre eux a survécu, avant l'émergence d'une nouvelle génération de Terriens, bien moins évoluée et plus primitive que la précédente, celle que nous connaissons aujourd'hui. Pourtant, quelques survivants de l'époque des Bâtisseurs ont persisté, connus sous le nom de lignée pure, comme nous avons coutume de les appeler.

— Nous ? interrompé-je, intriguée.

— Le roi Gotbryde et la Confrérie des Hématiens. Ceux pour qui nous sommes ici aujourd'hui. La lignée pure est restée sur sa planète d'origine du début jusqu'à la destruction de celle-ci. En l'an 2857, année de la première Éclipse.

Tout le monde à travers l'espace connaît cette date fatidique. Elle laisse un goût amer dans la bouche et dans le cœur. Signant la fin d'un certain nombre de planètes, dont la Terre.

— Puis l'accalmie. La période des trois quiétudes.

Les Trois Quiétudes sont une période oubliée de notre époque. Elle désigne les trois siècles qui ont suivi la Première Éclipse, une ère marquée à la fois par la disparition de nombreuses planètes et par la perte tragique d'une grande partie de l'humanité. Mais dans ce vide sidéral, de nouvelles opportunités émergent. Des marchés fleurissent partout, et une politique de libre-échange, à la fois fragile et ambitieuse, se met en place entre les divers pouvoirs. La paix s'installe peu à peu... mais à quel prix ? Les êtres de l'univers, forgés par les épreuves, se montrent audacieux, insouciants, comme si tout devenait possible, sans se soucier des ombres qui planent encore sur cette nouvelle ère.

— Les Terriens deviennent un lointain souvenir. Une population obsolète, n'ayant pas survécu à l'apocalypse. Puis les Éclipses reprennent en l'an 3057. Faisant resurgir de sombres croyances. Une vieille Prophétie renaît de ses cendres. La Prophétie des Sang-Rouge. Menée de front par les Golts. Les Golts, persuadés d'être les Premiers-Venants. Dans celle-ci, les Terriens, survivants des Éclipses, deviennent annonciateurs du désastre, ils sont un fléau. Des nuisibles ayant détruit leur propre planète. C'est alors qu'une chasse aux sorcières se met en place pour retrouver ces Sang-Rouge.

— Je ne comprends pas. Les Sang-Rouge... Ce sont tous les Terriens ? sonde le Capitaine Dogast.

— Non, ce sont les Originels. Ceux qui sont arrivés en premier et sont restés jusqu'à la fin. Ceux qui, d'après leur Prophétie, ont fini par achever leur propre planète. Personne ne sait combien ils étaient. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'en reste pas beaucoup aujourd'hui. La croyance de cette prophétie met en avant le fait que si l'on débarrasse l'espace de ces Sang-Rouge... l'équilibre reviendra et les Éclipses disparaîtront. Or, c'est tout le contraire... C'est là qu'intervient une tout autre Prédiction : La Prophétie de l'Équilibre. Celle-ci défend le fait que seuls des Sang-Rouge pourraient rétablir la stabilité de l'univers. Deux Terriens issus d'une Lignée-Pure. Deux originels, deux Premiers-Venants. Vous.

Zorth ouvre ses bras, me désignant ainsi que Fyguie. Devant la stupéfaction générale, il joint ses deux mains et baisse la tête pour prononcer religieusement quelque chose.

— Et ainsi rassembler les divergents en un seul tout, cite-t-il.

Un long silence remplace son récit alambiqué. Je sens les regards se porter tour à tour sur Fyguie et moi, empreints de curiosité et d'incrédulité.

Je ne comprends pas en quoi être un Sang-Rouge pourrait sauver l'univers. Je ne suis personne... Enfin, c'est ce que j'ai toujours cru.

Est-ce que le fait d'être un Sang-Rouge me transforme en quelqu'un de spécial ?

Est-ce que mon ADN cache un pouvoir que je n'ai jamais su exploiter ? Difficile de croire à tout cela.

Si j'étais réellement si précieuse pour la survie de l'univers, pourquoi ai-je traîné si longtemps dans une mine oubliée, loin de tout ?

— Maintenant que j'ai éclairci certains sujets, nous devons appareiller pour la prochaine destination. Capitaine ?

— Je vous écoute, Zorth.

— Cap sur la planète Eredet, dans la Galaxie D'Ultya.

La princesse émet un petit bruit d'étonnement.

— Il n'y a rien là-bas, Zorth.

Il se contente de lui sourire.

— Nous verrons bien, Votre Altesse.

Zorth et le Capitaine Dogast quittent la pièce, nous laissant seuls, abandonnés, face à nos questionnements sans réponse. Puis, dans une indifférence presque glaciale, Sylice rompt le silence en s'approchant du scientifique.

— Fyguie. Suivez-moi, s'il vous plaît.

PIROS - LABORATOIRE

Le nouvel arrivant n'a pas pris le temps de comprendre la situation. Comme s'il était en pilote automatique, ce trop-plein d'informations engourdit son esprit, le menant à accepter une seringue dans la veine de son bras gauche sans vraiment savoir pourquoi. En anticipant ce que Sylice va lui faire, je décide de suivre le mouvement, trop curieuse de découvrir la couleur de son précieux liquide.

Rouge ?

Transparent ?

Bleu Rigélien ?

Impossible de détecter le pigment à l'œil nu. Il faut poser une goutte sur la lame du microscope pour pouvoir l'observer.

— Alors ?

La scientifique se tourne vers moi pour me répondre quand Fyguie intervient.

— Oui, je sais. Il est rouge. Je suis physicien, vous savez ? Un scientifique. J'ai déjà étudié mon propre sang au cours d'expériences. J'ai connaissance de cet élément. Mais je n'ai pas d'explications.

— J'en ai une à vous donner ! s'enquit-elle de lui annoncer Sylice.

Je sais déjà dans quel savant charabia elle s'engage : globules rouges, voyage dans l'espace, ADN blablabla...

J'ai déjà eu mon compte...

PIROS - PONT

Abandonnant les deux érudits à leur conversation, je croise Lilas qui observe, presque hypnotisée, la vastitude de l'Univers depuis le pont. Sans un mot, je m'approche et me pose contre la vitre, tout en me noyant dans mes propres pensées.

— À quoi pense une princesse quand elle contemple l'Univers ?

Elle sursaute, visiblement prise au dépourvu, et effleure son visage, essuyant furtivement une larme. La fragilité de ce geste me surprend, mais je n'en dis rien.

— À son Royaume sur le déclin, murmure-t-elle, la voix tremblante.

— C'est là la source de votre chagrin ?

Elle me fixe alors, ses yeux noirs comme l'espace lointain, ses pensées enfouies au plus profond d'elle.

— Peut-être est-ce de savoir que vous êtes celle qui nous sauvera tous... Autant demander à un Gudjanien de remporter un combat à l'épée.

Sa réplique, mordante et acerbe, m'arrache un sourire. Un sourire léger, presque amusé. Je n'avais pas encore vu ce côté-là d'elle. Mais la distance dans son regard me rappelle que la confiance qu'elle place en moi semble aussi inaccessible que l'horizon lointain de cet univers.

— Je ne suis pas aussi inutile que vous semblez le croire, même si je ne vois pas en quoi je pourrais aider.

— Ah oui ? Et que savez-vous faire, à part enchaîner les sarcasmes et déformer la vérité ?

Je hausse les épaules, prenant un air faussement détaché. Un petit geste de défi : je forme un « V » avec mes doigts et le place devant mon visage. Pourtant, Lilas ne réagit pas. Aucune trace d'amusement sur ses traits.

— Comment pouvez-vous être aussi indifférente au sort de l'univers ? Des gens comptent sur vous ! Et au lieu d'en saisir l'importance, vous ne prenez rien au sérieux !

Son ton est accusateur, mais il y a autre chose derrière. Une tension. Une peur peut-être.

Je la fixe un instant, mon sourire s'effaçant légèrement.

— Des gens qui comptent sur moi... Ce serait bien la première fois.

Je me tourne lentement vers elle, mes yeux perdus dans la lointaine brillance des étoiles. Ses paroles flottent autour de moi, mais je ne les entends plus vraiment. Elles se mélangent avec mes propres pensées, ces doutes enracinés depuis trop longtemps.

— Je ne suis personne, princesse. Ne bâtissez pas vos espoirs sur moi.

Elle me fixe, ses yeux perçants semblant fouiller au plus profond de mon âme, comme si elle cherchait une vérité que je ne suis pas prête à lui offrir.

Puis, elle parle enfin, sa voix à peine plus qu'un murmure, mais chaque mot s'enfonce comme une lame bien aiguisée.

— Je ne fonde rien sur vous, répète-t-elle doucement. Mais mon père, lui... oui.

Son regard ne vacille pas. L'intensité de ses paroles me frappe de plein fouet, réveillant une inquiétude sourde au fond de ma poitrine.

Je laisse échapper un souffle, lourd et hésitant, comme si mes incertitudes prenaient enfin forme dans l'air qui m'entoure.

— Si je reste ici, c'est parce que je n'ai nulle part où aller. J'ai passé ma vie dans une mine, à chercher des cailloux, enfermée dans les entrailles d'un rocher flottant dans le néant. Sauver l'univers ? Ce n'est rien comparé à ça. Une balade de santé, presque.

Je marque une pause, mais les mots continuent de jaillir, comme un flot que je ne peux contenir.

— Si j'étais restée là-bas, j'aurais fini par mourir avant mes quarante ans. Intoxiquée. Ensevelie sous des gravats.

Ma voix vacille légèrement, mais je reprends, plus bas.

— Je vais finir par croire que mon destin est de mourir pour les autres, quoi qu'il arrive.

Je baisse les yeux, incapable d'affronter les siens. Ces mots... Ils brûlent encore dans ma gorge, comme une vérité que je ne voulais pas admettre à voix haute.

Elle, elle ne dit rien. Pas un mot. Mais son silence... Il pèse plus lourd que n'importe quelle réponse.

— Un destin écrit dans un bouquin, me lamenté-je, à mi-voix.

— Ce n'est pas n'importe quel bouquin, me répond-elle d'un ton calme mais ferme.

Je fronce les sourcils, mon scepticisme toujours bien présent. Pourtant, ses mots semblent effleurer une vérité que je refuse d'admettre. Une tristesse que je n'avais pas vue jusque-là s'empare de moi, se glisse dans mes veines. Sans un mot, Lilas saisit délicatement mon poignet, son geste aussi doux qu'une caresse.

Voici une version légèrement ajustée pour amplifier la profondeur émotionnelle et l'intimité de cette scène :

— Vous n'êtes pas seule dans cette odyssée, Mlle Flokart, murmure-t-elle, sa voix douce comme une promesse.

Mon regard se baisse instinctivement, capturant le mouvement de sa main. Ses doigts, légers et hésitants, se posent sur mon poignet. Cette connexion physique inattendue m'arrête net. Une chaleur diffuse traverse ma peau, et l'écho de ses mots semble s'inscrire directement dans mes pensées.

Je déglutis, ma voix brisant à peine le silence, presque pour moi-même.

— J'aimerais être libre de mes choix... Juste une fois dans ma vie. Qu'on cesse de me dire ce que je dois faire. Où. Quand. Comment.

Je n'ose relever la tête, mais je sens son regard. Brûlant, insistant. Quand je finis par croiser ses yeux, leur intensité me cloue sur place.

— La liberté, dans un monde condamné, n'a aucune saveur, répond-elle enfin, ses mots résonnant comme une vérité implacable.

Je reste figée, désorientée par la profondeur de cette affirmation. Ses yeux, intenses, semblent vouloir me convaincre qu'il n'existe aucune échappatoire. Pourtant, une tension naît en moi, un élan de rébellion contre ses paroles.

Est-ce un ressenti que je partage ? Je n'en suis pas si sûre.

La liberté, je ne la connais pas. Elle m'a toujours été étrangère, une illusion que je n'ai jamais pu effleurer. Mais, au fond de moi, une certitude persiste : que le monde soit condamné ou non, elle aurait, pour moi, un goût intense. Suffisamment pour que je sache l'apprécier, même si ce n'est qu'une fois, même si elle est éphémère.

Je lève les yeux vers elle, cherchant à comprendre pourquoi ces mots, prononcés si calmement, résonnent comme une sentence sans appel.

— Peut-être qu'elle n'a aucune saveur pour vous... Mais moi, je ne demande qu'à goûter à cette liberté, même si elle ne dure qu'un instant.

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